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Federal Court

 

Cour fédérale

 

Date : 20091006

Dossier : T­768­08

Référence : 2009 CF 1009

Ottawa (Ontario), le 6 octobre 2009

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA AU NOM DE LA

GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

demandeur

 

et

 

ALI TAHMOURPOUR

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

[1]               M. Ali Tahmourpour a été accepté dans la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) en tant que cadet. Il a commencé sa formation à l’École de la gendarmerie (le Dépôt) à Regina, en Saskatchewan, le 12 juillet 1999. Son contrat de cadet a été résilié par la GRC le 20 octobre 1999, avant que M. Tahmourpour ait terminé son programme de formation, et la GRC a décidé qu’il ne serait pas réadmis dans le programme de formation.

[2]               M. Tahmourpour a présenté une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne. Il affirme avoir été victime de discrimination et avoir été harcelé par la GRC pendant le programme de formation et il soutient que les décisions de la GRC de résilier son contrat de formation et d’empêcher sa réadmission constituaient des actes discriminatoires fondés sur son origine nationale ou ethnique ou sur sa religion en violation des articles 7 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H­6 (la Loi). Ces articles sont ainsi rédigés :

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

 

 

 

 

 

14. (1) Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu :

a) lors de la fourniture de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public;

b) lors de la fourniture de locaux commerciaux ou de logements;

 

c) en matière d’emploi.

 

 

 

 

(2) Pour l’application du paragraphe (1) et sans qu’en soit limitée la portée générale, le harcèlement sexuel est réputé être un harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite.

 

 7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

 

 

 

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

 

14. (1) It is a discriminatory practice,

 

 

 

(a) in the provision of goods, services, facilities or accommodation customarily available to the general public,

(b) in the provision of commercial premises or residential accommodation, or

(c) in matters related to employment,

to harass an individual on a prohibited ground of discrimination.

(2) Without limiting the generality of subsection (1), sexual harassment shall, for the purposes of that subsection, be deemed to be harassment on a prohibited ground of discrimination.

 

 

[3]               La plainte a été renvoyée au Tribunal canadien des droits de la personne, et l’audience a commencé le 13 août 2007 et a duré 20 jours. Dans la décision Tahmourpour c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2008 TCDP 10, le Tribunal a accueilli la plainte et a rendu de nombreuses ordonnances réparatoires.

 

[4]               La GRC soutient que le Tribunal a commis des erreurs de droit et que sa décision était déraisonnable. Elle demande que la décision soit infirmée. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que le Tribunal a commis des erreurs de droit et que des parties de sa décision étaient déraisonnables; par conséquent, la décision telle que rendue doit être infirmée.

 

[5]               Le demandeur a demandé que l’intitulé soit modifié pour que le demandeur soit le Procureur général du Canada. Le défendeur a accepté et, dans le présent jugement, il sera ordonné que l’intitulé soit modifié de la façon proposée.

 

 

 

Le contexte

[6]               M. Tahmourpour est un musulman né en Iran. Il est venu au Canada lorsqu’il était adolescent. Il affirme avec insistance avoir toujours voulu devenir policier. Il a eu sa chance à 26 ans lorsqu’il a été accepté en tant que cadet dans le programme de formation de la GRC.

 

[7]               La formation des cadets de la GRC dure 22 semaines et elle a lieu au Dépôt. Chaque cadet signe un contrat de formation et reçoit un guide et d’autres documents décrivant la procédure d’évaluation applicable. Le contrat de formation des cadets renferme des dispositions particulières concernant la résiliation du contrat et dispose, dans la partie pertinente, que le contrat peut être résilié si le cadet [traduction] « ne respecte pas les normes de rendement ». Il prévoit également que le cadet doit respecter toutes les exigences de formation prévues dans le guide de formation des cadets afin de pouvoir continuer le programme de formation.

 

[8]               La procédure d’évaluation mentionne que chaque cadet est évalué selon le modèle de résolution de problèmes établi par la GRC, soit le CAPRA. Les cadets sont évalués dans cinq domaines principaux de compétence, connus sous le nom de CAPRA, un acronyme voulant dire ce qui suit :

[traduction]

C         comprendre les Clients et leurs besoins;

A         Acquérir et Analyser des renseignements;

P          établir et maintenir un Partenariat visant la résolution de problèmes;

R          appliquer des stratégies de Réponse pour résoudre les problèmes et pour prévenir ou gérer les incidents;

A         s’Auto­évaluer et examiner les résultats des mesures prises par le cadet pour continuer de s’améliorer.

 

[9]               Il y a cinq catégories de cote :

[traduction]

P – Professionnel

S – Supérieur

AR – Amélioration requise

I – Insatisfaisant

S/O – Sans objet

 

 

 

[10]           Le cadet échoue sa formation s’il reçoit deux cotes I dans une même compétence pendant une période d’évaluation sans qu’il y ait eu d’amélioration ou bien deux cotes I dans l’ensemble des éléments CAPRA ou au sein d’un même élément CAPRA. Si un cadet reçoit deux cotes I dans une même compétence et qu’il a été recommandé que son contrat soit résilié, le dossier du cadet est examiné avant de procéder à la résiliation.

 

[11]           M. Tahmourpour était un membre de la troupe 4 au Dépôt. Parmi ses instructeurs, les acteurs clés de sa plainte, il y avait le sergent Hébert, l’instructeur de conditionnement physique, le caporal Boyer, l’un des instructeurs d’armes à feu, et les caporaux Bradley et Jacques, tous deux instructeurs de Sciences policières appliquées.

 

[12]           M. Tahmourpour est arrivé au Dépôt en juillet 1999. Les pièces déposées lors de l’audience révèlent que les rétroactions écrites suivantes lui ont été remises en plus des rétroactions verbales données pendant la formation :

 

Le 30 juillet 1999

Caporal Jacques – Examen d’armes à feu fait à la demande de M. Tahmourpour

 

Août 1999

Superviseur inconnu – Rétroaction sur les techniques de présentation efficaces

 

Le 20 août 1999

Superviseur inconnu – Inspection du pistolet échouée – Pistolet sale – Cote AR donnée pour armes à feu. [traduction] « Si le pistolet est nettoyé adéquatement, la cote AR sera enlevée après inspection. »

 

Le 25 août 1999

Caporal Henry – Tactique de défense – Cote AR donnée

 

Le 26 août 1999

Caporal Boyer – Inspection du pistolet – Pistolet propre, cote AR pour armes à feu enlevée

 

Le 26 août 1999

Caporal Boyer – Cote AR pour armes à feu – [traduction] « N’a pas réussi à obtenir le score minimum. »

 

Le 26 août 1999

Superviseur inconnu – Entraînement aux armes à feu – Cote AR – Problèmes de maniement, de chargement ainsi que de connaissance de l’état du fusil – [traduction] « Les inspecteurs le superviseront sur le champ de tir pendant plusieurs autres pratiques avant d’enlever la cote AR. »

 

Le 1er septembre 1999

Caporal Jacques – Cote AR pour armes à feu – N’a pas réussi à obtenir le score minimum le troisième jour

 

Le 8 septembre 1999

Les caporaux Bradley et Jacques – Feuille d’évaluation du rendement du cadet – 12 cotes AR – Principaux domaines où il y a difficultés : aptitudes en communication et capacité de prendre des décisions. L’équipe des Sciences policières appliquées et le cadet Tahmourpour doivent se réunir de nouveau dans un mois afin de [traduction] « discuter de l’évolution de la situation »

 

Le 9 septembre 1999

Caporal Boyer – Cote I – Pistolet sale – [traduction] « Le pistolet du Cadet TAHMOURPOUR a été inspecté aujourd’hui et il était sale. Il a reçu une cote AR le 1999-8-20 pour la même raison. » [Même si le présent rapport a été écrit et signé par le caporal Jacques et même si le caporal Boyer a déclaré qu’il ne se souvenait pas de l’incident ou du rapport, le Tribunal a accepté le témoignage de M. Tahmourpour selon lequel l’inspection avait eu lieu et une infraction lui avait été donnée par le caporal Boyer.]

 

Le 9 septembre 1999

Caporal Boyer – Armes à feu – Cote AR – Faible compétence en maniement et en chargement de pistolet ainsi qu’en connaissances en matière de pistolet

 

Le 9 septembre 1999

Caporal Jacques – Cote AR pour armes à feu – N’a pas réussi à utiliser le fusil de chasse de façon compétente

 

Le 10 septembre 1999

Caporal Halstead – A fourni une formation de rattrapage individualisée en armes à feu

 

Le 14 septembre 1999

Caporal Jacques – A fourni une formation de rattrapage quant à la cote AR reçue le 9 septembre 1999 pour l’utilisation du fusil de chasse

 

Le 20 septembre 1999

Examen par les pairs – La majorité de ses pairs lui ont donné la cote I ou AR pour son rendement quant à ses compétences en leadership, en initiatives et en communication.

 

Le 22 septembre 1999

Caporal Jacques – 7 cotes AR données pour l’accompagnement de prisonniers et l’exercice portant sur les véhicules suspects

 

Le 24 septembre 1999

Caporal Jacques – Signé plus tard par la caporale Bradley le 28 septembre 1999 – 10 cotes AR données dans le cadre de la visite de détachement de mi­formation de la troupe. [traduction] « Même si la présente visite est censée être une expérience d’apprentissage, le rendement du cadet Tahmourpour a été estimé être en­dessous de la moyenne, et il a fallu cerner les domaines où il doit y avoir amélioration. Le cadet a déjà reçu un document de rétroaction (daté du 1999-09-08) qui faisait état de problèmes dans des domaines semblables, mais la présente visite de détachement a également soulevé des doutes quant à la compétence du cadet dans le domaine de la Réponse ».

 

Le 28 septembre 1999

Caporal Jacques – A donné une cote I lors de l’inspection du pistolet – [traduction] « Résidus trouvés dans le canon au­dessus de la glissière. L’endroit a été montré au cadet Tahmourpour. Le cadet a déjà reçu une cote U pour la même chose le 1999-09-09. Il s’agissait de la deuxième inspection de pistolet visant à écarter la première cote I. Les autres inspections (il en reste trois) seront également effectuées. »

 

Le 28 septembre 1999

Caporal Jacques – A donné une cote AR pour l’examen d’incident et l’autoévaluation. – La cote concerne la cote AR donnée ci­dessus pour l’inspection du pistolet. [traduction] « La présente rétroaction témoigne de l’incapacité du cadet TAHMOURPOUR à trouver les raisons expliquant ses problèmes de rendement, et il n’a apparemment pas demandé d’aide afin d’avoir une arme à feu propre. On lui a donné des conseils, mais il semble les avoir ignorés. »

 

Le 28 septembre 1999

Caporal Halstead – Cote AR donnée en maniement d’armes à feu en ce qui concerne le chargement et le déchargement d’un fusil de chasse.

 

 

[13]           Dans une note de service du 30 septembre 1999, le caporal Boyer a recommandé à son superviseur, le sergent Guay, que le dossier de M. Tahmourpour soit examiné et que son contrat soit résilié. Cette recommandation était fondée sur le fait que M. Tahmourpour avait reçu deux cotes I dans une même compétence, à savoir le nettoyage de son pistolet. Dans une longue note de service qui accompagnait cette recommandation, le caporal Boyer a décrit de façon assez détaillée les problèmes que M. Tahmourpour avait eus en matière de formation en armes à feu.

 

[14]           Comme le prévoit la procédure, la note de service et la recommandation du caporal Boyer ont été envoyées aux facilitateurs de la Troupe 4, soit aux caporaux Bradley et Jacques, pour qu’ils examinent le dossier de M. Tahmourpour. En première page de ces documents se trouvait une note de service sur laquelle on pouvait lire, entre autres : [traduction] « Il est clair que le cadet a fait face à des problèmes qui peuvent gêner sa capacité à effectuer le travail de policier d’une façon sécuritaire et efficace. »

 

[15]           Le 1er octobre 1999, les caporaux Bradley et Jacques ont rédigé le rapport de progrès de M. Tahmourpour portant sur la période s’échelonnant du 12 juillet 1999 au 1er octobre 1999. Ils ont noté qu’il y avait eu une recommandation de résiliation de contrat et qu’elle était à l’étude. Ils ont noté le rendement de M. Tahmourpour depuis le début de sa formation. M. Tahmourpour a reçu la cote I en armes à feu. Il a reçu 18 cotes AR en éthique, professionnalisme et intégrité; en définition de problèmes; en aptitude en communication; en connaissance de la loi, des politiques et des procédures; en obtention de renseignements; en gestion de dossiers; en conduite de fouilles; en travail d’équipe et facilitation; en consultation, négociation et résolution de conflits; en coopération interagences et multidisciplinaire; en planification et coordination; en gestion des incidents et des risques; en sécurité du public et de la police; en prise de décisions; en garde, traitement, arrestation et libération de suspects et de prisonniers; en conduite de véhicules; en planification de surveillance et d’urgence et en examen d’incident et autoévaluation. Il a reçu sept cotes P en habillement, propreté et tenue; en souci du service à la clientèle; en enquête sur les lieux d’un crime et obtention d’éléments de preuve; en prévention du crime et solutions de rechange aux stratégies d’application de la loi et en forme physique et style de vie. Il a reçu deux cotes S/O en témoignage en cour et en manœuvres et opérations tactiques. Pour établir qu’il avait bien reçu le rapport, M. Tahmourpour l’a signé le 7 octobre 1999.

 

[16]           Le 7 octobre 1999, les caporaux Bradley et Jacques ont terminé l’examen du dossier. Ils ont recommandé que le contrat du cadet soit résilié et ils ont résumé le fondement de leurs recommandations de la façon suivante :

[traduction]

12.       Du 1999-09-22 au 1999-09-24, la Troupe 4 a participé à sa visite de détachement de mi­formation. Le cadet Tahmourpour a participé à deux scénarios lors desquels il a reçu de la rétroaction de la part de deux superviseurs. Il devrait être noté que pour qu’un cadet reçoive de la rétroaction lors de la visite de détachement de mi­formation, le rendement du cadet doit avoir été bien en deçà des attentes à cette étape de la formation, parce que la visite de détachement sert au développement des cadets et on s’attend à ce que les cadets fassent des erreurs. Les caporaux Joyce et Jacques ont remarqué que le cadet Tahmourpour avait de grandes difficultés dans les domaines de l’aptitude en communication, de gestion de dossiers, de l’exécution de fouilles, de planification et coordination, de gestion des incidents et des risques, de la sécurité du public et de la police, de prise de décisions, de garde et traitement des prisonniers, de conduite de véhicules et d’examen d’incident et autoévaluation. Plusieurs de ces domaines étaient les mêmes qui avaient été portés à l’attention du cadet Tahmourpour lors de la réunion du 1999-09-10.

 

13.       Le 1999-09-10, la Troupe 4 a fait l’objet d’une inspection par son agent responsable de la formation des cadets et il a été noté qu’il y avait plusieurs problèmes dans le compartiment du cadet Tahmourpour. Comparé aux autres membres de sa troupe, le cadet Tahmourpour était bien en­dessous de la moyenne. Il doit être noté qu’il ne s’agissait pas d’une inspection surprise, mais plutôt d’une inspection prévue pour laquelle les cadets s’étaient préparés.

 

14.       Le 1999-10-07, le cadet Tahmourpour a eu une réunion avec son chef d’équipe des Sciences policières appliquées afin de discuter de la recommandation de résiliation de contrat et de son rapport de progrès de mi­formation. On lui a remis un résumé de l’évaluation faite par ses pairs à ce moment­là. La très grande majorité des camarades de troupe du cadet Tahmourpour ont noté qu’il fallait qu’il améliore les compétences suivantes : participer au leadership; faire preuve d’initiative et avoir de bonnes aptitudes en communication. Les commentaires révélaient entre autres que le cadet Tahmourpour n’était pas compétent en matière d’organisation personnelle et de planification et qu’il fallait qu’il soit plus sûr de lui. Selon ses pairs, bien que le cadet Tahmourpour ait besoin d’aide, il n’accepte pas d’être aidé. Plusieurs réserves concernant la sécurité des agents et du public ont été formulées en raison de son manque de compétences. Une copie du résumé de l’évaluation par les pairs et du rapport de progrès de mi­formation sont jointes au présent document pour que vous puissiez le consulter.

 

15.       Le 1999-10-17, le cadet Tahmourpour a reçu la cote AR en armes à feu lors du jalon no 2. À ce jour, il n’a réussi aucun jalon en armes à feu.

 

16.       La date d’agenda mensuelle prévue pour la rétroaction donnée au cadet Tahmourpour le 1999-09-10 est le 1999-10-08. Étant donné que demain nous serons le 1999-10-08, nous donnons au cadet Tahmourpour un nombre de cotes I établissant qu’il n’a pas été capable de s’améliorer dans les domaines qui avaient fait l’objet de discussions un mois plus tôt. Il recevra une cote I en aptitude à la communication, en planification et coordination, en gestion des incidents et des risques, en prise de décisions et en examen d’incidents et autoévaluation. Il s’agit des domaines dans lesquels il avait reçu des cotes AR lors de la visite de détachement, lesquelles faisaient état des mêmes réserves que celles mentionnées par l’équipe des Sciences policières appliquées deux semaines plus tôt, lors de la réunion du 1999-09-10.

 

17.       En résumé, un examen du dossier de formation du cadet Tahmourpour à ce jour révèle deux cotes I et six cotes AR en armes à feu, une cote AR en conduite de véhicules (reçue à la suite de la visite de détachement de mi­formation), 12 cotes AR en Sciences policières appliquées réparties dans chaque élément CAPRA et cinq cotes I en Sciences policières appliquées concernant quatre des cinq éléments CAPRA. Selon la méthode d’évaluation des cadets qui leur est fournie dans la trousse de bienvenue, [traduction] « [l]e contrat sera résilié au premier rapport de progrès si le cadet obtient : a) soit deux cotes I dans une même compétence pendant une même période d’évaluation sans qu’il y ait eu d’amélioration (comme c’est le cas en armes à feu); b) soit deux cotes I dans l’ensemble des éléments CAPRA ou au sein d’un même élément CAPRA » (comme c’est le cas en Sciences policières appliquées où le cadet Tahmourpour a obtenu cinq cotes I, dont deux concernaient l’élément Réponse). La rétroaction formelle obtenue des instructeurs des Sciences policières appliquées, du groupe de la formation au tir et des pairs font mention des mêmes difficultés concernant le cadet Tahmourpour, en particulier son aptitude à la communication et à l’écoute, ses compétences en planification et en coordination ainsi qu’en prise de décisions. Ces difficultés font également douter de sa compétence en gestion des incidents et des risques, et cela a été observé lors de la visite de détachement de mi­formation. La rétroaction informelle donnée par des facilitateurs en technique de défense policière et en conditionnement physique (qui a été communiquée avec le cadet Tahmourpour) a révélé les mêmes problèmes. Cependant, le problème le plus important de tous est son apparente incapacité à apprendre de ses erreurs passées et à s’améliorer. C’est ce qui constitue le cœur du problème en ce qui concerne son pistolet sale. Il semble être incapable d’apprendre de ses erreurs passées et il continue de […] [texte manquant].

 

18.       Selon les renseignements fournis et les lignes directrices de la Méthode d’évaluation des cadets, nous recommandons que le contrat de formation du cadet Tahmourpour soit résilié.

 

 

[17]           Dans ce rapport, les caporaux Bradley et Jacques mentionnent également que, le jour suivant (le 8 octobre 1999), M. Tahmourpour recevrait un rapport de suivi après un mois tel que celui qui lui avait été donné le 10 septembre 1999 et que ce rapport renfermerait un certain nombre de cotes I parce que M. Tahmourpour n’avait pas été capable de s’améliorer dans les domaines dont il avait été question dans cette évaluation. En particulier, en ce qui concerne cette évaluation de suivi, les caporaux Bradley et Jacques ont noté ce qui suit :

[traduction]

Il recevra une cote I en aptitude à la communication, en planification et coordination, en gestion des incidents et des risques, en prise de décisions et en examen d’incidents et autoévaluation. Il s’agit des domaines dans lesquels il avait reçu des cotes AR lors de la visite de détachement, lesquelles faisaient état des mêmes doutes que ceux mentionnées par l’équipe des Sciences policières appliquées deux semaines plus tôt, lors de la réunion du 1999-09-10.

 

 

[18]           L’évaluation de suivi est datée du 8 octobre 1999 et révèle que M. Tahmourpour l’a reçue le jour même. Les caporaux Bradley et Jacques ont écrit ce qui suit :

[traduction]

Du 1999-09-22 au 1999-09-24, le cadet Tahmourpour a participé à la visite de détachement de mi­formation. Il a reçu un certain nombre de cotes AR par suite de son rendement dans trois des quatre scénarios auxquels il a participé. De nombreux domaines pour lesquels le cadet Tahmourpour devait s’améliorer étaient les mêmes domaines qui avaient été portés à son attention le 1999-09-10. Étant donné que le cadet Tahmourpour n’a pas été capable de montrer quelque amélioration que ce soit, nous lui donnons la cote I dans les domaines mentionnés. La correspondance antérieure rédigée dans le cadre de la visite de détachement (datée du 1999-09-24) et la correspondance du 1999‑09‑10 mentionnent les incidents particuliers. Le cadet Tahmourpour a des copies de ces documents.

 

Même si le cadet Tahmourpour semble travailler fort pour surmonter ses difficultés, aucune réelle amélioration n’a été [illisible]. Par conséquent, aucune des cotes AR précédentes n’ont été enlevées, et, dans certains domaines, les cotes ont été abaissées à la cote I. Le vrai problème dans la présente situation est que le cadet Tahmourpour semble être incapable d’apprendre de ses erreurs et d’améliorer son rendement malgré la rétroaction individuelle donnée par les facilitateurs lors de la visite de détachement de mi­formation et lors des scénarios.

 

En outre, le cadet Tahmourpour a encore un faible rendement en armes à feu. Il n’a pas réussi le deuxième jalon. Le caporal Jacques a constaté que le cadet Tahmourpour, en plus de ses difficultés au tir, semblait confus au champ de tir, et il a mentionné que le cadet, après une séance au champ de tir (le 1999‑10‑05), lui avait dit ce qui suit : [traduction] « Je suis fatigué et je ne me sens vraiment pas bien. » Ce type de commentaire a déjà été formulé par le cadet Tahmourpour à plusieurs occasions dans le passé lors des formations sur les armes à feu, lors des cours de Science policières appliquées ou lors du conditionnement physique.

 

Une recommandation de résiliation du contrat de M. Tahmourpour et un examen de son dossier sont en cours. Aucune autre recommandation ne sera faite jusqu’à ce que le processus de recommandation et d’examen soit terminé.

 

 

[19]           M. Tahmourpour a rédigé et présenté une réponse à la note de service des caporaux Jacques et Bradley qui recommandent la résiliation de son contrat. Dans sa réponse, il a également répondu à des points soulevés lors de la première évaluation des caporaux Jacques et Bradley qu’il avait reçue le 10 septembre 1999. Sa réponse est datée du 10 octobre 1999, mais le dossier révèle qu’elle n’a été présentée que quelques jours plus tard. Le 12 octobre 1999, les caporaux Bradley et Jacques ont rédigé une note de service dans laquelle ils mentionnaient qu’aucune réponse n’avait encore été reçue de M. Tahmourpour malgré le fait que, lorsqu’il avait reçu son évaluation, on lui avait dit qu’il avait le week­end pour préparer sa réponse et qu’il devait la remettre au sergent Hébert avant 8 h le mardi 12 octobre 1999. Le caporal Jacques a parlé à M. Tahmourpour qui lui a dit qu’il avait rédigé quelque chose mais qu’il n’avait rien soumis. [traduction] « Il a affirmé qu’il ne savait pas qu’il devait la remettre à la première heure et qu’il ne se souvenait pas qu’on lui avait demandé de la remettre avant 8 h. » En raison de l’incapacité de M. Tahmourpour de comprendre les instructions qu’on lui avait données en ce qui concerne sa réponse, une cote I lui a été donnée en aptitude en communication; il s’agissait de sa deuxième cote I dans ce domaine. Les agents ont remarqué que [traduction] « c’est un exemple précis d’un domaine qui avait été mentionné comme constituant un problème et auquel on lui avait demandé d’accorder une attention particulière. Son aptitude à écouter est inacceptable, et le fait qu’il n’ait pas compris la directive qui lui avait été donnée dans [une] situation pouvant avoir de si graves conséquences pour lui en constitue un exemple. »

 

[20]           Après avoir pris la décision de résilier le contrat, la GRC, suivant la procédure, s’est penchée sur la question de savoir si elle devait permettre à M. Tahmourpour d’être réadmis dans le programme de formation des cadets. Dans une note de service datée du 23 décembre 1999, le sergent Champigny a recommandé que M. Tahmourpour ne puisse pas être réadmis. Il a écrit ce qui suit :

[traduction]

Pendant le processus de résiliation de son contrat, le cadet Tahmourpour a commencé à présenter des symptômes physiques qui semblaient être liés au stress. À deux occasions, ses camarades de troupe ont dû l’amener au Centre de services médicaux parce qu’il souffrait des symptômes suivants : vomissements, tremblements, hyperventilation et discours incohérent. Il semblait être coupé de son environnement et était incapable d’interagir avec les gens autour de lui. Avant son départ, on était préoccupé par son état d’esprit. Les facilitateurs ont consulté les psychologues de la division F qui ont décrit son comportement comme étant celui d’une personne ayant des [traduction] « idées suicidaires passives ». La réaction du cadet Tahmourpour à la résiliation de son contrat a été extrême, au point où il a été incapable de fonctionner normalement.

 

Une autre discussion avec M. Roy a révélé qu’il doutait de la capacité du cadet Tahmourpour à faire face à des situations difficiles et exigeantes. M. Roy ne recommanderait pas la réadmission de ce cadet.

 


RECOMMANDATION :

 

Si le cadet Tahmourpour souhaitait être réadmis dans le programme de formation des cadets, la Division du recrutement ne devrait PAS prendre sa candidature en considération pour réadmission.

 

 

Le document renferme une note selon laquelle il avait été [traduction] « lu attentivement et paraphé par M. Garry L. Bell, responsable par intérim de la formation des cadets, division du Dépôt, qui fait le commentaire suivant : "Je souscris à la recommandation du gestionnaire de carrière." »

 

La plainte

[21]           Le 21 mars 2001, 18 mois après la résiliation de son contrat de cadet, M. Tahmourpour a présenté une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne, dans laquelle il alléguait que la GRC avait agi de façon discriminatoire à son endroit et l’avait harcelé sur le fondement de sa religion ou de son origine nationale ou ethnique.

 

[22]           Dans sa plainte, M. Tahmourpour allègue que la GRC a commis les actes discriminatoires et le harcèlement suivants :

a.       Lors du premier jour de conditionnement physique, il a conclu une entente confidentielle avec le sergent Hébert selon laquelle il pouvait porter son pendentif religieux, ce qui lui a été permis; cependant, le sergent Hébert a annoncé à la classe, [traduction] « sur un ton hostile et condescendant », que, à titre d’exception à la règle générale interdisant le port de bijoux lors des cours de conditionnement physique, M. Tahmourpour pouvait porter son « bijou religieux ».

b.      Ses chefs de troupe, les caporaux Jacques et Bradley, ont affirmé qu’ils avaient de la difficulté à comprendre l’anglais de M. Tahmourpour, ce qui était selon lui sans fondement et visait ses antécédents ethniques et raciaux. M. Tahmourpour a été ciblé et traité différemment des autres cadets parce que les caporaux Bradley et Jacques le faisaient régulièrement sortir du cours pour critiquer ses caractéristiques personnelles, telles que sa manière de s’exprimer « sans élever » la voix et sa façon de se comporter. Pendant un cours, la caporale Bradley a ri de lui parce qu’il parlait sans élever la voix et a montré un film et des [traduction] « horribles photographies » d’officiers tués en service. Elle a affirmé que l’un d’eux avait l’habitude de parler sans élever la voix et que c’est ce qui avait causé sa mort.

c.       Le caporal Boyer était souvent hostile et tenait des propos injurieux à son égard lors des formations sur les armes à feu. À une occasion, alors que M. Tahmourpour avait signé son nom en écriture persane, le caporal Boyer a dit : [traduction] « Quelle sorte de putain de langue est-ce que c’est, ou est-ce que c’est quelque chose que tu as inventé ? » Le caporal Boyer savait que son comportement était offensant et il a mentionné devant la troupe qu’il était « politiquement incorrect » et que, peu importe qui le savait ou s’y opposait, cela lui était égal. Lorsque M. Tahmourpour a communiqué pour la première fois avec sa superviseure, la caporale Joyce, cette dernière a dit : [traduction] « Tu n’es donc pas né au Canada, tu es né à l’étranger. »

d.      Ces actes discriminatoires ont eu des répercussions sur l’évaluation de son rendement effectuée par les instructeurs. En particulier, le 9 septembre 1999, le caporal Boyer lui a donné la cote inacceptable en ce qui concerne la propreté de son pistolet, malgré que son pistolet ait été propre. Lorsque M. Tahmourpour a contesté l’évaluation, le caporal Boyer est devenu « hostile ».

e.       Le 10 septembre 1999, les caporaux Bradley et Jacques ont discuté avec M. Tahmourpour de son évaluation du rendement. Il a été [traduction] « retenu pendant plus d’une heure et on l’a injurié de manière violente et hostile ».

f.        Le 28 septembre 1999, le caporal Jacques a inspecté le pistolet de M. Tahmourpour et a affirmé qu’il n’était pas nettoyé adéquatement. Lorsque M. Tahmourpour a contesté l’évaluation, le caporal Jacques a admis que l’évaluation était peut­être erronée. On a permis à M. Tahmourpour d’utiliser son pistolet au champ de tir, mais, par la suite, les caporaux Jacques et Bradley l’ont amené à l’écart et lui ont dit que le pistolet n’avait pas été nettoyé de façon adéquate. Le caporal Boyer a donc commencé la procédure d’examen de dossier qui a mené à la résiliation du contrat de M. Tahmourpour.

 

La formulation, par le Tribunal, des allégations

[23]           Le Tribunal, après avoir pris connaissance de la preuve, a résumé les allégations de discrimination et de harcèlement de M. Tahmourpour en cinq volets de la façon suivante :

a.       M. Tahmourpour a fait l’objet de commentaires discriminatoires, de traitement hostile et de violence verbale de la part de ses instructeurs au Dépôt;

b.      le rendement de M. Tahmourpour au Dépôt n’a pas été évalué correctement;

c.       le contrat de formation de M. Tahmourpour a été résilié sur le fondement de faux prétextes;

d.      M. Tahmourpour a été désigné à tort comme étant inadmissible à la réadmission au programme de formation des cadets au Dépôt;

e.       M. Tahmourpour a été victime de harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite alors qu’il était au Dépôt.

 

Les conclusions du Tribunal

[24]           Le Tribunal a tiré des conclusions de fait précises en ce qui concerne chacune des allégations reformulées.

 

A) Les commentaires discriminatoires, le traitement hostile et la violence verbale

[25]           Le Tribunal a conclu que M. Tahmourpour avait fait l’objet de commentaires discriminatoires, de traitement hostile et de violence verbale de la part de ses instructeurs au Dépôt.  En particulier, il a conclu que :

a)                   le code vestimentaire et les règles d’hygiène de la GRC ainsi que le commentaire formulé par le sergent Hébert devant la Troupe 4, selon lequel le plaignant avait le droit de porter son pendentif religieux lors des cours d’éducation physique, constituaient une différence de traitement défavorable fondée sur la religion de M. Tahmourpour;

b)                  en formulant une remarque désobligeante au sujet de la signature de M. Tahmourpour en écriture persane, soit de droite à gauche, le caporal Boyer a exercé de la discrimination contre M. Tahmourpour sur le fondement de son origine ethnique ou nationale;

c)                   en se montrant particulièrement violent verbalement et hostile à l’égard de M.  Tahmourpour, le caporal Boyer a traité M. Tahmourpour de manière différente et défavorable du fait de sa race, de sa religion ou bien de son origine ethnique ou nationale.

 

B) L’évaluation discriminatoire du rendement

[26]           Le Tribunal a conclu que l’évaluation du rendement de M. Tahmourpour a été faite, en partie, sur le fondement de motifs illicites de discrimination. En particulier, il a conclu que :

a)                   bien que l’évaluation de la GRC se trouvant dans le document d’évaluation daté du 8 septembre 1999 et portant sur ses lacunes en communication reflétait fidèlement le rendement de M. Tahmourpour, le traitement discriminatoire dont il était victime au Dépôt constituait un facteur expliquant ses difficultés à développer et à montrer des aptitudes acceptables en communication;

b)                  la mention qui se trouve dans le document d’évaluation du 8 septembre 1999, selon laquelle M. Tahmourpour n’avait pas participé à un exercice portant sur le vaporisateur de poivre de Cayenne le 26 août 1999, n’était pas exacte, étant donné que la preuve vidéo montrait qu’il avait participé à l’exercice et qu’il s’était conduit de façon appropriée;

c)                   des parties du document d’évaluation du 8 septembre 1999 ont été rédigées ce jour­là, mais que des ajouts ont été faits les 9 et 10 septembre 1999 et que des parties sont erronées ou bien ont été inventées en réponse à l’altercation survenue le 9 septembre 1999 entre le caporal Boyer et M. Tahmourpour, qui avait alors contesté l’évaluation du caporal Boyer, selon laquelle le pistolet de M. Tahmourpour était sale;

d)                  M. Tahmourpour n’avait pas immédiatement reçu d’évaluation verbale de son rendement, contrairement à la pratique d’usage au Dépôt;

e)                   la race, la religion ou bien l’origine nationale ou ethnique de M. Tahmourpour a constitué un facteur lors de l’évaluation de la propreté du pistolet de M. Tahmourpour faite par le caporal Boyer les 9 et 28 septembre 1999.

 

C) La résiliation discriminatoire du contrat

[27]           Le Tribunal a conclu que la décision de résilier le contrat de M. Tahmourpour était fondée sur des évaluations discriminatoires des habiletés de M. Tahmourpour et sur une évaluation de son rendement effectuée alors qu’il n’avait pas eu une occasion équivalente à celle des autres cadets de développer et de montrer ses habiletés et ses capacités au Dépôt.

 

D) La décision discriminatoire d’empêcher la réadmission de M. Tahmourpour

[28]           Le Tribunal a conclu que la décision d’empêcher M. Tahmourpour d’être réadmis dans le programme de formation avait été prise sur le fondement d’un avis médical donné sans avoir rencontré M. Tahmourpour et que les facilitateurs avaient joué un rôle actif pour faire en sorte que M. Tahmourpour ne puisse pas être réadmis au dépôt, et ce, en partie sur le fondement de sa race, de sa religion ou bien de son origine ethnique ou nationale.

E) Le harcèlement

[29]           Le Tribunal a conclu que M. Tahmourpour n’avait pas fait l’objet de harcèlement sur la base d’un motif de distinction illicite.

 

L’ordonnance réparatoire

[30]           Le Tribunal a ordonné ce qui suit comme réparation aux actes discriminatoires exercés par la GRC :

a)      La GRC devait offrir à M. Tahmourpour l’occasion d’être réadmis dans le programme de formation des cadets et son programme aurait été fondé sur une évaluation équitable des domaines où il a besoin de formation;

b)      M. Tahmourpour devait être indemnisé pour le salaire et les avantages sociaux qu’il aurait touché pour les deux premières années plus douze semaines de travail en tant que policier de la GRC après l’obtention du diplôme au Dépôt; l’indemnité serait diminuée de 8 %;

c)      jusqu’à ce que M. Tahmourpour rejette ou accepte une offre lui permettant de réintégrer le programme de formation, il doit lui être versé la différence entre le salaire moyen pour un travail à temps plein sur le marché du travail au Canada pour les personnes de son âge et le salaire qu’il aurait reçu en tant que policier de la GRC;

d)      M. Tahmourpour recevra le salaire moyen pour les heures supplémentaires payés aux autres agents diplômés du Dépôt en 1999; l’indemnité sera diminuée de 8 %;

e)      toute indemnité doit tenir compte d’une promotion au rang de caporal après 7 ans;

f)        M. Tahmourpour recevra à titre d’indemnité 9 000 $ pour le préjudice moral causé par les actes discriminatoires commis par la GRC;

g)      M. Tahmourpour recevra à titre d’indemnité spéciale 12 000 $ en vertu du paragraphe 53(3) de la Loi;

h)      M. Tahmourpour recevra à titre d’indemnité 9 500 $ pour les dépenses engagées pour atténuer ses pertes;

i)        le remboursement des intérêts et des frais juridiques engagés.

 

Les questions en litige

[31]           En l’espèce, le demandeur a soulevé un certain nombre de questions que j’ai regroupées et reformulées comme suit :

a.       Les critères utilisés par le Tribunal pour tirer sa conclusion de discrimination directe. Le Tribunal a­t­il commis une erreur en appliquant le mauvais critère relatif à la discrimination directe lorsqu’il a conclu que le sergent Hébert avait fait preuve de discrimination directe?

b.      La preuve d’expert. Le Tribunal a­t­il commis une erreur de droit en ne permettant pas à la GRC de déposer une preuve d’expert portant sur le taux d’attrition des minorités visibles au Dépôt? Le Tribunal a­t­il commis une erreur de droit en se fondant sur des données statistiques qui se trouvaient dans le rapport de l’expert du défendeur, lequel rapport ne fait que répéter les données qui se trouvaient dans le rapport du demandeur qui n’avait pas été accepté en preuve?

c.       L’omission de tenir compte d’éléments de preuve. Le Tribunal a­t­il commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve pertinents ou en interprétant de façon erronée la preuve lorsqu’il a tiré sa conclusion selon laquelle le caporal Boyer avait fait preuve de discrimination directe?

d.      Les ordonnances de réparation. Le Tribunal a­t­il commis une erreur en concluant qu’il y avait une forte possibilité que la discrimination avait causé la perte d’une occasion de formation, ou a‑t‑il commis une erreur dans son évaluation des chances de succès de M. Tahmourpour ou dans le calcul de l’indemnisation financière?

 

Analyse

[32]           Le demandeur reconnaît que les normes de contrôle applicables à la présente demande sont celles qui ont été établies par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau­Brunswick, 2008 CSC 9, soit, d’une part, la raisonnabilité en ce qui concerne les conclusions de fait et, d’autre part, la décision correcte en ce qui concerne les questions de droit. Le défendeur soutient que les questions de droit peuvent également être contrôlées selon la norme de raisonnabilité si elles sont liées au domaine d’expertise du décideur et ne portent pas sur un élément de première importance du régime juridique. À mon avis, la norme de preuve applicable lorsque l’on allègue une erreur de droit est la raisonnabilité.

 

[33]           Le contrôle d’une décision selon la norme de raisonnabilité ne donne pas le droit à la Cour de révision de se demander quelle aurait été la bonne décision. La Cour suprême l’a clairement établi dans l’arrêt Barreau du Nouveau­Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, paragraphe 50, où elle a écrit ce qui suit :

La norme de la décision raisonnable donne effet à l’intention du législateur de confier à un organisme spécialisé la responsabilité principale de trancher la question selon son propre processus et ses propres raisons. La norme de la décision raisonnable n’implique pas que l’instance décisionnelle dispose simplement d’une « marge d’erreur » par rapport à ce que la cour estime être la solution correcte.

 

[34]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a statué que, lorsque la norme applicable est la raisonnabilité, il existe un éventail d’issues possibles et que le tribunal chargé du contrôle devrait faire preuve de retenue à l’égard du rôle du décideur en tant que délégué du Parlement. La décision devrait être annulée uniquement si elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables au regard de la preuve.  Par conséquent, lorsqu’elle contrôle la raisonnabilité d’une décision, la Cour se penche sur l’intelligibilité, la transparence et la justification du processus décisionnel : Dunsmuir, paragraphe 47. 

 

[35]           J’en suis venu à la conclusion que le Tribunal avait commis des erreurs de droit et que certaines de ses conclusions étaient déraisonnables. La décision sera infirmée.

 

(i) Les critères utilisés par le Tribunal pour tirer sa conclusion de discrimination directe

[36]           Les cadets ont reçu la directive d’enlever tous bijoux et montres pendant le cours de conditionnement physique, sauf les bracelets d’alerte médicale. M. Tahmourpour portait un pendentif religieux et il a expliqué au sergent Hébert, l’instructeur de conditionnement physique, qu’il ne souhaitait pas l’enlever. Le sergent Hébert lui a dit qu’il pouvait le garder. M. Tahmourpour a dit qu’il avait demandé au sergent Hébert de ne pas parler de son pendentif religieux, car il ne voulait pas être traité différemment du fait de sa religion. Il a déclaré dans son témoignage que, contrairement à ce qu’il avait demandé, le sergent Hébert a annoncé à toute la classe au début de l’entraînement [traduction] « [qu’]aucun bijou ne peut être porté durant le conditionnement physique, sauf pour Ali ici présent, qui a le droit de porter son pendentif religieux ». M. Tahmourpour affirme que le sergent Hébert a formulé ce commentaire d’une « voix forte et sur un ton sarcastique et condescendant, tout en roulant les yeux en direction de M.  Tahmourpour ». M. Tahmourpour a affirmé dans son témoignage que, pendant plusieurs jours après cet incident, ses camarades de troupe lui ont posé des questions sur sa religion et lui ont demandé pourquoi il portait un pendentif.

 

[37]           Le sergent Hébert a affirmé dans son témoignage qu’il avait l’habitude de demander aux cadets s’il y avait quelqu’un qui devait porter un bracelet d’alerte médicale ou un article religieux. Il a annoncé à l’ensemble de la troupe que M. Tahmourpour pouvait porter son pendentif religieux parce qu’il s’agissait d’une exception à la règle générale interdisant le port de bijoux; cependant, le sergent Hébert a affirmé qu’il n’avait pas fait cette annonce de la façon ni sur le ton de voix alléguée par M. Tahmourpour. Il a affirmé que, s’il avait parlé fort lors de l’annonce, c’était pour être entendu parce que la troupe se trouvait dans le gymnase.

 

[38]           Le sergent Hébert a affirmé qu’il avait dit à l’ensemble de la troupe que M. Tahmourpour avait le droit de porter son pendentif afin d’éviter que tout cadet [traduction] « fasse du tort à M. Tahmourpour », parce que, si un cadet ne respecte pas le code vestimentaire, ce cadet et parfois l’ensemble de la troupe reçoivent une punition et sont obligés de faire des tractions afin qu’ils se souviennent que les règles doivent être respectées. Le sergent Hébert a également affirmé dans son témoignage que, dans le passé, il avait agi de la même façon avec d’autres personnes qui portaient des bijoux religieux. Il a affirmé qu’il ne se souvenait pas que M. Tahmourpour lui ait demandé que l’entente conclue quant au port du pendentif soit gardée confidentielle et que s’il y avait eu une telle entente seul le guide de droite (un cadet responsable de veiller à ce que la troupe respecte le code vestimentaire lors des cours) aurait été informé que M. Tahmourpour avait le droit de porter son pendentif, sinon le guide de droite aurait obligé M. Tahmourpour à l’enlever.

 

[39]           Le Tribunal a accepté le témoignage du sergent Hébert selon lequel l’annonce a été faite publiquement à la classe, mais sur un ton neutre et non de la façon décrite par M. Tahmourpour. Néanmoins, le Tribunal a conclu que l’annonce constituait une discrimination. Son raisonnement se lit comme suit :

[…] M. Tahmourpour s’est senti visé comme étant différent du reste de la troupe en raison de sa religion.

 

[...] [L]’impression qu’a ressentie M. Tahmourpour d’avoir été ciblé comme étant différent me suffit pour conclure que, bien que non intentionnel, l’effet de la politique de la GRC relativement au code vestimentaire et aux règles d’hygiène ainsi que la mention faite par le sergent Hébert du pendentif religieux de M. Tahmourpour constituait un acte discriminatoire contre M. Tahmourpour fondé sur sa religion. Cette allégation [selon laquelle la mention du sergent Hébert faite devant la classe avait défavorisé M. Tahmourpour] est par conséquent fondée selon la prépondérance des probabilités.

 

[40]           Le demandeur soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en statuant que le fait que le plaignant ait eu l’impression qu’il y a eu différence de traitement justifiait une conclusion selon laquelle il y avait eu discrimination, ou, comme la Loi le définit, différence de traitement défavorable envers M. Tahmourpour sur le fondement de sa religion.

 

[41]           Une conclusion de discrimination doit être fondée sur plus que la propre impression du plaignant d’avoir été étiqueté comme étant différent. Autrement, il n’y aurait nul besoin d’instruire les plaintes : chaque plainte serait fondée parce que tous les plaignants ont l’impression d’avoir été traités différemment sur le fondement d’un ou plusieurs motifs illicites de discrimination.

 

[42]           Le Tribunal a commis une erreur en omettant de se poser la bonne question : la simple annonce devant la classe que M. Tahmourpour avait le droit de porter son pendentif religieux constituait­elle de la discrimination envers M. Tahmourpour sur le fondement de sa religion?

 

[43]           La Loi interdit expressément les « actes discriminatoires ». L’article 7 de la Loi dispose que, si elle est fondée sur un motif de distinction illicite, la différence de traitement défavorable constitue un acte discriminatoire. Par conséquent, la discrimination est plus qu’une simple différence de traitement : il s’agit d’une différence de traitement défavorable.

 

[44]           Que veut dire « différence de traitement défavorable »? La « différence de traitement » est un terme dont le sens ordinaire est la distinction dans la façon d’agir à l’égard de personnes. « Défavorable » est un adjectif dont le sens ordinaire est préjudiciable, dommageable ou mauvais. À mon avis, « différence de traitement défavorable » s’entend d’une distinction entre des personnes ou des groupes de personnes, laquelle distinction est préjudiciable ou dommageable à une personne ou à un groupe de personnes. La « différence de traitement défavorable » peut également, à mon avis, vouloir dire une distinction qui est faite ou mentionnée d’une façon hostile, lorsque c’est la façon dont la distinction est faite qui cause un préjudice ou un dommage. Pour qu’il s’agisse d’une différence de traitement défavorable interdite par le régime législatif en matière de droits de la personne, la distinction, ou l’exercice de cette distinction, doit être fondée sur l’un des motifs illicites de discrimination prévus dans la Loi.

 

[45]           Cette définition du terme s’inscrit dans l’analyse du terme « discrimination » effectuée dans l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, page 174, où le juge McIntyre a affirmé ce qui suit :

J’affirmerais alors que la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d’un individu ou d’un groupe d’individus, qui a pour effet d’imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres membres de la société.

 

[46]           Les exemples suivants illustrent le critère. La déclaration d’un entraîneur selon laquelle « Jack est Noir » fait devant une équipe de hockey composée de 15 Blancs et de Jack, le seul joueur noir, sert à faire une distinction entre Jack et les autres joueurs. Il s’agit d’une différence de traitement. Mais il ne s’agit pas d’une différence de traitement défavorable à moins que le simple fait de faire cette déclaration ait pour effet d’imposer des fardeaux ou des désavantages à Jack ou de lui empêcher l’accès à des possibilités ou à des avantages. Cependant, la même déclaration faite de façon humiliante après que Jack eut raté un but – comme si l’on voulait dire : À quoi peut­on s’attendre d’autre étant donné ses origines? – constitue une différence de traitement défavorable, car la distinction a été faite d’une façon hostile qui perpétue ou sous­entend un stéréotype et qui cause un préjudice ou un dommage à Jack.

 

[47]           En l’espèce, l’annonce faite à la troupe, selon laquelle M. Tahmourpour avait le droit de porter son pendentif religieux, a servi à établir une distinction entre lui et les autres personnes de la troupe. Cependant, cette seule annonce a simplement confirmé la différence de traitement que M. Tahmourpour lui­même avait demandée. C’est M. Tahmourpour qui a demandé d’être traité différemment – en ayant le droit de porter le pendentif – des autres cadets. Il est vrai que l’annonce a fait réaliser à l’ensemble des cadets, qui n’auraient peut­être pas remarqué le pendentif, qu’il y avait une différence. Cependant, rien ne donne à penser que la GRC ou les instructeurs de M. Tahmourpour l’ont traité différemment des autres cadets dans les cours de conditionnement physique ou lui ont imposé quelque fardeau que ce soit qui n’était pas imposé à la troupe ou aux autres cadets. En fait, des éléments de preuve ont établi que le sergent Hébert agissait habituellement ainsi lorsqu’il avait de telles demandes.

 

[48]           Il est tout aussi important de mentionner que rien ne donne à penser que la façon dont la déclaration a été faite était hostile ou bien humiliante pour M. Tahmourpour. Le témoignage de M. Tahmourpour, selon lequel ce commentaire avait été formulé d’une voix forte et sur un ton sarcastique et condescendant, tout en roulant les yeux, n’a pas été accepté par le Tribunal. 

 

[49]           La seule conséquence de la déclaration a été mentionnée par M. Tahmourpour dans son témoignage selon lequel ses camarades cadets l’avaient dévisagé pendant la déclaration et que pendant les deux jours suivants des cadets lui avaient posé des questions. Son témoignage précis se lit comme suit :

[traduction]

Tout le monde me regardait. Tout le monde me dévisageait. J’ai dû – je ne suis pas une personne particulièrement religieuse, mais pendant les deux jours suivants, j’ai dû répondre à des questions concernant mes pratiques religieuses. Pourquoi je – juste des questions de toutes sortes posées par mes camarades de troupe qui étaient curieux. Pourquoi est­ce que je dois porter le pendentif? Est­ce que – quelles sont mes croyances religieuses? C’était une situation très, très inconfortable.

 

[50]           Rien ne donnait à penser, et aucune conclusion n’a été tirée à cet égard, que la [traduction] « situation […] inconfortable » de M. Tahmourpour constituait un fardeau, une obligation ou un désavantage tel que décrit par le juge McIntyre. En outre, il n’y avait absolument aucune preuve que la façon dont l’annonce avait été faite avait eu quelque conséquence que ce soit sur la relation de M. Tahmourpour avec ses camarades cadets ou ses instructeurs ou bien sur son rendement en tant que cadet. En résumé, il n’y avait aucun fondement valable en droit sur lequel le Tribunal pouvait se baser pour raisonnablement conclure que l’annonce faite par le sergent Hébert constituait une différence de traitement défavorable ou une discrimination en matière d’emploi exercée par la GRC.


(ii)  La preuve d’expert

[51]           Le demandeur a soulevé une question de droit concernant la décision du Tribunal de refuser d’accepter en preuve le rapport Bell/Rannie et de permettre à M. Bell de témoigner au sujet du rapport.

 

[52]           Lors de l’avant-dernier jour d’audience, la GRC a appelé M. Bell à témoigner. M. Bell est un membre civil de la GRC et était alors le directeur de la section Innovation et Recherche en formation de l’École de la GRC. Il détient un doctorat en psychologie de l’Université de Calgary. Il est le coauteur d’un rapport (le rapport Bell/Rannie) qui a été rédigé à la demande de la GRC et qui vise précisément les allégations de discrimination systémique au Dépôt.

 

[53]           Le rapport Bell/Rannie comprend une compilation des données sur le nombre de cadets faisant partie des minorités visibles et des cadets Blancs qui ont réussi et échoué la formation au Dépôt de 1998 à 2003. Il renferme également l’analyse des données effectuées par les auteurs et une opinion sur la question de savoir si le rapport établit qu’il y a discrimination systémique.

 

[54]           Le rapport avait été fourni au défendeur environ quatre mois avant le jour où devait témoigner M. Bell; cependant, le jour où M. Bell devait témoigner, le défendeur, pour la première fois, s’est opposé à ce que M. Bell témoigne en tant qu’expert.

 

[55]           Le défendeur a plaidé que M. Bell [traduction] « ne devait pas être admis en tant que témoin expert parce qu’il n’est simplement pas indépendant ». L’objection fondée sur l’indépendance de M. Bell reposait sur le fait qu’il était employé par la GRC et qu’il avait appuyé la recommandation selon laquelle M. Tahmourpour ne devait pas être réadmis au programme de formation. Le Tribunal a accueilli l’objection en affirmant ce qui suit :

[traduction]

Je pense que nous savons tous que le rôle d’un expert dans une instance est de fournir un témoignage d’opinion indépendant afin d’aider le juge des faits dans des domaines inconnus de ce dernier. Il doit donc y avoir un degré d’indépendance et d’impartialité pour que la preuve présentée au tribunal soit aussi crédible et fiable que possible et qu’elle puisse constituer le fondement d’une décision éclairée.

 

Je pense que l’on porte atteinte à ce principe lorsqu’un témoin expert est employé pour l’essentiel par le défendeur. À mon avis, un tel expert ne peut en aucun cas être alors admissible en tant qu’expert indépendant et impartial devant donner le genre de témoignage qu’un expert est censé donner.

 

Je pense que M. Bell a une longue et grande expérience au sujet du programme de formation des cadets, et je suis d’avis que son témoignage intéresserait certainement le Tribunal, mais je ne peux voir comment j’admettrais en l’espèce son témoignage d’expert sur les taux d’attrition au Dépôt étant donné qu’il y a travaillé et qu’il y travaille encore et étant donné sa participation dans le dossier de M. Tahmourpour, affaire dont je suis précisément saisie en l’espèce. [Non souligné dans l’original.]

 

[56]           La preuve portant sur la participation de M. Bell dans le dossier de M. Tahmourpour révélait qu’à un certain moment en 1999, M. Bell était l’officier par intérim responsable de la formation des cadets. Le 6 janvier 2001, il a appuyé le rapport du gestionnaire de carrière du Dépôt qui avait recommandé que l’on ne prenne pas en considération la demande de M. Tahmourpour si M. Tahmourpour souhaitait être réadmis dans le programme de formation des cadets. Sur la première page du document se trouve le commentaire suivant de M. Bell : [traduction] « Je souscris à la recommandation du gestionnaire de carrière ». M. Bell ne s’est pas souvenu de sa participation dans ce dossier avant qu’on lui présente ce document lors du contre­interrogatoire portant sur l’admissibilité de son témoignage en tant qu’expert.

 

[57]           Le seul autre témoin qui aurait pu faire état du rapport Bell/Rannie était M. Rannie, mais le Tribunal aurait probablement conclu qu’il n’était pas indépendant non plus, car il était lui aussi un membre civil de la GRC.

 

[58]           Le demandeur soutient que le rapport Bell/Rannie constituait la [traduction] « meilleure preuve » quant au taux d’attrition au Dépôt et que l’omission du Tribunal d’accepter cette preuve remet en  question l’équité et la raisonnabilité du processus décisionnel judiciaire. Le demandeur se fonde sur l’arrêt Université du Québec à Trois Rivières c. Larocque, [1993] 1 R.C.S. 471, rendu par la Cour suprême du Canada, comme précédent pour avancer que, lorsque des éléments de preuve admissibles et très pertinents ne sont pas admis en preuve, il s’agit d’une situation où la Cour doit intervenir, car le Tribunal a refusé d’exercer sa compétence ou a agi en dehors de sa compétence.

 

[59]           À mon avis, le précédent dont il est question n’est d’aucune aide au demandeur. Dans l’arrêt Larocque, il s’agissait d’éléments de preuve factuels portant sur la question de savoir s’il manquait des fonds. La Cour suprême a conclu que ces éléments de preuve étaient admissibles. L’admissibilité du témoignage de la personne qui allait faire état de cette preuve n’était pas contestée. En l’espèce, la preuve que l’on veut faire accepter ne porte pas seulement sur des faits, mais également sur des opinions, et la question fondamentale était de savoir si le témoignage de M. Bell, en tant qu’expert, était admissible et pouvait donc faire état de cette preuve. À mon avis, cela établit l’inapplicabilité de l’arrêt Larocque en l’espèce.

 

[60]           Même s’il était loisible à la membre du Tribunal d’accepter le témoignage et de lui accorder moins de poids étant donné les liens de M. Bell avec la GRC et le plaignant, je ne peux pas conclure que la membre du Tribunal a commis une erreur de droit en refusant d’accepter M. Bell en tant qu’expert sur le fondement de ces liens.

 

[61]           Ce qui constitue un problème, cependant, c’est que le Tribunal a accepté le témoignage de l’expert du défendeur, lequel était fondé sur les données se trouvant dans le rapport Bell/Rannie que le Tribunal n’avait pas accepté en preuve.

 

[62]           Même s’il a refusé d’accepter le rapport Bell/Rannie en tant que pièce, le Tribunal l’a accepté et l’a coté à des fins d’identification, parce que le témoin expert du défendeur, M. Wortley, en avait précédemment fait souvent mention. Le Tribunal a précisément statué que le rapport Bell/Rannie n’était pas en preuve et que son contenu n’était pas accepté comme étant véridique. Néanmoins, le Tribunal a statué que [traduction] « [s]i le témoignage de M. Wortley est accepté et qu’il adopte certaines parties [du rapport Bell/Rannie] […] il s’agit alors du témoignage sur ce point et le rapport n’est pas accepté en preuve. » L’erreur a été d’accepter comme preuve probante un « fait » tiré d’un document non accepté en preuve et simplement répété par M. Wortley alors qu’il n’avait aucune connaissance personnelle du fait allégué.

 

[63]           Une opinion fondée sur des faits qui ne sont pas en preuve n’a absolument aucune valeur et le Tribunal n’aurait pas dû tenir compte de cette opinion.

 

[64]           On a demandé à M. Wortley lors de son contre‑interrogatoire (transcription de l’audience, le 28 août 2007, page 133), sur quelles données il s’était fondé pour former son opinion et il a mentionné s’être fondé sur les données qui se trouvent dans le rapport Bell/Rannie : 

[traduction]

Q.        Vous n’avez pas demandé – vous n’avez pas recueilli vos propres données inédites et fait quelque analyse que ce soit dans votre rapport?

R.         En fait, les données que j’ai utilisées et recalculées sont fondées sur celles qui m’avaient été fournies.

Q.        Aucune de vos données n’est tirée de l’onglet 143?

A.        Non. Je pense que nous les avons survolées un peu, par exemple, hier, lorsque nous utilisions ce tableau et que nous éliminions certaines années et que –

Q.        Était-ce la première fois que vous voyiez ce tableau?

R.         Oui, ou bien c’était la première fois que je m’arrêtais sur ce dernier document; ce qui ressortait du rapport qui avait été fourni par les experts était que la meilleure – vous savez – qu’ils avaient eu des problèmes à analyser les données et à les obtenir et qu’elles étaient les meilleures données qu’ils avaient sur le taux d’attrition au Dépôt. J’ai donc surtout mis l’accent sur les données fournies par le rapport Bell‑Rannie plutôt que sur ce tableau.

 

[65]           Non seulement le Tribunal a accepté le témoignage d’opinion de M. Wortley – lequel était fondé sur des données n’ayant aucun fondement en preuve– et en a tenu compte, il a également mentionné ces données et s’est fondé sur elles pour tirer des conclusions. Par exemple, au paragraphe 152 de la décision, le Tribunal mentionne le taux d’attrition des cadets au Dépôt entre 1998 et 2003. Ces données ont été tirées du rapport de M. Wortley qui semble simplement répéter les données du rapport Bell/Rannie.

 

[66]           Le défendeur soutient qu’il ne s’agissait pas d’une erreur parce que cette approche a été approuvée par l’avocat du demandeur lors de l’audience. Il invoque la discussion suivante :

[traduction]

KAREN JENSEN : Passons à la question du rapport Bell/Raney qui a été mentionnée par M. Wortley dans son témoignage. À l’exception du témoignage de M. Wortley, aucun témoignage n’a traité de ce document particulier, qu’en pensez­vous?

M. EDWARDS : Une grande partie du témoignage de M. Wortley portait sur le rapport Bell/Raney et y répondait directement. Je ne suis pas certain de ce qui resterait de l’interrogatoire si le rapport lui­même, qui vient juste d’être coté à des fins d’identification et auquel on a accordé aucun poids à ce moment­là, était écarté; la question qui me vient à l’esprit est la suivante : les renvois doivent­ils également être écartés?

[]

M. EDWARDS : Encore une fois, je pense que le document est un sujet que M. Wortley ou le Dr Wor – ­

KAREN JENSEN : Monsieur.

M. EDWARDS : M. Wortley l’a examiné et l’a mentionné comme étant une partie intégrante de son témoignage et des documents qui avaient servis à son examen. Je crois que le document devrait être gardé comme référence. Comme mon collègue l’a dit, lorsque M. Wortley n’est pas d’accord sur un point et que son témoignage est accepté, il n’y a simplement aucune preuve à ce sujet (INAUDIBLE) le document même est, pour ainsi dire, remis en cause; cependant, pour que le dossier soit complet, le document devrait être gardé.

            KAREN JENSEN : Je ne pense pas que le document soit en preuve sauf dans la mesure où M. Worthy y fait mention et j’accepte vos deux nuances parce que je crois qu’elles sont pareilles. Si le témoignage de M. Wortley est accepté et qu’il adopte certaines parties de ces rapports ou de ce rapport ou bien s’il souscrit à ce rapport, alors il s’agit du témoignage sur ce point; s’il ne souscrit pas au rapport, il s’agit alors du témoignage sur ce point et le rapport n’est pas accepté en preuve. Je peux consulter le rapport simplement pour comprendre ce que M. Wortley a dit, mais le rapport ne sera pas considéré comme faisant partie du dossier de preuve.

            M. EDWARDS : Une grande partie de l’examen de M. Wortley était en fait fondée sur ce document, par conséquent (INAUDIBLE) M. Wortley avait fondé son examen.

            KAREN JENSEN : Je ne considère pas le rapport comme établissant la vérité, comme étant véridique, je le consulterai afin de comprendre ce que M. Wortley a dit et si le témoignage de M. Wortley est bien accepté, c’est sur ce témoignage que je fonderai mon raisonnement.

            M. WEINTRAUB : Il s’agit en particulier, je suppose, des données dans ce rapport auxquelles il a fait mention et qui font partie de son témoignage et qui sont aussi visées par ce que vous venez tout juste de dire; une autre partie de son témoignage qui pourrait être importante sont les commentaires concernant la réponse de la GRC en ce qui à trait à la question de l’auto­identification, surtout l’opinion selon laquelle la déclaration de la GRC, qui a dit que les cadets ayant un haut rendement choisissent de ne pas s’auto­identifier, constitue en fait une preuve supplémentaire d’une attitude discriminatoire.

            KAREN JENSEN : Le rapport Bell­Raney en fait­il mention?

            M. WEINTRAUB : Il s’agit du commentaire de M. Wortley sur le rapport Bell­Raney.

            KAREN JENSEN : D’accord. Ok. Tant que nous comprenons tous que le rapport même n’est pas en preuve.

           

[67]           Je n’interprète pas les déclarations de l’avocat de la GRC comme étant plus qu’une observation que le témoignage de M. Wortley fait en sorte que l’on doit tenir compte du rapport Bell/Rannie parce qu’il y fait mention. Cependant, le Tribunal a commis une erreur de droit en affirmant que les données du rapport Bell/Rannie deviennent des éléments de preuve dont il est saisi simplement parce que M. Wortley accepte ou adopte les données dans son témoignage, et j’estime que les déclarations de l’avocat du demandeur ne voulaient pas dire autre chose. Étant donné que le Tribunal avait affirmé que le contenu du rapport Bell/Rannie n’était pas accepté comme étant véridique, la conclusion selon laquelle le contenu de ce rapport – les données statistiques – était en preuve simplement parce qu’elles étaient adoptées par un autre témoin qui n’avait joué aucun rôle dans l’établissement de ces données et qui ne peut pas témoigner de leur fiabilité, est déraisonnable et constitue une erreur de droit.

 

[68]           Le Tribunal a commis une autre erreur en interprétant mal les seules données ayant été dûment déposées en preuve, à savoir la pièce C 143. Au paragraphe 150 de sa décision, le Tribunal se penche sur l’attrition globale dans le programme de formation et mentionne que « [p]our l’année 1999­2000, année où le contrat de M. Tahmourpour a été résilié au Dépôt, le taux d’attrition pour les minorités visibles était de 16,98  % et de 6,88  % pour les cadets n’appartenant pas à une minorité visible ». Le Tribunal tire par la suite une conclusion de discrimination fondée sur ces taux d’attribution au paragraphe 155 de sa décision :

Compte tenu de la preuve indirecte sur la différence des taux d’attrition et les attitudes discriminatoires envers les membres et les cadets de minorités visibles, j’estime qu’il est raisonnable de conclure que l’atténuation et la sous­estimation des habiletés de M. Tahmourpour dans la Feuille d’évaluation du 8 octobre et dans la demande de résiliation étaient fondées, du moins en partie, sur sa race, sa religion ou son origine nationale ou ethnique. Par conséquent, M. Tahmourpour a donc fait la preuve prima facie de cette allégation.

 

[69]           Je suis d’accord avec le demandeur que le Tribunal a commis une erreur en appliquant la preuve portant sur les données statistiques à la situation de M. Tahmourpour sans prendre en considération que les données [traduction] « ne tenaient pas compte des cadets qui avaient quitté la formation pour des raisons personnelles – par exemple, parce qu’un membre de leur famille était malade ou que le cadet était blessé, en raison de leur état de santé ou parce qu’ils avaient changé d’idée – » et dont les contrats n’avaient pas été résiliés par la GRC. La seule preuve dont le Tribunal aurait dû tenir compte était celle portant sur les candidats issus de minorités visibles qui se trouvaient dans la même situation que M. Tahmourpour, c’est­à­dire ceux dont les contrats ont été résiliés par la GRC.

 

[70]           En résumé, en acceptant le témoignage de M. Wortley, dans la mesure où il mentionne les données qui se trouvent dans le rapport Bell/Rannie, le Tribunal a commis une erreur de droit. Le Tribunal ne disposait pas d’une telle preuve, et cette preuve ne devient pas probante simplement parce que M. Wortley l’a répété dans son rapport. En outre, en ne se rendant pas compte que les seules données en preuve portaient sur les cadets qui n’avaient pas terminé le programme dans des circonstances qui, dans de nombreux cas, étaient différentes de celles de M. Tahmourpour, le Tribunal a accepté un témoignage non pertinent et sans doute préjudiciable et en a tenu compte. À mon avis, cela constitue également une erreur de droit. Par conséquent, toute partie de la décision du Tribunal fondée sur ce témoignage doit être infirmée.

 

(iii) L’omission de tenir compte d’éléments de preuve

[71]           Le demandeur a donné de nombreux exemples qui, à son avis, établissent que le Tribunal a commis des erreurs dans l’appréciation des éléments de preuve. À une exception près, je ne me pencherai pas sur chacun de ces exemples, car je souscris à l’observation du défendeur, selon laquelle la véritable contestation du demandeur est sa prétention que le Tribunal aurait dû apprécier les éléments de preuve de façon différente. Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve. La Cour ne peut intervenir que si des éléments de preuve importants ont été négligés sans motif ou pour des motifs non valables.

 

[72]           M. Tahmourpour allègue que son rendement au Dépôt a été mal évalué par ses instructeurs. Le Tribunal affirme au paragraphe 4 de sa décision que M. Tahmourpour a allégué être « continuellement la cible de harcèlement verbal, de traitement hostile et d’évaluations de rendement défavorables par ses instructeurs » et qu’il en « est résulté une diminution de sa confiance en soi et de ses capacités à apprendre et à faire preuve des habiletés requises au Dépôt ». Le premier extrait est certainement exact, car il s’agit bien des allégations de discrimination que M. Tahmourpour a présentées. Cependant, à une exception près, rien dans le dossier n’étaye l’affirmation que M. Tahmourpour a allégué que ces actes discriminatoires avaient diminué sa capacité d’obtenir de bons résultats.

 

[73]           Le demandeur a joint, en tant qu’annexe 1 de son mémoire, des extraits choisis du témoignage de M. Tahmourpour, lesquels constituent un résumé de l’impression qu’avait eu M. Tahmourpour de son propre rendement au Dépôt. Son témoignage foisonnait de phrases telles que : [traduction] « J’ai eu des résultats exceptionnels », « J’étais bien en avance sur le reste de la troupe », « J’étais exceptionnellement bon dans ce domaine », « J’avais un rendement satisfaisant » et « J’ai réussi haut la main ». La seule exception est lorsqu’il a affirmé dans son témoignage qu’il avait dit au caporal Boyer à un certain moment : [traduction] « Vous ne me permettez pas d’obtenir de bons résultats. Vous criez après moi. Vous m’injuriez []. » M. Tahmourpour a déclaré dans son témoignage que [traduction] « son utilisation à outrance de gestes, de mots, de cris et de hurlements a bien affecté dans une certaine mesure mon rendement ». Il s’agit de la seule exception, et elle ne concerne que l’une des personnes dont l’évaluation a été examinée par le Tribunal. La position de M. Tahmourpour était plutôt que les évaluations de son rendement étaient inexactes et discriminatoires – et non qu’elles étaient exactes mais injustes parce qu’on ne lui avait pas donné l’occasion d’obtenir de bons résultats.

 

[74]           Malgré que M. Tahmourpour n’ait pas allégué que la conduite discriminatoire avait diminué son rendement, le Tribunal a conclu que c’était le cas. Le Tribunal a accepté le témoignage de la caporale Bradley selon lequel elle entretenait de véritables doutes relativement au rendement de M. Tahmourpour, mais il a par la suite écarté ce témoignage au motif que le rendement de M. Tahmourpour avait été affecté par le traitement qu’il avait subi :

171     J’accepte le témoignage du caporal Bradley selon lequel elle entretenait de véritables doutes relativement aux habiletés à communiquer, au jugement et à la capacité de résoudre des problèmes de M. Tahmourpour. Elle ne croyait pas qu’il serait en mesure de faire le travail d’un policier en raison de ces lacunes. Cependant, le problème de cette explication est que, dans un milieu de formation où les commentaires désobligeants à propos de la race sont approuvés et adressés à des personnes comme M. Tahmourpour, où les évaluations sont inexactes et inadéquates et où les instructeurs sont fiers d’être « politiquement incorrects », il est difficile pour une personne comme M. Tahmourpour de se développer et de démontrer ses habiletés dans ces domaines. J’estime raisonnable de conclure que de telles conclusions érodent la confiance en soi et la capacité de bien réussir. Par conséquent, l’explication de l’intimée selon laquelle le rendement de M. Tahmourpour au Dépôt était faible n’est pas convaincante. Le rendement de M.  Tahmourpour, selon toute probabilité, a été affecté par la discrimination dont il a fait l’objet. [Non souligné dans l’original.]

 

[75]           Le problème avec l’analyse du Tribunal est qu’il n’y a absolument aucun élément de preuve étayant la conclusion selon laquelle le rendement de M. Tahmourpour a été affecté par le traitement qu’il a subi. Comme je l’ai noté, ni M. Tahmourpour ni personne d’autre n’a présenté cette allégation. Sans aucun doute, il peut y avoir des situations où la discrimination nuit effectivement au rendement; mais il ne s’agit pas d’une règle universelle. Sans preuve que le plaignant aurait eu un meilleur rendement s’il n’avait pas fait l’objet de discrimination, il n’y a aucun fondement, hormis de simples conjectures, étayant une telle conclusion.

 

[76]           Seulement à cet égard, je conclus que le Tribunal n’a pas apprécié correctement la preuve. Le Tribunal a écarté l’ensemble de la preuve sur les problèmes de rendement, preuve qu’il avait précédemment acceptée sur le fondement du témoignage de la caporale Bradley, parce qu’il s’est livré à une conjecture selon laquelle, même si le rendement de M. Tahmourpour avait été correctement évalué, son rendement avait été compromis par le traitement qu’il avait subi.

 

(iv) Les ordonnances de réparation

[77]           Le demandeur soutient que le Tribunal a commis une erreur :

a.       en accordant deux années de plein salaire pour préjudice moral et des dommages et intérêts pour préjudice moral, ce qui constitue une double indemnisation;

b.      en accordant la réadmission de M. Tahmourpour au programme de formation et une indemnisation pour la perte de salaire subie entre­temps, ce qui constitue une double indemnisation;

c.       en ne réduisant le salaire de M. Tahmourpour que de 8 %;

d.      en omettant d’établir une limite au dédommagement et en accordant un salaire à M. Tahmourpour jusqu’à sa réadmission au Dépôt;

e.       en remboursant à M. Tahmourpour les cours axés sur la carrière pris afin d’atténuer ses pertes.

 

[78]           Le demandeur allègue à tort que le Tribunal a accordé deux années de plein salaire pour préjudice moral. Le Tribunal a accordé à M. Tahmourpour deux années de plein salaire au motif que M. Tahmourpour ne pourrait pas travailler suivant la résiliation de son contrat de cadet en raison des conséquences psychologiques de la discrimination qui avaient été établies. Il s’agissait d’une indemnisation pour perte de salaire liée à une conclusion selon laquelle M. Tahmourpour avait été incapable d’atténuer ses pertes pendant cette période de temps. M. Tahmourpour a également reçu une indemnité pour préjudice moral; cependant, il ne s’agit pas de double indemnisation comme l’a plaidé le demandeur. Cette réparation ne constitue pas une double indemnisation.

 

[79]           Le Tribunal a ordonné qu’après les deux premières années suivant la résiliation du contrat, M. Tahmourpour reçoive la différence entre le salaire qu’il aurait gagné s’il avait eu un emploi à temps plein et le salaire qu’il aurait reçu en tant qu’agent de la GRC. Le Tribunal a également ordonné qu’il soit réadmis dans le programme de formation, moment auquel cette réparation aurait pris fin. Le demandeur soutient que cela constitue une double indemnisation. Le demandeur se fonde sur l’arrêt Chopra c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 268, rendu par la Cour d’appel fédérale.

 

[80]           Dans l’affaire Chopra, on a refusé au Dr Chopra et à deux autres personnes l’occasion de doter un poste à titre intérimaire, puis on lui a refusé une nomination à temps plein parce qu’il n’avait pas assez d’expérience récente en gestion. Le Tribunal a conclu qu’il existait une sérieuse possibilité selon laquelle il aurait pu être nommé aux deux postes si l’employeur n’avait pas exercé de discrimination; cependant, il a également conclu qu’il était peu probable qu’il aurait été nommé à ces postes. Par conséquent, le Tribunal a réduit de deux tiers les montants autrement payables pour perte de salaire. Le Dr Chopra a allégué que le Tribunal avait commis une erreur en n’ordonnant pas qu’il soit nommé à ce poste. En rejetant cette allégation, la Cour a mentionné ce qui suit :

45     À mon avis, le postulat qui sous­tend l’argument du Dr Chopra comporte une lacune. Le Tribunal n’a pas décidé que, n’eût été l’acte discriminatoire posé contre lui, le Dr Chopra aurait obtenu le poste de durée indéterminée. À vrai dire, si l’on s’arrête à la réduction de l’indemnité imposée par le Tribunal, il semble évident que le Tribunal considérait que les chances de nomination du Dr Chopra au poste de durée indéterminée étaient en réalité de l’ordre de une sur trois. L’hypothèse la plus probable était que le Dr Chopra n’obtienne pas ce poste.

46     Dans les circonstances, le Dr Chopra a été indemnisé pour la perte qu’il a subie, soit la possibilité d’une participation exempte de discrimination au concours visant l’attribution du poste de durée indéterminée. Cette indemnisation constitue­t­elle, à la lumière de l’arrêt McAlpine, une indemnisation pour pertes de salaire au sens de l’alinéa 53(2)c)? Il s’agit là d’une autre question, dont la Cour n’est pas saisie en l’espèce. Le plaignant ayant été dédommagé pour la perte d’une possibilité équitable de prendre part au concours, une nomination à ce poste équivaudrait à une double indemnisation.

 

[81]           Par analogie, le demandeur soutient que l’ordonnance de réadmission de M. Tahmourpour constituait une indemnisation intégrale et définitive de l’occasion qu’il avait manquée. M. Tahmourpour ne pouvait pas recevoir une indemnisation pour cette occasion manquée et se voir également accorder cette occasion sans que cela ne constitue pas une double indemnisation.

 

[82]           L’affaire Chopra est différente de l’espèce. Le Dr Chopra demandait une nomination à un poste à temps plein d’une durée indéterminée; M. Tahmourpour ne demande pas une nomination en tant qu’agent à la GRC, mais simplement l’occasion de terminer le programme de formation. Bien qu’il y ait eu des conclusions de discrimination dans les deux affaires, le Tribunal dans l’affaire Chopra a conclu qu’il était improbable que le Dr Chopra eût été nommé à ces postes s’il n’avait pas fait l’objet de discrimination et, par conséquent, la perte de salaire a été grandement réduite et limitée à six ans. En l’espèce, le Tribunal a conclu que, si M. Tahmourpour n’avait pas fait l’objet de discrimination, la GRC lui aurait permis d’être réadmis dans le programme de formation. Par conséquent, il ne s’agit pas d’une double indemnisation comme le demandeur l’a allégué.

 

[83]           Le demandeur soutient que la diminution de 8 % ordonnée par le Tribunal était déraisonnable et que l’indemnité aurait dû être diminuée des deux tiers comme dans l’affaire Chopra. Les deux affaires sont fondamentalement différentes. En l’espèce, il n’y a aucun doute dans l’esprit du Tribunal que, n’eut été la discrimination à laquelle il a conclu, la GRC aurait permis à M. Tahmourpour d’être réadmis dans le programme. La preuve révélait qu’il était possible que M. Tahmourpour ne termine pas le programme. Vu la preuve déposée, 8 % constituait une estimation raisonnable de cette possibilité. L’ordonnance du Tribunal à cet égard est raisonnable.

 

[84]           Le demandeur a également soutenu qu’il devrait y avoir une limite d’environ deux ans quant à l’indemnisation pour perte de salaire. Le demandeur se fonde sur la décision du Tribunal d’appel de la Commission canadienne des droits de la personne et l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Morgan c. Canada (Forces armées canadiennes), [1990] D.C.D.P. no 10 (QL);  inf. [1992] 2 C.F. 401 (C.A.F.). 

 

[85]           Dans l’affaire Morgan, il a été conclu que l’on avait refusé à M. Morgan un poste au sein des Forces armées canadiennes en raison d’actes discriminatoires exercés par les Forces, par opposition à la simple perte d’une occasion d’emploi. La majorité du Tribunal d’appel a conclu que, lorsqu’une ordonnance de réintégration est prononcée, l’indemnisation doit se poursuivre jusqu’à ce que l’ordonnance soit respectée. La Cour d’appel fédérale n’a pas souscrit à cette conclusion. Elle a estimé que le Tribunal d’appel avait commis une erreur en ne fixant pas une limite à la période d’indemnisation indépendamment de l’ordonnance de réintégration. La Cour d’appel a souscrit à l’observation du membre minoritaire du Tribunal d’appel selon lequel « il n’est pas nécessaire que la période d’indemnisation coïncide avec la réintégration, peu importe quand elle a lieu », et elle a conclu que la majorité avait commis une erreur en ne fixant pas une limite :

À mon avis, le tribunal de première instance et la majorité des membres du tribunal d’appel ont eu tort de refuser de fixer une limite à la période d’indemnisation indépendamment de l’ordonnance de réintégration. L’établissement de cette limite était, comme il l’est dans toutes ces affaires, un exercice difficile qui exige une analyse détaillée des circonstances en cause. Le membre minoritaire est le seul à avoir fait ce calcul et je pense que cette Cour, au lieu d’ordonner une nouvelle audience, devrait accepter ses conclusions qui sont celles d’ailleurs que le tribunal a adoptées dans des circonstances similaires dans l’affaire de DeJager c. Canada (Ministère de la Défense nationale) (1987), 8 C.H.R.R. D/3963 (Trib. C.D.P.).

 

[86]           Le membre minoritaire, dont la décision a été acceptée par la Cour d’appel fédérale, a conclu que les Forces armées auraient dû raisonnablement prévoir que les conséquences des actes discriminatoires s’étendraient sur une période d’environ trois ans et demi.

 

[87]           En l’espèce, le Tribunal n’a fait aucune analyse quant à une période limite, et il n’a pas non plus effectué quelque analyse que ce soit quant à savoir si la période pouvait raisonnablement s’étendre jusqu’à la date de sa décision, laquelle a été rendue près de huit ans et demi après la résiliation du contrat de cadet de M Tahmourpour.

 

[88]           Le Tribunal a commis une erreur en n’effectuant pas cette analyse. Les dommages et intérêts prévus par la Loi ne peuvent s’accumuler indéfiniment et, comme la Cour d’appel fédérale l’a mentionné dans l’arrêt Morgan, « [le bon sens impose] qu’il y a une limite à la responsabilité de l’auteur du préjudice quant aux conséquences de son acte [discriminatoire] ».

 

[89]           Le demandeur a présenté des observations en ce qui concerne la limite raisonnable en l’espèce. Vu les conclusions tirées en ce qui concerne les autres erreurs susceptibles de contrôle commises par le Tribunal dans sa décision, il n’appartient pas à la Cour de substituer son jugement quant à la limite raisonnable à ce qui aurait dû être imposé par le Tribunal. Si cela avait été la seule erreur dans la décision soumise au contrôle, alors il aurait pu être approprié que la Cour statue à ce sujet plutôt que de renvoyer l’affaire pour nouvel examen. Cependant, étant donné que je suis d’avis que la décision doit être infirmée, il s’agit d’une question qu’il convient de laisser à la prochaine personne qui sera saisie de l’affaire.

 

[90]           La dernière observation portant sur les réparations était que M. Tahmourpour n’aurait pas dû être indemnisé pour les cours qu’il avait pris afin d’essayer d’atténuer ses dommages, parce que le Tribunal lui avait déjà accordé un plein salaire pendant la période où il avait suivi ces cours. Cela a encore une fois été décrit comme étant une double indemnisation. Ce n’est pas le cas. Il s’agissait de dépenses engagées pour atténuer ses pertes. Je suis convaincu que si M. Tahmourpour avait pu en tirer un avantage, la GRC aurait pleinement bénéficié du salaire gagné pour compenser pour les dommages et intérêts qu’elle aurait autrement dû payer. L’indemnité quant aux dépenses engagées pour les cours a été raisonnablement accordée à M. Tahmourpour.

 

Résumé

[91]           Je conclus que le Tribunal :

a.       a commis une erreur en appliquant le mauvais critère relatif à la discrimination directe lorsqu’il a conclu que le sergent Hébert avait fait preuve de discrimination directe;

b.      a commis une erreur de droit en se fondant sur des données statistiques tirées du rapport de l’expert du défendeur, lequel ne faisait que répéter les données qui se trouvaient dans le rapport du demandeur qui n’avait pas été accepté en preuve;

c.       a commis une erreur en concluant, en l’absence d’éléments de preuve et sur le seul fondement de conjectures, que le rendement de M. Tahmourpour avait été affecté par le traitement discriminatoire qu’il avait subi au Dépôt;

d.      a commis une erreur en accordant une indemnisation pour perte de salaire payable jusqu’à la réintégration dans le programme de formation sans avoir effectué d’analyse quant à savoir si cette période pouvait raisonnablement s’étendre jusqu’à la date de la réintégration.

 

[92]           Pour ces motifs, la décision du Tribunal sera annulée. Le demandeur a droit à ses dépens dans la présente demande de contrôle judiciaire.

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         L’intitulé est modifié pour représenter le nom du bon demandeur, à savoir le Procureur général du Canada :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

 

ALI TAHMOURPOUR

défendeur

 

 

2.         La décision du Tribunal canadien des droits de la personne rendue le 16 avril 2008 est annulée, et la plainte de M. Tahmourpour est renvoyée à un nouveau membre pour qu’il tienne une autre audience;

 

3.         Les dépens de la présente demande de contrôle judiciaire sont accordés au demandeur.

                                                                                                               « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.

 

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                T­768­08

 

INTITULÉ :                                                               LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA AU NOM DE LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA c. ALI TAHMOURPOUR

                                                                                                                                                                                   

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATES DE L’AUDIENCE :                                     LE 31 MARS ET LE 30 JUIN 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 6 OCTOBRE 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kathryn Hucal

Sadian Campbell

 

POUR LE DEMANDEUR

 

David Yazbeck

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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