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Cour fédérale

 

 

 

 

                      

 

Federal Court

Date : 20091023

Dossiers : IMM-448-09
IMM-449-09
IMM-450-09

Référence : 2009 CF 1078

Ottawa (Ontario), le 23 octobre  2009

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

CHI TON TRAN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), dans le dossier de la Cour portant le numéro IMM-448-09, a trait à une décision datée du 20 janvier 2009 par laquelle la Section de l’immigration (la SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a ordonné l’expulsion du demandeur.

 

[2]               L’affaire de la décision d’expulsion a été entendue en même temps que deux autres demandes de contrôle judiciaire connexes, lesquelles se rapportent à la décision, rendue le 30 octobre 2008 en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR, d’établir un rapport d’interdiction de territoire (dossier IMM -450‑09), ainsi qu’à la décision, datée du 12 novembre 2008 et rendue en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR, de déférer ce rapport à la Commission pour enquête (dossier IMM-449-09). Ces décisions étant toutes liées, les présents motifs de jugement et jugement s’appliqueront à chacun des trois contrôles judiciaires.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, les trois demandes seront rejetées.

 

Le contexte

 

[4]               Le demandeur, M. Tran, a le statut de résident permanent du Canada. Il est arrivé en 1994 à l’âge de 15 ans. Il est actuellement le conjoint de fait d’une Canadienne, dont il est le père des deux enfants.

 

[5]               Le 20 mars 2008, le demandeur a été déclaré coupable, d’une part, de trafic de cocaïne et de possession de cocaïne en vue d’en faire le trafic, infractions prévues par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, et, d’autre part, de possession de produits de la criminalité, infraction prévue par le Code criminel du Canada. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement de quatre ans. M. Tran avait déjà été l’objet de déclarations de culpabilité antérieures, en 2002 et en 2003. Sa demande de citoyenneté canadienne a été rejetée en 2007 à cause de ses antécédents criminels.

 

[6]               Le 14 mai 2008, une agente de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a envoyé au demandeur une lettre l’informant du processus d’enquête et lui accordant un délai de quatre semaines, jusqu’au 11 juin 2008, pour faire savoir par écrit pourquoi il n’y avait pas lieu de demander une mesure de renvoi. Une prorogation de délai a été demandée et accordée. Le 27 septembre 2008, l’ASFC a reçu une lettre, datée du 17 septembre 2008, ainsi que des documents à l’appui de l’avocat de M. Tran, et l’agente les a examinés. Le 30 octobre 2008, après avoir obtenu confirmation des déclarations de culpabilité du 20 mars 2008, l’agente a rédigé un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi. Elle est ensuite entrée en contact avec l'avocat du demandeur et a organisé une entrevue téléphonique avec le demandeur, son avocat et son agent de libération conditionnelle. L’entrevue a eu lieu le 6 novembre 2008.

 

[7]               Les notes d’entrevue de l’agente sont jointes à son affidavit, qui a été déposé en l’espèce. Selon sa preuve par affidavit non contestée, la décision de déférer le rapport visé au paragraphe 44(1) n’a été prise qu’après la conférence téléphonique du 6 novembre 2008. Ce fait n’a pas été contesté à l’audience. Aucune demande relative aux notes de l’agente n’a été faite à la suite de la conférence téléphonique.

 

[8]               Après avoir étudié le dossier et mis la dernière main à ses notes d’entrevue et à ses recommandations, l’agente de l’ASFC a ensuite établi un rapport circonstancié intitulé « Paragraphe 44(1) et 55 Faits saillants – Cas dans les bureaux intérieurs » (le rapport sur les faits saillants). Dans son exposé circonstancié, elle a recommandé que le cas du demandeur soit déféré à une enquête. Ce document a ensuite été transmis au ministre.

 

[9]               Le 12 novembre 2008, et en application du paragraphe 44(2) de la LIPR, la déléguée du ministre a déféré le rapport visé au paragraphe 44(1) de l’agente à la Section de l’immigration (SI) pour enquête. Selon la preuve par affidavit de la déléguée, avant de prendre cette décision, elle a passé en revue le dossier tout entier, y compris, notamment, les observations datées du 17 septembre 2008 du demandeur, de même que les notes d’entrevue et le rapport circonstancié de l’agente de l’ASFC. La déléguée précise qu’elle a fait siens les motifs exposés dans le rapport circonstancié de l’agente de l’ASFC.

 

[10]           Le 20 janvier 2009, l’enquête a eu lieu par voie de vidéoconférence. Le demandeur était représenté par un avocat. Il n’a présenté aucune preuve ni aucune observation. En se fondant sur les informations qu’il avait en main à propos du statut du demandeur au Canada et des déclarations de culpabilité au criminel, le commissaire a conclu que M. Tran était interdit de territoire en application de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. Une mesure d’expulsion a été prise le jour même.

 

[11]           Le 2 février 2009, le demandeur a présenté trois demandes d’autorisation, chacune affirmant qu’il n’avait pas reçu les motifs écrits des décisions. Par lettres datées du 19 février 2009 et transmises au greffe de la Cour, l’ASFC a répondu aux demandes, conformément à l’article 9 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés (les Règles), en transmettant des motifs écrits, y compris l’exposé circonstancié ou le « rapport sur les faits saillants » de l’agente de l’ASFC.

 

Les questions en litige

 

[12]           À l’audition des présentes demandes de contrôle judiciaire, le demandeur a concédé qu’au vu de la preuve le commissaire de la SI n’avait pas commis d’erreur et n’aurait pas pu arriver à une conclusion différente. Dans le même ordre d’idées, il n’a pas insisté sur les arguments évoqués dans son mémoire des faits et du droit, à savoir que l’agente de l’ASFC n’avait pas tenu compte de ses observations du 17 septembre 2008 ou qu’elle ne les avait pas soupesées convenablement. La seule question en litige qui subsiste est de savoir si le demandeur a été privé de son droit à l’équité procédurale lors du processus préalable à l’enquête de la SI.

 

[13]           Si le demandeur a été privé de son droit à l’équité à un stade quelconque de la procédure, aucune retenue n’est requise et il y a lieu de renvoyer l’affaire pour que les mesures correctes soient prises.

 

Analyse

 

[14]           L’argument du demandeur au sujet de l’équité procédurale est essentiellement le suivant : ce dernier n’a reçu le « rapport sur les faits saillants » et les notes d’entrevue qu’après le dépôt des présentes demandes de contrôle judiciaire et qu’après que l’ASFC eut répondu aux demandes visées par l’article 9 des Règles. Il soutient que s’il avait reçu le rapport avant que la décision de déférer l’affaire pour enquête ait été prise, il aurait pu présenter des observations sur ce document et peut-être convaincre la déléguée de ne pas déférer l’affaire. Il soutient que le manquement à l’équité procédurale a vicié la compétence de la SI de procéder à l’enquête.

 

[15]           Le demandeur concède qu’il n’a pas demandé les documents avant que la décision de déférer l’affaire soit prise et que l’enquête ait lieu. Il se fonde sur la décision qu’a rendue le juge Hughes dans l’affaire Hernandez c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 725, [2007] A.C.F. no 965, aux paragraphes 40 et 41, pour étayer la thèse selon laquelle, une fois que des documents tels que le rapport sur les faits saillants et les notes d’entrevue ont été établis, ils doivent être divulgués à la personne visée par le rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) avant qu’il soit envisagé de déférer le dossier pour enquête. Il soutient que la décision Hernandez n’exige pas que l’avocat de la personne visée fasse une demande expresse pour obtenir la divulgation des documents, encore que dans cette affaire-là, une demande avait été faite avant la tenue de l’enquête.

 

[16]           Comme la Cour l’a déjà déclaré : « [l]e devoir d’agir équitablement dans les procédures au titre de l’article 44 est moins strict et est constitué du droit de soumettre des observations et d’obtenir une copie du rapport » : Richter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 806, [2008] A.C.F. no 1033, au paragraphe 18, conf. par 2009 CAF 73, [2009] A.C.F. no 309. Le « rapport » dont il est question dans Richter est le document visé au paragraphe 44(1), qui expose les faits pertinents et qui doit être transmis au ministre par un agent qui estime que l’étranger en question est interdit de territoire. En l’espèce, nul ne conteste que le rapport n’a pas été transmis au demandeur.

 

[17]           Dans la décision Hernandez, comme il est rappelé au paragraphe 40 de la décision du juge Hughes, l’agent avait établi et transmis au ministre non seulement le « rapport » mais aussi une recommandation détaillée accompagnée de nombreuses annexes. Le juge Hughes a fait remarquer que cela n’était pas exigé par la loi et qu’il n’y aurait pas eu de manquement à l’équité si ces documents additionnels n’avaient pas été établis. Il a toutefois considéré qu’ils faisaient dès lors partie intégrante du rapport. Il a conclu, au paragraphe 41 de la décision, qu’après avoir été créés et transmis au ministre, les documents doivent être transmis au demandeur avant l’enquête « d’autant plus qu’on [en] fait la demande expresse ».

 

[18]           Dans la décision Chand c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 548, [2008] A.C.F. no 876, au paragraphe 24, le juge Zinn a écarté l’application de la décision Hernandez. Il a considéré que les documents mentionnés dans le rapport sur les faits saillants étaient tous des documents au sujet desquels le ministre pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu'ils soient en la possession du demandeur. Ces documents comprenaient notamment la preuve communiquée par la Couronne lors du procès au criminel, le document d’inculpation, les motifs du juge relativement à la peine, le rapport présententiel, etc. Il a été soutenu que le fait de ne pas divulguer ces informations avant l’examen effectué en vertu du paragraphe 44(2) était une erreur. Le juge Zinn a conclu qu’il s’agissait simplement d’un processus administratif et que cela n’équivalait pas à un manquement au droit à l’équité procédurale.

 

[19]           Dans le même ordre d’idées, dans la présente affaire les informations qui ont été transmises au ministre étaient toutes des informations que le demandeur possédait déjà ou dont il était déjà au courant. Comme le fait remarquer le défendeur, tous les documents que mentionne le demandeur aux paragraphes 13 à 19 de son affidavit ont été présentés par lui avant que le rapport sur les faits saillants ait été établi, et l’agente les a dûment examinés.

 

[20]           Le demandeur soutient qu’il aurait fallu communiquer les notes prises par l’agente sur  l’entrevue téléphonique faite le 6 novembre 2008 avec le demandeur et son avocat. Ces notes sont, en fait, les motifs pour lesquels l’agente a établi le rapport et recommandé de déférer l’affaire.

 

[21]           Le demandeur n’a pas demandé de façon claire et précise que ces documents soient transmis, soit avant la décision de déférer l’affaire soit avant la tenue de l’enquête. Il n’a pas demandé que l’on explique les décisions prises en vertu des paragraphes 44(1) et (2). À mon avis, le demandeur ne peut pas se plaindre maintenant que l’on a omis de communiquer les notes de l’agente ou de fournir des explications, alors qu'il n’a pas demandé que ces informations soient produites.

 

[22]           Dans la décision Liang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1999), 91 A.C.W.S. (3d) 141, [1999] A.C.F. no 1301, le juge Evans, qui siège aujourd’hui à la Cour d’appel fédérale, a fait remarquer au paragraphe 31 que l’obligation d’équité exige simplement que des motifs soient fournis à la demande de la personne à laquelle cette obligation est due et que, en l’absence d’une telle demande, on ne commet aucun manquement à l’obligation d’équité si les motifs ne sont pas fournis. Cette façon de considérer l’obligation a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Marine Atlantic Inc. c. Guilde de la marine marchande du Canada, (2000), 258 N.R. 112 (C.A.), [2000] A.C.F. no 1217, et elle a été appliquée dans d’autres décisions de la Cour : Za’rour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1281, [2007] A.C.F. no 1647; Gaoat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 440, [2007] A.C.F. no 629.

 

[23]           Comme l’a signalé le juge Pinard dans la décision Gaoat, précitée, aux paragraphes 10 et 11, la règle énoncée dans l’arrêt Marine Atlantic s’applique dans les cas où les motifs donnés peuvent être insuffisants. Le demandeur est tenu de demander des motifs additionnels avant de pouvoir se plaindre auprès de la Cour que ceux dont il dispose sont insuffisants : voir aussi Hayama c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1305, [2003] A.C.F. no 1642.

 

[24]           Comme je l’ai fait remarquer dans la décision Richter, précitée, aux paragraphes 12 à 15, il n’est pas nécessaire qu’un agent de l’ASFC qui établit un rapport en vertu du paragraphe 44(1) prenne en considération des facteurs d’ordre humanitaire. En le faisant dans la présente affaire, l’agente a débordé le cadre de ses attributions. Mais cela a eu comme effet pratique que ces facteurs, qui sont énoncés dans le dossier du demandeur daté du 17 septembre 2008, ont été inclus dans l’exposé circonstancié de l’agente et qu’ils ont donc été soumis à l’examen de la déléguée du  ministre avant qu’elle décide s’il convenait ou non de déférer l’affaire pour enquête. Le demandeur n’a été victime d’aucune inéquité.

 

[25]           Le défendeur soutient qu’il faut considérer que le demandeur a implicitement renoncé à son droit de se plaindre que le rapport sur les faits saillants et les notes d’entrevue n’ont pas été communiqués, car ni lui ni son avocat n’ont présenté d’objections ou d’observations à l’enquête du 20 janvier 2009 : Yassine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.F.), (1994), 172 N.R. 308, [1994] A.C.F. no 949, au paragraphe 7. Comme je n’ai pas conclu qu’il y avait eu manquement au droit à l’équité procédurale dans la présente affaire, il n’est pas nécessaire selon moi de traiter de cet argument.

 

[26]           Je conclus que le processus s’est déroulé équitablement sur le plan procédural, que chaque décision était raisonnable et que le résultat atteint à chaque échelon appartenait aux issues possibles acceptables. Il n’y a lieu de modifier aucune des trois décisions qui ont été soumises à la Cour dans les présentes demandes de contrôle judiciaire.

 

[27]           Le demandeur a proposé que j’envisage de certifier une question de portée générale, à savoir si les documents, une fois créés dans le cadre d’un rapport visé au paragraphe 44(1), doivent être communiqués avant qu’il soit décidé de déférer l’affaire en vertu du paragraphe 44(2). Selon le défendeur, le droit en la matière est clair depuis la décision Richter, précitée. Je suis d’accord mais j’estime aussi qu’une question libellée en termes généraux, comme celle qui est proposée, ne serait pas déterminante en l’espèce car le demandeur n’a pas demandé de motifs ou d’explications au sujet de la décision de l’agente.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que les demandes de contrôle judiciaire présentées dans les dossiers de la Cour nos IMM-448-09, IMM-449-09 et IMM-450-09 soient rejetées. Une copie du présent jugement sera versée dans chaque dossier. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIERS :                                      IMM-448-09

                                                            IMM-449-09

                                                            IMM-450-09

 

INTITULÉ :                                       CHI TON TRAN

 

                                                            ET

 

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 15 OCTOBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 23 OCTOBRE 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

A.W.M. Souraya

 

POUR LE DEMANDEUR

Brad Hardstaff

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

A.W. M. SOURAYA

Pheonix Legal

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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