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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20091006

Dossier : T-1524-08

Référence : 2009 CF 1013

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 6 octobre 2009

En présence de  monsieur le juge Hughes

 

ENTRE :

MYCOGEN PLANT SCIENCE, INC.

 

demanderesse

 

et

 

BAYER BIOSCIENCE N.V., MONSANTO TECHNOLOGY LLC

ET SYNGENTA PARTICIPATIONS A.G.

 

défenderesses

 

Dossier : T-1569-08

ET ENTRE :

MONSANTO TECHNOLOGY LLC

 

demanderesse

et

 

 

BAYER BIOSCIENCE N.V., MYCOGEN PLANT SCIENCE, INC.

ET SYNGENTA PARTICIPATIONS A.G.

 

défenderesses

 

Dossier : T-1581-08

 

ET ENTRE :

 

SYNGENTA PARTICIPATIONS A.G.

 

demanderesse

et

 

 

BAYER BIOSCIENCE N.V., MYCOGEN PLANT SCIENCE, INC.

ET MONSANTO TECHNOLOGY LLC

 

défenderesses

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] Les motifs d’ordonnance et l’ordonnance ci-dessous statuent sur des requêtes en modification d’acte de procédure de Monsanto Technology LLC et de Mycogen Plant Science Inc. Plus précisément, Monsanto cherche à modifier sa réponse et sa défense dans l’action T-1524-08 afin d’y ajouter certains paragraphes concernant ce que j’appellerai l’affidavit de Jansens. Mycogen cherche à modifier sa déclaration dans l’action T-1524-08 également pour tenir compte de l’affidavit de Jansens. Pour les motifs ci-dessous, j’ordonnerai que, sauf quelques exceptions, les modifications proposées par Monsanto soient acceptés. Les modifications proposées par Mycogen seront acceptées. Les dépens suivront l’issue de la cause.

 

  • [2] Il a été ordonné que ces trois actions soient jointes dans une même instance et dans le même intitulé. Leur audition aura lieu en même temps, et le procès devrait avoir lieu à la fin de l’année prochaine. Toutes ces actions découlent de ce qu’on appelle les procédures en cas de conflit au Bureau des brevets du Canada. D’importantes modifications à la Loi sur les brevets au Canada, L.R.C. 1985, ch. P-4, sont entrées en vigueur le 1er octobre 1989, et les les demandes de brevets déposées avant cette date sont traitées de façon très différente de celles qui sont présentées après. L’une des modifications les plus importantes a été le passage du régime du « premier inventeur », en vigueur avant le 1er octobre 1989, au régime du « premier déposant », en vigueur après cette date. Le régime du premier inventeur est à bien des égards semblable à celui qui prévalait et qui, dans une certaine mesure, prévaut toujours aux États-Unis, alors que le régime du premier déposant ressemble à un régime que suivent de nombreux autres pays, notamment en Europe.

 

  • [3] Les procédures en cas de conflit, comme celles-ci, sont régies par l’article 43 de la version de la Loi sur les brevets qui date d’avant le 1er octobre 1989; elles ont par ailleurs fait l’objet d’une règle spéciale, à l'article 701 des règles de la Cour. Cette règle n’existe plus, car ces actions en cas de conflit sont maintenant rares. Il a été porté à mon attention que très peu, soit une douzaine ou deux de demandes de brevet présentées au Bureau des brevets du Canada avant le 1er octobre 1989, sont toujours en cours de traitement chez cet organisme. Ces demandes et le contenu des dossiers de poursuite, contrairement aux demandes présentées après le 1er octobre 1989, ne sont pas accessibles au public. Le droit à un brevet, lorsqu’il semble au Bureau des brevets que deux demandes de brevet ou plus portent sur le même sujet (ce qui se produit plus souvent qu’on pourrait le penser) est établi par le Commissaire. Ce dernier examine les affidavits déposés par les parties concurrentes à la date ou aux dates où les inventeurs ont achevé leur invention. Les parties qui ne sont pas satisfaites de cette décision peuvent demander une nouvelle décision au moyen d’une action déposée devant la Cour. Ces trois actions sont des exemples où le commissaire a établi qui a été le premier à inventer l’objet de certaines revendications, et où les parties insatisfaites demandent à la Cour de réviser cette décision.

 

  • [4] En vertu du régime postérieur au 1er octobre 1989, un brevet est accordé à la première partie qui dépose une demande, peu importe la date de l’invention.

 

  • [5] Lorsqu’une poursuite comme celle-ci est déposée, une partie ne sait que ce qui se trouve dans son propre dossier au Bureau des brevets; le dossier des autres parties n’est pas du domaine public. Une fois tous les actes de procédure déposés et les interrogatoires préalables commencés, chaque partie obtient accès, habituellement de façon confidentielle, aux dossiers de demande de brevet des autres parties. Il n’est donc pas surprenant que certaines parties cherchent à modifier leurs actes de procédure, comme c’est le cas ici.

 

  • [6] La présente modification demandée par Monsanto et par Mycogen porte sur une demande présentée par des agents de brevets agissant pour le compte de Bayer au Bureau des brevets du Canada dans le cadre d’un recours relatif à sa demande de brevet en cause dans ces procédures en cas de conflit. En réponse à une action en justice, les agents de Bayer ont attiré l’attention de l’examinateur de brevets sur certaines déclarations faites dans un affidavit de Jansens déposé auprès du Unites States Patent Office (le bureau des brevets des États-Unis) dans le cadre d’un recours intenté dans ce pays. Une copie de cet affidavit a été remise à l’examinateur du brevet.

 

  • [7] Dans une instance devant la District Court des États-Unis pour le district Est du Missouri, division de l’Est, Monsanto Company c. Bayer Bioscience BV, cette cour, dans une décision rendue le 28 août 2006, (2006, U.S. Dist. LEXIS 97254), s’est penchée sur le même affidavit de Jansens concernant un brevet de Bayer qui était similaire à la demande de brevet canadien de Bayer; constatant, notamment à la page 40 des motifs, que Bayer avait agi de manière inéquitable en déposant sciemment une déclaration fausse de Jansens et qu’elle avait omis de divulguer au United States Patent Office des résultats négatifs connus qui auraient réfuté les revendications de Bayer, la cour a déclaré le brevet non exécutoire.

 

  • [8] Les modifications que proposent maintenant Monsanto et Mycogen découlent donc des observations de Bayer au Bureau canadien des brevets à l’égard du même affidavit de Jansens. Bayer s’oppose vigoureusement aux modifications proposées.

 

  • [9] En général, la Cour autorisera des modifications à des actes de procédure, pourvu que ces modifications ne causent pas à la partie adverse une injustice que des dépens ne pourraient réparer, et qu’elles servent les intérêts de la justice. Je cite, parmi de nombreux exemples, la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canderel Ltd. c. Canada, [1994] 1 C.F. 3, au paragraphe 9 :

En ce qui concerne les modifications, on peut dire, à la suite des décisions de cette Cour dans les affaires Northwest Airporter Bus Service Ltd. c. La Reine et Ministre des Transports; La Reine c. Special Risks Holdings Inc.; Meyer c. Canada; Glisic c. Canada et Francoeur c. Canada et de la décision de la Chambre des lords dans l'affaire Ketteman c. Hansel Properties Ltd, citée dans l'arrêt Francoeur, que même s'il est impossible d'énumérer tous les facteurs dont un juge doit tenir compte en décidant s'il est juste, dans une situation donnée, d'autoriser une modification, la règle générale est qu'une modification devrait être autorisée à tout stade de l'action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d'injustice à l'autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu'elle serve les intérêts de la justice

 

 

  • [10] En l’espèce, Bayer n’allègue aucun préjudice et ne soutient pas non plus que les modifications n’ont pas été demandées en temps opportun. Bayer s’appuie uniquement sur le fait que les modifications demandées ne soulèvent pas un problème qui peut être déterminé adéquatement dans le contexte des actions actuelles. Ce faisant, l’avocat de Bayer renvoie aux motifs du juge en chef Isaac, dans l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Nidek Co. Ltd. c. Visx Inc. (1996), 72 C.P.R. (3rd) 19, à la page 24 :

Pour déterminer s'il convient d'autoriser la modification d'une défense, il est souvent utile que la Cour se demande si la modification, si elle faisait déjà partie de l'acte de procédure proposé, serait un moyen susceptible d'être radié en vertu de la règle 419. Dans l'affirmative, la modification ne devrait pas être autorisée. Voir, par exemple, Chrysler Canada Ltée c. La Reine, [1978] 1 C.F. 137 (1re inst.). Sur le plan de la procédure, la Cour ne recevra aucune preuve lorsque le motif invoqué pour radier des paragraphes dans une défense est que ces paragraphes ne révèlent aucune cause raisonnable de défense [règle 419(1)a)]. La règle 419(2) interdit expressément l'utilisation d'éléments de preuve dans le cadre d'une requête fondée sur la règle 419(1)a). De la même façon, la Cour ne devrait pas accepter une preuve au soutien d'une demande d'autorisation de modifier un acte de procédure en vertu de la règle 420, à moins que cette preuve ne soit nécessaire pour clarifier la nature des modifications proposées. La Cour doit plutôt présumer la véracité des faits allégués dans les modifications pour ce qui est de déterminer s'il convient d'accorder l'autorisation de modifier.

 

 

  • [11] Tous les avocats, y compris celui de Bayer, acceptent que, comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans Hunt c. Casey Canada Inc., [1990] R.C.S. 959, à la page 980, dans le cas d’une requête comme celle-ci, les faits énoncés dans les modifications proposées doivent être considérés comme avérés et, afin d’obtenir gain de cause, la partie qui s’oppose à la modification doit démontrer qu’il est évident et manifeste que la modification demandée ne peut pas être autorisée. J’ajouterais à cela que la Cour suprême a également dit que l’étendue et la complexité des questions, ainsi que le caractère nouveau de ce qui est invoqué ne devraient pas être un obstacle. Je cite les propos de la juge Wilson à la page 980 :

Ainsi, au Canada, le critère régissant l'application de dispositions comme la règle 19(24)a) des Rules of Court de la Colombie‑Britannique est le même que celui régissant une requête présentée en vertu de la règle 19 de l'ordonnance 18 des R.S.C. : dans l'hypothèse où les faits mentionnés dans la déclaration peuvent être prouvés, est‑il « évident et manifeste » que la déclaration du demandeur ne révèle aucune cause d'action raisonnable? Comme en Angleterre, s'il y a une chance que le demandeur ait gain de cause, alors il ne devrait pas être « privé d'un jugement ». La longueur et la complexité des questions, la nouveauté de la cause d'action ou la possibilité que les défendeurs présentent une défense solide ne devraient pas empêcher le demandeur d'intenter son action. Ce n'est que si l'action est vouée à l'échec parce qu'elle contient un vice fondamental qui se range parmi les autres énumérés à la règle 19(24) des Rules of Court de la Colombie‑Britannique que les parties pertinentes de la déclaration du demandeur devraient être radiées en application de la règle 19(24)a).

 

 

  • [12] Bref, les modifications demandées sont fondées sur une sorte d’idée de manque de franchise ou mauvaise foi de la part de Bayer au cours du recours entourant sa demande en cause au moment de déposer l’affidavit de Jansens. Je m’empresse d’ajouter que Bayer ne désigne pas Jansens comme inventeur, et que l’affidavit n’a pas été déposé en réponse à une demande d’affidavits pour attester une date d’invention; l’affidavit a plutôt été présenté dans le cadre d’une réponse à une action du Bureau afin d'argumenter en vue de demandes plus larges.

 

  • [13] L’avocat de Bayer a soutenu qu’il n’y a pas de fondement législatif pour invoquer une obligation de franchise chez le demandeur de brevet, et qu’aucune sanction législative n’est prévue pour un manque de franchise. De plus, l’avocat de Bayer soutient qu’il n’y a pas d’obligation de franchise en vertu de la common law ou d’autres obligations non législatives, ni de sanctions en cas de manque de franchise. Ainsi, dit l’avocat de Bayer, même si l’on suppose que les allégations faites dans les modifications sont vraies, ce que Bayer doit accepter aux fins de la requête, mais pas autrement, il n’y a pas de conséquences, et Monsanto ou Mycogen ne peuvent donc pas revendiquer de recours.

 

  • [14] Les avocats de chacun de Monsanto et Mycogen soutiennent que, bien qu’ils ne se fondent pas sur l’article 73 de la Loi sur les brevets postérieure au 1er octobre 1989 (qui porte sur les effets des modifications à la Loi) ni sur l’article 53 (qui porte uniquement sur ce qui est énoncé dans la pétition du brevet et le mémoire descriptif), il y a au moins des dispositions de common law et l’article 30 de la Loi qui établissent un fondement pour le recours demandé.

 

  • [15] Je suis convaincu que l’état du droit concernant les procédures en cas de conflit en général et l’obligation de franchise dans le cadre de dépôts au Bureau des brevets sont suffisamment changeants et qu’ils ne sont pas assez certains pour faire en sorte qu’il est « évident et manifeste » que les allégations formulées dans les modifications proposées ne pourront pas être accueillies.

 

  • [16] En ce qui concerne les procédures en cas de conflit, la juge Snider de la Cour, dans l'affaire Laboratoires Servier c. Apotex Inc.(2008), 67 CPR (4th) 241, 2008 CF 825, aux paragraphes 399 à 403, a écrit que les procédures en cas conflit sont dirigées vers les questions prioritaires de paternité d’invention, et que les procédures ultérieures concernant un brevet délivré après la résolution des procédures de conflit peuvent traiter d’autres questions. Cela ne veut pas dire, toutefois, que dans le cadre d’une procédure de conflit, les parties à l’instance ne peuvent pas soulever de questions sur les raisons pour lesquelles une partie adverse ne devrait pas obtenir un brevet au départ. Par exemple, le paragraphe 43(4) de la Loi sur les brevets antérieure au 1er octobre 1989 permet à une partie à un conflit de présenter des exemples d’antériorité qui, selon elle, anticipe une revendication ou une revendication en conflit.

 

  • [17] J’ai abordé la question de l’obligation de franchise à l’égard d’un demandeur de brevet dans le cadre de mes relations avec le Bureau des brevets dans G.D. Searle & Co. c. Novopharm Ltd., [2008] 1 R.C.F. 477, renversée pour d’autres motifs, [2008] 1 R.C.F. 529. J’ai écrit, aux paragraphes 71 à 73 :

 

71   Il existe une doctrine de la bonne foi en matière de brevets depuis au moins 60 ans. Le président Thorson de la Cour de l’Échiquier faisait observer, à la page 317 de l’affaire Minerals Separation North American Corporation v. Noranda Mines Ltd., [1947] R.C.É. 306, que l’inventeur doit agir avec la plus entière bonne foi et communiquer tous les renseignements dont il dispose permettant la réalisation optimale, telle qu’il la conçoit, de son invention

 

72  Le brevet est un monopole que le demandeur recherche volontairement : il n’y est pas obligé. La demande de brevet est dans les faits une procédure ex parte, c’est‑à‑dire un dialogue engageant seulement le demandeur et l’examinateur du Bureau des brevets. Par ailleurs, la Loi sur les brevets établit une présomption de validité du brevet lorsqu’il est délivré.

 

73  Le brevet n’est pas délivré à seule fin d’offrir à un membre du public la possibilité d’en contester la validité; voir le paragraphe 54 de Kingstreet Investments Ltd. c. Nouveau‑Brunswick (Finances), [2007] 1 R.C.S. 3, où la Cour suprême formule un principe analogue dans le contexte de la législation fiscale. Le demandeur de brevet est tenu d’agir de bonne foi dans ses rapports avec le Bureau des brevets. La demande de brevet comprend un mémoire descriptif et des projets de revendications. Le mémoire descriptif constitue la divulgation en contrepartie de quoi est octroyé le monopole défini par les revendications. Cette divulgation, pour reprendre les termes de la Cour suprême, doit être complète, franche et impartiale. Des renseignements complémentaires peuvent être communiqués au cours du dialogue avec l’examinateur du Bureau des brevets. Depuis au moins le 1er octobre 1996, l’obligation de bonne foi est applicable aux rapports avec l’examinateur. On attend du demandeur une divulgation complète, franche et impartiale. Ce dernier a toute possibilité, au cours de la poursuite de sa demande, de communiquer des renseignements complémentaires, ainsi que de corriger les inexactitudes ou de combler les lacunes de ses déclarations antérieures. Il n’est ni déraisonnable ni excessivement sévère de la part de la Cour de considérer la demande, et par suite le brevet, comme ayant été abandonnés si, après la délivrance de celui‑ci, elle déclare la divulgation entachée de mauvaise foi.

 

  • [18] Le juge Shore a exprimé une opinion contraire dans Janssen-Ortho Inc. c. Apotex Inc., 2008 CF 744, au paragraphe 201 :

201  Il est évident que la Loi sur les brevets ou les Règles sur les brevets ne comportent aucune obligation expresse de franchise et que le mot « franchise » n’apparaît même pas dans ces textes de loi. Il existe bien une obligation de franchise et de bonne foi lors de la poursuite des demandes de brevet au sein du Bureau des brevets des États-Unis, mais une obligation semblable n’existe pas au Canada. Les faits qu’allègue Apotex dans son AA sont visés par le paragraphe 30(1) de la Loi sur les brevets, ainsi que les alinéas 40(l)a) et 40(1)c) et l’article 45 des Règles sur les brevets. Il n’existe aucun fondement dans la législation canadienne pour l’allégation distincte de manquement à l’obligation de franchise que soulève Apotex. Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Flexi-Coil Ltd. c. Bourgault Industries Ltd., la divulgation exigée « ne peut être […] que celle que la loi, les règles et la jurisprudence exigent déjà. En outre, même si l’obligation de divulgation avait été élargie comme le prétend l’avocat, les répercussions de cette extension se feraient sentir non pas au plan de la validité du brevet, mais au plan des réparations, lorsque des considérations d’equity pourraient entrer en jeu ». (Affidavit de Stewart, paragraphes 68-70, DD, volume 29, onglet 42, page 9081; Flexi-Coil Ltd. c. Bourgault Industries Ltd. (1999), 237 N.R. 74, 86 C.P.R. (3d) 221, aux pages 231-232 (CAF), conf. par (1998), 80 CPR (3d) 1, 78 A.C.W.S. (3d) 373 (C.F. 1re inst.).)

 

 

  • [19] Compte tenu de l’incertitude de l’état du droit concernant l’obligation de franchise, je ne peux conclure qu’il est évident et manifeste qu’un argument de manque de franchise ne peut pas convaincre le tribunal s’il est possible de revendiquer une réparation appropriée.

 

  • [20] La question ne s’arrête pas là : en admettant que le tribunal retienne l’argument du manque de franchise, quelle est la réparation qui pourrait être revendiquée dans la déclaration de Mycogen ou dans la défense ou la demande reconventionnelle de Monsanto? Bayer soutient qu’il n’y a pas de disposition de réparation dans la Loi sur les brevets. Monsanto soutient que Bayer a demandé de faire déclarer qu’elle a droit aux revendications en conflit et qu’une telle déclaration constitue une forme de réparation équitable. Invoquant l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Volkswagen Canada Inc. c. Access International Automotive Ltd, [2001] 1 C.F. 311, l’avocat de Monsanto soutient que, lorsqu’une défense d'absence de conduite sans reproche a été invoquée, il est possible d’améliorer les recours équitables. L’avocat de Bayer soutient que la déclaration de droit qu’il demande n’est pas un recours équitable, mais un remède prévu par la loi.

 

  • [21] Le paragraphe 43(8) de la version antérieure au 1er octobre 1989 de la Loi sur les brevets prévoit un certain nombre de remèdes que la Cour peut accorder dans ces poursuites. Il énonce :

[traduction]
(8) Décision des demandes à moins que des procédures ne soient intentées devant la Cour fédérale – Les demandes en conflit sont rejetées ou accueillies en conséquence, à moins que le commissaire n’ait avisé plusieurs demandeurs que l’une d’entre eux entame, dans le délai fixé par le commissaire, des procédures devant la Cour fédérale pour faire établir leurs droits respectifs, auquel cas, le commissaire suspend toute autre action sur les demandes en conflit jusqu’à ce qu’il ait été déterminé dans ces procédures que :

 

  • (a) il n’y a en fait aucun conflit entre les revendications en question;

 

  • (b) aucun des demandeurs n’a droit à la délivrance d’un brevet contenant les allégations en conflit comme il l’a demandé;

 

  • (c) un ou plusieurs brevets, y compris les demandes de substitut approuvées par la Cour, peuvent être délivrés à un ou plusieurs demandeurs;

 

  • (d) l’un des demandeurs a droit, par rapport aux autres, à la délivrance d’un brevet, y compris les demandes en conflit présentées par lui.

 

 

  • [22] À cette étape, je conclus qu’il n’est pas évident et manifeste qu’une demande de recours ou qu’une défense ne peuvent être faits en vertu du paragraphe 43(8), y compris, en particulier, de l’alinéa d). Pour l’instant, il n’est pas nécessaire de rendre une décision définitive et exécutoire sur le fond. Il suffit de dire qu’il n’est pas évident et manifeste qu’un tel moyen ne peut pas être fructueux.

 

  • [23] Par conséquent, sous réserve de mes commentaires suivants, les modifications proposées devraient être acceptées.

 

  • [24] Mes commentaires portent sur les paragraphes 13 et 14 des modifications proposées par Monsanto. L’avocat de Monsanto m’informe que le libellé du paragraphe 13 est tiré presque textuellement du paragraphe 12 de la décision de la juge Sharlow de la Cour fédérale, dans Connaught Laboratories Ltd. c. Medeva Pharma Ltd (1999), 4 C.P.R. (4th) 508 :

12  Selon le principe général sous-tendant la décision du protonotaire, une demande devrait être radiée uniquement s’il est évident et manifeste qu’elle sera rejetée : Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959. La première étape de l’analyse consiste à examiner les arguments que l’on se propose d’invoquer sur le plan juridique, tels qu’ils sont énoncés au paragraphe 25, lesquels sont fondés sur au moins l’un des principes suivants : « la chose jugée, le principe de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige (issue estoppel), une fin de non-recevoir incidente (collateral estoppel), la notion de “courtoisie” (comity), un abus de procédure ». Il s’agit là de différentes façons d’exprimer le principe général selon lequel les procédures judiciaires doivent à un moment donné être décisives, c’est-à-dire qu’une question de fait n’a qu’à être tranchée une fois.

 

 

  • [25] À mon avis, la juge Sharlow ne proposait pas un argument modèle; elle ne faisait que répéter certaines parties des arguments en cause. L’avocat de Bayer soutient que le paragraphe 13 manque de précisions concernant les parties des conclusions du juge Webber dans l’affaire des États-Unis qui sont remises en question, et il établit une différence entre cet argument et l’argument proposé par Mycogen aux paragraphes 18 et 22. Je suis d’accord pour dire que le paragraphe 13 exige des précisions avant d’autoriser la modification.

 

  • [26] Le paragraphe 14 de la modification proposée par Monsanto doit également être examiné. Ce paragraphe repose sur le fait que le [traduction] « commissaire n’aurait pas conclu » quelque chose et qu’une autre chose [traduction] « ne serait pas incluse ». Présentées ainsi, il s’agit donc d’hypothèses et de suppositions sur les mesures que le commissaire aux brevets aurait pu prendre. La Cour suprême du Canada, dans son arrêt Operation Dismantle Inc. c. Canada, [1985] 1 R.C.S. 441, au paragraphe 27, met en garde contre ces hypothèses et suppositions :

27   À mon avis, nous ne sommes pas tenus par le principe énoncé dans l'arrêt Inuit Tapirisat, précité, de considérer comme vraies les allégations des appelants concernant les conséquences éventuelles des essais du missile de croisière. La règle selon laquelle les faits matériels d'une déclaration doivent être considérés comme vrais, lorsqu'il s'agit de déterminer si elle révèle une cause raisonnable d'action, n'oblige pas à considérer comme vraies les allégations fondées sur des suppositions et des conjectures. La nature même d'une telle allégation, c'est qu'on ne peut en démontrer la véracité par la présentation de preuves. Il serait donc inapproprié d'accepter une telle allégation comme vraie. On ne fait pas violence à la règle lorsque des allégations, non susceptibles de preuve, ne sont pas considérées comme prouvées.

 

 

  • [27] Le paragraphe 14, dans sa forme actuelle, ne peut pas être jugé acceptable. Il devrait être reformulé de façon appropriée afin d’éviter les hypothèses et les suppositions.

 

  • [28] Par conséquent, la requête en modification de Mycogen sera accueillie, tout comme celle de Monsanto, dont cette dernière devra préciser le paragraphe 13 et reformuler le paragraphe 14. Il serait approprié de laisser les frais à suivre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

POUR CES MOTIFS :

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête de Mycogen visant à modifier sa déclaration de la manière indiquée est accueillie;

 

  1. La requête de Monsanto visant à modifier sa défense et sa demande reconventionnelle est accueillie, à condition que le paragraphe 13 soit précisé et que le paragraphe 14 soit reformulé de la façon indiquée dans les motifs;

 

  1. Les dépens suivront l’issue de la cause.

 

« Roger T. Hughes »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :  T-1524-08, T-1569-08, T-1581-08

 

INTITULÉ :  MYCOGEN PLANT SCIENCE, INC. c.

BAYER BIOSCIENCE N.V., MONSANTO TECHNOLOGY LLC, SYNGENTA PARTICIPATIONS A.G.

et

MONSANTO TECHNOLOGY LLC c.

BAYER BIOSCIENCE N.V., MYCOGEN PLANT SCIENCE, INC., SYNGENTA PARTICIPATIONS A.G.

et

SYNGENTA PARTICIPATIONS A.G. c.

BAYER BIOSCIENCE N.V., MYCOGEN PLANT SCIENCE, INC., MONSANTO TECHNOLOGY LLC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 5 octobre 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LE JUGE HUGHES

 

DATE :  Le 6 octobre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Crinson

Michael Niemkiewicz

 

POUR MYCOGEN PLANT SCIENCE, INC.

 

Trent Horne

Kristina Milbourn

 

Eugene Gierczak

 

Chris Van Barr

Martha Savoy

POUR MONSANTO TECHNOLOGY LLC

 

 

POUR SYNGENTA PARTICIPATIONS A.G.

 

POUR BAYER BIOSCIENCE N.V.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dimmock Stratton LLP

Toronto (Ontario)

 

Bennett Jones LLP

Toronto (Ontario)

 

Miller Thomson LLP

Toronto (Ontario)

 

Gowlings

Toronto (Ontario)

POUR MYCOGEN PLANT SCIENCE, INC.

 

 

POUR MONSANTO TECHNOLOGY LLC

 

 

POUR SYNGENTA PARTICIPATIONS A.G.

 

 

POUR BAYER BIOSCIENCE N.V.

 

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