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Date : 20091014

Dossier : IMM-253-09

Référence : 2009 CF 998

Ottawa (Ontario), le 14 octobre 2009

En présence de monsieur le juge Near

 

 

entre :

THOMAS VINCENT CRUZE

demandeur

et

 

Le ministre de la citoyenneté

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

Motifs du jugement et jugement

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision (la décision) d'un agent d'évaluation des risques avant renvoi (l’agent), datée du 2 décembre 2008, par laquelle l'agent a rejeté la demande d'évaluation des risques avant renvoi (ERAR) du demandeur.

 

I.          Contexte

 

[2]               Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka âgé de 37 ans. Il est entré au Canada en septembre 2005 et a présenté une demande d'asile. Sa demande d'asile a été rejetée en septembre 2006 et la Cour a rejeté le contrôle judiciaire concernant cette demande d'asile en novembre 2007. Le 20 mai 2008, il a déposé une demande d’ERAR et a présenté des observations à l'appui de cette demande. La demande d’ERAR a été l’objet d’une décision défavorable le 2 décembre 2008. Il a aussi présenté une demande de résidence permanente au Canada pour des motifs d'ordre humanitaire qui a été rejetée. La demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire fait l'objet d'une instance distincte de contrôle judiciaire devant la Cour mais, avec le consentement des avocats, on a débattu des demandes ensemble en s'appuyant sur le même contexte factuel. Un jugement distinct sera rendu concernant la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire.

 

[3]               La demande d’ERAR du demandeur était fondée sur le risque auquel il serait exposé à titre d'homosexuel retournant au Sri Lanka en raison de son orientation sexuelle et du fait de menaces prétendument faites par la famille de son ancien conjoint. L'agent a conclu que le demandeur n'avait pas fourni suffisamment d'éléments de preuve selon lesquels le demandeur est un homosexuel, que la famille souhaitait lui faire du mal, et que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur valable à Colombo. L'agent d’ERAR a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment de preuves pour montrer plus qu'une simple possibilité de persécution au Sri Lanka et n'a pas conclu qu'il était probable que le demandeur soit menacé de mort ou exposé au risque de traitements ou peines cruels et inusités, ou au risque de subir la torture au Sri Lanka.

 

[4]               Le demandeur dit être un homosexuel qui a entretenu une relation secrète de longue durée avec un ami de collège, Milroy. Lorsque leurs familles respectives ont découvert leur relation, la famille de Milroy l'a enfermé dans la maison et celui-ci s'est plus tard suicidé dans un accident de voiture. Selon le demandeur, les membres de la famille de Milroy l’ont blâmé pour la mort de leur fils et l'ont menacé de mort. Le demandeur a tout d'abord fui au Japon et ensuite au Canada. Il déclare qu'aucun endroit au Sri Lanka n'est sûr pour lui, car la haine des homosexuels prévaut partout dans le pays et que sa ville natale est à proximité de Colombo et de Kandy, deux centres urbains considérés comme des possibilités de refuge intérieur.

 

[5]               Lors de l'instruction de sa demande d’ERAR, le demandeur a présenté des documents du Sri Lanka confirmant l'accident et la mort de Milroy, ainsi que des lettres d'appui d'un prêtre, d’un membre du conseil provincial et de son ami, Sujeewa.

 

II.         Norme de contrôle

 

[6]               Avant l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la décision d'un agent d’ERAR était examinée selon la norme de la décision raisonnable simpliciter (Figurado c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 347, [2005] 4 R.C.F. 387 et Demirovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1284, [2005] A.C.F. no 1560, 142 A.C.W.S. (3d) 831). Il a aussi été jugé que les questions de fait devaient être examinées selon la norme de la décision manifestement déraisonnable, les questions mixtes de fait et de droit selon la norme de la décision raisonnable et les questions de droit selon la norme de la décision correcte (Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 437, 272 F.T.R. 62, au paragraphe 19).

 

[7]               Depuis l'arrêt Dunsmuir, précité, l'examen des décisions d'agents d’ERAR commandent toujours l'objet de la déférence de la Cour et sont susceptibles de contrôle selon la norme nouvellement formulée de la raisonnabilité. En conséquence, la Cour ne contrôlera la décision d'un agent d’ERAR que si elle n'appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Le caractère raisonnable d'une décision dépend de la justification de la décision, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel.

 

III.       Questions en litige

 

[8]               La demande soulève trois questions, à savoir :

a)         L’agent a-t-il commis une erreur de droit en concluant que le demandeur n'était pas un homosexuel et n'était pas menacé par la famille de son ancien amant parce qu’il n’a pas correctement tenu compte des documents justificatifs du demandeur?

 

b)         L’agent a-t-il commis une erreur de droit en concluant que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur à Colombo ou à Kandy lorsqu’il a ignoré ou mal compris la preuve documentaire objective?

 

c)         L’agent a-t-il commis une erreur de droit en concluant que les homosexuels n'étaient pas exposés à la persécution au Sri Lanka?

 

A.                 L’agent a-t-il commis une erreur de droit en concluant que le demandeur n'était pas un homosexuel et n'était pas menacé par la famille de son ancien amant parce qu’il n’a pas correctement tenu compte des documents justificatifs du demandeur?

 

[9]               À l'audience portant sur la demande d'asile du demandeur, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a déclaré qu'elle ne croyait pas que le demandeur était un homosexuel, qu'il avait entretenu une relation avec Milroy ou que Milroy s'était suicidé, car il n'y avait pas de preuve corroborante. De plus, la SPR a conclu que le témoignage du demandeur n'était pas cohérent et qu'il était parfois exagéré et peu vraisemblable. Par la suite, le demandeur a obtenu des éléments de preuve qui sont censés dissiper valablement les préoccupations de la SPR quant à la crédibilité et d'autres préoccupations. Ces éléments de preuve étaient le rapport post-mortem du décès de Milroy et des lettres d'un prêtre, d’un membre du conseil provincial et de son ami proche Sujeewa. Tous ces éléments corroboreraient le fait que le demandeur était un homosexuel qui a entretenu une relation homosexuelle avec Milroy et le fait que Milroy est décédé dans un accident de voiture.

 

[10]           Après avoir examiné la preuve, l’agent a déclaré que les documents post-mortem constituaient des éléments de preuve fiables selon lesquels Milroy est décédé dans un accident de voiture, mais que l'affirmation selon laquelle l'accident était un suicide relevait de la conjecture. L’agent a poursuivi en déclarant que, bien qu'il ait tenu compte des deux lettres et de l'affidavit, il leur a accordé peu de poids. L’agent a souligné que Sujeewa était le [traduction] « meilleur ami » du demandeur et qu'il n'était donc pas une partie désintéressée à l'égard de l'issue de l’affaire, que la lettre du conseiller était écrite à la demande du frère du demandeur et reprenait une grande partie des allégations du demandeur, comme le faisait la lettre du prêtre. L’agent a déclaré que ces éléments de preuve ne suffisaient pas à réfuter les conclusions de la SPR quant à la crédibilité.

 

[11]           Le demandeur soutient que le rejet des éléments de preuve à l'appui par l’agent était déraisonnable. Il renvoie à la décision Elezi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 422, [2008] A.C.F. no 562, pour soutenir que c’est une erreur de droit d'écarter des éléments de preuve uniquement parce qu'ils contredisent des conclusions antérieures. Dans Elezi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), précitée, la juge Danièle Tremblay-Lamer a conclu qu'il avait été déraisonnable pour l'agent d’ERAR dans cette affaire d'accorder peu de valeur probante aux déclarations présentées à titre de « nouveaux éléments de preuve » parce qu'elles portaient sur des faits que la Commission avait déjà rejetés pour absence de crédibilité.

 

[12]           En l'espèce, l'agent a examiné les trois déclarations et a conclu que la lettre de Sujeewa, le meilleur ami du demandeur, ne fournissait aucun nouvel élément de preuve par rapport à ce qui avait déjà été présenté à la SPR. Il est également clair que l'agent a décidé que son ami avait un intérêt personnel dans l’affaire et qu'il a donc accordé peu de poids à cet élément de preuve, ce qu'il avait le droit de faire dans les circonstances (voir Ferguson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, [2008] A.C.F. no 1308, au paragraphe 27).

 

[13]           De plus, l’agent a examiné la lettre du conseiller provincial et signalé que la lettre avait été présentée à la demande du frère du demandeur pour permettre à celui-ci d'obtenir le document l'autorisant à vivre au Canada. Il ressort aussi clairement d'un examen de la lettre que le conseiller n'avait pas une connaissance personnelle du demandeur, pas plus que la lettre ne mentionne explicitement l'orientation sexuelle du demandeur.

 

[14]           Finalement, l'agent a examiné la lettre du prêtre et a pris en compte les déclarations qu'elle contenait. Encore une fois, la lettre ne constitue pas un récit de première main concernant la présente question et s'appuie sur des déclarations faites au prêtre par des membres de la famille.

 

[15]           L’agent a accordé peu de poids à ces déclarations et a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment de nouveaux éléments de preuve pour infirmer la conclusion de la Commission quant à l'absence de crédibilité du demandeur.

 

[16]           Je conclus que l'agent n'a pas rejeté ces éléments de preuve uniquement en fonction de la décision antérieure de la Commission (voir Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1336, [2008] A.C.F. no 1673). L'agent a plutôt évalué la question de savoir si les éléments de preuve étaient crédibles et a conclu qu'ils ne l'étaient pas. Dans Ferguson, précitée, le juge Zinn a déclaré ce qui suit au paragraphe 25 :

[traduction]

Une preuve documentaire peut également être jugée non fiable parce que son auteur n'est pas crédible. Des rapports intéressés peuvent appartenir à cette catégorie. Dans les deux cas, le juge des faits peut accorder peu ou pas de valeur à la preuve produite en fonction de sa fiabilité et conclure que la norme juridique n'a pas été respectée.

 

[17]           Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, le fait invoqué est essentiel à la demande d’ERAR, il était loisible à l'agent d'exiger du demandeur des éléments de preuve supplémentaires pour que celui-ci s'acquitte du fardeau de la preuve, plus particulièrement à la lumière des conclusions de la Commission. Comme l'a souligné le juge Noël dans Zamanibakhsh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1137, [2002] A.C.F. no 1525, au paragraphe 16,

L'homosexualité fait partie intégrante d'un être humain. Afin de prouver pareille orientation, le demandeur doit présenter des éléments de preuve factuels qui démontrent pareille orientation. Le demandeur a la charge de la preuve et la SSR a conclu qu'il n'avait pas satisfait à cette obligation.

 

[18]           J’estime que la conclusion tirée par l'agent appartient aux issues raisonnables et qu'aucune erreur n'a été commise.

 

[19]           Compte tenu de ma conclusion à l'égard de la question a), il est inutile d'examiner les questions b) et c), car elles reposent sur la prémisse que la conclusion de l'agent à l'égard de l'orientation sexuelle du demandeur était déraisonnable.

 

[20]           Aucune des deux parties n'a proposé une question à certifier et aucune question ne le sera.

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-253-09

 

INTITULÉ :                                       CRUZE

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 23 SEPTEMBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS                       

ET DU JUGEMENT :                       LE 14 OCTOBRE 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov

416-482-6501

 

POUR LE DEMANDEUR

Sharon Stewart Guthrie

416-954-6402

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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