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Date :  20091016

Dossier :  IMM-3257-08

Référence :  2009 CF 1056

Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2009

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

CHARLES GÉRARD PLACIDE

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Au préalable

[1]               Entre 1986 et 2005, le demandeur fait l’objet de 44 condamnations criminelles. Le demandeur constitue un danger pour le public canadien. Dans sa décision, le délégué du Ministre souligne que les rapports sur le demandeur insistent sur son mode de vie instable, sa fréquentation de pairs criminalisés et ses valeurs délinquantes intégrées contribuant à ses comportements criminels. Pour rendre sa décision, le délégué du Ministre s’est fondé sur les éléments de preuve et les renseignements qui ont trait aux condamnations du demandeur au criminel, particulièrement celles issues de crimes perpétrés contre la personne – agression sexuelle, agression armée et harcèlement criminel, ainsi que des condamnations pour trafic de substances de l’annexe I et complot de trafic de substances.

 

[2]               La décision du délégué du Ministre est conforme aux critères énoncés à l’article 246 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR) et à la jurisprudence.

 

[3]               Suite à la plaidoirie du défendeur, la Cour est d’accord avec leur position.

 

II.  Procédure judiciaire

[4]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue par le délégué du Ministre, le 15 juillet 2008, rejetant la demande de protection du demandeur présentée en vertu du paragraphe 112(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (LIPR), en tant que personne interdite de territoire pour grande criminalité.

 

III.  Faits

[5]               Le demandeur, monsieur Charles Gérard Placide, né le 23 septembre 1962 à Port-au-Prince, en Haïti, est arrivé au Canada alors qu’il était âgé de 20 ans, à titre d’immigrant, catégorie regroupement familial.

 

[6]               Monsieur Placide a fait l’objet de 44 condamnations au criminel entre 1986 et 2005, ce qui lui a valu plusieurs mesures d’expulsion.

 

[7]               Ces condamnations au criminel concernant notamment une agression sexuelle, une agression armée, des voies de fait, plusieurs vols, possession et trafic de drogue, etc.

 

[8]               La dernière condamnation de monsieur Placide remonte en 2005 où il a été condamné à une peine d’emprisonnement de trois ans pour trafic de substances de l’annexe I (x2) et pour complot de trafic de substances de l’annexe I, contrairement au paragraphe 5(1) et à l’alinéa 5(3)a) de la Loi règlementant certaines drogues et autres substances, 1996, ch. 19, et l’alinéa 465(1)c) du Code criminel, L.R., 1985, ch. C-46 (Affidavit de Hélène Jarry, pièce « B »).

 

[9]               Le 13 juin 2006, une deuxième mesure d’expulsion a été émise à l’encontre de monsieur Placide suite à sa condamnation (Affidavit de Hélène Jarry).

 

[10]           Le 4 septembre 2007, monsieur Placide à fait une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) en vertu du paragraphe 112(3) de la LIPR.

 

[11]           Le 15 novembre 2007, l’avocate de monsieur Placide a présenté des observations pour celui-ci.

 

[12]           Le 16 novembre 2007, un agent d’ERAR rendait son évaluation concernant les risques de monsieur Placide en Haïti et mentionnait qu’elle était d’avis qu’il serait sujet à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités.

 

[13]           Le 22 novembre 2007, monsieur Placide, qui avait débuté sa peine d’emprisonnement le 22 novembre 2005, a été libéré d’office. Il a été confié à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) en vertu d’un mandat d’arrestation émis le 13 juin 2006 en vertu du paragraphe 55(1) de la LIPR (Affidavit de Hélène Jarry).

 

[14]           Le 23 novembre 2007, l’ASFC a référé le dossier de monsieur Placide à l’administration centrale pour un avis de danger en vertu du paragraphe 112(3) et l’alinéa 113d) de la LIPR (Affidavit de Hélène Jarry).

 

[15]           Le 30 novembre 2007, monsieur Placide a été libéré par la Section de l’immigration sous plusieurs conditions, dont celle de suivre une cure de six mois au Centre de désintoxication Portage (Affidavit de Hélène Jarry).

 

[16]           Le 21 décembre 2007, monsieur Placide a été refusé au Centre de désintoxication Portage et l’ASFC a demandé que la libération soit annulée (Affidavit de Hélène Jarry).

 

[17]           Le 18 janvier 2008, monsieur Placide a été libéré par la Section de l’immigration alors qu’il était détenu par l’ASFC. Cette libération a eu lieu suite à l’acceptation de monsieur Placide de demeurer dans une maison de transition du Service correctionnel du Canada (SCC) et de participer aux programmes spécifiés (Affidavit de Hélène Jarry).

 

[18]           Le 26 février 2008, l’ASFC a communiqué à monsieur Placide une copie de l’évaluation de l’ERAR, ainsi qu’une copie de l’Examen des restrictions rendu en vertu du paragraphe 112(3) de la LIPR et des documents additionnels.

 

[19]           Le 18 mars 2008, un mandat d’arrestation et de suspension de la libération d’office a été émis en vertu du paragraphe 135 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, 1992, ch. 20, à l’encontre de monsieur Placide en raison de son comportement et des problèmes d’adaptation dans les maisons de transition (Affidavit de Hélène Jarry).

 

[20]           Le 11 juin 2008, un nouveau mandat d’arrestation a été émis en vertu du paragraphe 55(1) de la LIPR à l’encontre de monsieur Placide car il est une personne interdite de territoire aux termes de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR et visée par une mesure de renvoi (Affidavit de Hélène Jarry).

 

[21]           Le 13 juin 2008, la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC) a annulé la suspension de libération de monsieur Placide (Affidavit de Hélène Jarry).

 

[22]           Le 16 juin 2008, monsieur Placide a été confié à l’ASFC et il a été placé en détention (Affidavit de Hélène Jarry).

 

[23]           Le 18 juin 2008, la Section de l’immigration a maintenu la détention de monsieur Placide (Affidavit de Hélène Jarry).

 

[24]           Le 20 juin 2008, la Section de l’immigration a ordonné la libération de monsieur Placide sous plusieurs conditions très strictes (Affidavit de Hélène Jarry).

 

[25]           Le 27 mas 2008, le 19 juin 2008 et le 30 juin 2008, l’avocate de monsieur Placide a déposé des observations additionnelles au soutien de sa demande de protection en vertu du paragraphe 112(3) de la LIPR.

 

IV.  Décision contestée

[26]           Le 15 juillet 2008, le délégué du Ministre a rejeté la demande de protection de monsieur Placide en concluant que, selon la balance des probabilités, monsieur Placide ne serait pas soumis, à son retour en Haïti, à la torture ou exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités et, de surcroît, qu’il constitue un danger actuel et futur pour la sécurité publique canadienne :

a.       Relativement aux risques de détention en Haïti, le délégué du Ministre a conclu que selon la preuve au dossier rien n’indiquait que monsieur Placide risquait la détention en Haïti;

b.      Eu égard aux risques de torture par les autorités, le délégué du Ministre a conclu que selon la preuve documentaire, la torture n’est pas utilisée par les agents du gouvernement et que les autorités permettent aux organismes internationaux d’entrer dans les prisons afin d’en contrôler les conditions et d’assister les prisonniers;

c.       En ce qui concerne l’évaluation de danger, le délégué du Ministre a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, monsieur Placide constitue un danger actuel et futur pour le public au Canada.

(Décision du délégué aux pp. 18-29-30).

 

V.  Points en litige

[27]           (1) Le délégué du Ministre avait-il à confronter monsieur Placide avec le rapport du U.S. Department of State, publié le 11 mars 2008?

(2) Le délégué du Ministre a-t-il évalué la preuve de façon déraisonnable?

 

VI.  Analyse

            Dispositions législatives applicables

[28]           L’alinéa 112(3)b) de la LIPR, prévoit que l’asile ne peut être conféré au demandeur interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada punie par un emprisonnement d’au moins deux ans :

Demande de protection

 

112.      (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

 

[...]

Restriction

 

(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :

 

 

[...]

 

b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada punie par un emprisonnement d’au moins deux ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

Application for protection

 

112.      (1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).

 

Restriction

 

(3) Refugee protection may not result from an application for protection if the person

 

 

(b) is determined to be inadmissible on grounds of serious criminality with respect to a conviction in Canada punished by a term of imprisonment of at least two years or with respect to a conviction outside Canada for an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years;

 

[29]           Dans un tel cas, l’alinéa 113d) de la LIPR indique qu’il est disposé de la demande d’ERAR sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 d’une part, et, d’autre part, compte tenu du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour la sécurité du Canada :

Examen de la demande

 

113.      Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

[...]

 

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

 

 

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

 

 

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

 

Consideration of application

 

113.      Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

 

(d) in the case of an applicant described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of the factors set out in section 97 and

 

(i) in the case of an applicant for protection who is inadmissible on grounds of serious criminality, whether they are a danger to the public in Canada, or

 

(ii) in the case of any other applicant, whether the application should be refused because of the nature and severity of acts committed by the applicant or because of the danger that the applicant constitutes to the security of Canada.

 

[30]           Cependant, suivant le paragraphe 114(1) de la LIPR, dans un tel cas, une décision positive quant à l’ERAR aurait pour effet de simplement surseoir à la mesure de renvoi visant un tel demandeur, et non de lui accorder l’asile:

Effet de la décision

 

114.      (1) La décision accordant la demande de protection a pour effet de conférer l’asile au demandeur; toutefois, elle a pour effet, s’agissant de celui visé au paragraphe 112(3), de surseoir, pour le pays ou le lieu en cause, à la mesure de renvoi le visant.

 

Effect of decision

 

114.      (1) A decision to allow the application for protection has

 

(a) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), the effect of conferring refugee protection; and

 

(b) in the case of an applicant described in subsection 112(3), the effect of staying the removal order with respect to a country or place in respect of which the applicant was determined to be in need of protection.

 

[31]           L’article 172 de la RIPR prévoit qu’avant de prendre sa décision le Ministre doit tenir compte des évaluations écrites des motifs de protection décrits à l’article 97 et des éléments de la sous-alinéa 113d)(i) de la LIPR. Ces deux évaluations sont communiquées au demandeur, qui dispose de 15 jours pour présenter ses observations écrites au délégué du Ministre. Si le Ministre conclut que le demandeur n’est pas visé à l’article 97, il n’a pas à tenir compte des éléments de la sous-alinéa 113d)(i) et il rejette la demande de protection :

Demandeur visé au paragraphe 112(3) de la Loi

 

172.      (1) Avant de prendre sa décision accueillant ou rejetant la demande de protection du demandeur visé au paragraphe 112(3) de la Loi, le ministre tient compte des évaluations visées au paragraphe (2) et de toute réplique écrite du demandeur à l’égard de ces évaluations, reçue dans les quinze jours suivant la réception de celles-ci.

 

Évaluations

 

(2) Les évaluations suivantes sont fournies au demandeur :

a) une évaluation écrite au regard des éléments mentionnés à l’article 97 de la Loi;

 

b) une évaluation écrite au regard des éléments mentionnés aux sous-alinéas 113d)(i) ou

 

 

 

[...]

 

Moment de la réception

 

(3) Les évaluations sont fournies soit par remise en personne, soit par courrier, auquel cas elles sont réputées avoir été fournies à l’expiration d’un délai de sept jours suivant leur envoi à la dernière adresse communiquée au ministère par le demandeur.

 

 

Demandeur non visé à l’article 97 de la Loi

 

(4) Malgré les paragraphes (1) à (3), si le ministre conclut, sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 de la Loi, que le demandeur n’est pas visé par cet article :

 

a) il n’est pas nécessaire de faire d’évaluation au regard des éléments mentionnés aux sous-alinéas 113d)(i) ou (ii) de la Loi;

 

b) la demande de protection est rejetée.

Applicant described in s. 112(3) of the Act

 

172.      (1) Before making a decision to allow or reject the application of an applicant described in subsection 112(3) of the Act, the Minister shall consider the assessments referred to in subsection (2) and any written response of the applicant to the assessments that is received within 15 days after the applicant is given the assessments.

 

Assessments

 

(2) The following assessments shall be given to the applicant:

(a) a written assessment on the basis of the factors set out in section 97 of the Act; and

 

 

(b) a written assessment on the basis of the factors set out in subparagraph 113(d)(i) or (ii) of the Act, as the case may be.

 

 

When assessments given

 

(3) The assessments are given to an applicant when they are given by hand to the applicant or, if sent by mail, are deemed to be given to an applicant seven days after the day on which they are sent to the last address that the applicant provided to the Department.

 

Applicant not described in s. 97 of the Act

 

(4) Despite subsections (1) to (3), if the Minister decides on the basis of the factors set out in section 97 of the Act that the applicant is not described in that section,

 

(a) no written assessment on the basis of the factors set out in subparagraph 113(d)(i) or (ii) of the Act need be made; and

 

(b) the application is rejected.

 

            La décision du délégué du Ministre eu égard aux risques du demandeur en Haïti

[32]           L’ERAR est une question relevant de l’examen des faits. La tâche du délégué du Ministre était de déterminer, compte tenu de la preuve dont il disposait, si monsieur Placide courrait un risque, à son retour en Haïti, d’être soumis à la torture ou exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. Le cas échéant, il devait aussi déterminer si monsieur Placide constituait un danger pour la sécurité du Canada et, dans l’affirmative, si cette conclusion justifiait le renvoi de monsieur Placide malgré le risque qu’il pouvait encourir (Alinéa 113d) de la LIPR).

 

[33]           Précisément, le délégué du Ministre a retenu de la preuve les éléments suivants :

a.       Il constate à la lumière de la preuve documentaire que la situation politique en Haïti s’est beaucoup stabilisée et que le pays reçoit une aide internationale importante et travaille à se rebâtir une sécurité et à améliorer ses institutions juridiques, correctionnelles et policières (Décision du délégué aux pp. 17-18).

b.      Le délégué du Ministre fait référence au rapport du U.S. Department of State publié le 6 mars 2006 (Country Reports on Human Rights Practices, 2006 U.S. Department of State, released by the Bureau of Democracy, Human Rights and Labor, March 6, 2007), sur la base duquel, l’agent d’ERAR ayant rendu l’évaluation de risques du 16 novembre 2007, avait conclu que monsieur Placide risquait la détention à son arrivée en Haïti et que cette détention vue les conditions déplorables équivaudrait à un risque de traitements ou peines cruels et inusités (Décision du délégué à la p. 18).

c.       Il note cependant que, selon le plus récent rapport du U.S. Department of State publié le 11 mars 2008, la situation décrite est différente que cette du rapport de 2007. La situation s’est en fait beaucoup améliorée. Le gouvernement peut détenir ses citoyens rapatriés pour une période de deux semaines s’ils ont un casier judiciaire en Haïti. Comme il n’y a aucune indication au dossier que monsieur Placide a un casier judiciaire en Haïti, le délégué du Ministre a mentionné ne pouvoir conclure qu’il serait alors détenu (Country Reports on Human Rights Practices, 2007, U.S. Department of State, Released by the Bureau of Democracy, Human Rights and Labor, March 11, 2008, Dossier du demandeur (DD à la p. 249);

d.      Le même rapport souligne que le gouvernement a modifié sa politique antérieure sur les détentions qui s’appliquait à tous les citoyens rapatriés qui avaient servi une peine à l’étranger. Le rapport indique que le gouvernement a changé sa politique afin de réagir à la situation du manque d’espace disponible dans ses prisons et dans ses centres de détention et aussi parce que l’IOM continue à apporter son aide au gouvernement vis-à-vis la réintégration des déportés dans la société. Compte tenu de ces changements de la politique du gouvernement haïtien, le délégué s’est dit satisfait que monsieur Placide, selon la prépondérance des probabilités, ne risquait plus la détention pour avoir déjà servi une peine à l’étranger (Country Reports on Human Rights Practices, 2007, U.S. Department of State, Released by the Bureau of Democracy, Human Rights and Labor, March 11, 2008; DD à la p. 249);

e.       Subsidiairement, il a noté que les autorités nationales avec l’aide d’organismes internationaux déploient maints efforts afin d’améliorer les conditions dans les prisons. Le rapport du U.S. Department of State, publié en mars 2008, indique que les Nations Unies, le Comité international de la Croix-Rouge, la Croix-Rouge haïtienne et des groupes intéressés aux droits de la personne s’occupent à venir en aide à ces criminels déportés qui ont déjà servi leurs peines et dont les États-Unis et d’autres pays retournent en Haïti (Décision du délégué aux pp. 18-19);

f.        Le délégué fait référence à d’autres documents selon lesquels il est mentionné que la torture n’est pas utilisée en Haïti et que les autorités permettent aux organismes internationaux d’entrer dans les prisons afin d’en contrôler les conditions et d’assister les prisonniers notant une amélioration de la situation en Haïti (Décision du délégué aux pp. 18-19).

 

[34]           Conséquemment, le délégué a conclu, selon la balance des probabilités, que monsieur Placide ne courrait pas un risque à son retour en Haïti d’être soumis à la torture ou exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitement sous peines cruels et inusités (Décision du délégué aux pp. 18-19).

 

Le délégué du Ministre n’avait pas à confronter le demandeur avec le rapport du U.S. Department of State, publié le 11 mars 2008

 

[35]           Monsieur Placide allègue que le délégué du Ministre ne lui aurait pas donné l’opportunité de commenter les conclusions fondées sur le rapport du U.S. Department of State, publié le 11 mars 2008, relativement aux risques de détention en Haïti (DD à la p. 505 aux par. 3,4 et ss.).

[36]           Le défendeur rappelle que le délégué du Ministre s’est référé aux deux rapports du U.S. Department of State, soit celui publié le 11 mars 2008 et celui publié le 6 mars 2007 (Décision du délégué à la p. 18).

 

[37]           De plus, dans ses motifs, le délégué du Ministre rappelle les conclusions de l’agent d’ERAR qui a rendu son évaluation le 16 novembre 2007 et qui avait fait référence au rapport du U.S. Department of State publié en mars 2007.

 

[38]           Selon les principes établis dans Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 C.F. 461, 161 D.L.R. (4th) 488 (C.A.), un décideur n’a aucune obligation de donner l’opportunité de commenter une preuve de source publique et accessible :

a.       L’équité n’exige pas la divulgation des documents provenant de sources publiques relativement aux conditions générales en vigueur dans un pays, s’ils étaient accessibles et s’il était possible de les consulter dans les centres de documentation au moment où le demandeur a présenté ses observations;

b.      Quant aux documents invoqués provenant de sources publiques relativement aux conditions générales en vigueur dans un pays qui étaient accessibles et qu’il était possible de consulter après que le demandeur eut déposé ses observations, l’équité exige la divulgation à condition qu’ils soient inédits et importants et qu’ils fassent état de changement survenu dans la situation du pays qui risque d’avoir une incidence sur la décision.

 

[39]           Dans la décision Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 838, 131 A.C.W.S. (3d) 1124, cette Cour a mentionné que les rapports publiés par le Département d’État américain sont à la disposition du public et sont disponibles sur Internet. La Cour a affirmé ce qui suit :

[5]        [...]

 

a)  que les documents de recherche élaborés par la CISR qui sont mis à la disposition du public dans les centres de documentation de la CISR ne sont pas des documents extrinsèques;

 

b)  que les principes de l'équité procédurale n'obligent pas l'agent d'ERAR [...] à communiquer ce genre de documents au demandeur avant de parvenir à sa décision [...]

 

[40]           Or, le rapport du U.S. Department of State dont il est question en l’espèce est le même type de document que celui mentionné dans Guzman, ci-dessus (où il s’agissait aussi d’un rapport du U.S. Department of State). Le rapport dans le présent dossier est un document publié le 11 mars 2008 qui est de source publique, accessible sur Internet et dans les centres de documentation de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR). Monsieur Placide a présenté des observations additionnelles le 27 mars 2008, le 19 juin 2008 et le 30 juin 2008 (Décision du délégué à la p. 3), donc le document lui était disponible à ce moment-là.

 

[41]           De plus, l’évaluation d’une demande d’ERAR n’implique pas un échange de points de vue entre le demandeur et le décideur (Aoutlev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 111, [2007] A.C.F. no 183 (QL)).

 

[42]           À la lumière de ce qui précède, il est clair que le délégué du Ministre n’avait pas à confronter monsieur Placide au rapport du U.S. Department of State du 11 mars 2008. Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale en l’espèce. Par conséquent, l’intervention de cette Cour n’est pas justifiée.

 

Le délégué du Ministre n’avait pas à faire mention de chaque élément de preuve

[43]           Monsieur Placide reproche au délégué du Ministre de ne pas avoir fait mention : d’une série d’articles de la journaliste, madame Caroline Touzin (DD, p. 461 et ss.), d’un affidavit de sa sœur, madame Rose-Mélanie Placide (DD, p. 145), ainsi que d’un rapport du Réseau National de défense des droits humains (RNDDH) (DD à la p. 511 aux par. 3.19).

 

[44]           Il existe une présomption voulant que le décideur ait considéré l’ensemble de la preuve avant d’en arriver à une décision (Hassan; Florea). Il est bien établi que le décideur n’est pas tenu de mentionner dans les motifs de sa décision chacun des éléments de preuve qu’il a considérés, qu’il a la faculté de ne pas en tenir compte ou de ne pas y ajouter foi (Woolaston; Hassan, ci-dessus; Zhou). De plus, il n’est pas tenu d’expliquer, pour chaque preuve produite, les raisons pour lesquelles il n’a pas accepté telle ou telle d’entre elles (Ozdemir). (Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317, 36 A.C.W.S. (3d) 635 (C.A.F.); Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL); Woolaston c. Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration), [1973] R.C.S. 102, 28 D.L.R. (3d) 489; Zhou c. Canada (Ministre de l’Emploi et Immigration) (1994), 49 A.C.W.S. (3d) 558, [1994] A.C.F. no 1087 (C.A.F.) (QL); Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331, 282 N.R. 394 au par. 9).

 

[45]           L’appréciation de la preuve et des risques est une question de fait qui relève de la compétence d’un décideur, tel que le juge Luc Martineau l’a réitéré dans l’affaire Sidhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 39, 128 A.C.W.S. (3d) 559 :

[15]      [...] Les questions de poids et de crédibilité de la preuve dans un examen des risques relèvent totalement du pouvoir discrétionnaire de l'agent ERAR et, habituellement, la Cour ne doit pas substituer son analyse à celle de l'agent (Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.S.C. 2; Ferroequus Railway Co. c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [2003] A.C.F. no 1773, au paragraphe 14, (C.A.F.) (QL); Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 974, au paragraphe 4 (1re inst.) (QL)).

 

[46]           Dans le présent cas, le délégué du Ministre fait mention dans sa décision de tous les documents produits par monsieur Placide. Les trois documents en cause dans le présent dossier sont spécifiquement mentionnés (Décision du délégué aux pp. 12-13). Cependant, comme le requiert la jurisprudence, aux fins de son analyse, le délégué s’est limité aux éléments de preuve pertinents et importants qui avaient une certaine force probante (Ozdemir, ci-dessus, au par. 10). Dans la décision Gourenko, la Cour a énoncé les trois critères qui devraient être appliqués pour trancher la question de savoir si un document est suffisamment important pour qu’il doive en être fait mention dans les motifs : le document doit être pertinent, c’est-à-dire, qu’il doit porter sur la période en cause et il doit être rédigé par un auteur indépendant de bonne réputation qui soit la source de renseignements la plus fiable. De plus, le sujet abordé dans le document doit se rapporter directement à la revendication du demandeur. (Gourenko c. Canada (Solliciteur général) (1995), 93 F.T.R. 264, 55 A.C.W.S. (3d) 806 (C.F. 1re inst.)).

[47]           L’affidavit de la sœur de monsieur Placide, madame Rose-Mélanie Placide, n’est pas un document impartial et il est basé sur une opinion personnelle. Il ne se qualifie pas conformément aux critères énoncés dans Gourenko, ci-dessus.

 

[48]           Quant aux articles de la journaliste, madame Touzin, il est clair que le délégué du Ministre en a tenu compte puisqu’il en cite certains extraits dans sa décision (Décision du délégué à la p. 12). Mais, comme la jurisprudence le lui permet, le délégué du Ministre a préféré se fier à des sources de renseignements plus probantes et fiables.

 

[49]           En ce qui concerne le rapport du RNDDH (DD à la p. 435), ce document fait état de la situation dans les prisons en Haïti mais est silencieux quant au sort des personnes criminalisées renvoyées en Haïti venant de l’étranger. Ainsi, il n’est pas pertinent pour l’évaluation du risque de retour de monsieur Placide en Haïti puisque le délégué du Ministre a conclu que monsieur Placide ne risquait pas la détention en Haïti.

 

[50]           Les notes de la décision du délégué du Ministre sont très détaillées et rencontrent les exigences de motivation telles que la Cour suprême du Canada a énoncé dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

 

 

 

 

Le demandeur n’a jamais mentionné dans ses observations qu’il serait en danger en Haïti en raison de ses problèmes de santé

 

[51]           Contrairement à ce qu’il prétend dans son mémoire, monsieur Placide n’a jamais allégué dans ses prétentions, dans la portion consacrée aux risques, que sa vie serait en danger en Haïti en raison de ses problèmes de santé.

 

[52]           Son avocate de l’époque, Me Petit, a présenté des observations le 15 novembre 2007, le 27 mars 2008, le 19 juin 2008 et le 30 juin 2008. Me Petit a fait mention des problèmes de santé de monsieur Placide mais ceci dans la partie de ses observations portant sur l’évaluation de danger que représente monsieur Placide et non sur la partie portant sur son risque de retour en Haïti (DD à la p. 172).

 

[53]           Par conséquent, c’est ce qu’a fait le délégué du Ministre : il a pris en considération l’évaluation psychologique effectuée par le Dr. Laurion lorsqu’il a analysé le danger que représente monsieur Placide. Voici ce qu’écrit le délégué du Ministre à ce sujet :

Elle indique que d’après un rapport sur l’évaluation psychologique du Docteur Laurion sur M. Placide, il ressort qu’il souffre de problèmes de santé mentale (trouble bipolaire non spécifié) ce qui a fait en sorte que M. Placide a été transféré le 5 mars 2008 à la maison de transition Martineau, spécialisée en santé mentale.

 

(Décision du délégué du Ministre à la p. 27)

 

[54]           Également, le délégué du Ministre a noté dans ses motifs que la CNLC avait indiqué, dans son rapport du 13 juin 2008, qu’un psychiatre, le Dr. Roy, avait infirmé l’hypothèse de trouble bipolaire mentionné par la psychologue, madame Sylvie Laurion (Décision du délégué du Ministre à la p. 25).

 

[55]           À la lumière de ce qui précède, comme l’état de santé de monsieur Placide n’a pas été invoqué par celui-ci dans ses observations comme étant un facteur pour lequel il serait à risque en Haïti et que ses problèmes de santé n’ont pas été confirmés par le psychiatre dont il est fait mention dans le rapport de la CNLC du 13 juin 2008, cet argument ne doit pas être considéré par cette Cour.

 

La question du changement de circonstances ne s’applique pas en l’espèce

[56]           Monsieur Placide mentionne que le rapport U.S. Department of State de 2008 était suffisant pour conclure à un changement de circonstances significatif justifiant le délégué du Ministre de renverser la décision rendue par l’agent d’ERAR le 16 novembre 2007.

 

[57]           Pour avancer cette affirmation, monsieur Placide s’appuie sur le paragraphe 114(2) de la LIPR qui permet au Ministre de révoquer un sursis au renvoi dans les cas où les circonstances ayant amené au sursis ont changé.

 

[58]           Or, l’argument ainsi formulé par monsieur Placide est mal fondé en droit et repose sur une mauvaise compréhension de la LIPR. En l’espèce :

a.       Le Ministre na pas renversé (selon les termes de monsieur Placide) la décision de l’agent d’ERAR rendue en novembre 2007. En effet, les motifs ainsi rendus par l’agent ne sont qu’une évaluation que le délégué du Ministre doit considérer dans sa décision finale, mais qui ne lie pas ce dernier;

b.      Le changement de circonstances dont il est question au paragraphe 114(2) vise les changements survenus postérieurement à toute décision finale rendue par le délégué du Ministre en vertu du paragraphe 112(3) de la LIPR;

c.       Dans le cas présent, le délégué a pris sa propre décision comme l’exige la LIPR, à la lumière de la preuve qui était devant lui au moment de sa décision.

 

[59]           Monsieur Placide tente ici de donner à l’évaluation d’ERAR rendue en novembre 2007 une valeur qu’elle n’a pas. Pour bien saisir le tout, une brève revue de l’économie de la LIPR s’impose.

 

[60]           Généralement, tout étranger sous le coup d’une mesure de renvoi ayant pris effet et qui n’est pas visé par un certificat de sécurité ou un avis de danger peut présenter une demande de protection au Ministre (LIPR au par. 112(1)). Si l’étranger, comme monsieur Placide, est visé au paragraphe 112(3) de la LIPR, l’asile ne peut lui être conféré (LIRP au par. 112(3) in limine). Sa demande, plutôt que d’être évaluée comme toute demande ordinaire sur la base des articles 96 à 98 de la LIPR, est disposée – dans un cas comme celui de monsieur Placide – sur la base des motifs de protection énoncés à l’article 97, d’une part, et du danger qu’il représente pour la sécurité du Canada ou en raison de la nature et la gravité de ses actes passés, d’autre part (LIPR, alinéa 113d)(i)).

 

[61]           Avant de prendre sa décision, le délégué du Ministre doit tenir compte des évaluations écrites des motifs de protection décrits à l’article 97 et des éléments du sous-alinéa 113d)(i) de la LIPR (RIPR au par. 172(1)). Ces deux évaluations sont communiquées au demandeur, qui dispose de 15 jours pour présenter ses observations écrites au délégué du Ministre. Si le délégué conclut que le demandeur n’est pas visé à l’article 97, il n’a pas à tenir compte des éléments du sous-alinéa 113d)(i) et il rejette la demande de protection (RIPR au par. 172(4)). Ce processus est en fait la codification de l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, 2002 CSC 1 aux par. 122-123).

 

[62]           Enfin, si le délégué du Ministre conclut au contraire que le demandeur encourrait un risque décrit à l’article 97, il évalue les éléments du sous-alinéa 113d)(i) et, le cas échéant, se livre à l’exercice de pondération visant à déterminer si la situation du demandeur est exceptionnelle au point de justifier un renvoi vers un pays qui pratique la torture (LIPR, alinéa 113d), Suresh, ci-dessus, aux par. 76-79; Charkaoui (Re), [2006] 3 R.C.F. 325, 2005 CF 1670 aux par. 12-13)).

 

[63]           Dans ce contexte, il est clair que l’agent d’ERAR qui a rendu l’évaluation du 16 novembre 2007 n’a donné rien d’autre qu’un avis ou une recommandation qui ne lie pas le délégué du Ministre. Conformément à l’article 6 de la LIPR, le Ministre n’a pas délégué à l’agent d’ERAR, mais à l’Administration centrale seulement, le pouvoir de décider d’une demande de protection visée par le paragraphe 112(3) de la LIPR (Guide de l’immigration, ch. 1L3, CIC instrument de désignation et de délégation, item 48 (Délégation – Étudier et accueillir, ou rejeter, la demande de protection (ERAR) présentée par la personne qui est interdite de territoire pour grande criminalité, estimer si ce demandeur constitue un danger pour le public au Canada. Cette délégation relève de l’Administration centrale)).

[64]           La jurisprudence oblige d’ailleurs le délégué à prendre lui-même la décision et la motiver; « ces motifs doivent émaner de l’auteur de la décision, en l’occurrence la ministre, et ne doivent pas prendre la forme d’une opinion ou d’une recommandation » (Suresh, ci-dessus, au par. 126). Bref, le processus s’apparente à celui qui a donné lieu à l’arrêt Thomson c. Canada (Sous-ministre de l’Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385, aux pages 399 à 401, la Cour jugeant que le titulaire d’un pouvoir qui reçoit une recommandation n’est pas tenu de la suivre (la jurisprudence rapporte plusieurs exemples semblables; Jaballah (Re), [2005] 1 R.C.F. 560, 2004 CAF 257 aux par. 17-22 (ERAR; obiter); Robinson c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1995), 90 F.T.R. 43, 52 A.C.W.S. (3d) 1098 au par. 23; Jennings c. Canada (Ministre de la santé) (1995), 97 F.T.R. 23, 56 A.C.W.S. (3d) 144 aux par 31-32, conf. par (1997), 211 N.R. 136, 56 A.C.W.S. (3d) 144 autor. ref. [1997] S.C.C.A. No. 319; Abdule c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 176 F.T.R. 282, 92 A.C.W.S. (3d) 578 au par. 14).

 

[65]           Autrement, le délégué du Ministre n’exercerait pas réellement le pouvoir qui lui est conféré. Il ne ferait qu’approuver administrativement les évaluations et leur donnerait force de loi.  Ce serait, en somme, donner aux agents d’ERAR un pouvoir décisionnel que le Ministre a décidé de déléguer à un autre agent de la fonction publique.

 

[66]           Dans les cas de demandeurs visés au paragraphe 112(3) de la LIPR où le délégué du Ministre en vient à la conclusion après la pondération des facteurs énumérés ci-haut qu’un demandeur ne peut être renvoyé, alors ce n’est non pas l’asile qui est conféré au demandeur, mais plutôt un sursis au renvoi vers le pays en cause (LIPR au par. 114(1)). Un tel sursis au renvoi ne peut survenir qu’après une décision finale positive du délégué du Ministre.

 

[67]           Ce n’est que suite à cette décision finale positive que le délégué du Ministre peut révoquer le sursis s’il estime que des circonstances ont changé.

 

[68]           Donc en l’espèce, il est clair que le délégué du Ministre n’a pas infirmé la décision de l’agent d’ERAR du 16 novembre 2007. Il n’est ici pas de question de changement de circonstances au sens énoncé par monsieur Placide entre la décision d’ERAR de 2007 et la décision du délégué du Ministre de 2008.

 

[69]           Il convient d’ajouter que la Cour d’appel fédérale a mentionné qu’il n’y avait aucun critère juridique distinct à appliquer dans l’examen d’une demande de statut de réfugié au sens de la Convention lorsque la situation a changé dans le pays d’origine du demandeur et que la seule question à résoudre est celle de savoir si, au moment de l’audition de la demande, le demandeur a raison de craindre d’être persécuté en cas de renvoi. Dans Yusuf c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 35 (QL), 52 A.C.W.S. (3d) 1332 (C.A.F.) :

[2]        Nous ajouterions que la question du "changement de situation" risque, semble-t-il, d'être élevée, erronément à notre avis, au rang de question de droit, alors qu'elle est, au fond, simplement une question de fait. Un changement dans la situation politique du pays d'origine du demandeur n'est pertinent que dans la mesure où il peut aider à déterminer s'il y a au moment de l'audience, une possibilité raisonnable et objectivement prévisible que le demandeur soit persécuté dans l'éventualité de son retour au pays. Il s'agit donc d'établir les faits, et il n'existe aucun "critère" juridique distinct permettant de jauger les allégations de changement de situation. L'emploi de termes comme "important", "réel" et "durable" n'est utile que si l'on garde bien à l'esprit que la seule question à résoudre, et par conséquent le seul critère à appliquer, est celle qui découle de la définition de réfugié au sens de la Convention donnée par l'art. 2 de la Loi: le demandeur du statut a-t-il actuellement raison de craindre d'être persécuté? [...] (La Cour souligne).

 

[70]           En l’espèce, conformément à la LIPR et à la jurisprudence, le délégué du Ministre a fait sa propre analyse selon la preuve qu’il avait devant lui au moment de sa prise de décision. Il s’est demandé si monsieur Placide courrait un risque en Haïti. De plus, il pouvait, à juste titre, conclure dans ses motifs que le résultat de ses recherches lui avait donné un portrait différent de celui de l’évaluation d’ERAR du 16 novembre 2007 sur la situation actuelle en Haïti (Décision du délégué du Ministre à la p. 17).

 

La décision du délégué du Ministre eu égard au danger pour le public

[71]           Monsieur Placide manifeste son désaccord à l’encontre de la conclusion du délégué du Ministre selon laquelle il présente actuellement et présentera un risque pour le public au Canada (DD à la p. 512).

 

[72]           Cette question que monsieur Placide soulève ne doit pas être considérée comme étant en litige.

 

[73]           En effet, est au cœur de la présente affaire, la conclusion du délégué du Ministre selon laquelle monsieur Placide, s’il était renvoyé en Haïti, ne ferait pas face à un risque tel que décrit à l’article 97 de la LIPR. Si le délégué du Ministre n’a pas commis d’erreur déraisonnable en concluant à l’inexistence d’un risque, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[74]           Ainsi, il importe peu que le délégué du Ministre ait commis une erreur susceptible de contrôle dans l’évaluation du danger que représente monsieur Placide. L’ERAR, qu’il soit mené selon le paragraphe 112(1) ou, comme en l’espèce, le paragraphe 112(3) de la LIPR, est de déterminer si le demandeur a besoin de la protection auxiliaire qu’offre le Canada aux étrangers qui se trouvent sur son territoire. Lorsque, comme en l’espèce, cette conclusion est défavorable à monsieur Placide, le délégué du Ministre n’est pas tenu de pondérer le risque encouru et le danger que monsieur Placide représente (Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 355, 262 F.T.R. 7 au par. 36).

 

[75]           Conséquemment, la conclusion de la Cour selon laquelle la décision n’est pas fondée sur une évaluation déraisonnable du risque conduirait inévitablement, même si l’affaire était retournée à un autre délégué pour qu’il prenne une nouvelle décision, au rejet de la demande de protection de monsieur Placide.

 

[76]           La proposition demeure valable même si, comme l’allègue monsieur Placide, la décision du délégué du Ministre était fondée sur une conclusion de risque déraisonnable. Dans une telle éventualité, la décision serait annulée et le deuxième décideur devrait reprendre le processus décisionnel. S’il concluait également à l’inexistence d’un risque, la demande de protection pourrait purement et simplement être rejetée et l’évaluation du danger et l’exercice de pondération que commande l’alinéa 113d) de la LIPR n’auraient pas à être complétés.

 

[77]           Ce n’est que si le deuxième délégué concluait à l’existence d’un risque qu’il devrait ensuite le pondérer avec le danger que représente monsieur Placide et déterminer s’il est à ce point important qu’il supplante le besoin individuel de monsieur Placide d’être protégé au sens de l’arrêt Suresh, ci-dessus. Vraisemblablement, le deuxième décideur ne pourrait compléter cet exercice sans une preuve mise à jour sur le danger que représenterait alors monsieur Placide. Toute erreur – à supposer qu’une erreur ait été commise – pourrait être corrigée à ce moment et les questions que soulève monsieur Placide à cet égard reposeraient sur des bases factuelles adéquates. Autrement, le débat devant la Cour reposera sur des abstractions et des hypothèses.

 

[78]           La conclusion selon laquelle monsieur Placide constitue un danger pour le public au Canada est raisonnable.

 

[79]           Tout d’abord, le délégué a indiqué que « danger pour le public » a été interprété comme signifiant un danger présent ou futur pour le public, le tout en conformité avec la jurisprudence de cette Cour. Il cite d’ailleurs l’affaire Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 2 C.F. 646, 70 A.C.W.S. (3d) 885 (C.A.) dans sa décision (Décision du délégué du Ministre aux pp. 28-28).

 

[80]           De plus, contrairement à l’affirmation de monsieur Placide dans son mémoire, le délégué a pris en considération les observations de l’avocate de monsieur Placide, les documents du SCC et de la CNLC.

 

[81]           Le délégué note qu’entre 1986 et 2005, monsieur Placide a fait l’objet de 44 condamnations au criminel. Le rapport sur le profil criminel du SCC du 29 mai 2006 indique :

a.       Que monsieur Placide faisait partie d’une organisation criminelle fonctionnait sensiblement de la même façon qu’un gang de rue;

b.      Que son dossier comporte plusieurs crimes de violence, dont une agression sexuelle contre une jeune fille de 15 ans, une agression armée et voies de fait;

c.       La toxicomanie, en mode de vie instable, la fréquentation de pairs criminalisés et des valeurs délinquantes contribuent aux comportements criminels de monsieur Placide;

d.      Sa fiche de manquement à la discipline est bien garnie, il ne comptabilise pas moins de 50 manquements, dont certains, pour langage menaçant ou violence physique;

e.       La Commission a par conséquent refusé la mise en liberté de monsieur Placide.

(Rapport du SCC, 27 octobre 2006; DD aux pp. 114-115).

 

[82]           Le 21 septembre 2007, la CNLC indiquait ce qui suit dans son rapport :

a.       Que le sujet a tendance à se déresponsabiliser et à minimiser ses comportements excessifs et criminels;

b.      La remise en question de monsieur Placide est pauvre et qu’il a besoin d’un encadrement serré;

c.       Monsieur Placide a été admis au programme de surveillance intensive de façon à lui permettre un retour dans la collectivité;

d.      La Commission indique qu’en raison de son ordonnance d’expulsion émise contre lui, il sera pris en charge par Citoyenneté et Immigration Canada;

e.       La Commission a ordonné une libération d’office avec certaines conditions spéciales directement liées aux facteurs contributifs de sa criminalité.

(DD aux pp. 120-121).

 

[83]           Rappelons que monsieur Placide, qui a été libéré le 18 janvier 2008, a accepté d’être envoyé en milieu transitionnel à la demande de la Section d’immigration. Cependant, le 18 mars 2008, une suspension de la libération de monsieur Placide avait été ordonnée en raison de son comportement et de ses problèmes d’adaptation dans les maisons de transition.

 

[84]           Le 13 juin 2008, la CNLC a rencontré monsieur Placide en audience et le rapport mentionnait ce qui suit :

a.       Le 18 janvier 2008, la CISR ordonnait la libération du sujet sous réserve de conditions spéciales, notamment qu’il se présente de façon volontaire au Centre résidentiel communautaire (CRC) Prosper – Boulanger (PB) et d’y suivre le programme;

b.      Le rapport souligne que monsieur Placide fait partie d’une organisation criminelle fonctionnant sensiblement de la même façon qu’un gang de rue conventionnel;

c.       Le 22 janvier 2008, monsieur Placide est arrivé au centre CRC PB le 22 janvier 2008. Le 29 janvier 2008, il a plutôt été dirigé vers le Centre correctionnel de Sherbrooke en raison de la présence d’un complice au CRC PB. À la suite d’une évaluation psychologique qui laissait entendre un problème de santé mentale, il a été dirigé vers le CCC Martineau le 4 mars 2008 (DD aux pp. 120-121);

d.      Dès son arrivée, des signes de désorganisation ont été constatés, soit des retards chroniques, difficultés avec ses pairs et confrontation quotidiennes;

e.       Sa participation au programme de toxicomanie a été limitée à trois séances seulement;

f.        Le 18 mars 2008, un mandat de suspension de la libération de monsieur Placide a été émis;

g.       Le 5 juin 2008, le psychiatre du centre Martineau n’a pas confirmé la bipolarité non spécifié. Il a par ailleurs diagnostiqué un abus de substance en rémission et des troubles de personnalité limités. Considérant ces diagnostiques, il n’a pas été jugé pertinent que monsieur Placide séjourne davantage au Centre Martineau;

h.       Le rapport souligne que malgré les interventions à différents centres, monsieur Placide n’a apporté aucun changement. Il continue à se justifier sans admettre ses torts;

i.         La Commission est d’avis que la suspension de sa libération d’office était justifiée compte tenu de son comportement et de son attitude, il devenait difficile, voire impossible, de le surveiller;

j.        Le comportement depuis le retour de monsieur Placide au pénitencier s’est amélioré. Monsieur Placide n’a pas récidivé. Par conséquent, la libération de monsieur Placide a été ordonnée.

 

[85]           L’article 246 du RIPR précise les critères qui doivent être pris en considération afin de déterminer si une personne constitue un danger pour le public. Ces critères sont notamment : le fait qu’une personne ait été déclarée coupable d’une infraction d’ordre sexuel, d’une infraction commise avec violence ou des armes ou bien encore de trafic de drogues :

Danger pour le public

 

246. Pour l’application de l’alinéa 244b), les critères sont les suivants :

 

a) le fait que l’intéressé constitue, de l’avis du ministre aux termes de l’alinéa 101(2)b), des sous-alinéas 113d)(i) ou (ii) ou des alinéas 115(2)a) ou b) de la Loi, un danger pour le public au Canada ou pour la sécurité du Canada;

 

 

b) l’association à une organisation criminelle au sens du paragraphe 121(2) de la Loi;

 

 

c) le fait de s’être livré au passage de clandestins ou le trafic de personnes;

 

d) la déclaration de culpabilité au Canada, en vertu d’une loi fédérale, quant à l’une des infractions suivantes :

 

(i) infraction d’ordre sexuel,

 

(ii) infraction commise avec violence ou des armes;

 

e) la déclaration de culpabilité au Canada quant à une infraction visée à l’une des dispositions suivantes de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances:

 

(i) article 5 (trafic),

 

 

(ii) article 6 (importation et exportation),

 

(iii) article 7 (production);

 

[...]

Danger to the public

 

246. For the purposes of paragraph 244(b), the factors are the following:

 

(a) the fact that the person constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada or a danger to the security of Canada under paragraph 101(2)(b), subparagraph 113(d)(i) or (ii) or paragraph 115(2)(a) or (b) of the Act;

 

(b) association with a criminal organization within the meaning of subsection 121(2) of the Act;

 

(c) engagement in people smuggling or trafficking in persons;

 

(d) conviction in Canada under an Act of Parliament for

 

 

 

(i) a sexual offence, or

 

 

(ii) an offence involving violence or weapons;

 

(e) conviction for an offence in Canada under any of the following provisions of the Controlled Drugs and Substances Act, namely,

 

 

 

(i) section 5 (trafficking),

 

(ii) section 6 (importing and exporting), and

 

 

(iii) section 7 (production);

 

 

[86]           À la lumière des informations contenues dans ces rapports, le délégué du Ministre pouvait, à juste titre, conclure que monsieur Placide constitue un danger pour le public canadien. Dans sa décision, le délégué du Ministre souligne que les rapports sur monsieur Placide insistent sur son mode de vie instable, sa fréquentation de pairs criminalisés et ses valeurs délinquantes intégrées contribuant à ses comportements criminels. Pour rendre sa décision, le délégué de Ministre s’est fondé sur les éléments de preuve et les renseignements qui ont trait aux condamnations de monsieur Placide au criminel, particulièrement celles issues de crimes perpétrés contre la personne – agression sexuelle, agression armée et harcèlement criminel, ainsi que des condamnations pour trafic de substances de l’annexe I et complot de trafic de substances.

 

[87]           La décision du délégué du Ministre est conforme aux critères énoncés à l’article 246 du RIPR et à la jurisprudence.

 

[88]           De plus, le 18 janvier 2008, monsieur Placide avait été libéré par la Section de l’immigration sous la condition qu’il accepte de demeurer dans une maison de transition du SCC et de participer aux programmes spécifiés. Cependant, le 18 mars 2008, un mandat d’arrestation et de suspension de la libération d’office a été émis en raison du comportement de monsieur Placide et des problèmes d’adaptation dans les maisons de transition (Affidavit de Hélène Jarry).

 

[89]           La dernière libération de monsieur Placide ne remonte qu’au 20 juin 2008 et la décision du délégué du Ministre du 15 juillet 2008. Vu le long historique de criminalité et de troubles de comportements de monsieur Placide, la période de moins d’un mois entre sa dernière libération et la décision du délégué était trop courte afin de permettre au délégué de constater une amélioration dans le comportement de monsieur Placide.

 

[90]           De plus, comme le note le délégué du Ministre dans sa décision, ce n’est qu’en milieu pénitentiaire qu’une amélioration avait été remarquée. Le comportement de monsieur Placide, lors de son passage dans tous les autres centres, avait été caractérisé par l’instabilité et la violence.

 

[91]           Bref, le délégué du Ministre a examiné l’ensemble de la preuve, mais, comme la jurisprudence le lui permet, il n’a retenu que les éléments qui étaient pertinents (Stelco Inc. c. British Columbia Steel Canada Inc., [2000] 3 C.F. 282, 95 A.C.W.S. (3d) 656 (C.A.) au par 24).

[92]           S’il est tout à fait compréhensible que monsieur Placide ne partage le point de vue du Ministre, il ne s’ensuit pas pour autant que l’évaluation de la preuve soit déraisonnable, c’est-à-dire, qu’elle ne puisse se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 au par. 47).

 

VII.  Conclusion

[93]           Compte tenu de tout ce qui précède, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que

1.         La demande de contrôle judiciaire du demandeur soit rejetée;

2.         Aucune question grave de portée générale ne soit certifiée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3257-08

 

INTITULÉ :                                       CHARLES GÉRARD PLACIDE

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 6 octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 16 octobre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Marie-Hélène Giroux

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Claudia Gagnon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MONTEROSSO GIROUX s.e.n.c.

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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