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Federal Court

Cour fédérale

 

Date : 20091022

Dossier : T-326-09

Référence : 2009 CF 1069

Toronto (Ontario), le 22 octobre 2009

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

et

 

SURASHRI CHATTERJEE

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre) fait appel, en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29, de la décision d’un juge de la citoyenneté, en date du 14 janvier 2009, qui a approuvé la demande de citoyenneté canadienne présentée par la défenderesse, Surashri Chatterjee.


LES FAITS

[2]               La défenderesse est de nationalité indienne. Elle est arrivée au Canada in 1971 et elle est devenue résidente permanente. Elle a vécu au Canada sans interruption jusqu’en 1997. Cependant, cette année-là, elle s’est installée en Inde avec son mari, puis a accepté un poste à l’École internationale canadienne de Bangalore, pour y dispenser un enseignement approuvé par les autorités scolaires de l’Ontario. Elle est revenue au Canada en 2006 et vit maintenant à Toronto. Elle a demandé la citoyenneté le 7 février 2007, ayant été absente du Canada durant un total de 1 195 jours au cours des 1 460 jours antérieurs. Outre les périodes qu’elle a passées en Inde, elle a également visité deux fois sa fille qui vit en Californie, la première fois durant 40 jours et la deuxième fois durant 25 jours.

 

[3]               Le juge de la citoyenneté a approuvé sa demande. Le ministre fait aujourd’hui appel de cette décision.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[4]               La décision du juge de la citoyenneté comprend ses notes manuscrites au dossier, ainsi que ses observations manuscrites consignées sur un formulaire énumérant les six questions tirées de la décision Re Koo, [1993] 1 C.F. 286, (1992) 19 I.L.R. (2d) 1.

 

[5]               Il a relevé que la défenderesse avait vécu au Canada de 1971 à 1997, qu’elle avait obtenu son diplôme à l’Université McGill et qu’elle était devenue enseignante.

 

[6]               Par ailleurs, le mari et les filles de la défenderesse sont citoyens canadiens; l’une des filles vit au Canada, alors que l’autre vit aux États-Unis. La défenderesse a aussi des investissements considérables au Canada.

 

[7]               De l’avis du juge de la citoyenneté, la présence physique de la défenderesse au Canada était assimilable à celle d’une personne qui revient chez elle plutôt qu’à celle d’un visiteur. Au reste, lorsque la défenderesse enseignait en Inde, elle revenait toujours au Canada pour y passer les congés d’été et d’hiver.

 

[8]               Le juge de la citoyenneté a fait observer que la défenderesse s’était trouvée en dehors du Canada durant 1 195 jours au cours des quatre années précédant sa demande, [traduction] « dispensant aux enfants de diplomates un enseignement approuvé par l’Ontario dans une école canadienne établie en Inde. Elle accompagnait aussi son mari citoyen canadien. »

 

[9]               Le juge de la citoyenneté a considéré que l’absence du Canada de la défenderesse avait été le résultat d’une situation temporaire. Par ailleurs, puisqu’elle donnait des cours canadiens dans une école canadienne et qu’elle avait affaire à des Canadiens, [traduction] « on pourrait considérer qu’elle se trouvait au Canada ».

 

[10]           Finalement, il a estimé que les liens de la défenderesse avec le Canada étaient [traduction] « très solides ». Il a relevé qu’elle avait établi son existence ici, avait élevé deux enfants au Canada et faisait ici du bénévolat.

 

[11]           Le juge de la citoyenneté s'est dit persuadé que, en dépit de son absence physique du Canada, une absence de longue durée mais néanmoins temporaire, la défenderesse avait établi sa résidence ici.

 

LES OBSERVATIONS DES PARTIES

[12]           Le ministre fait valoir que le juge de la citoyenneté s’est focalisé uniquement sur le fait que la défenderesse avait déjà vécu au Canada durant une longue période, alors qu’il aurait dû tenir compte de tous les autres facteurs énoncés dans la décision Re Koo, précitée.

 

[13]           Par ailleurs, le ministre dit que la présente affaire n’est pas un [traduction] « cas limite » justifiant une entorse aux strictes conditions de résidence énoncées dans la Loi sur la citoyenneté, et cela parce que [traduction] « les voyages de la défenderesse à l’étranger ont été nombreux, elle a résidé essentiellement à l’étranger, ses absences ont été longues et elle a semblé avoir peu d’activités au Canada ».

 

[14]           Sur ce point, le ministre dit que le juge de la citoyenneté a tiré des conclusions sans tenir compte de la preuve. Ainsi, le juge a conclu que la défenderesse avait maintenu sa résidence au Canada alors qu’il n’avait pas de preuve qu’elle avait des comptes bancaires, payait des impôts ou détenait des biens au Canada durant son séjour en Inde. Selon le ministre, les documents que la défenderesse avait produits montrent qu’elle a résidé en Inde jusqu’en 2006, et le juge de la citoyenneté n’a pas tenu compte de ce fait en tirant ses conclusions.

 

[15]           Pour sa part, la défenderesse souligne que, lorsqu’elle était en Inde, elle enseignait une matière approuvée par les autorités scolaires canadiennes, dans une école qui maintenait des liens étroits avec le Canada. Elle affirme que les cours qu’elle donnait et les autres activités qu’elle organisait avaient un fort contenu canadien et que par conséquent [traduction] « elle était demeurée en fait une résidente canadienne ».

 

ANALYSE

[16]           Comme le dit le ministre, la question de savoir si une personne réside au Canada est une question de fait, et la norme de contrôle qui est applicable est la décision raisonnable, ainsi que l’a confirmé la juge Eleanor Dawson dans la décision Chen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 763, paragraphe 5. En l’espèce, les conclusions du juge de la citoyenneté n’étaient pas raisonnables, pour les motifs suivants.

 

[17]           Il ne fait aucun doute que la défenderesse avait eu tout le loisir de se « canadianiser » avant son départ pour l’Inde en 1997. Le juge de la citoyenneté a d’ailleurs relevé, dans ses conclusions, qu’elle avait [traduction] « une très bonne connaissance du Canada ».

 

[18]           Mais, en accord avec les exigences de la Loi sur la citoyenneté, la jurisprudence dit qu’un demandeur de citoyenneté doit faire la preuve de l’existence de liens suffisants avec le Canada au cours de trois des quatre années précédant la date de sa demande. La décision Re Koo, que le juge de la citoyenneté a appliquée, offre sur ce point une certaine marge de manœuvre. Cependant, en l’espèce, les preuves produites par la défenderesse, par exemple, factures d’impôts fonciers et de services publics, relevés bancaires, etc., sont pour la plupart antérieures ou postérieures à la période considérée.

 

[19]           Je partage donc, bien qu’à regret, l’opinion du ministre pour qui la conclusion du juge de la citoyenneté selon laquelle la défenderesse avait maintenu sa résidence au Canada pendant qu’elle enseignait en Inde n’est pas fondée sur la preuve et qu’elle est donc déraisonnable. Dans ses motifs, le juge de la citoyenneté écrit que la défenderesse revenait toujours au Canada pour y passer ses vacances, mais cela semble être le seul fondement de sa conclusion selon laquelle la défenderesse avait continué durant sa longue absence de considérer le Canada comme étant son pays. Vu la durée du séjour de la défenderesse en Inde, qui est son pays d’origine, c’est là un fondement trop fragile qui n’autorisait pas la conclusion du juge de la citoyenneté.

 

[20]           J’ai de la sympathie pour la défenderesse, mais c’est elle qui finalement est responsable de la situation fâcheuse dans laquelle elle se trouve, puisque, avant son départ pour l’Inde en 1997, elle avait passé une bonne vingtaine d’années au Canada, et qu'elle aurait pu durant cette période obtenir la citoyenneté canadienne.

 

[21]           Pour ces motifs, l’appel sera accueilli. La demande de citoyenneté présentée par la défenderesse est renvoyée pour réexamen à un autre juge de la citoyenneté, qui pourra inviter la défenderesse à produire d’autres preuves attestant le maintien de sa résidence au Canada durant la période pertinente.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE : l’appel est accueilli, et l’affaire est renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour nouvelle décision.

 

 

 

                                                                                                         « Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-326-09

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION c. SURASHRI CHATTERJEE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 21 OCTOBRE 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 22 OCTOBRE 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Manuel Mendelzon

POUR LE DEMANDEUR

 

Surashri Chatterjee

 

POUR LA DÉFENDERESSE

(autoreprésentée)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

Surashri Chatterjee

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

(autoreprésentée)

 

 

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