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Cour fédérale

 

 

 

Federal Court

Date : 20090922

Dossier : IMM-4990-08

Référence : 2009 CF 950

Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2009  

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

ANASTASIYA BENYK

demanderesse

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Mme Benyk est entrée au Canada en provenance de l’Ukraine en 1999 afin de rendre visite à sa fille et à ses deux petites-filles. Elle est venue en vertu d’un visa de visiteuse temporaire. Dix ans plus tard, elle est toujours ici.

 

[2]               Si elle n’avait pas présenté au Canada une demande de résidence permanente pour des motifs humanitaires, elle n’aurait probablement jamais attiré l’attention des autorités. Notre système, s’il en est, de vérification du départ du pays des visiteurs à l’échéance de leur visa repose sur la constatation que ceux-ci ont dépassé leur séjour autorisé.

 

[3]               L’agent est parvenu à la conclusion que les motifs humanitaires n’étaient pas suffisants pour accueillir la demande de Mme Benyk. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.

 

[4]               Une demande de visa de résident permanent doit être présentée de l’extérieur du pays. Toutefois, l’article 25 de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) permet au Ministre de renoncer à toute exigence pour des motifs humanitaires. L’intérêt supérieur des enfants directement touchés doit être pris en compte.

 

[5]               Puisque le ministre prend rarement lui-même de telles décisions, il a créé un manuel, l’IP 5, afin de servir de guide. Même si le manuel n’a pas force de loi, il a été entériné à maintes reprises par la Cour. Il incombe au demandeur de convaincre le décideur qu’il subirait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il était tenu de présenter à l’étranger une demande de visa de résidence permanente. Puisque ces décisions sont rendues au nom du ministre, et non par un tribunal indépendant, le ministre ne peut solliciter le contrôle judiciaire d’une décision qui ne lui convient pas. Par conséquent, la Cour est quelque peu perdue lorsque vient le temps de déterminer ce que le ministre considère comme étant une difficulté. Les affaires soumises à la Cour par voie de demandes de contrôle judiciaire sont celles dans lesquelles le décideur était d’avis qu’il n’y avait pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

LES FAITS

[6]               Lorsque Mme Benyk, une veuve, est entrée au Canada, sa fille était au cœur d’un divorce houleux et souffrait d’une tumeur au cerveau. Heureusement, elle est maintenant rétablie. Au moment où la décision a été rendue, la mère, la grand-mère et les petits-enfants, Anastasia et Samantha, respectivement âgées de 15 et de 13 ans, vivaient toutes sous le même toit. Mme Benyk est l’une des deux principales fournisseuses de soins, voire peut-être la principale fournisseuse de soins. Sa fille est charpentière, et travaille à des foires et expositions. Son emploi exige qu’elle travaille souvent le soir, et parfois à l’extérieur de la ville. Elle n’atteint pas tout à fait le seuil financier exigé afin de parrainer Mme Benyk. Même si c’était le cas, la preuve au dossier indique qu’au moment où la décision a été rendue en octobre 2008, il s’est écoulé quatre ans depuis le dépôt de la demande.

 

[7]               L’agent a pondéré la situation actuelle de Mme Benyk au Canada avec ce qu’elle pourrait être si elle devait retourner en Ukraine. Quelques éléments de cette analyse sont troublants. On y laisse entendre que Mme Benyk considère la maison de sa fille comme une partie de l’Ukraine. Il serait même possible de penser qu’elle n’a jamais quitté la maison. Cependant, il y a des lettres d’appui de son pasteur et de l’épouse de celui-ci, ainsi que d’un voisin non ukrainien, ce qui indique qu’elle est loin d’être enfermée dans la maison. De plus, il est peut-être injustifié de conclure que, si elle devait retourner en Ukraine, où elle n’a aucun endroit où vivre, elle recevra de l’aide de la part de sa famille.

 

[8]               Il n’est cependant pas nécessaire de parvenir à une conclusion concernant le degré d’établissement au Canada ou les difficultés que subirait Mme Benyk si elle devait retourner en Ukraine. J’accueille le présent contrôle judiciaire au motif que la décision était déraisonnable compte tenu de l’intérêt supérieur des enfants.

 

[9]               Le manuel souligne que la relation entre le demandeur et un enfant peut être celle d’un grand parent, qui pourrait être le principal fournisseur de soins. Les facteurs qui peuvent être pris en considération sont l’âge des enfants (13 et 15 ans, au moment de la décision), le niveau de dépendance et le degré de l’établissement au Canada (les deux sont nées et ont été élevées ici).

 

[10]           D’autres facteurs dont il faut tenir compte sont les relations actuelles par opposition à un simple fait de parenté biologique; le lieu de résidence par rapport aux enfants; les périodes de séparation antérieures et l’interdépendance de la famille du point de vue économique.

 

[11]           L’agent a traité en vrac des questions financières et émotives dans le même paragraphe. L’agent a reconnu qu’il y avait de forts liens émotifs, mais qu’il ne serait pas inhabituel, injustifié ou excessif d’expulser une grand-mère qui a vécu avec ses petits enfants, jour et nuit, pendant 8 ans. Qu’est-ce qui serait excessif? 9 ans, 10 ans, 11 ans peut-être?

 

[12]           L’agent sous-entend que la fille de Mme Benyk pourrait bien se trouver un autre emploi, qui ne lui exigerait pas de travailler la nuit, ou à l’extérieur de la ville. Compte tenu du présent contexte économique, la fille de Mme Benyk est chanceuse d’avoir un emploi, quel qu’il soit.

 

[13]           La famille demeure en Ontario. L’agent n’a pas tenu compte du paragraphe 79(3) de la Loi sur les services à l’enfance et à la famille, L.R.O. 1990, ch. C. 11, de l’Ontario, qui énonce ce qui suit : « La personne responsable d’un enfant âgé de moins de seize ans ne doit pas le laisser sans avoir au préalable fait le nécessaire pour assurer convenablement, dans les circonstances, sa surveillance et la fourniture de soins. » La preuve au dossier n’indique pas que la fille de Mme Benyk est capable d’embaucher une étrangère afin de rester avec les enfants la nuit. À mon avis, la décision de l’agent était déraisonnable.

 

[14]           L’agent a aussi fait ressortir que Mme Benyk savait qu’elle n’avait pas de statut au Canada et qu’elle courait un risque. Cependant, l’objet général de l’article 25 de la LIPR est de traiter des gens qui n’ont pas de statut, pour une raison ou une autre.

 

[15]           Nous vivons dans un pays plutôt étrange. Nous faisons preuve de compassion envers les criminels de guerre, les meurtriers et les violeurs qui risquent d’être persécutés dans leur pays natal. Cependant, nous sommes prêts à expulser une vieille baba, dont la seule infraction a été de dépasser la durée de séjour prévue à son visa, afin de s’occuper de sa fille et de ses petites-filles.


ORDONNANCE

            POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT,

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

3.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A.Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4990-08

 

INTITULÉ :                                       ANASTASIYA BENYK c.                                                                                                                 LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 septembre 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Harrington

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             Le 22 septembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael T. Crane

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

John Provart

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael T. Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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