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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court

 


 

Date : 20091023

Dossier : T-419-09

Référence : 2009 CF 1085

Toronto (Ontario), le 23 octobre 2009

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

demandeur

 

et

 

 

SHING TIMOTHY WONG

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) fait appel, en application du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29, de la décision d’une juge de la citoyenneté, en date du 21 janvier 2009, qui a approuvé la demande de citoyenneté canadienne présentée par Shing Timothy Wong (le défendeur).


LES FAITS

[2]               Le défendeur, né à Hong Kong, est citoyen du Royaume-Uni. Il est arrivé au Canada en 1996 avec son épouse et ses deux enfants et il est devenu résident permanent.

 

[3]               La famille du défendeur a acheté une maison, enregistrée au nom de l’épouse du défendeur, dans la région de Toronto en 1996, et elle y vit depuis. L’épouse et les enfants du défendeur sont finalement devenus citoyens canadiens.

 

[4]               Le défendeur a beaucoup voyagé, accumulant durant la période applicable (de juin 2001 à juin 2005) seulement 775 jours de présence au Canada sur 1 460. Il s’agissait le plus souvent de voyages à Hong Kong, où il se rendait pour ses affaires ou son travail. Il y avait aussi des voyages d’agrément aux États-Unis. Dans certains voyages – on ne sait pas exactement combien –, il se rendait à Hong Kong, dans une clinique, pour y faire soigner l’un de ses fils, qui souffre d’une maladie mentale.

 

[5]               Le défendeur a demandé la citoyenneté canadienne le 15 juin 2005. Sa demande a été refusée le 13 mai 2007. Les motifs du refus de la demande ne sont pas clairs, mais la juge de la citoyenneté semble avoir fondé sa décision sur le fait que le défendeur avait souvent, et sur de longues périodes, été absent du Canada. Le défendeur a fait appel de ce refus.

 

[6]               Dans la décision Wong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 731 [la décision Wong I], le juge Michael Phelan a fait droit à l’appel du défendeur. Il a estimé que la juge de la citoyenneté n’avait pas considéré le temps de résidence du défendeur au Canada avant la période pertinente, qu’elle avait confondu les divers critères de résidence et, surtout, qu’elle n’avait pas tenu compte de la qualité des liens du défendeur avec le Canada.

 

[7]               La demande de citoyenneté du défendeur fut alors renvoyée à un juge de la citoyenneté, qui l’a approuvée. Le ministre fait maintenant appel de cette décision.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[8]               La décision du second juge de la citoyenneté consiste en un unique paragraphe manuscrit apparaissant sur le formulaire intitulé « Avis au ministre »; un paragraphe quasi identique est reproduit sur le formulaire intitulé « Note au dossier ». Le paragraphe de ce dernier formulaire est ainsi rédigé :

[traduction] Après un entretien personnel, et après avoir examiné les documents demandés, c’est-à-dire le compte rendu des voyages à Hong Kong, les avis de cotisation émis par l’ARC, les relevés bancaires, les observations orales, la présence de la famille au Canada durant les 13 années passées, le fait que le reste de la famille soit composé de citoyens canadiens, la raison des voyages à Hong Kong étant les traitements administrés au fils du demandeur qui est atteint d’autisme, et le demandeur ayant déclaré toutes ses absences dans sa demande et dans le questionnaire sur la résidence, je suis d’avis que le demandeur a établi sa résidence au Canada et l’y a maintenue. Demande approuvée. [Non souligné dans l'original; les mots soulignés n’apparaissent pas dans le formulaire intitulé « Avis au ministre ».]

 

 

[9]               Le juge de la citoyenneté a aussi noté certains faits concernant le défendeur, en style télégraphique, sur une autre « Note au dossier ».

 

LES POINTS LITIGIEUX

[10]           Le présent appel soulève trois points principaux :

1)         La question du lieu de résidence du défendeur est-elle chose jugée?

2)         Le juge Gill a-t-il suffisamment motivé sa décision?

3)         Le juge Gill a-t-il commis une erreur en concluant que le défendeur remplissait les conditions de résidence fixées par la Loi sur la citoyenneté?

 

ANALYSE

La chose jugée

[11]           Le défendeur dit que la question de son lieu de résidence est chose jugée parce que le juge Phelan [traduction] « a décidé en fait que le demandeur et sa famille avaient établi et maintenu leur lieu de résidence au Canada ».

 

[12]           En fait, le juge Phelan n’a rien décidé de tel. Au paragraphe 20 de ses motifs, dans la décision Wong I, précitée, il écrivait ce qui suit :

Il y avait suffisamment d’éléments au dossier pour soulever la question de la résidence antérieure, mais le juge de la citoyenneté ne s’est pas livré à cette analyse. […] Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problèmes en ce qui concerne les documents sur cette question ou qu’il n’y a pas certaines incohérences au dossier. Cependant, je suis d’avis que le juge de la citoyenneté avait l’obligation d’examiner si le demandeur avait établi sa résidence, plus particulièrement compte tenu du fait que le demandeur et sa famille avaient passé 12 ans au Canada, s’ils étaient propriétaires d’une résidence, que des membres de la famille étaient devenus des citoyens canadiens et que le demandeur, qui avait voyagé du Canada vers d’autres destinations, comme Hong Kong, était toujours revenu au Canada. [Non souligné dans l'original.]

 

 

[13]           Le juge Phelan a conclu que le juge de la citoyenneté avait l’obligation « d’examiner si le demandeur avait établi sa résidence ». Il n’a certainement pas conclu en fait que le demandeur avait établi sa résidence. La position du défendeur sur ce point est sans fondement.

 

La décision du juge de la citoyenneté est-elle suffisamment motivée?

[14]           Le paragraphe 14(2) de la Loi sur la citoyenneté prévoit que le juge de la citoyenneté transmet au ministre sa décision motivée d’approuver ou de rejeter la demande présentée par un résident permanent.

 

[15]           Le ministre fait valoir que le juge de la citoyenneté ne s’est pas acquitté de cette obligation parce que ses motifs étaient [traduction] « éparpillés, imprécis et inintelligibles ».

 

[16]           Plus précisément, le ministre dit que le juge de la citoyenneté n’a pas indiqué quel critère de résidence il appliquait et qu’il n’a ni abordé les facteurs juridiques pertinents ni les points soulevés par la preuve. Je partage l’avis du ministre.

 

[17]           Dans un jugement récent, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Mahmoud, 2009 CF 57 [la décision Mahmoud], au paragraphe 6, le juge Roger Hughes écrivait que, parce que le ministre – ou, d’ailleurs, un demandeur de citoyenneté – n’a de recours que d’interjeter appel à la Cour, et parce que la citoyenneté doit être accordée en cas de recommandation favorable d’un juge de la citoyenneté, « l’exposition de motifs par le juge de la citoyenneté revêt une importance particulière. Les motifs doivent être suffisamment clairs et détaillés pour démontrer au ministre que tous les faits pertinents ont été pris en considération et soupesés comme il se doit et que les critères juridiques opportuns ont été appliqués. »

 

[18]           Inutile de le dire, les motifs du juge de la citoyenneté devraient se suffire à eux-mêmes. Le défendeur a senti le besoin d’expliquer dans un affidavit le raisonnement du juge de la citoyenneté, ce qui, à mon avis, montre clairement que les motifs du juge étaient déficients.

 

[19]           Le défendeur fait valoir que le juge de la citoyenneté a appliqué le critère élaboré par la juge Reed dans la décision Re Koo, [1993] 1 C.F. 286, (1992) 19 I.L.R. (2d) 1. Mais les références à ce précédent sont bien dissimulées dans les motifs du juge de la citoyenneté. Il convient de noter qu’il n’a pas utilisé le formulaire existant énumérant les six questions de ce critère et offrant l’espace requis pour qu’il soit répondu à chacune d’elles.

 

[20]           Le ministre – ou, en d’autres circonstances, le candidat à la citoyenneté – ne devrait pas être tenu de conjecturer les raisons pour lesquelles la demande de citoyenneté est accordée ou refusée. Le formulaire employé par le juge de la citoyenneté laissait très peu d’espace pour l’exposé de motifs, mais le juge Hughes s’exprimait ainsi, au paragraphe 19 de la décision Mahmoud, précitée :

 

Je conclus que l’exigence selon laquelle un juge de la citoyenneté doit fournir des motifs clairs et adéquats doit l’emporter sur les limites apparentes imposées par le formulaire. Il est dommage qu’on n’ait pas fourni un formulaire plus adéquat mentionnant qu’une ou des pages comportant les motifs appropriés peuvent être jointes. Citoyenneté et Immigration Canada devrait songer immédiatement à améliorer le formulaire en question.

 

[21]           Le bref paragraphe rédigé par le juge de la citoyenneté ne dit pas clairement quel critère il a appliqué ni quelles questions il a posées, et c’est à peine s’il mentionne les éléments de preuve dont il a tenu compte.

 

La condition de résidence

[22]           Vu la conclusion à laquelle je suis arrivée sur la question de la validité des motifs du juge, il ne m’est pas nécessaire de me prononcer sur la question de la condition de résidence.

 

CONCLUSION

[23]           La situation est très fâcheuse pour le défendeur, qui devra maintenant, à cause du mauvais travail de deux juges de la citoyenneté, se soumettre à une troisième décision pour une demande qui a été déposée il y a plus de quatre ans et demi. Mais le ministre a le droit d’obtenir l’explication d’une décision avec laquelle il est en désaccord, tout comme le défendeur avait ce droit quand le juge Phelan a annulé, dans la décision Wong I, précitée, la première décision portant sur sa demande de citoyenneté.

 

[24]           Dans son argumentation orale, le défendeur a pressé la Cour d’utiliser sa compétence en appel pour décider qu’il répond à la condition de résidence fixée par la Loi sur la citoyenneté et qu’il a donc droit à la citoyenneté canadienne, plutôt que de renvoyer l’affaire à un autre juge de la citoyenneté pour nouvelle décision. C’est ce qu’a fait mon collègue le juge Douglas Campbell dans la décision Seiffert c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1072, 277 F.T.R. 253. Cependant, la présente affaire ne se prête pas à une telle décision.

 

[25]           Puisque l’alinéa 300c) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, prévoit que les appels formés contre les décisions des juges de la citoyenneté doivent être entendus comme s’il s’agissait de demandes de contrôle judiciaire, c’est dans des cas exceptionnels que la Cour fera usage de sa compétence en appel et substituera sa propre décision à celle d’un juge de la citoyenneté. L’affaire Seiffert était un tel cas, puisque le juge Campbell a estimé, au paragraphe 22, que « la preuve versée au dossier […] montr[ait] amplement que le lieu de résidence au Canada avait été établi bien avant le dépôt des demandes de citoyenneté ». [Non souligné dans l'original.]

 

[26]           La présente affaire est différente, car, comme le juge Phelan l’écrivait au paragraphe 20 de la décision Wong I, précitée, « il y avait suffisamment d’éléments au dossier pour soulever la question de la résidence antérieure … [mais] Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problèmes en ce qui concerne les documents sur cette question ou qu’il n’y a pas certaines incohérences au dossier ». La question n’est donc pas tranchée, et elle devra être examinée par un juge de la citoyenneté, qui devrait procéder à une analyse minutieuse des faits avant de rendre sa décision.

 

[27]           Pour ces motifs, l’appel est accueilli et l’affaire est renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour nouvel examen.

 

[28]           Chacune des parties voudrait que l’autre soit condamnée aux dépens, mais à mon avis la présente affaire ne se prête pas à une ordonnance d’adjudication des dépens.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE : l’appel est accueilli et l’affaire est renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour nouvel examen, sans dépens.

 

                                                                                           « Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-419-09

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION c. SHING TIMOTHY WONG

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 21 OCTOBRE 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 23 OCTOBRE 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Leena Jaakkimainen                                                                  POUR LE DEMANDEUR

 

Sheldon M. Robins                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                           POUR LE DEMANDEUR

 

 

Sheldon M. Robins

Avocat

Toronto (Ontario)                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

 

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