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Date : 20091029

Dossier : IMM-625-09

Référence : 2009 CF 1087

Ottawa (Ontario), le 29 octobre 2009

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

Jaime Enrique MAYA GONZALEZ

Maria Silvia GARCIA MENDOZA

Jaime Enrique MAYA GARCIA

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Les demandeurs ont déposé la présente demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission), datée du 20 janvier 2009, dans laquelle le commissaire Roslyn Ahara a statué que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni la qualité de personnes à protéger. La Commission a refusé la demande au motif qu’une protection adéquate de l’État était disponible et qu’il n’y avait aucune possibilité sérieuse que les demandeurs soient persécutés s’ils étaient renvoyés au Mexique.

 

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[2]               Jamie Enrique Maya Gonzalez (le demandeur) et son épouse, Maria Silvia Garcia Mendoza (la demanderesse), sont des citoyens du Mexique. Le demandeur mineur, Jaime Enrique Maya Garcia, est citoyen des États-Unis ainsi que du Mexique. Je désignerai ci-après la famille « les demandeurs ».

 

[3]               Les demandeurs sont originaires de l’état agricole de Tamaulipas, où le demandeur a travaillé comme ingénieur agricole au service du ministère de l’Agriculture, du Bétail, du Développement rural, des Pêcheries et de l’Alimentation (Secretaria de Agricultura, Ganareria, Desarroll Rural, Pesca y Alimentacion – ou SAGARPA). En mai 2007, le gouvernement a approuvé un budget de 200 millions de pesos pour un programme intitulé Allianza con el Campo (Alliance avec la campagne). Il s’agissait d’un programme visant à aider les agriculteurs pauvres des régions rurales à acheter de la machinerie, du carburant, des semences et à obtenir de l’assistance technique. Le demandeur a travaillé avec de nombreux agriculteurs qui avaient été jugés admissibles à du financement par l’entremise de ce programme.

 

[4]               Les fonds n’ont pas été versés aux agriculteurs. Le demandeur a entendu des rumeurs selon lesquelles l’argent avait été détourné par des politiciens et leurs amis. Il s’est d’abord adressé à l’ingénieur en chef de l’établissement où il travaillait, qui lui a dit que cela ne le regardait pas. Il s’est fait dire qu’il ne travaillait pas là depuis très longtemps, mais qu’il profiterait bientôt lui aussi du fait de se montrer discret au sujet de ce genre de choses. La deuxième personne à qui il s’est adressé était le délégué de l’État (le chef du ministère), Luis Carlos Garcia Albarrá. Lors de leur rencontre, il s’est à nouveau fait dire de ne pas s’en mêler. Entre-temps, des agriculteurs sont devenus frustrés de ne pas avoir reçu leur argent et ont organisé des démonstrations devant les bureaux de la SAGARPA.

 

[5]               Après ces rencontres informelles au cours desquelles il s’était enquis au sujet des fonds manquants, le demandeur a reçu chez lui des appels téléphoniques menaçants qui lui disaient d’arrêter de faire enquête. Le 20 juillet 2007, son épouse a été agressée dans leur demeure, à la suite de quoi elle a dû être hospitalisée. Lorsqu’il a été confronté, les patrons du demandeur n’ont pas nié leur implication dans l’agression et lui ont dit que cela s’était produit parce qu’il jouait aux enquêteurs, et ils l’ont congédié. Le demandeur s’est aperçu qu’il était soupçonné d’avoir divulgué des renseignements aux communautés rurales au sujet du détournement de fonds. Il a rencontré à nouveau le délégué de l’État, qui l’a informé que le maire était mécontent de lui.

 

[6]               Avec l’aide d’un avocat, le demandeur a déposé une plainte auprès du ministère public au sujet de l’agression de son épouse. On lui a dit de ratifier sa plainte à une date ultérieure. En l’absence de ratification, aucune plainte ne donne lieu à une enquête. Le demandeur est retourné trois fois, et chaque fois on lui a dit que sa plainte ne figurait pas encore sur la liste des plaintes prêtes à être ratifiées. Après qu’il eut déménagé à Monterrey, une ville à huit heures de Tamaulipas, son avocat a continué à assurer le suivi de la dénonciation.

 

[7]               Le 26 septembre 2007, le demandeur a été agressé et enlevé. Ses agresseurs lui ont dit qu’il n’aurait pas dû rencontrer le délégué de l’État. Il a été battu jusqu’à en perdre connaissance et a été laissé sur la route. Un passant l’a amené à la Croix-Rouge. Encore une fois, il a déposé une dénonciation auprès du ministère public.

 

[8]               La famille a déménagé à nouveau, cette fois-ci à Poza Rica, une ville qui est à environ 20 heures de Tamaulipas. Vers cette époque, l’avocat du demandeur à Tamaulipas l’a informé que lui aussi recevait des menaces et qu’il ne s’occuperait plus du dossier du demandeur.

 

[9]               Le 16 décembre 2007, la demanderesse a interrompu une tentative d’enlèvement du demandeur mineur. Les demandeurs ont signalé l’incident au ministère public, qui l’a consigné comme une tentative d’enlèvement. Les demandeurs sont venus au Canada le 31 décembre 2007.

 

[10]           Le beau-frère du demandeur l’a informé que depuis son départ, des gens étaient venus à sa recherche à deux occasions. À une occasion, ils se sont identifiés comme des employés du ministère de l’Agriculture et ont agressé le gardien de la maison.

 

[11]           Le demandeur et la demanderesse ont tous deux témoigné à l’audience de la Commission. Le commissaire les a trouvés crédibles. Le demandeur mineur n’a pas témoigné.

 

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[12]           La Commission a statué que le demandeur craignait des représailles à la suite du dépôt de ses plaintes auprès du ministère public relativement au mauvais usage de fonds publics. En outre, l’agent de persécution percevrait les actes du demandeur consistant à dénoncer le gouvernement comme relevant de l’opinion politique. Le demandeur a convaincu la Commission que sa crainte était fondée sur un des motifs énumérés à la Convention (article 96 de la Loi). La Commission a admis comme crédible le témoignage du demandeur.

 

[13]           La question déterminante lors de l’audition de la présente affaire était celle de la protection de l’État. La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas raisonnablement épuisé tous les recours qui lui étaient ouverts. Au soutien de sa conclusion, la Commission invoque l’élément de preuve selon lequel le demandeur a omis de ratifier la dénonciation initiale qu’il a déposée auprès du ministère public concernant l’agression de son épouse à Tamaulipas. En outre, la Commission relève que le demandeur a déposé des dénonciations auprès du ministère public dans deux autres États mais qu’il a omis d’assurer le suivi de l’une et l’autre. Enfin, la Commission a exprimé l’avis que le demandeur aurait dû demander l’aide d’organismes non policiers et non judiciaires, comme SIEDO (Enquêtes spéciales sur le crime organisé).

 

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[14]           Les demandeurs ne formulent aucune observation au sujet de la norme de contrôle applicable mais soutiennent que les conclusions qu’a tirées la Commission sont déraisonnables en raison d’une analyse profondément déficiente de la protection de l’État. Le défendeur soutient qu’il y lieu de faire preuve de beaucoup de retenue à l’égard des conclusions de fait de la Commission quant à une protection adéquate de l’État. La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190). La conclusion de la Commission est susceptible de contrôle si elle ne satisfait pas à l’exigence de justification, de transparence et d’intelligibilité formulée par la Cour dans cet arrêt.

 

[15]           Dans la décision attaquée, la Commission a conclu que le protocole normal de dénonciation n’avait pas été suivi et que la plainte initiale n’avait jamais été ratifiée. En conséquence, aucune enquête n’avait jamais été ouverte. Je conviens avec le demandeur que ces lacunes démontrent que ce mécanisme de recours à la protection de l’État n’était pas un recours efficace pour lui. En outre, compte tenu de l’identité de l’agent de persécution, ces lacunes démontrent, selon toute vraisemblance, que le ministère public n’a pas donné suite à la dénonciation pour des motifs d’ordre politique. L’État n’est vraisemblablement pas disposé à protéger le demandeur contre lui-même. Bien que les conclusions de fait portent à croire que la Commission a bel et bien procédé à une analyse personnalisée de la protection de l’État, la conclusion de la Commission est tout de même déraisonnable parce que la Commission a omis de tenir compte de l’identité particulière de l’agent de persécution.

 

[16]           Si la preuve d’une réponse policière en temps opportun ou d’une réponse appropriée peut démontrer que l’État est désireux d’offrir sa protection (voir Soriano c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 952, et Alvarez c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 933), il s’ensuit que l’absence de réponse policière tend à démontrer que l’État ne veut pas offrir sa protection. Cela, combiné à l’identité de l’agent de persécution, aurait dû amener la Commission à conclure que le demandeur ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce que l’État le protège.

 

[17]           J’admets en outre l’argument des demandeurs selon lequel il était déraisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur n’avait pas épuisé tous les recours qui lui étaient ouverts pour obtenir la protection de l’État. La Commission a conclu que le demandeur aurait aussi pu s’adresser à des organismes non policiers et non judiciaires, comme SIEDO, pour obtenir une protection.

 

[18]           Le fait qu’un fonctionnaire de haut niveau orchestre la persécution modifie nécessairement l’analyse des organismes pertinents et des efforts raisonnables déployés par le demandeur. La Commission a supposé que le demandeur avait tout au plus éprouvé une difficulté d’ordre administratif à ratifier sa plainte, et qu’il aurait donc dû demander l’assistance d’organismes qui aident les gens à déposer des plaintes relatives à la corruption de l’État. Dans ce contexte, il serait pertinent que la Commission signale à quels organismes le demandeur aurait dû s’adresser. Cependant, les demandeurs soutiennent de manière convaincante que la Commission a commis une erreur en omettant d’examiner les attentes raisonnables que pouvait avoir le demandeur d’obtenir une protection de l’État contre lui-même, plus précisément contre des politiciens de haut niveau.

 

[19]           La conclusion de la Commission selon laquelle SIEDO constituait une solution de rechange pertinente à la police n’est pas étayée par les éléments de preuve documentaire au dossier. La seule cause citée qui laisse entendre que SIEDO serait un organisme approprié à des fins de protection est Gutierrez c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 971. Or, dans cette affaire, le demandeur recevait des menaces de la part d’agents non étatiques qui tentaient de le forcer à collaborer avec une organisation criminelle. Dans la présente espèce, les éléments de preuve ne me convainquent pas que la corruption que le demandeur tentait de dénoncer était reliée de quelque manière au crime organisé de telle sorte qu’il aurait dû s’adresser à cet organisme.

 

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[20]           Il appert donc que la Commission a omis de procéder convenablement à une analyse personnalisée de la protection de l’État et qu’elle a conclu de manière déraisonnable que les demandeurs auraient dû s’adresser à d’autres organismes non policiers. Dans les circonstances, cela rend sa décision susceptible de contrôle.

 

[21]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à la Commission pour qu'un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur celle-ci.


JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission), datée du 20 janvier 2009, est annulée, et l'affaire est renvoyée à la Commission pour qu'un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur celle-ci

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-625-09

 

INTITULÉ :                                                   Jaime Enrique MAYA GONZALEZ, Maria Silvia GARCIA MENDOZA, Jaime Enrique MAYA GARCIA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 6 octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 29 octobre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Leigh Salsberg

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Nicole Rahaman

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates

POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

 

 

 

John H. Sims, c.r.

POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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