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Federal Court

 

Cour fédérale

 


Date : 20091013

Dossier : IMM-1069-09

Référence : 2009 CF 1024

Ottawa (Ontario), le 13 octobre 2009

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

ZYMRYTE CUNI

et TIGRAN CUNI

 

demandeurs

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le 28 juin 2008 est une journée qui restera gravée dans la mémoire de Zymryte Cuni. Il s’agit de la dernière journée où elle a vu son époux. Il s’agit de la journée au cours de laquelle elle et son jeune fils Tigran sont arrivés au Canada. Ils ont présenté une demande d’asile. Le conjoint de Mme Cuni devait venir les rejoindre, mais il a été détenu en Angleterre et n’a jamais pu se rendre ici. Se fiant à des informations inexactes, elle a retiré sa demande d’asile afin de tenter d’être réunie avec son conjoint. Cependant, elle n’a pas pu quitter le Canada, parce qu’elle n’avait pas de documents de voyage. Elle a tenté d’obtenir le rétablissement de sa demande, lequel a été rejeté par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.

 

LES FAITS

[2]               La demanderesse et son conjoint sont originaires du Kosovo, une partie de l’ancienne République de Yougoslavie qui a déclaré son indépendance en 2008.

 

[3]               La famille s’envolait vers Toronto, en provenance de Londres. Ils étaient gardés séparément, puisque Mme Cuni et son fils s’étaient envolés avec des faux passeports allemands. L’identité des documents utilisés par son conjoint n’est pas connue. De toute façon, il a été refusé à Londres, et il se cacherait en Albanie en ce moment.

 

[4]               Selon la preuve de Mme Cuni dont la SPR était saisie, et qui n’a été contredite d’aucune façon, cela lui a pris quelque temps afin de retrouver son conjoint. Elle voulait qu’ils soient réunis.

 

[5]               Elle est allée aux bureaux de la SPR à Toronto, et on l’a informé qu’elle devait retirer sa demande d’asile afin de quitter le pays. C’est ce qu’elle a fait. Peut-être a-t-elle pensé qu’elle serait alors renvoyée du Canada et que les autorités canadiennes obtiendraient les documents de voyage pour elle. Cependant, les autorités n’ont fait aucun effort en vue de la renvoyer. Le dossier ne contient pas d’informations au sujet des efforts qu’elle a faits afin d’obtenir des documents de voyage avec l’aide du Canada, où directement du Kosovo, ou des Nations unies.

 

 

[6]               Réalisant qu’elle n’était pas dans une situation qui lui permettait de rejoindre son conjoint, elle a demandé le rétablissement de sa demande d’asile. Ce n’est qu’à ce stade qu’elle a pu bénéficier des services d’un conseiller juridique.

 

LE DROIT

[7]               La présente affaire est régie par l’article 53 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, qui prévoit que la Section « accueille la demande soit sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle, soit s’il est par ailleurs dans l’intérêt de la justice de le faire ».

 

[8]               L’essentiel de la décision de la SPR se trouve dans la phrase suivante : « Les arguments présentés par le conseil concernant la demande ne font état d’aucun manquement à un principe de justice naturelle. Les demandeurs d’asile ont retiré volontairement leurs demandes d’asile. Le fait que les demandeurs d’asile n’aient pas comparu en audience n’équivaut pas à un manquement à la justice naturelle dans les circonstances. À cet égard, le bien‑fondé de la demande d’asile, qui n’a pas été évalué, n’est pas pertinent. »

 

[9]               Les renseignements donnés à Mme Cuni par un employé des bureaux de la SPR situés sur la rue Victoria à Toronto étaient incorrects. Elle n’avait pas besoin de retirer sa demande d’asile afin de quitter le pays. Son problème était que sans les documents de voyage nécessaires, aucune compagnie aérienne ne l’aurait acceptée. Si elle avait eu un passeport valide, elle aurait pu quitter le pays sans avoir à en aviser la SPR, ce qui aurait conduit à la conclusion qu’elle avait abandonné sa demande.

 

[10]           La SPR a manqué le bateau. La demanderesse a été induite en erreur par la SPR, et il est dans l’intérêt de la justice que la présente demande soit renvoyée pour nouvelle décision et rétablissement.

 

[11]           Il n’importe pas que l’employé au kiosque de l’immeuble de la rue Victoria agissait sans aucun doute de bonne foi et qu’elle n’était pas en situation d’autorité. Comment Mme Cuni pouvait‑elle s’en douter? Les manuels d’instructions énoncent clairement qu’un demandeur agit habituellement en croyant qu’elle interagit avec l’État.

 

[12]           Quelques décisions portent sur cette situation. Les deux auxquelles le défendeur fait référence dépendent des faits qui leur sont propres, et ne sont d’aucune assistance (Sathasivam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 438, et Ohanyan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1078).

 

[13]           C’est un fait indéniable que chacun d’entre nous compose avec des bureaucrates sur une base quotidienne, et que nous nous fions aux renseignements que l’on nous fournit. Dans certains cas, comme celui-ci, l’on reçoit des informations incorrectes, sur lesquelles nous nous fondons pour agir. Dans MacKenzie c. Canada (Procureur général), 2007 CF 481, 2007 A.C.F. no 645, 311 FTR 157, j’ai eu la possibilité de traiter d’une déclaration inexacte faite par négligence.

 

[14]           La décision de la Chambre des Lords dans Hedley Byrne & Co. Ltd. c. Heller & Partners Ltd., [1964] A.C. 465, qui a ses partisans au Canada, établit qu’une déclaration erronée faite par négligence, même honnête, donne naissance à une action en dommages-intérêts pour perte financière, indépendamment de toute relation contractuelle ou fiduciaire, puisque la loi impose un devoir de diligence lorsqu’une personne cherche à obtenir de l’information auprès d’une autre personne et que cette dernière possède une aptitude particulière, et qu’elle croit que cette dernière fera preuve de diligence, et que cette personne savait ou aurait dû savoir que l’on se fiait sur cette aptitude ou ce jugement. Même s’il ne s’agit pas d’une action en responsabilité, le même principe fondamental s’applique.  

 

[15]           La relation entre une personne qui était, en quelque sorte, apatride et les autorités de l’endroit où elle se trouve est, ou devrait être, spéciale. Dans Lloyds Bank c. Bundy, [1975] 1 Q.B. 326, Sir Eric Sachs a abordé la question des relations spéciales, plus précisément les relations de confiance, qui peuvent découler de circonstances inhabituelles et variables. Il avait estimé qu’il n’était ni possible, ni souhaitable, de tenter de tracer une ligne de démarcation autour de cette relation. Il a dit ce qui suit, à la page 341 :

[traduction]

Les cas semblables surgissent en général lorsqu'une personne se fie aux indications ou aux conseils d'une autre, que cette autre personne le sait et qu'elle en profite pour obtenir ou pour chercher à obtenir un avantage de l'opération ou lorsqu'elle a d'une autre manière intérêt à ce que l'opération soit conclue.

 

[…]

 

Le mot « confidentialité », un mot relativement peu employé, est ici adopté, encore qu'avec quelque hésitation, afin d'éviter la confusion qui peut résulter de l'emploi du mot « confiance ». Le fait de s'en rapporter à un conseil peut dans de nombreux cas comporter ce genre de confiance, laquelle n'entraîne qu'une obligation de common law, l'obligation de prudence -- une obligation qui peut coexister, mais non coïncider, avec celle de prudence fiduciaire.

 

 

[16]           Mme Cuni s’est fiée au conseil qu’on lui a donné. Elle avait des raisons de croire que ces renseignements étaient corrects, et a agi comme on lui a suggéré, à son détriment. Il est dans l’intérêt de la justice qu’une personne ne soit pas induite en erreur en raison d’un conseil erroné que lui a donné un employé de la SPR.

 

[17]           Même si je ne suis pas saisi de cette question, je me permets d’affirmer que la question humaine en l’espèce, par opposition à la question juridique, est la réunion de la famille. Si Mme Cuni préférait rejoindre son conjoint en Albanie, ou n’importe où, ne devrait-on pas l’assister? Si elle quitte le Canada, elle est maintenant avisée qu’elle abandonnera par le fait même sa demande d’asile.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande contrôle judiciaire soit accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre décideur, qui devra trancher celle-ci en fonction des motifs précisés. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1069-09

 

INTITULÉ :                                       CUNI et al c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 6 octobre 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             le 13 octobre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

J. Norris Ormston

 

POUR LES DEMANDEURS

Margherita Braccio

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ormston, Bellissimo, Rotenberg

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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