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Date : 20091022

Dossier : T-1749-08

Référence : 2009 CF 1082

Vancouver (Colombie-Britannique), le 22 octobre 2009

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

JOSEPHAKIS CHARALAMBOUS

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales à l’égard d’une décision rendue par le commissaire du Service correctionnel (le commissaire) relativement à un grief au troisième palier déposé par le demandeur. Celui-ci, un détenu sous responsabilité fédérale, sollicite une ordonnance annulant cette décision et une ordonnance de mandamus visant à empêcher le Service correctionnel du Canada (SCC) d’inclure un programme intensif de traitement des délinquants sexuels dans son plan de traitement correctionnel (PTC).

[2]               Il est important pour le demandeur de mener à bien un PTC, pour ne pas limiter ses chances d’obtenir une semi-liberté ou d’être classifié à un niveau de risque de sécurité moindre qui le rendrait admissible à un transfert dans un établissement dont le niveau de sécurité est moins élevé.  

 

[3]               Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande est rejetée.

 

CONTEXTE

[4]               Josephakis Charalambous est détenu dans un établissement correctionnel à sécurité moyenne administré par le SCC.

 

[5]               M. Charalambous était médecin. Il a été déclaré coupable de meurtre au premier degré et de complot pour avoir commandé le meurtre d’une patiente qui, avec sa sœur, avait déposé une plainte d’inconduite sexuelle contre lui au collège des médecins de la Colombie-Britannique, le College of Physicians and Surgeons of British Columbia. Une peine d’emprisonnement à vie a été imposée à M. Charalambous, qui a commencé à purger sa peine en 1994.

 

[6]               M. Charalambous maintient qu’il est innocent. Il a été débouté de l’appel qu’il a interjeté contre sa déclaration de culpabilité : R. c. Charalambous (1997), 92 B.C.A.C. 1, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1997] C.S.C.R. no 365.

 

[7]               En 2005, le plan de traitement correctionnel de M. Charalambous a été modifié. Le changement important pertinent aux fins de la présente demande tient à ce que M. Charalambous a été dirigé vers le Programme pour délinquants sexuels – Intensité élevée (le programme Odyssey). Il a tout d’abord accepté de suivre ce programme, mais affirme qu’il l’a fait dans le seul but de terminer son PTC et de progresser dans le système, dans l’espoir d’obtenir sa mise en liberté.

 

[8]               L’article 90 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, établit une procédure de règlement des griefs des délinquants sur des questions relevant du commissaire. La procédure est exposée dans le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620. La procédure de règlement des griefs comporte trois paliers.

 

[9]               Le 9 septembre 2008, M. Charalambous a déposé un grief au troisième palier après que son grief eut été rejeté aux deux paliers précédents. Le passage le plus pertinent de la liste de questions qu’il soulève est le suivant : [traduction] « Ce qui me dérange le plus est que les programmes à intensité élevée inscrits depuis peu à mon dossier sont sans rapport avec l’infraction à l’origine de ma peine. » Comme il a été indiqué, seul le programme Odyssey est en cause.  

 

[10]           M. Charalambous a inclus dans son grief un exposé détaillant ses objections au regard du programme Odyssey, dans lequel il déclare ce qui suit :

 

[traduction]

L’infraction à l’origine de ma peine est le meurtre au premier degré et le complot en vue de commettre un meurtre. Je n’ai été déclaré coupable d’aucune agression sexuelle. Cela dit, je reconnais qu’il y a eu des allégations d’inconduite et d’agression sexuelle […] Toutes les accusations portées ont par la suite été retirées ou ont fait l’objet d’un sursis et n’ont donné lieu à aucune autre procédure. Mon dossier criminel ne contient aucune déclaration de culpabilité pour agression sexuelle […] Par conséquent, je ne réponds pas aux critères correspondant au programme Odyssey d’intensité élevée pour délinquants sexuels ou à quelque autre programme pour délinquants sexuels. Un des critères d’admissibilité à ces programmes est d’avoir été déclaré coupable d’une agression sexuelle.  

 

[11]           La partie pertinente de la décision contestée en l’espèce est reproduite ci‑dessous :

[traduction]

L’examen des renseignements révèle qu’en 2005, votre plan de traitement correctionnel a été modifié pour l’adapter à de nouveaux noms de programme et pour l’adapter à vos besoins. À cette époque, vous avez été dirigé vers le Programme d’intensité modérée de prévention de la violence familiale et le Programme pour délinquants sexuels – Intensité élevée. Dans une Évaluation en vue d’une décision concernant votre cote de sécurité, datée du 18 janvier 2008, il est mentionné que vous étiez disposé à suivre ces programmes lorsqu’ils seraient offerts. De plus, il appert d’un Suivi du plan correctionnel en date du 13 décembre 2005 qu’après examen approfondi de votre dossier, consultation avec des professionnels et discussion avec le Comité de l’unité et le Comité des programmes de l’Établissement Mission, il a été décidé qu’il convenait de modifier votre PTC et de vous orienter vers le Programme pour délinquants sexuels – Intensité élevée, à la suite duquel vous seriez invité à suivre le Programme d’intensité modérée de prévention de la violence familiale.  

[…]

Compte tenu des renseignements qui précèdent, nous estimons qu’il vous serait bénéfique de participer au Programme d’intensité modérée de prévention de la violence familiale et au Programme pour délinquants sexuels – Intensité élevée, puisque chacun de ces programmes vous aiderait à agir sur le risque de récidive et faciliterait votre éventuelle réintégration et mise en liberté dans la communauté. De ce fait, cette partie de votre grief est rejetée.

 

QUESTION EN LITIGE

[12]           Le demandeur soulève une seule question dans son Avis de demande et mémoire des faits et du droit modifié : [traduction] «  Le décideur au troisième palier a-t-il enfreint les règles d’équité procédurale en ne fournissant pas des motifs suffisants pour justifier adéquatement l’inclusion du programme Odyssey dans le plan correctionnel du demandeur? » 

 

ANALYSE

[13]           Il n’est pas contesté que la norme de contrôle applicable à une question portant sur la suffisance des motifs est celle de la décision correcte, puisqu’il s’agit d’une question d’équité procédurale : Canada (Procureur général) c. Sketchley, 2005 CAF 404.

 

[14]           Les deux parties se sont reportées à l’arrêt rendu dans Via Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (C.A), lequel, plaident-elles, établit les principes applicables à l’examen de la suffisance des motifs.

 

[15]           Le demandeur s’est concentré sur les paragraphes 21 et 22 de l’arrêt Via Rail :

21   L’obligation de motiver une décision n’est remplie que lorsque les motifs fournis sont suffisants. Ce qui constitue des motifs suffisants est une question qui doit être tranchée en fonction des circonstances de chaque espèce. Toutefois, en règle générale, des motifs sont suffisants lorsqu’ils remplissent les fonctions pour lesquelles l’obligation de motiver a été imposée. Pour reprendre les termes utilisés par mon collègue le juge d’appel Evans [traduction] : « [t]oute tentative pour formuler une norme permettant d’établir le caractère suffisant auquel doit satisfaire un tribunal afin de s’acquitter de son obligation de motiver sa décision doit en fin de compte traduire les fins visées par l’obligation de motiver la décision ».

 

22   On ne s’acquitte pas de l’obligation de donner des motifs suffisants en énonçant simplement les observations et les éléments de preuve présentés par les parties, puis en formulant une conclusion. Le décideur doit plutôt exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions. Les motifs doivent traiter des principaux points en litige. Il faut y retrouver le raisonnement suivi par le décideur et l’examen des facteurs pertinents.

[Renvois omis]

 

[16]           Le demandeur soutient que les motifs fournis en l’espèce omettent de traiter de l’un des principaux points en litige, à savoir que le demandeur a été désigné pour suivre le programme Odyssey alors qu’il ne satisfait pas à l’un des critères d’admission du programme, soit d’être un délinquant [traduction] « qui est actuellement ou qui a dans le passé été déclaré coupable d’une ou plusieurs infractions de nature sexuelle ».   

 

[17]           Pour sa part, le défendeur souligne le paragraphe 19 de l’arrêt Via Rail, dans lequel la Cour expose :

19   [L]es motifs permettent aux parties de faire valoir tout droit d’appel ou de contrôle judiciaire à leur disposition. Ils servent de point de départ à une évaluation des moyens d’appel ou de contrôle possibles. Ils permettent à l’organisme d’appel ou de révision d’établir si le décideur a commis une erreur et si cette erreur le rend justiciable devant cet organisme. Cet aspect est particulièrement important lorsque la décision est assujettie à une norme d’examen fondée sur la retenue.

 

[18]           Le défendeur est d’avis que les motifs fournis au soutien de la décision sous examen satisfont à ce critère.

 

[19]           Le commissaire ne s’est pas limité à énoncer simplement les éléments de preuve et les observations. Il a expliqué pourquoi les éléments de preuve l’ont conduit à rejeter le grief. Il a expliqué pourquoi on avait inclus le programme Odyssey dans le PTC du demandeur. Cela dit, le demandeur a raison lorsqu’il fait remarquer que le commissaire n’a pas traité des critères régissant l’inclusion dans le programme Odyssey – critères que le demandeur avait soulevés dans les motifs au soutien de son grief. Cette omission est une erreur, mais j’estime qu’elle ne rend pas inadéquats les motifs du commissaire.

 

[20]           Les motifs du commissaire sont suffisants pour permettre à un tribunal de révision de comprendre la preuve qui a été examinée, de vérifier si chacun des motifs de contestation a été abordé et d’analyser le raisonnement du décideur. Dans le contexte d’une procédure de règlement des griefs des délinquants, c’est là tout ce qu’imposait l’obligation d’équité procédurale. Les motifs sont suffisants pour permettre au demandeur de contester la décision au fond. Le fait que le commissaire n’indique pas dans ses motifs si le demandeur satisfait aux critères du programme Odyssey, même s’il a été recommandé que le demandeur suive ce programme, touche le caractère raisonnable de la décision du commissaire, mais ce n’est pas là une question dont la Cour est saisie dans le cadre de la présente demande.

 

[21]           Par conséquent, la demande est rejetée. Le défendeur a sollicité les dépens, ce à quoi le demandeur s’oppose. Dans les circonstances, j’exercerai mon pouvoir discrétionnaire de ne pas adjuger de dépens contre M. Charalambous.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.  

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1749-08

 

INTITULÉ :                                       JOSEPHAKIS CHARALAMBOUS

                                                            c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 octobre 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 22 octobre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Anna King

POUR LE DEMANDEUR

 

Susanne Pereira

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Turko & Company

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (C.-B.)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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