Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Federal Court

Cour fédérale

Date : 20091020

Dossier : T-1224-07

Référence : 2009 CF 956

Ottawa (Ontario), ce 20e jour d’octobre 2009

En présence de l’honorable juge Pinard

ENTRE :

LONDON LIFE – COMPAGNIE D’ASSURANCE-VIE

630, boulevard René-Lévesque Ouest, bureau 1900

Montréal (Québec)

H3B 4J5

 

demanderesse

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, et de l’article 231.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (la LIR), à l’encontre d’une demande péremptoire concernant la communication de renseignements en date du 5 juin 2007 qui a été adressée par l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) à la demanderesse, la London Life-Compagnie d’assurance-vie (la London Life).

 

* * * * * * * *

 

[2]               La London Life est une compagnie d’assurance-vie constituée en vertu d’une loi fédérale qui fait affaire dans les domaines de l’assurance-vie, des placements et de l’épargne-retraite partout au Canada.

 

[3]               En juillet 2005, l’ARC a amorcé une vérification à l’endroit du contribuable Lofti Ghattas (ou le contribuable), un courtier d’assurance, pour les années d’imposition 2002 et 2003. La vérification visait, entre autres choses, des dépenses déclarées par le contribuable sous un poste budgétaire décrivant la « prime d’assurance payée et supportée par moi-même pour générer un revenu ».

 

[4]               M. Ghattas recevait de la London Life une commission fondée sur son volume de ventes annuelles, pourvu que les polices vendues restent en vigueur pendant au moins un an. Lorsqu’un client important voulait annuler sa police moins de 12 mois après l’avoir contractée, M. Ghattas continuait de payer les primes du client durant le reste de l’année en question afin de conserver sa pleine commission. Les polices en question demeuraient la propriété de la London Life, et non de M. Ghattas.

 

[5]               D’après l’ARC, pour établir si les dépenses déclarées par le contribuable à l’égard de cette pratique étaient légitimes selon la LIR, elle devait cerner la nature des remboursements faits par M. Ghattas au titre des conditions des polices concernées. Plus particulièrement, l’ARC affirme qu’il faut obtenir de l’information utile pour déterminer si les remboursements en question concernaient des produits liés aux assurances ou des produits liés aux placements.  

 

[6]               Le 15 décembre 2006, le ministre du Revenu national (le ministre) a transmis à la demanderesse une demande péremptoire concernant les renseignements et les documents en sa possession qui se rapportaient aux clients à qui M. Ghattas avait vendu des polices d’assurance. Les noms de ces clients, ainsi que d’autres renseignements d’identification obtenus du contribuable, ont été énumérés dans un tableau annexé à la demande péremptoire. Cette première demande péremptoire a cependant été annulée parce que certains détenteurs de police d’assurance n’étaient pas identifiés et que la demande visait l’information en matière de santé.

 

[7]               Le 5 juin 2007, le ministre a signifié à la demanderesse une deuxième demande péremptoire en vertu de l’alinéa 231.2(1)a) de la LIR, dans laquelle il sollicitait des renseignements et des documents dans les 30 jours suivant la réception de la demande.

 

[8]               Le 29 juin 2007, la demanderesse a déposé une demande de contrôle judiciaire en vue d’obtenir une ordonnance annulant la deuxième demande péremptoire en raison de l’omission du ministre de solliciter au préalable une autorisation judiciaire. 

 

* * * * * * * *

[9]               Voici le contenu de la demande péremptoire présentement à l’examen :

Aux fins de l’application ou de l’exécution de la Loi de l’impôt sur le revenu, concernant M. Lotfi Ghattas, j’exige que, dans les trente jours suivant la date de réception de la présente demande péremptoire, vous fournissiez les renseignements et produisiez en vertu des dispositions de l’alinéa 231.2(1)a)b) [sic] de ladite Loi :

 

i)                    Une copie des polices d’assurance-vie dont vous trouverez le numéro de contrat de police, le nom des payeurs ainsi que le nom des assurés en annexe ci-jointe :

 

Pour les contrats d’assurance-vie, vous n’avez pas à inclure les informations portant sur l’état de santé des assurés.

 

ii)                   La liste de tous les paiements reçus et remboursements faits pour ces mêmes polices en précisant le nom du bénéficiaire, la date ainsi que le montant payé avec toutes les pièces justificatives à l’appui.

 

 

 

[10]           Fait particulièrement important pour la présente instance, le ministre n’a pas demandé une autorisation judiciaire en application du paragraphe 231.2(2) de la LIR avant de signifier la demande péremptoire.

 

* * * * * * * *

 

[11]           Les dispositions suivantes de la LIR intéressent la présente instance :

231.2 (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et pour l’application ou l’exécution de la présente loi (y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi), d’un accord général d’échange de renseignements fiscaux entre le Canada et un autre pays ou territoire qui est en vigueur et s’applique ou d’un traité fiscal conclu avec un autre pays, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne, dans le délai raisonnable que précise l’avis :

a) qu’elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

b) qu’elle produise des documents.

(2) Le ministre ne peut exiger de quiconque — appelé « tiers » au présent article — la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément, sans y être au préalable autorisé par un juge en vertu du paragraphe (3).

(3) Sur requête ex parte du ministre, un juge peut, aux conditions qu’il estime indiquées, autoriser le ministre à exiger d’un tiers la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une personne non désignée nommément ou plus d’une personne non désignée nommément — appelée « groupe » au présent article —, s’il est convaincu, sur dénonciation sous serment, de ce qui suit :

a) cette personne ou ce groupe est identifiable;

b) la fourniture ou la production est exigée pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la présente loi;

 

 

 

 

c) et d) [Abrogés, 1996, ch. 21, art. 58(1)]

 

. . .

231.2 (1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act (including the collection of any amount payable under this Act by any person), of a comprehensive tax information exchange agreement between Canada and another country or jurisdiction that is in force and has effect or, for greater certainty, of a tax treaty with another country, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as stipulated in the notice,

(a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return; or

(b) any document.

(2) The Minister shall not impose on any person (in this section referred to as a “third party”) a requirement under subsection (1) to provide information or any document relating to one or more unnamed persons unless the Minister first obtains the authorization of a judge under subsection (3).

(3) On ex parte application by the Minister, a judge may, subject to such conditions as the judge considers appropriate, authorize the Minister to impose on a third party a requirement under subsection (1) relating to an unnamed person or more than one unnamed person (in this section referred to as the “group”) where the judge is satisfied by information on oath that

(a) the person or group is ascertainable; and

(b) the requirement is made to verify compliance by the person or persons in the group with any duty or obligation under this Act;

 

 

(c) and (d) [Repealed, 1996, c. 21, s. 58(1)]

 

. . .

 

 

* * * * * * * *

 

 

 

[12]           Le paragraphe 231.2(1) de la LIR confère au ministre le vaste pouvoir d’exiger d’une personne qu’elle fournisse tout renseignement ou document « pour l’application ou l’exécution de la présente loi ». Ce pouvoir est toutefois limité par le paragraphe (2) qui, à première vue, impose au ministre l’obligation d’obtenir une ordonnance judiciaire en vertu du paragraphe (3) avant d’exiger d’un « tiers » au titre du paragraphe 231.2(1) qu’il fournisse des renseignements ou produise des documents concernant une ou plusieurs « personnes non désignées nommément ». 

 

[13]           La demanderesse prétend essentiellement que la demande péremptoire signifiée par le ministre le 5 juin 2007 est invalide parce que le ministre a enfreint le paragraphe 231.2(2) en ne demandant pas au préalable à la Cour l’autorisation d’avoir accès à des renseignements que détient la London Life, le tiers, concernant des personnes non désignées nommément. Le ministre réplique qu’il n’en a pas l’obligation : une fois réunies les conditions prévues au paragraphe 231.2(1), la communication est obligatoire sans qu’il soit nécessaire d’obtenir une ordonnance judiciaire.

 

[14]           La demanderesse fonde sa position sur la décision rendue par la Cour dans Canada (Ministre du Revenu national) c. Banque Toronto Dominion, 2004 CF 169, 253 F.T.R. 90. Dans cette affaire, la Banque Toronto Dominion a refusé de répondre, en l’absence d’une ordonnance judiciaire, à une demande du ministre visant des renseignements au sujet d’une personne non désignée nommément titulaire d’un compte à la TD dans lequel un débiteur fiscal avait déposé des fonds. Madame la juge Danièle Tremblay-Lamer a écrit ce qui suit à cet égard :

[20]     Bien que [le ministre] prétende qu’il ne veut que vérifier si son débiteur Jonathan Myette, qui est sous enquête, aurait tenté de diminuer son patrimoine au détriment de ses créanciers, on ne peut argumenter sans sombrer dans l’absurde, qu’il s’agit d’une situation visée par le paragraphe 231.2(1) puisqu’on cherche à obtenir des renseignements concernant le nom du titulaire du compte bancaire n4152-291062 ainsi que les noms et numéros de comptes de personnes que la banque sait agir comme prête-nom pour Jonathan Myette. Comment peut-on soutenir qu’il s’agit de personnes nommément désignées?

 

[21]     Le fait que les informations recherchées pourraient potentiellement s'avérer pertinentes dans le cadre de l'enquête menée relativement au débiteur fiscal Jonathan Myette n'est d'aucune importance. La disposition 231.2(2) est claire : une autorisation préalable est nécessaire.

 

 

La Cour d’appel fédérale a maintenu sa décision (2004 CAF 359). Le juge Robert Décary, s’exprimant au nom de la Cour d’appel, a donné les explications suivantes :

[7]     […] Le paragraphe 231.2(2) a pour but de protéger à la fois le tiers détenteur de l’information et la personne concernée. Le tiers voudra bien s'assurer, avant de remettre au ministre un renseignement (lequel, par surcroît, est ici confidentiel en vertu du paragraphe 244d) de la Loi sur les banques), qu'il a l'obligation légale de le faire. La personne concernée a droit à ce que sa vie privée soit respectée dans la mesure prévue par les lois. Et c'est précisément pour réaliser ce double objectif que le Parlement a circonscrit le pouvoir du ministre et contraint ce dernier à obtenir une autorisation judiciaire préalable, une fois remplies les conditions énumérées aux alinéas 231.2(3)a) et b).

 

[8]     Le ministre cherche ici à faire cela même que le paragraphe 231.2(2) ne veut pas qu’il fasse. En outre, accéder à son interprétation de l’article 231.2 aurait pour effet de rendre inopérants les paragraphes 231.2(2) et (3) et la protection qu’ils offrent puisque le ministre obtiendrait en vertu du paragraphe 231.2(1), et ce sans consentement judiciaire préalable, les informations concernant des personnes non identifiées dès lors qu’il n’enquête pas ou dirait ne pas enquêter sur ces personnes. Les paragraphes 231.2(2) et (3) existent précisément pour protéger les personnes non identifiées qui ne sont pas sous enquête tout en permettant, avec un contrôle judiciaire, que, dans l’intérêt de la justice, la collecte de renseignements puisse se faire à l’égard de celles qui sont, de fait, sous enquête.

                                                            [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[15]      Pour leur part, les défendeurs en l’espèce soutiennent ce qui suit, en se fondant sur R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627 :

[traduction]

     Il est désormais bien établi en droit que, pour assurer l’intégrité d’un régime fiscal d’autodéclaration et d’autocalcul de la cotisation qui dépend de l’honnêteté de ses contribuables, le ministre du Revenu national « doit être investi de larges pouvoirs […] afin de vérifier les déclarations de revenus des contribuables et d’inspecter tous les documents qui pourraient être importants pour la préparation de ces déclarations »,  qu’il ait ou non des motifs raisonnables de croire qu’un contribuable en particulier a enfreint la Loi. Il est souvent impossible de déterminer, à la simple lecture de la déclaration, si une irrégularité quelconque s’est produite durant sa préparation. Une vérification ponctuelle ou un système de surveillance aléatoire sont peut-être les seuls moyens d’assurer l’intégrité du système fiscal. La portée des documents et des renseignements que peut demander le ministre du Revenu national dépasse largement celle des documents dont l’enregistrement, la tenue ou la production sont prévus par la loi, et englobe les documents et renseignements à l’égard desquels le contribuable s’attend à bénéficier de la protection de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés.

 

 

 

[16]      Invoquant précisément les paragraphes 231.2(1) à (3) de la LIR, les défendeurs soutiennent également :

[traduction]

     Le ministre du Revenu national peut notamment demander à une personne de fournir des renseignements ou de produire des documents la concernant ou concernant un tiers, peu importe leur relation, que les renseignements ou les documents en question se rapportent ou non à des personnes connues ou inconnues […]

 

     La communication au ministre du Revenu national est obligatoire dès que les conditions prévues au paragraphe 231.2(1) sont réunies […]

 

 

 

[17]      Je suis d’accord. En effet, l’article 231.2 prévoit deux situations : le ministre demande des renseignements sur 1) un contribuable connu ou 2) des inconnus. Dans la première situation, le ministre n’est clairement pas tenu d’obtenir une autorisation judiciaire avant de signifier une demande d’information à une personne (voir Redeemer Foundation c. Canada (Ministre du Revenu national), 2008 CSC 46, au paragraphe 15; eBay Canada Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), 2008 CAF 348, au paragraphe 23; Canada (Ministre du Revenu national) c. Chambre immobilière du Grand Montréal, [2008] 3 R.C.F. 366 (C.A.), au paragraphe 13; Canada (Agence des douanes et du revenu) c. Artistic Ideas Inc., 2005 D.T.C. 5165, 2005 CAF 68, aux paragraphes 10 à 12; Canada (Ministre du Revenu national) c. Banque Toronto Dominion, précitée, au paragraphe 18).

 

[18]      En l’espèce, l’ARC vérifie les déclarations de revenus de M. Ghattas. Il s’agit d’un contribuable connu et, de toute évidence, identifié. Son nom figure au premier paragraphe de la demande d’information signifiée à la demanderesse, elle aussi connue. Les détenteurs de polices d’assurance, à l’égard desquels on cherche à obtenir des renseignements, sont également connus, vu que leurs noms figurent dans une annexe de la demande d’information. 

 

[19]      Dans les circonstances, je conclus que la demande d’information signifiée à la demanderesse par l’ARC satisfait aux exigences de l’article 231.2 de la LIR et que le ministre n’était pas astreint à l’obligation d’obtenir une autorisation judiciaire préalable.

 

[20]      De plus, si l’on accepte l’opinion de la demanderesse que la demande péremptoire en l’espèce concerne des « personnes non désignées nommément » parce que son annexe n’indique pas nécessairement les noms des personnes assurées ni n’énumère les noms des bénéficiaires des polices d’assurance, l’autorisation judiciaire ne serait pas nécessaire, car ces « personnes non désignées nommément » ne sont pas sous enquête. Comme le révèle les paragraphes 16 à 19 de l’affidavit (dossier des défendeurs, à la page 5) de Mme Danielle Asselin, vérificatrice de l’ARC, les renseignements et les documents recherchés ne seront pas utilisés pour effectuer une vérification à l’endroit d’un autre contribuable, connu ou non. 

 

[21]      Dans Canada (Agence des douanes et du revenu) c. Artistic Ideas Inc., précité, un arrêt rendu quelques mois après Banque Toronto Dominion, précité, le juge Rothstein (maintenant juge à la Cour suprême), a écrit ce qui suit :

[8]     Tel que je comprends le régime prévu à l’article 231.2, le ministre peut exiger dun tiers qu’il fournisse des renseignements et des documents utiles pour déterminer s’il se conforme à la Loi. Il ne peut toutefois pas exiger du tiers qu’il fournisse des renseignements ou des documents concernant des personnes non désignées nommément sur lesquelles il souhaite mener une enquête, sans y être au préalable autorisé par un juge. Le juge peut autoriser le ministre à exiger la fourniture de ces renseignements ou de ces documents seulement si les personnes non désignées nommément sont identifiables et s’il est convaincu que la fourniture est nécessaire pour vérifier si ces personnes se conforment à la Loi.   

                                                            [Non souligné dans l’original.]

 

Le juge Rothstein a ajouté :

 

[11]     [. . .] [L]es paragraphes 231.2(2) et (3) ne s’appliquent pas si les personnes non désignées nommément ne font pas elles-mêmes l’objet d’une enquête. On peut supposer que leur nom est alors nécessaire seulement pour l’enquête effectuée par le ministre sur le tiers. Dans un tel cas, le tiers à qui est signifiée une demande de fourniture de renseignements et de production de documents en vertu du paragraphe 231.2(1) doit fournir tous les renseignements et documents pertinents, y compris le nom de personnes non désignées nommément, vu que le paragraphe 231.2(2) vise seulement les personnes non désignées nommément à l’égard desquelles le ministre peut obtenir l’autorisation d’un juge en vertu du paragraphe 231.2(3).

                                                            [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[22]      Confrontée aux arrêts apparemment contradictoires rendus par des formations différentes de la Cour d’appel fédérale dans Banque Toronto Dominion et Artistic Ideas Inc., la Cour a depuis eu tendance à prononcer des décisions qui s’accordent avec Artistic Ideas Inc. Le juge suppléant Barry Strayer a conclu, au paragraphe 11 de Canada (Ministre du Revenu national) c. Morton, 2007 CF 503, mais en donnant des explications limitées, que l’arrêt Artistic Ideas Inc. « traduit plus clairement l’objet du paragraphe 231.2(2) ». Dans Canada (Ministre du Revenu national) c. Advantage Credit Union, [2009] 2 R.C.F. 185, le juge Leonard Mandamin se dit d’accord avec le juge suppléant Strayer en ces termes :

[17]     [. . .] Le paragraphe 231.2(2) établit clairement un lien entre « une ou plusieurs personnes non désignées nommément » et l’autorisation visée au paragraphe 231.2(3). Cette personne ou ces « personnes non désignées nommément » que vise le paragraphe 232.1(2) sont les personnes dont parle le paragraphe 232.2(3), desquelles « la fourniture ou la production est exigée pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la présente loi ». Je conclus que l’interprétation donnée du paragraphe 231.2(2) par la Cour d’appel fédérale dans Artistic Ideas, précité, est celle qu’il convient d’appliquer à la présente espèce.

[23]      Faisant face au même dilemme dans Sa Majesté la Reine c. Banque Amex du Canada, 2008 CF 972, 333 F.T.R. 259, le juge suppléant Orville Frenette a décidé, pour des raisons de courtoisie, de suivre l’exemple de son collègue. Il a fait le commentaire suivant :

[49]     Si on lit le paragraphe 231.2(3) en même temps que le paragraphe 231.2(2), il est facile de voir que l’on pourrait arriver à la conclusion que la personne non désignée nommément dont il s’agit ou le groupe de personnes non désignées nommément dont il s’agit doit être l’objet d’une enquête. L’autre approche, celle selon laquelle le paragraphe 231.2(2) est interprété de manière à englober toutes les personnes non désignées nommément ou tous les groupes de personnes non désignées nommément, signifierait que le ministre ne pourrait jamais recevoir de renseignements sur des personnes non désignées nommément lorsque tels renseignements constituent un élément incident d’une enquête, et cela, parce que le ministre ne pourrait pas respecter les exigences du paragraphe 231.2(3). S’agissant de l’affaire Artistic Ideas, je puis en effet voir pourquoi la Cour d’appel a suivi le raisonnement qu’elle a suivi. Un tiers visé par une enquête aurait pu alors bénéficier de la protection accordée à d’autres qui n’étaient pas l’objet d’une telle enquête – et qui ne pouvaient donc être astreints à s’exécuter selon le paragraphe 231.2(3) – mais dont les renseignements étaient nécessaires pour l’enquête visant le tiers.

 

 

 

[24]      En dernière analyse, la Cour d’appel fédérale semble avoir réglé elle-même la question dans eBay Canada Ltd., précité, au paragraphe 23 :

     Il ressort à l'évidence de l'alinéa 231.2(3)b) que le paragraphe 231.2(2) est conçu pour permettre au ministre de vérifier si les personnes non désignées nommément, et non pas la personne à qui l'avis est signifié, se conforment aux obligations découlant pour elles de la Loi […]

 

 

 

[25]      En sus de ce qui précède, la demanderesse avance deux autres arguments : premièrement, les défendeurs n’ont pas établi que les renseignements et les documents demandés se rapportent à l’application de la LIR; deuxièmement, les défendeurs n’ont pas démontré que la signification de la deuxième demande péremptoire constituait un exercice raisonnable du pouvoir d’enquête accordé par la LIR.

 

[26]      Quant au premier point, la déposante des défendeurs, la vérificatrice Danielle Asselin, énumère les motifs suivants à l’appui de la demande, motifs auxquels je souscris :

8.       Le traitement fiscal des dépenses réclamées par M. Ghattas au titre de « Prime d’assurance payée et supportée par moi-même pour générer un revenu » dépendra de la nature du montant du remboursement effectué selon les conditions du contrat d’assurance, ce que je ne suis pas en mesure de déterminer pour l’instant;

 

9.       Entre autres, il est essentiel d’obtenir les renseignements demandés afin de connaître de quoi est constitué le produit d’assurance acheté et les remboursements effectués (i.e. purement de l’assurance et/ou un investissement);

 

10.   L’obtention d’une copie des contrats d’assurance demandés à la demanderesse, ainsi que la liste de tous les paiements reçus et remboursements faits pour lesdites polices d’assurance est essentielle afin de documenter le dossier de vérification relativement aux dépenses réclamées;

 

11.   Sans les renseignements et documents requis de la demanderesse, l’ARC n’a pas les preuves documentaires pour statuer de manière éclairée sur l’admissibilité des dépenses réclamées par monsieur Ghattas;

 

 

 

[27]      Comme je l’ai déjà fait remarquer, le pouvoir conféré au ministre par la LIR d’avoir accès à des renseignements est étendu et n’a qu’à atteindre un seuil très bas, en ce sens qu’il doit concerner  « l’application ou l’exécution de la présente loi ».

 

[28]      En ce qui concerne le dernier point, je ne vois aucun fondement à la prétention de la demanderesse que le ministre est tenu de prouver que la signification d’une demande péremptoire est un exercice raisonnable du pouvoir dont il est investi par la LIR. En effet, dans Redeemer Foundation, précité, la Cour suprême a souligné à plusieurs reprises la portée du pouvoir conféré au ministre par l’article 231.1 de demander des renseignements au cours d’une vérification, y compris à des tiers dans le cas de personnes non désignées nommément.

 

* * * * * * * *

 

[29]      Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1224-07

 

INTITULÉ :                                       LONDON LIFE – COMPAGNIE D’ASSURANCE-VIE c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 septembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 20 octobre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Denis A. Lapierre                                             POUR LA DEMANDERESSE

 

Ian Demers                                                       POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sweibel Novek LLP                                         POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.