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Federal Court

 

Cour fédérale


 

Date : 20091027

Dossier : T-270-09

Référence : 2009 CF 1094

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2009

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

JULIAN BROWNING

demandeur

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles, datée du 19 janvier 2009, maintenant une décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles datée du 22 août 2008. La Commission nationale des libérations conditionnelles a rejeté la demande du demandeur visant l’obtention de la semi-liberté accélérée.

 

I.          Contexte

 

[2]               Le demandeur est un détenu sous responsabilité fédérale actuellement incarcéré dans un établissement à sécurité moyenne. Le 22 août 2008, il devait comparaître devant une formation de la Commission nationale des libérations conditionnelles ( la Commission) pour une audience visant à évaluer s’il pouvait bénéficier d’une semi-liberté. Avant l’audience, la conjointe de fait du demandeur a déposé deux lettres d’appui auprès de la Commission pour qu’elles soient prises en compte. Le demandeur a également été informé par son avocat au sujet de la procédure que sa conjointe de fait devait suivre et des formulaires qu’elle devait remplir pour pouvoir être présente à titre d’observatrice. La conjointe de fait n’a pas déposé les formulaires.

 

[3]               La conjointe de fait ne s’est pas présentée à l’audience. Au début de celle‑ci, le demandeur a demandé un ajournement pour permettre à sa conjointe de fait d’assister à titre d’observatrice. Le demandeur a fait valoir devant notre Cour qu’il voulait que sa conjointe de fait soit présente pour trois raisons : pour l’aider à affronter les questions de la Commission, pour ajouter foi au fait qu’il prétend ne jamais l’avoir agressée et pour qu’elle prenne part à une partie importante de sa sentence.

 

[4]               Lors de l’audience devant la Commission, le demandeur a reconnu qu’un avocat était présent pour l’assister, que sa conjointe de fait ne parlerait pas, qu’elle avait déposé deux lettres afin que la Commission les prenne en compte, qu’elle n’avait pas déposé les formulaires requis pour lui permettre d’assister à l’audience et qu’il ne savait pas si elle était en route pour venir à l’audience. Le demandeur a dit qu’il renoncerait à ses droits concernant les exigences en matière de délai si l’audience était ajournée.

 

[5]               La Commission a examiné la demande du demandeur, mais a refusé d’ajourner l’audience. Le demandeur a refusé de collaborer davantage, conscient que la Commission procéderait sans prendre compte de son point de vue et qu’elle rendrait sa décision sur le seul examen du dossier. La Commission n’a pas tranché en faveur de la semi-liberté et a refusé la libération conditionnelle totale.

 

[6]               Le demandeur a interjeté appel de la décision de la Commission auprès de la Section d’appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles. La Section d’appel a rejeté l’appel et a confirmé la décision de la Commission, entre autres, de refuser de reporter l’audience, en la qualifiant de raisonnable et de justifiée.

 

II.         La décision

 

[7]               La Commission a rejeté la demande du demandeur visant à reporter l’audience. Dans sa décision écrite datée du 22 août 2008, la Commission a écrit ce qui suit :

[TRADUCTION] Au début de l’audience, votre assistant a requis un report parce que votre conjointe de fait, qui devait assister à titre d’observatrice, n’était pas présente. Vous avez été incapable de la joindre au téléphone et ne saviez pas si elle était en route. Votre assistant a reconnu que votre conjointe de fait ne s’adresserait pas à la Commission et que par conséquent, elle n’aurait aucune incidence sur la décision de la Commission. Néanmoins, la Commission a accepté de se concerter pour examiner votre demande. La Commission a décidé que l’audience allait avoir lieu, puisque nous avions reçu deux lettres d’appui de la part de votre conjointe de fait et que votre assistant était présent. Lorsque nous vous avons fait part de notre décision, vous avez refusé que l’audience se poursuive, même après avoir appris que la Commission rendrait sa décision aujourd’hui.

 

[8]               La Section d’appel a estimé que la décision de la Commission de rejeter la demande de reporter l’audience et de poursuivre cette dernière était raisonnable et que les motifs écrits exposaient clairement les raisons ayant mené au rejet de la demande et étaient bien étayées. La section d’appel a fait remarquer que la Commission avait le pouvoir discrétionnaire de décider s’il fallait reporter l’audience à plus tard et que le demandeur n’a pu expliquer pourquoi sa conjointe de fait n’avait pas présenté les formulaires et pourquoi elle ne s’était pas présentée à l’audience.

 

III.       Norme de contrôle

 

[9]               S’agissant des décisions de la Section d’appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles, la norme de contrôle pour les questions de droit et d’équité procédurale est la norme de la décision correcte alors que les autres questions sont contrôlées suivant la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Latham c. Canada, 2006 CF 284, 288 F.T.R. 37).

 

[10]           La Cour doit faire preuve d’une grande déférence concernant les décisions de la Section d’appel, car cette dernière constitue un tribunal spécialisé (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Latham, précité).

 

III.       Questions

 

[11]           Les questions soulevées par le demandeur peuvent être formulées comme suit :

a)         La décision de la Section d’appel maintenant le refus de la Commission d’accorder un report était-elle déraisonnable?

 

b)         La décision a-t-elle violé les principes de l’équité procédurale ou a-t-elle entraîné un déni de justice naturelle?

 

[12]           Il est important de noter que le demandeur n’avait pas un droit absolu à la présence d’un observateur à l’audience. La section 9.3 du Manuel des politiques de la Commission nationale des libérations conditionnelles (le Manuel) prévoit que des observateurs peuvent assister aux audiences pour que les décisions soient prises de façon plus ouverte, pour faciliter la compréhension du public à l’égard du processus de décision de la Commission et pour accroître la responsabilisation de la Commission.

 

[13]           Je conviens avec le défendeur que le libellé du paragraphe 140(4) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition L.C. 1992, ch. 20, explique clairement que pour pouvoir assister à une audience à titre d’observateur, il est nécessaire de présenter une demande écrite. Je conviens également que le Manuel prévoit qu’une personne qui souhaite assister à une audience à titre d’observateur doit présenter une demande écrite suffisamment en avance afin de permettre à la Commission de prendre une décision éclairée (voir le Manuel, section 9.3).

 

A.        Ajournements

 

[14]           Le demandeur convient que le pouvoir de la Commission d’accorder un ajournement en vertu des articles 157 et 158 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, SOR/92-620, est discrétionnaire, mais il plaide que ce pouvoir doit être exercé avec équité. Je remarque que ces articles prévoient effectivement la participation du délinquant dans le processus puisque les paragraphes 157(3) et 158(3) portent sur le pouvoir discrétionnaire de la Commission de reporter un examen avec « l’accord du délinquant ».

 

[15]           En vertu de la section 9.8 du Manuel, les examens peuvent être reportés pour différentes raisons, notamment lorsqu’une garantie procédurale ne peut être respectée ou lorsque l’assistant du délinquant ne peut être présent. Le Manuel prévoit également qu’une audience peut être reportée à la demande du délinquant pour une raison valable, mais non pour déjouer le système. Le demandeur soutient que les raisons « valables » pouvant justifier un ajournement sont illimitées. Il fait valoir que ses raisons étaient valables et qu’il n’y a aucune preuve qu’il s’est servi d’une demande d’ajournement pour essayer de déjouer ou de combattre le système ou qu’il a agi de manière arbitraire ou vexatoire.

 

[16]           Cependant, la section 9.8, où la question des raisons « valables » est abordée, n’est pas pertinente en l’espèce. La section 9.8 porte sur les reports et en l’espèce le demandeur a demandé un ajournement. Les ajournements sont traités à la section 9.6 du Manuel, laquelle prévoit que la Commission peut ajourner un examen de maintien en incarcération à la demande d’un délinquant. C’est une décision de nature discrétionnaire.

 

[17]           Dans l’éventualité où la section 9.8 est considérée pertinente, comme j’ai noté que le terme report a été utilisé par la Commission et la Section d’appel, j’accepte l’argument du demandeur voulant que la liste des raisons « valables » pouvant être acceptées ne se limite pas à celles énumérées à la section 9.8. Cependant, la Commission conserve le pouvoir discrétionnaire de décider dans quelles circonstances une raison est « valable ».

 

[18]           Le pouvoir discrétionnaire de la Commission, que ce soit en vertu de la section 9.6 ou 9.8 du Manuel, a été exercé de façon raisonnable et conforme au cadre réglementaire et à son objet, qui est de permettre la présence d’observateurs pendant les audiences. Les membres de la Commission se sont entendus pour examiner la demande du demandeur, mais ils n’ont pas ajourné l’audience puisque la conjointe de fait du demandeur avait soumis deux lettres d’appui, qu’elle ne prendrait pas la parole à l’audience et que l’assistant du demandeur était présent. Cette décision était raisonnable.

 

B.         Manquement à l’équité procédurale et à la justice naturelle

 

[19]           Le demandeur plaide que la Commission n’a pas pris en compte ou qu’elle n’a pas compris la raison principale de la demande d’ajournement, qui était l’appui moral de la conjointe de fait, et que, ce faisant, la Commission a agi déraisonnablement, ce qui a entraîné un manquement à l’équité procédurale.

 

[20]           L’équité procédurale exige que l’occasion soit offerte d’être entendu et de présenter des preuves et des arguments au décideur. Le demandeur a eu cette occasion, avec l’aide de son conseil. Il n’existe aucune preuve que la Commission a rejeté la demande d’ajournement pour un motif déraisonnable ou de façon contraire à la justice (voir Jones & de Villars, Principles of Administrative Law (Toronto: Thomson Canada Limited, 2004), p. 309 à 313; B.S.O.I.W., Local 752 c. Millwright & Machine Electors, Local 1178 (1992), 114 N.S.R. (2d) 303, 7 Admin. L.R. (2d) 179 (Sect. 1re inst. N.-É.)).

 

[21]           Enfin, le demandeur fait valoir que la Section d’appel s’est appuyée sur des éléments non pertinents lorsqu’elle a fait remarquer que le demandeur n’était pas en mesure d’expliquer pourquoi sa conjointe de fait n’avait pas présenté les formulaires requis et lorsqu’elle a affirmé que la conjointe de fait n’aurait pas d’incidence sur la décision. Dans sa décision écrite, la Commission s’est appuyée sur le fait qu’elle avait reçu deux lettres d’appui de la part de la conjointe de fait du demandeur et que l’assistant du demandeur était présent. La confirmation de ces motifs par la Section d’appel n’a pas entraîné de manquement à l’équité procédurale ou de déni de justice naturelle.

 

[22]           La décision de la Section d’appel de maintenir la décision de la Commission était raisonnable et il n’y a eu aucune erreur touchant l’équité procédurale ni aucun déni de justice naturelle.


 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE le rejet de la présente demande de contrôle judiciaire et l’adjudication des dépens au défendeur.

 

 

D. G. Near

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Vincent


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-270-09

 

INTITULÉ :                                       BROWNING

                                                            c.

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 15 OCTOBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 27 OCTOBRE 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Philip K. Casey

(613) 546-6411

 

POUR LA DEMANDERESSE

Brian Harvey

(613) 957-4838

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

Philip K. Casey

Barrister & Solicitor

Kingston (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Brian Harvey

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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