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Date : 20091029

Dossier : IMM-826-09

Référence : 2009 CF 1088

Ottawa (Ontario), le 29 octobre 2009

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

BABOO LAL BHAGAT et

KAMLA DEVI BHAGAT

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Les demandeurs ont déposé la présente demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission), datée du 27 janvier 2009, par laquelle la Commission a statué que les demandeurs n’avaient pas la qualité de « réfugiés au sens de la Convention » ni la qualité de « personnes à protéger ». La Commission a refusé la revendication du statut de réfugié au motif que les demandeurs n’avaient pas une crainte bien fondée de persécution et, subsidiairement, qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État. La Commission a estimé que le récit du demandeur n’était [traduction] « tout simplement pas crédible ».

 

[2]               Baboo Lal Bhagat et Kamla Devi Bhagat (les demandeurs) sont des citoyens du Pakistan. Ils sont hindous, et la religion dominante au Pakistan est l’Islam. Les demandeurs parlent ourdou, gujarati et anglais, et un interprète était présent à l’audience.

 

[3]               M. Baboo Bhagat a travaillé comme banquier pour la Banque nationale du Pakistan jusqu’en 1998. Il a quitté ce poste pour travailler à temps plein comme chanteur de bhajans. Les « bhajans » sont des chansons religieuses inspirées de deux livres sacrés hindous. M. Bhagat a enseigné les bhajans à la communauté hindoue à Karachi, au Pakistan. Tout au long de son témoignage, M. Bhagat a indiqué que ses activités de chanteur constituaient une dimension essentielle de sa religion, et il les a souvent décrites comme du « prêche ». Il est maintenant un chanteur de bhajan bien connu et populaire au Pakistan. Il a souvent été invité à chanter des bhajans dans des festivals religieux hindous. Il affirme qu’il a commencé à exploiter une académie de musique quelque temps après avoir démissionné de son poste à la banque. Les demandeurs ont un fils, Prabhat Kanual, qui vit et travaille à Etobicoke, en Ontario.

 

[4]               M. Bhagat a soutenu qu’il avait été persécuté par des extrémistes musulmans en raison de ses activités de chanteur religieux. Plus précisément, il a allégué que lorsqu’il avait commencé à chanter des bhajans à temps plein dans des festivals religieux et des temples, il était devenu la cible de harcèlement de la part d’extrémistes musulmans. Lorsqu’il a décrit cette persécution, il a notamment affirmé que des extrémistes musulmans l’avaient ciblé en lançant des pierres et en disant à des enfants de lui chanter des insultes. Les extrémistes musulmans, selon ses dires, avaient appelé chez lui pour proférer des menaces à son endroit, avaient détruit son académie de musique et avaient attenté à sa vie. En outre, M. Bhagat a affirmé que la police avait refusé de lui offrir sa protection en rapport avec deux incidents antérieurs. À une occasion, M. Bhagat a affirmé qu’un policier avait demandé un important pot-de-vin avant d’envisager de faire quoi que ce soit relativement à sa plainte.

 

[5]               Après l’incendie allégué de son académie, des extrémistes musulmans ont menacé M. Bhagat de l’accuser de blasphème s’il continuait à chanter et à prêcher. Il n’a pas signalé cet incident à la police. Craignant pour sa vie, M. Bhagat a obtenu des visas de visiteurs afin que lui et son épouse puissent venir au Canada. Les demandeurs ont revendiqué le statut de réfugié deux mois après être arrivés au Canada. Il est acquis aux débats que la revendication de la demanderesse, Kamla Devi Bhagat, est tributaire de celle de son époux. Seul M. Bhagat a témoigné à l’audience.

 

[6]               La Cour suprême du Canada a établi dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, que, dans les affaires qui ne soulèvent pas de questions juridiques mais plutôt des questions relatives à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et à la pondération d’éléments de preuve, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Il convient de faire preuve de retenue à l’égard d’un tribunal qui est spécialisé dans la question à l’étude. Cette norme est applicable en l’espèce. Plus récemment, dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, la Cour suprême du Canada a examiné la question de savoir si l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, régissant le contrôle judiciaire des décisions des offices fédéraux, avait une incidence sur l’analyse de la norme de contrôle. C’est le cas. L’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales dispose que la Cour fédérale peut accorder une mesure de redressement si un office fédéral « a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose ». Les demandeurs allèguent que les conclusions de la Commission étaient déraisonnables et qu’elles étaient erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont disposait la Commission.

 

[7]               Dans l’arrêt Aguebor c. Canada (M.E.I.) (1993), 160 N.R. 315, la Cour d’appel fédérale a jugé qu’en ce qui a trait à la plausibilité du témoignage d’un revendicateur, le caractère déraisonnable d’une décision pouvait s’avérer plus manifeste :

[4]     Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire […]

 

 

 

[8]               En l’espèce, il appert que la Commission, s’appuyant sur l’absence d’éléments de preuve corroborants, a conclu que M. Bhagat n’était pas crédible parce que le fondement de sa demande n’était pas vraisemblable.

 

[9]               Des éléments de preuve corroborants ne sont pas toujours nécessaires pour établir la crainte subjective du demandeur. La Commission a cependant statué que, dans les circonstances particulières de la présente affaire, elle se serait attendue à ce que des éléments de preuve corroborant la persécution lui soient présentés. En l’absence d’éléments de preuve corroborants, elle pouvait tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur. Le défendeur invoque l’arrêt Sheik c. Canada (M.E.I.) (C.A.), [1990] 3 C.F. 238, à la page 244, au soutien de sa prétention selon laquelle la Commission n’a pas commis d’erreur de droit lorsqu’elle a tiré cette conclusion :

     Le concept de la crédibilité des éléments de preuve et celui de la crédibilité du demandeur sont évidemment deux choses différentes, mais il est évident que lorsque la seule preuve soumise au tribunal qui relie le demandeur à sa demande est celle que ce dernier fournit lui-même (outre, peut-être, les dossiers sur différents pays dont on ne peut rien déduire directement à l'égard de la revendication du demandeur), la perception du tribunal que le demandeur n'est pas un témoin crédible équivaut en fait à la conclusion qu'il n'existe aucune élément crédible sur lequel pourrait se fonder le second palier d'audience pour faire droit à la demande.

 

 

 

[10]           Le défendeur soutient qu’une conclusion d’invraisemblance constitue un motif suffisant pour permettre à la Commission de conclure que le fondement de la demande n’est pas crédible. Cette affirmation est correcte en droit. La jurisprudence est claire : une conclusion d’invraisemblance peut remettre en cause la crédibilité du demandeur. Ce principe a été confimé dans l’arrêt Leung c. Canada (M.E.I.) (1990), 74 D.L.R. (4th) 313 (C.A.F.).

 

[11]           Dans l’arrêt Adu c. Canada (M.E.I.), [1995] A.C.F. n114 (QL), la Cour d’appel fédérale a jugé qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que soit présentée une preuve documentaire de l’existence d’une loi, et elle a affirmé :

[…] La "présomption" selon laquelle le témoignage sous serment d'un requérant est véridique peut toujours être réfutée et, dans les circonstances appropriées, peut l'être par l'absence de preuves documentaires mentionnant un fait qu'on pourrait normalement s'attendre à y retrouver.

 

 

 

[12]           Dans Owusu c. Canada (M.C.I), [1995] A.C.F. no 681 (1re inst.) (QL), au paragraphe 4, le juge Wetston a rejeté la demande de contrôle judiciaire au motif que la Commission n’avait pas commis d’erreur « en exigeant que le témoignage du demandeur soit corroboré par une preuve documentaire ».

 

[13]           En l’espèce, la Commission a conclu qu’étant donné la situation de chanteur bien connu et apprécié de M. Bhagat au sein de la communauté hindoue, il était raisonnable de s’attendre à ce que soient présentés des rapports corroborant ses dires selon lesquels des extrémistes musulmans étaient devenus ses ennemis, ils cherchaient à le tuer, et M. Bhagat avait eu une académie et celle-ci avait brûlé. Puisqu’elles ne provenaient pas d’une source indépendante, la Commission a accordé peu de poids aux deux lettres de membres de la communauté à titre d’éléments de preuve documentaire corroborant les problèmes que M. Bhagat aurait eus avec des extrémistes musulmans au Pakistan. La Commission semble avoir tiré une autre conclusion d’invraisemblance du fait qu’aucun élément de preuve n’avait été produit pour démontrer que M. Bhagat aurait été accusé de blasphème.

[14]           Après avoir examiné les éléments de preuve et avoir entendu les avocats des parties, je ne suis pas convaincu que les conclusions qu’a tirées la Commission sont déraisonnables au point de justifier l’intervention de la Cour. En outre, les demandeurs n’ont pas réussi à démontrer que la Commission avait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait (Loi sur les Cours fédérales, alinéa 18.1(4)d)).

 

[15]           Cela est suffisant pour rejeter la demande de contrôle judiciaire.

 

[16]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-826-09

 

INTITULÉ :                                                   BABOO LAL BHAGAT et KAMLA DEVI BHAGAT c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 6 octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 29 octobre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Savaglio

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Bridget A. O’Leary

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John Savaglio

POUR LES DEMANDEURS

Pickering (Ontario)

 

 

 

John H. Sims, c.r.

POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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