Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20091014

Dossier : IMM-646-09

Référence : 2009 CF 1029

Ottawa (Ontario), le 14 octobre 2009

En présence de monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

HENRY SOTERO RODRIGUEZ PEREZ;

MARVIN ROLANDAO RODRIGUEZ PEREZ

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 7 janvier 2009 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle la Commission a conclu que les demandeurs, citoyens du Guatemala, n’avaient ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

LES FAITS

[2]               Les demandeurs sont frères et ont respectivement 26 et 30 ans. Ils sont arrivés au Canada le 2 novembre 2006 et ils ont présenté une demande d’asile parce qu’ils allèguent craindre d’être persécutés ou tués par les membres d’un mara ou d’un gang au Guatemala.

 

[3]               En septembre 2005, les demandeurs ont ouvert une épicerie à Guatemala. En avril 2006, cinq membres d’un gang ont commis un vol à l’épicerie alors que l’un des demandeurs était présent. Les demandeurs ont décidé de ne pas signaler le vol à la police.

 

[4]               En mai 2006, des membres du même gang sont retournés à l’épicerie et ont extorqué de l’argent aux demandeurs, qui, en retour, pouvaient garder l’épicerie ouverte. Les demandeurs ont été avertis de ne pas dénoncer le gang à la police sous menace de mort. Ils ont décidé de ne pas signaler l’extorsion à la police parce qu’ils craignaient pour leurs vies et, pendant un mois, ils ont sagement payé chaque semaine le montant de l’extorsion.

 

[5]               Au début de juin 2006, les demandeurs ont décidé d’arrêter de payer le gang parce que les paiements accaparaient à près de la moitié de leurs revenus. Les demandeurs ont fermé l’épicerie et sont retournés dans leur ville natale d’El Camalote, près de la ville de Gualan, dans l’État du Zapaca, laquelle se trouve à près de quatre heures d’autobus de Guatemala.

 

[6]               Une semaine après avoir déménagé dans leur ville natale, l’un des demandeurs a reçu un appel téléphonique d’un inconnu qui lui a dit que le gang savait où les demandeurs vivaient et qu’il s’attendait à ce que les demandeurs continuent de payer le montant de l’extorsion au gang.

 

[7]               Les demandeurs se sont adressés au le chef de police de la ville de Gualan, qui leur a promis de communiquer avec la police de Guatemala, mais il les a avertis que, si la plainte concernait un gang mara, presque rien ne serait fait.

 

[8]               Craignant pour leur sécurité, les demandeurs ont quitté le Guatemala et, via les États­Unis, sont venus au Canada, où ils ont présenté leurs demandes d’asile le 2 novembre 2006.

 

La décision soumise au contrôle

[9]               Le 7 janvier 2009, la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 

[10]           La Commission n’a pas traité la question de la crédibilité des demandeurs. Par conséquent, leur récit est présumé être véridique.

 

[11]           La Commission a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention parce que leur crainte alléguée n’avait aucun lien avec quelque motif que ce soit prévu dans la définition de réfugié au sens de la Convention.

 

[12]           La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de personnes à protéger parce que le risque qu’ils craignaient était un risque généralisé – ce qui faisait en sorte que les demandeurs ne pouvaient pas, suivant le sous­alinéa 97(1)b)(ii), bénéficier de la protection de la LIPR – ou, de façon subsidiaire, que les demandeurs n’avaient pas établi que l’État du Guatemala n’était pas capable de leur fournir une protection de l’État adéquate ou ne le voulait pas.

 

[13]           La Commission a conclu que le Guatemala était en proie à un déferlement de violence perpétrée par les maras, qui ciblent les propriétaires d’entreprise et les exploitants d’autobus de façon quotidienne. Être victime de crime et de violence aux mains des maras au Guatemala constitue un risque quotidien pour les propriétaires de petites entreprises, qui font face à des demandes d’extorsion ou à la possibilité d’être victimes de violence criminelle.

 

[14]           La Commission a mentionné les observations de l’avocat des demandeurs, selon qui le risque auquel sont exposés les demandeurs constitue [traduction] « un risque auquel doivent faire face les propriétaires de petites entreprises, et il ne s’agit pas d’un risque personnalisé ». La Commission a conclu que le risque auquel faisaient face les demandeurs était généralisé, plutôt qu’individualisé ou personnalisé, et que les demandeurs ne pouvaient donc pas bénéficier de la protection prévue à l’alinéa 97(1)b) de la LIPR.

 

[15]           La Commission a conclu que, même si les demandeurs pouvaient bénéficier de la protection prévue à l’alinéa 97(1)b) de la LIPR, la question du caractère adéquat de la protection de l’État constituait une question déterminante en l’espèce.

 

[16]           La Commission a examiné le droit régissant la présomption de la protection de l’État. Elle a affirmé que les omissions locales de maintenir l’ordre d’une façon efficace n’équivalaient pas à une protection inadéquate. Sur le fondement de l’arrêt Kadenko c. Canada (Procureur général)) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532, rendu par la Cour d’appel fédérale, la Commission a affirmé que, « plus les institutions de l’État seront démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s’offrent à lui ». La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas réussi, au moyen d’une preuve « claire et convaincante », à réfuter la présomption selon laquelle la protection de l’État est adéquate.

 

[17]           La Commission, par suite de l’examen de la preuve documentaire, a imposé un lourd fardeau aux demandeurs, qui devaient établir qu’ils avaient pris des mesures raisonnables pour obtenir la protection de l’État. La preuve documentaire a révélé que le Guatemala est un État démocratique doté de systèmes politiques et judiciaires et d’une démocratie efficaces ainsi que d’un appareil officiel, y compris un système de justice pénal, qui protège dans une certaine mesure ses citoyens. La Commission a noté que le Guatemala était un pionnier en matière de réforme criminelle en Amérique du Sud et qu’il déployait de grands efforts afin de combattre les maras.

 

[18]           La Commission a conclu que, étant donné que les demandeurs avaient seulement sollicité l’aide de la section locale de la police, sans demander l’aide de tout autre organisme d’application de la loi ou agence d’aide gouvernementale, ils n’ont pas établi qu’ils avaient pris des mesures raisonnables pour solliciter la protection de l’État dans leur pays.

 

[19]           La Commission a conclu que, étant donné qu’ils pouvaient bénéficier d’une protection de l’État adéquate au Guatemala, les demandeurs, selon la prépondérance de la preuve, n’étaient pas exposés à une menace à leur vie ou à un risque de traitement ou peine cruels ou inusités, s’ils retournaient au Guatemala. La demande d’asile des demandeurs a donc été rejetée.

 

LA DISPOSITION LÉGALE

[20]           Par souci de commodité, je reproduis l’article 97 de la LIPR :

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au

sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans

le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires

de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not

have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning

of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the

protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard

of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[21]           Les demandeurs soulèvent deux questions :

1.      La Commission a­t­elle commis une erreur de droit en interprétant de façon erronée la preuve dont elle disposait ou l’alinéa 97(1)b) de la LIPR?

 

2.      La conclusion de la Commission portant sur la question de la protection de l’État était­elle déraisonnable?

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[22]           Par suite de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9 (QL), rendu par la Cour suprême du Canada, il est acquis que les cours de révision doivent limiter leur analyse à deux normes de contrôle, à savoir la raisonnabilité et la décision correcte. En conséquence, la retenue dont il convient de faire preuve à l’égard des conclusions de fait tirées par la Commission exige que la norme applicable aux questions susmentionnées soit la raisonnabilité.

 

[23]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, 372 N.R. 1, la Cour suprême du Canada a conclu au paragraphe 62 que, à la première étape de l’analyse de la norme de contrôle, la cour de révision « vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » (voir également Khosa c. Canada (MCI), 2009 CSC 12, paragraphe 53, motifs du juge Binnie).

 

[24]           La première question en litige porte sur des questions de fait et sur des questions mixtes de droit et de fait. Dans la décision Acosta c. Canada (MCI), 2009 CF 213, [2009] A.C.F. no 270 (QL), la juge Gauthier a conclu au paragraphe 11 que la question de l’exclusion en raison de risques généralisés de violence suivant l’alinéa 97(1)b) de la LIPR constituait une question d’application de la loi aux faits particuliers d’une affaire et que la norme de contrôle applicable était donc la raisonnabilité comme l’avait établi la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Prophète c. Canada (MCI), 2009 CAF 31, paragraphe 7. La norme de contrôle applicable à la première question en litige est donc la raisonnabilité.

 

[25]           La deuxième question en litige porte sur une conclusion relative au caractère adéquat de la protection de l’État. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit. La jurisprudence ultérieure à l’arrêt Dunsmuir a établi que la norme de contrôle applicable aux décisions portant sur le caractère adéquat de la protection de l’État est la raisonnabilité (Eler c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 334, motifs de la juge Dawson, paragraphe 6; Pacasum c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 822, motifs du juge de Montigny, paragraphe 18; Velasquez c. Canada (MCI), 2009 CF 109, motifs du juge de Montigny, paragraphe 13). La norme de contrôle applicable à la deuxième question en litige est donc la raisonnabilité.

 

[26]           Lors du contrôle judiciaire d’une décision de la Commission selon la norme de raisonnabilité, la Cour examinera « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel », ainsi que « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, paragraphe 47, et Khosa, précité, paragraphe 59). La Cour ne doit pas intervenir, à moins que la décision n’appartienne pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, précité, paragraphe 47; Khosa, précité, paragraphe 59.

 

 

ANALYSE

Question no 1 : La Commission a­t­elle commis une erreur de droit en interprétant de façon erronée la preuve dont elle disposait ou l’alinéa 97(1)b) de la LIPR?

 

[27]           Je reformulerais la présente question de la façon suivante : « La Commission a­t­elle conclu de façon déraisonnable que les demandeurs avaient été exposés à un “risque généralisé” de préjudice et non à un risque “personnalisé” visant seulement les propriétaires de petites entreprises au Guatemala? »

 

[28]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur en concluant que le risque auquel les maras les exposaient constituait un risque généralisé au Guatemala.

 

[29]           Les demandeurs allèguent que le sous­alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR exige que le risque soit « personnalisé », mais non nécessairement « individualisé ». Étant donné que les propriétaires de petites entreprises sont l’un des groupes les plus ciblés par les maras, les demandeurs sont exposés à un plus grand risque que la population générale et, par conséquent, le risque auquel ils font face est personnalisé.

 

[30]           Les demandeurs veulent faire une distinction entre l’espèce et l’affaire Vickram c. Canada (MCI), 2007 CF 457, motifs du juge de Montigny, parce que la Commission dans cette affaire avait expressément conclu que le demandeur était exposé à un risque généralisé d’activités criminelles. Les demandeurs soutiennent que, en l’espèce, la Commission a expressément conclu que les demandeurs étaient exposés à un plus grand risque parce qu’ils étaient propriétaires d’une entreprise.

 

[31]           Il n’y a aucun fondement qui justifie d’établir une distinction entre l’espèce et l’affaire Vickram. À mon avis, le fait que les demandeurs sont exposés à un plus grand risque parce qu’ils sont propriétaires d’une petite entreprise ne fait pas en sorte qu’un risque généralisé de violence criminelle devienne un risque personnalisé. À cet égard, les motifs de la Commission ne sont pas incohérents. L’affaire Vickram respecte le principe général selon lequel la richesse, ou la richesse réputée, prise isolément, ne constitue pas un motif justifiant d’accueillir une demande présentée en vertu de l’alinéa 97(1)b) et fondée sur la prétention que les criminels ont tendance à cibler tous ceux qu’ils considèrent comme étant relativement riches (voir aussi les motifs que j’ai prononcés dans les décisions Hardat Ramotar et al. c. Canada (MCI), 2009 CF 362, paragraphe 31, et Louis-Jacques Michaud c. Canada (MCI), 2009 CF 886, paragraphes 38 à 41).

 

[32]           La juge Gauthier a récemment traité la même prétention dans la décision Acosta, précitée, dans le contexte d’exploitants d’autobus, et, au paragraphe 16 de ses motifs, elle a conclu qu’être membre d’un secteur économique donné ne fait pas en sorte qu’un risque généralisé de violence criminelle devienne un risque personnel auquel est exposé le demandeur :

16      Le demandeur a renvoyé au passage de la preuve documentaire qui confirme que les personnes chargées de la perception du prix des billets d’autobus font souvent l’objet d’extorsion de la part du gang. Toutefois, la Commission a examiné ce document d’information sur le pays et a conclu qu’il fait clairement état du caractère généralisé de la violence liée aux gangs dans plusieurs régions. Il n’est pas plus déraisonnable de conclure qu’un groupe particulier, que ce soit les personnes chargées de la perception du prix des billets d’autobus ou d’autres victimes d’extorsion qui ne payent pas, est exposé à de la violence généralisée que de tirer la même conclusion à l’égard des riches hommes d’affaires en Haïti qui, selon ce qu’on a clairement conclu, sont exposés à un risque plus important de violence que celle qui sévit dans ce pays.

[Non souligné dans l’original.]

 

[33]           Je souscris à l’opinion exprimée par la juge Gauthier dans la décision Acosta.

 

[34]           En l’espèce, les demandeurs ont été ciblés parce qu’ils possèdaient une petite entreprise. Le harcèlement par téléphone et les menaces dont ils ont fait l’objet après avoir fermé boutique constituaient une prolongation de l’extorsion. Rien ne donne à penser que les maras avaient ciblé personnellement les demandeurs ou que les demandeurs étaient exposés à un plus grand risque que les autres propriétaires de petites entreprises ou les autres personnes considérées comme étant relativement riches (Pineda c. Canada (MCI), 2007 CF 365, motifs du juge de Montigny).

 

[35]           Je suis d’avis que, si le risque de violence, de préjudice ou de crime constitue un risque généralisé auquel sont exposés l’ensemble des citoyens d’un pays qui sont vus comme étant relativement riches par les criminels, le fait qu’un certain nombre de personnes données puissent être plus fréquemment ciblées en raison de leur richesse ne veut pas dire que ces personnes ne sont pas exposées à un « risque généralisé » de violence. Le fait que les personnes exposées au risque sont celles réputées être relativement riches et peuvent être considérées comme un sous­groupe de la population générale veut dire qu’elles sont exposées à un « risque généralisé ». Que le risque auquel elles sont exposées soit le même que celui d’autres personnes qui sont dans une situation semblable ne fait pas en sorte que ce risque constitue un « risque personnalisé » ouvrant droit à protection en vertu de l’article 97 de la LIPR. Conclure autrement « ouvrirait toute grande la porte » en ce sens que tous les Guatémaltèques qui sont relativement riches ou réputés être relativement riches pourraient demander l’asile en vertu de l’article 97 de la LIPR.

 

[36]           À mon avis, vu la preuve, il était raisonnablement loisible à la Commission de rendre cette décision à cet égard.

 

Question no 2 : La conclusion de la Commission portant sur la question de la protection de   l’État était­elle déraisonnable?

 

[37]           Les demandeurs allèguent de façon subsidiaire que la conclusion tirée par la Commission au sujet de la protection de l’État était déraisonnable en ce sens qu’elle contredisait d’autres conclusions factuelles tirées par la Commission ainsi que la preuve objective au dossier.

 

[38]           Les demandeurs affirment que la conclusion de la Commission, selon laquelle « le Guatemala est une démocratie dotée de systèmes politiques et judiciaires efficaces » et « d’un appareil officiel qui protège ses citoyens, y compris un système de justice pénale et un service de police opérationnel », est incohérente au regard de la preuve documentaire. Les demandeurs soutiennent que le Guatemala est simplement incapable de protéger sa population contre les maras et que l’imposition d’un fardeau trop lourd sur les demandeurs qui doivent réfuter la présomption de la protection de l’État est inappropriée.

 

[39]           Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême du Canada a conclu que la protection des réfugiés est une forme de « protection auxiliaire » destinée à être utilisée seulement dans les affaires dans lesquelles le demandeur ne peut pas bénéficier de la protection de son État d’origine.

 

[40]           En outre, la Cour a conclu que, sauf dans les situations où il y a effondrement complet de l’appareil étatique, il existe une présomption générale que l’État est capable de protéger ses citoyens. Bien que la présomption de la protection de l’État puisse être réfutée, elle ne peut l’être que si le demandeur d’asile fournit une preuve « claire et convaincante » de l’incapacité de l’État à fournir la protection. Une telle preuve peut comprendre des témoignages de personnes qui sont dans une situation semblable à celle du demandeur et que les dispositions prises par l’État pour les protéger n’ont pas aidé ou bien le propre témoignage du demandeur d’asile concernant des incidents passés où la protection de l’État n’a pas été fournie (voir Ward, précité, pages 724 et 725).

 

[41]           Dans l’arrêt Kadenko, précité, la Cour d’appel fédérale a conclu que les demandeurs d’asile qui souhaitent réfuter la présomption de la protection de l’État doivent déployer des « efforts raisonnables » pour essayer d’obtenir la protection de l’État et que le fardeau incombant au demandeur est plus élevé si l’État en question est un État démocratique (voir également L.G.S. c. Canada (MCI), 2004 CF 731, décision dans laquelle la juge Mactavish a conclu au paragraphe 22 qu’un demandeur n’a pas besoin de montrer qu’il a épuisé tous les moyens de protection).

 

[42]           La Cour d’appel fédérale a récemment précisé la présomption de la protection de l’État dans l’arrêt Carrillo c. Canada (MCI), 2008 CAF 94, 69 Imm. L.R. (3d) 309, motifs du juge Létourneau. La Cour a effectué une analyse exhaustive aux paragraphes 16 à 30 au sujet de la distinction entre « la charge de la preuve, la norme de preuve applicable et la qualité de la preuve ». La Cour a conclu que le « lourd fardeau » imposé aux demandeurs qui doivent réfuter la présomption selon laquelle la protection de l’État est adéquate dans les sociétés démocratiques, comme il en a été mention dans l’arrêt Hinzman c. Canada (MCI), 2007 CAF 171, motifs du juge Sexton, paragraphe 57, constituait seulement une reconnaissance de la difficulté pour les demandeurs de déposer une preuve établissant leur prétention dans de telles circonstances :

¶26      Je pense que notre collègue, comme le juge La Forest dans l’arrêt Ward, voulait parler de la qualité de la preuve qu’il faut produire pour convaincre le juge des faits de l’insuffisance de la protection de l’État. Autrement dit, il est plus difficile de réfuter la présomption dans certains cas que dans d’autres. Mais cela ne modifie en rien la norme de preuve. Je souscris donc entièrement à la conclusion du juge de première instance selon laquelle le juge La Forest parlait dans Ward de la qualité de la preuve nécessaire pour réfuter la présomption et non d’une norme de preuve plus rigoureuse.

 

 

 

[43]           En conséquence, les demandeurs devaient déposer une preuve pertinente et digne de foi possédant une valeur probante suffisante pour convaincre le juge des faits, selon la prépondérance de la preuve, que la protection de l’État est inadéquate (Carrillo, précité, paragraphe 30).

 

[44]           En l’espèce, la seule mesure prise par les demandeurs pour essayer d’obtenir la protection de l’État a été de s’adresser à la police locale de Gualan qui, à son tour, a communiqué avec la police de Guatemala. Il est de droit constant que le refus de la police locale d’offrir la protection ne fait pas en sorte que la protection de l’État est inadéquate, à moins que ce refus puisse être lié à une tendance généralisée de l’État à être incapable d’offrir de la protection dans des circonstances données (Zhuravlvev c. Canada (MCI), [2000] 4 C.F. 3, motifs du juge Pelletier, paragraphe 31).

 

[45]           La Commission a conclu que la mesure prise par les demandeurs n’était pas suffisante vu les progrès du Guatemala en ce qui concerne la violence perpétrée par les gangs et la démocratisation de l’État. Elle a conclu que, même si la protection offerte par le Guatemala n’était pas parfaite, cette protection était néanmoins adéquate. (La Commission a cité comme précédents les arrêts suivants rendus par la Cour d’appel fédérale : Zalazali c. Canada (MEI), [1991] 3 C.F 605 (C.A.F.), motifs du juge Décary, paragraphe 21; Canada (MEI) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.), motifs du juge Hugessen.)

 

[46]           L’analyse de la Commission en ce qui concerne la protection de l’État est plutôt générale. Je suis troublé par le caractère désuet de certains éléments de preuve documentaire que la Commission a cités. Cela est mis en évidence par la preuve documentaire plus récente produite par les demandeurs et qui décrit l’incapacité des autorités guatémaltèques à s’attaquer à la violence perpétrée par les gangs en raison de la corruption systémique et du manque de ressources. Les demandeurs ont également déposé des éléments de preuve qui révèlent la frustration de la population envers la protection fournie par la police.

 

[47]           Bien que les motifs de la Commission laissent beaucoup à désirer en ce qui concerne l’analyse, sa conclusion définitive ne peut être considérée comme étant déraisonnable. La Commission a souligné plusieurs recours dont les demandeurs auraient pu essayer de bénéficier hormis la police locale. Le témoignage de vive voix des demandeurs révèle que l’efficacité de la police du Guatemala est, au pire, inégale :

[traduction]

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Voulez­vous dire que la police au Guatemala réussit à attraper des membres des maras?

 

DEMANDEUR : La police fait les nouvelles chaque jour et on peut voir qu’elle en attrape un de temps en temps, mais, même si on voit la police en arrêter plusieurs, on voit également que les maras commettent des meurtres dans tout le pays.

 

[48]           La preuve documentaire révèle qu’il y a des manquements en ce qui concerne la protection de l’État au Guatemala. Le Cartable national de documentation de la Commission concernant le Guatemala renferme une Réponse aux demandes d’information datée du 2 mars 2007 qui porte sur les « Mesures de protection de la population contre les bandes criminelles ». Le document mentionne ce qui suit :

La corruption au sein des forces policières de même que le manque de ressources compliquent la lutte contre les bandes criminelles […]. Le président Berger a lui-même reconnu que les 22 000 policiers de la police nationale n’arrivaient pas à contrôler les bandes criminelles, qui compteraient plus de 60 000 membres […].

 

Même si cette preuve donne à penser que la protection de l’État au Guatemala est inadéquate, d’autres éléments de preuve au dossier révèlent que la police prend des mesures pour protéger la population contre les gangs criminels, notamment au moyen du déploiement de soldats dans les rues afin de rétablir la sécurité compromise par les gangs criminels, l’arrestation de membres de gang, la mise en place de mesures de surveillance et la création d’une ligne d’assistance spéciale visant la dénonciation d’extorsion. Par conséquent, il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer l’une ou l’autre des conclusions selon laquelle soit la protection de l’État au Guatemala était adéquate, soit elle était inadéquate.

 

[49]           La preuve au dossier permet de tirer l’une ou l’autre des conclusions. À mon avis, la décision de la Commission appartient aux issues acceptables.

 

[50]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

LA CERTIFICATION D’UNE QUESTION

[51]      Les parties ont avancé devant la Cour que la présente affaire ne soulève pas de question grave de portée générale qui devrait être certifiée en vue d’interjeter appel. La Cour est d’accord.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-646-09

 

INTITULÉ :                                                   HENRY SOTERO RODRIGUEZ PEREZ, MARVIN ROLANDO RODRIGUEZ PEREZ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 29 SEPTEMBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 14 OCTOBRE 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

D. Clifford Luyt

 

POUR LES DEMANDEURS

Manuel Mendelzon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

D. Clifford Luyt

Avocat

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.