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Date : 20091026

Dossiers : T­1527­08

T­1528­08

 

Référence : 2009 CF 1080

Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2009

En présence de monsieur le juge Near

 

Dossier : T­1527­08

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

 

SIDRAT Farooq

défenderesse

 

Dossier : T­1528­08

ET ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

 

IMRAN Farooq

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté en application du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C‑29 (la Loi). L’appel est interjeté contre la décision rendue le 5 août 2008 (la décision) par un juge de la citoyenneté approuvant la demande de citoyenneté canadienne des défendeurs.

 

[2]               Selon le demandeur, les défendeurs ne satisfaisaient pas, pendant la période pertinente, aux exigences relatives à la résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi, et le juge de la citoyenneté a commis une erreur lorsqu’il a décidé que les défendeurs satisfaisaient aux exigences relatives à la résidence et il a commis une erreur de droit lorsqu’il a approuvé la demande de citoyenneté des défendeurs.

 

[3]               Les défendeurs n’ont pas comparu à l’audition de la présente affaire.

 

[4]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, les appels dans les dossiers T‑1527‑08 et T‑1528‑08 seront accueillis, les décisions du juge de la citoyenneté seront annulées et les affaires seront renvoyées à un autre juge de la citoyenneté pour nouvel examen.

 

I.          Résumé des faits

 

[5]               Les défendeurs sont âgés de 35 ans, ils sont des Pakistanais et ils sont mariés. Les deux défendeurs se sont établis au Canada le 14 juillet 2002 avec leur enfant âgée d’un an. L’enfant est retournée au Pakistan trois mois après leur arrivée. Les deux défendeurs ont présenté leur demande de citoyenneté le 20 février 2006, alors qu’ils étaient au Pakistan. Ils n’ont pas présenté de demande pour le compte de l’enfant. Les deux défendeurs ont obtenu une décision favorable le 5 août 2008.

 

[6]               Le demandeur a interjeté appel des deux décisions, qui ont toutes les deux été rendues par le même juge de la citoyenneté. L’épouse, Mme Sidrat Farooq, est la défenderesse dans le dossier de la Cour no T‑1527‑08, et l’époux, M. Imran Farooq, est le défendeur dans le dossier de la Cour no T‑1528‑08. Les deux appels ont été entendus en même temps.

 

[7]               Dans chacun de leurs questionnaires sur la résidence, les défendeurs ont déclaré que pendant la période pertinente, ils avaient été absents du Canada à seulement deux occasions : un voyage à New York pour rendre visite à un frère en 2002, et un voyage au Pakistan en janvier 2002, pour une absence totale du Canada de 39 jours pendant la période pertinente. Ils ont produit divers documents à l’appui de leurs demandes de citoyenneté : des baux, des états financiers, des états des revenus et une preuve de l’existence de l’entreprise de consultation en immigration de M. Farooq. Je note que dans sa demande, Mme Farooq a déclaré qu’elle ne travaillait pas.

 

[8]               Avant de rendre sa décision, le juge de la citoyenneté a reçu d’un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) un examen du dossier. L’examen du dossier soulignait des points précis qui soulevaient des questions quant aux demandes des défendeurs, en particulier le fait que si les renseignements des défendeurs étaient acceptés tels qu’ils étaient exposés, ils avaient vu leur fille une seule fois en presque quatre ans. L’examen du dossier soulignait aussi que les activités de leurs comptes bancaires étaient minimales, que leurs avis de cotisation révélaient de faibles revenus et que leur numéro de téléphone était en réalité enregistré au nom de leur propriétaire.

 

[9]               Le juge de la citoyenneté a rempli les formulaires appropriés requis pour chacun des deux demandeurs. Il a coché la case confirmant que les défendeurs avaient satisfait aux exigences relatives à la résidence de l’alinéa 5(1)c), et dans la section « Motifs » il a écrit :

[traduction]

Je suis convaincu que le demandeur satisfait aux exigences relatives à la résidence de l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

 

[10]           Le même libellé a été utilisé à l’appui de la décision dans les deux demandes de citoyenneté.

 

II.         La norme de contrôle

 

[11]           La raisonnabilité est la norme de contrôle applicable à la décision du juge de la citoyenneté sur la question de savoir si le demandeur de citoyenneté satisfait à l’exigence relative à la résidence (Dunsmuir c. Nouveau­Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; le paragraphe 19 de la décision rendue par le juge James Russell dans Pourzand c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 395, 71 Imm. L.R. (3d) 289).

 

[12]           Les questions portant sur l’équité procédurale et sur le caractère adéquat des motifs sont de pures questions de droit; elles sont susceptibles de contrôle au regard de la décision correcte (décision Pourzand, précitée, au paragraphe 21).

 

III.       Les questions en litige

 

A.                 Le critère de résidence

 

[13]           Le paragraphe 5(1) de la Loi énonce les critères nécessaires à l’obtention de la citoyenneté :

 

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois:

 

a) en fait la demande;

 

 

b) est âgée d’au moins dix­huit ans;

 

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

 

 

(i) un demi­jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

 

 

 

 

 

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

 

 

 

 

 

[Je souligne]

 

 

d) a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada;

 

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

 

f) n’est pas sous le coup d’une mesure de renvoi et n’est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l’article 20.

 

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

 

(a) makes application for citizenship;

 

(b) is eighteen years of age or over;

 

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

 

 

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one­half of a day of residence, and

 

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

[Emphasis added]

 

 

(d) has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada;

 

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship; and

 

(f) is not under a removal order and is not the subject of a declaration by the Governor in Council made pursuant to section 20.

 

 

[14]           La Loi ne définit pas la « résidence ». Comme la juge Danièle Tremblay‑Lamer l’a exposé, au paragraphe 10 de Mizani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 698, [2007] A.C.F. no 947, la Cour a interprété le terme « résidence » de trois façons différentes. Premièrement, il peut s’agir de la présence réelle et physique au Canada pendant un total de trois ans, selon un comptage strict des jours (Pourghasemi (Re), (1993), 62 F.T.R. 122, 19 Imm. L.R. (2d) 259 (C.F. 1re inst.)). Selon une interprétation moins rigoureuse, une personne peut résider au Canada même si elle en est temporairement absente, pour autant qu’elle conserve de solides attaches avec le Canada (Antonios E. Papadogiorgakis (Re), [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.), 88 D.L.R. (3d) 243). Une troisième interprétation, très semblable à la deuxième, définit la résidence comme étant l’endroit où l’on « vit régulièrement, normalement ou habituellement » ou l’endroit où l’on a « centralisé son mode d’existence » (Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.), 19 Imm. L.R.  (2d) 1, au paragraphe 10).

 

[15]           Si le juge de la citoyenneté doit se fonder sur l’un ou l’autre des trois critères, il ne lui est pas permis de les « fusionner » (décision Mizani, précitée, aux paragraphes 12 et 13). Il incombe au demandeur de citoyenneté de produire une preuve objective adéquate pour établir qu’il satisfait aux exigences relatives à la résidence (décision Mizani, précitée, motifs de la juge Tremblay‑Lamer, au paragraphe 19; voir aussi Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Italia, [1999] A.C.F. no 876, 89 A.C.W.S. (3d) 22, au paragraphe 14).

 

[16]           Dans la présente affaire, le juge de la citoyenneté n’a pas précisé dans ses motifs quel critère il avait utilisé pour décider que les défendeurs respectaient les exigences de l’alinéa 5(1)c) relatives à la résidence. Je suis d’accord avec le demandeur qu’il s’agissait d’une erreur.

 

a.      Les motifs fournis

 

[17]           Le paragraphe 14(2) de la Loi exige que le juge de la citoyenneté transmette au ministre sa décision motivée. Le paragraphe 14(2) est libellé de la façon suivante :

 

(2) Aussitôt après avoir statué sur la demande visée au paragraphe (1), le juge de la citoyenneté, sous réserve de l’article 15, approuve ou rejette la demande selon qu’il conclut ou non à la conformité de celle­ci et transmet sa décision motivée au ministre.

(2) Forthwith after making a determination under subsection (1) in respect of an application referred to therein but subject to section 15, the citizenship judge shall approve or not approve the application in accordance with his determination, notify the Minister accordingly and provide the Minister with the reasons therefor.

 

 

[18]           Selon le juge Edmond Blanchard dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Li, 2008 CF 275, 71 Imm. L.R. (3d) 152, les motifs doivent être adéquats, dans le sens qu’ils doivent permettre à la Cour d’appel de s’acquitter de son rôle, ils doivent préciser le critère de résidence utilisé et ils doivent expliquer pourquoi le juge de la citoyenneté a décidé que les exigences relatives à la résidence prévues à l’article 5 de la Loi ont été respectées (au paragraphe 5). Le juge de la citoyenneté commet une erreur susceptible de contrôle lorsqu’il ne fournit pas des motifs adéquats (au paragraphe 6). Au paragraphe 6, le juge Blanchard a souligné l’importance d’examiner les réserves soulevées par l’agent de CIC :

À mon avis, le juge de la citoyenneté a commis une erreur susceptible de contrôle en ne transmettant pas au ministre les motifs pour lesquels il avait approuvé la demande de la défenderesse. Vu les circonstances de l’espèce et compte tenu des doutes soulevés par l’agent de citoyenneté qui avait mené l’entrevue de la défenderesse, le juge de la citoyenneté aurait dû fournir, dans sa décision, des motifs exposant les documents déposés par la défenderesse et leur incidence sur la décision. Les motifs auraient dû également préciser le critère de résidence appliqué par le juge de la citoyenneté et expliquer pourquoi ce dernier avait conclu que les conditions de résidence prévues à l’article 5 de la Loi avaient été remplies.

 

[19]           Je suis aussi guidé par la récente décision du juge Roger Hughes dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Mahmoud, 2009 CF 57, 78 Imm. L.R. (3d) 254, qui a fait de longs commentaires sur l’importance des motifs du juge de la citoyenneté :

[4]        Un juge de la citoyenneté n’est pas un « juge » dans le sens d’un juge d’une cour supérieure ou d’une cour provinciale. L’article 26 de la Loi sur la citoyenneté prévoit que tout « citoyen » peut être nommé juge de la citoyenneté. Aucune formation juridique ou aucune autre qualification ne semble nécessaire. Le pouvoir d’un juge de la citoyenneté, comme le prévoit la Loi et comme le précise davantage le Règlement, est décrit au paragraphe 14(2) de la Loi qui est intitulé « Information du ministre » et il consiste à approuver ou à rejeter la demande mais il est assorti d’une modalité importante, c’est­à­dire que le juge de la citoyenneté doit « transmet[tre] sa décision motivée au ministre » :

 

Information du ministre

 

(2) Aussitôt après avoir statué sur la demande visée au paragraphe (1), le juge de la citoyenneté, sous réserve de l’article 15, approuve ou rejette la demande selon qu’il conclut ou non à la conformité de celle­ci et transmet sa décision motivée au ministre.

 

[5]        Cette « information » prend la forme d’une « approbation » ou d’un « rejet » motivé. Le seul recours prévu par la Loi sur la citoyenneté quant à cette décision est que le ministre ou le demandeur peut interjeter appel à la Cour en vertu du paragraphe 14(5). Le paragraphe 14(6) prévoit que la décision de la Cour est définitive :

 

Appel

 

(5) Le ministre et le demandeur peuvent interjeter appel de la décision du juge de la citoyenneté en déposant un avis d’appel au greffe de la Cour dans les soixante jours suivant la date, selon le cas :

 

a) de l’approbation de la demande;

 

b) de la communication, par courrier ou tout autre moyen, de la décision de rejet.

 

Caractère définitif de la décision

 

(6) La décision de la Cour rendue sur l’appel prévu au paragraphe (5) est, sous réserve de l’article 20, définitive et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d’appel.

 

[6]        Par conséquent, sauf si appel est interjeté, l’approbation ou le rejet par un juge de la citoyenneté est définitif en ce qui concerne la citoyenneté canadienne du demandeur. Le ministre ne fait rien d’autre sauf peut­être interjeter appel. Par conséquent, l’exposition de motifs par le juge de la citoyenneté revêt une importance particulière. Les motifs doivent être suffisamment clairs et détaillés pour démontrer au ministre que tous les faits pertinents ont été pris en considération et soupesés comme il se doit et que les critères juridiques opportuns ont été appliqués.

 

[20]           Je note que dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Chan (2000), 183 F.T.R. 152, 95 A.C.W.S. (3d) 617 (C.F. 1re inst.), le juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur de citoyenneté avait respecté l’exigence relative à la résidence en établissant qu’il avait centralisé son mode d’existence au Canada. En appel, la juge Eleanor Dawson a conclu qu’aucun motif n’avait été donné pour une telle conclusion, qui n’était pas manifestement étayée par le dossier dont disposait le juge de la citoyenneté (voir le paragraphe 11). La juge Dawson a accueilli l’appel au vu de la preuve contenue dans le dossier dont disposait le juge de la citoyenneté, du fait que le juge n’en avait pas fait mention dans ses motifs et de l’absence de preuve en ce qui concernait tout autre élément de preuve présenté au juge de la citoyenneté.

 

[21]           Dans la présente affaire, le dossier présenté au juge de la citoyenneté contenait des notes de l’agent de CIC, lesquelles émettaient des réserves relatives aux demandes de citoyenneté des défendeurs. Ces réserves incluaient le fait que, si elles étaient acceptées telles qu’elles avaient été présentées, les demandes révélaient que les défendeurs n’avaient pas vu leur seul enfant depuis environ quatre ans, et qu’ils avaient des activités bancaires minimales et de faibles revenus au Canada.

 

[22]           Étant donné ces réserves, le juge de la citoyenneté devait les examiner dans ses motifs, exposant les questions soulevées et la façon dont la preuve relative à ces questions avait été examinée. Les motifs étaient muets et inadéquats et, par conséquent, ils constituaient un manquement à l’exigence légale de fournir des motifs. Il s’agissait d’une erreur.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  les appels dans les dossiers T‑1527‑08 et T‑1528‑08 sont accueillis;

2.                  les décisions du juge de la citoyenneté dans les dossiers T‑1527‑08 et T‑1528‑08 sont annulées et les affaires sont renvoyées à un autre juge de la citoyenneté pour nouvel examen;

3.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A. Trad.jur.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIERS :                                            T­1527­08

                                                                  T­1528­08

 

INTITULÉ :                                             MCI

                                                                  c.

                                                                  FAROOQ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     Le 5 octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                            Le 26 octobre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Neeta Logsetty

416­973­4120

 

POUR LE DEMANDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous­procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

Sidrat Farooq / Imran Farooq

Ottawa (Ontario)

 

Pour leur propre compte

 

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