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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20090930

Dossier : T-927-09

Référence : 2009 CF 968

Ottawa (Ontario), le 30 septembre 2009

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

CHEF BEVERLY BELLEGARDE

demanderesse

 

et

 

ALMA POITRAS, LEO DESNOMIE,

LAMBERT STONECHILD, INEZ DEITER,

GLORIA DEITER, ELAINE PINAY,

ELWOOD OSCAR PINAY, DELMA POITRAS,

FREDA EVELYN DESNOMIE, GREGORY BRASS,

AVEN ROSS, EVELYN POITRAS,

MARTINE DESNOMIE, HOWARD DESNOMIE,

ENOCH POITRAS ET GERALD DESNOMIE

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les parties en l’espèce font partie des quelque 2 500 membres de la Première nation de Peepeekisis (la bande de Peepeekisis ou la Première nation). La Première nation est signataire du Traité no 4. 

[2]               Il faut bien reconnaître que ces derniers temps, les membres de la Première nation ne s’entendent plus au sujet du leadership de la bande. Par conséquent, la bande est plongée dans une instabilité politique, les deux factions qui se sont développées sont en conflit et de nombreuses demandes ont été présentées à la Cour en vue d’annuler ou d’infirmer les décisions rendues concernant le leadership de la bande de Peepeekisis. La présente demande vise à annuler les décisions qui destituaient la demanderesse de ses fonctions de chef de la bande de Peepeekisis et qui l’interdisaient de se porter candidate à une élection pour les 10 prochaines années. 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie.

LE CONTEXTE

[4]               Les Premières nations choisissent leurs conseils soit selon la coutume soit conformément à la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5. Les élections de la bande de Peepeekisis sont régies par la Peepeekisis First Nation Custom Election Act (la Loi électorale), révisée et ratifiée le 1er novembre 2006. La Première nation est dirigée par le conseil de bande, qui est composé du chef et de quatre dirigeants.

Le conseil des anciens

[5]               Seul le conseil des anciens a le pouvoir, en vertu de la Loi électorale, de destituer un chef ou un dirigeant. L’article 7C de la Loi électorale prévoit que le poste de chef [traduction] « devient vacant lorsque la personne occupant ce poste […] est déclarée coupable par le conseil des anciens de manœuvre électorale frauduleuse, de corruption, de malhonnêteté ou de faute de commission dans l’exercice de ses fonctions ». L’article 7D prévoit également que le conseil des anciens peut déclarer une personne dont le mandat a pris fin en application de la Loi électorale inhabile à se porter candidate à une élection pour une période maximale de 10 ans.

[6]               Le « conseil des anciens » est défini dans la Loi électorale comme [traduction] « le groupe de personnes que la communauté reconnaît, selon la tradition, pour leur sagesse et leur savoir‑faire en raison de leur âge et de leur expérience ». Rien dans la Loi électorale n’indique la composition du conseil des anciens ni de quelle façon il est choisi.

[7]               Il existe deux conseils des anciens concurrents, chacun prétendant être le Conseil des anciens prévu par la Loi électorale.

[8]               Une réunion des anciens et des membres de la bande de Peepeekisis a eu lieu le 6 janvier 2006. Le procès‑verbal de cette réunion indique qu’elle visait à [traduction] « examiner attentivement le conseil des anciens actuel de manière à poser les bases nous permettant partager des idées et des connaissances, d’examiner le mandat et d’établir une structure de gouvernance dans la communauté ». Bien que le procès‑verbal indique que le conseil des anciens devait être composé de 12 anciens, il mentionne ensuite les noms des 15 anciens choisis pour former le conseil : Tom Desnomie, Elwood Pinay, Doris Bellegarde, Evelyn Desnomie, Anita McLeod, Mary Keewatin, Albert Daniels, Thomas Bellegarde, Alice Sangwais, Charlie Desnomie, Lucy Daniels, Fran Ironquil, Gilbert Keewatin, Ben Stonechild et Leo Desnomie. La chef Bellegarde a alors écrit aux Affaires indiennes et du Nord Canada pour présenter les membres [traduction] « actuels » du conseil des anciens sous la forme d’une résolution. Rien n’indique d’où vient cette résolution ni si elle a été adoptée. Elle comporte 12 noms : Tom Desnomie, Tom Bellegarde, Wayne Pinay, Glen Goforth, John B. Desnomie, Margaret (Larose) Stonechild, Lucy Daniels, Frieda Bellegarde, Gloria Jean Stonechild, Mona Dieter, Anita McLeod et Doris Bellegarde. Thomas Desnomie a présenté un affidavit en l’espèce dans lequel il atteste que ces 12 personnes forment le conseil des anciens actuel. Ce groupe sera appelé le conseil des anciens de Thomas Desnomie dans les présents motifs. 

[9]               Le 25 octobre 2008, la bande de Peepeekisis a tenu une réunion. Les points suivants à examiner et/ou à décider pendant la réunion figuraient à l’ordre du jour définitif :

1.         Adoption de l’ordre du jour;

2.         Dates des nominations;

3.         Nomination du directeur général des élections;

4.         Nomination du président du scrutin;

5.         Précisions sur le pouvoir du conseil des anciens (débat et motion) dans le processus électoral;

6.         Nomination du conseil des anciens pour régir ce processus (élection) conformément à la Peepeekisis Custom Election Act;

7.         Débat;

8.         Prière de clôture.

 

[10]           Au titre du point 5 précité, Evelyn Poitras a présenté une motion en vue de supprimer le conseil des anciens de la Loi électorale au motif que les anciens ne devraient assumer qu’un rôle consultatif. Cette motion a été jetée puisqu’elle entraînerait une modification à la Loi électorale. Au titre du point 6 précité, la motion suivante a été adoptée : [traduction] « Nomination des membres du conseil des anciens qui se reconnaissent comme tels devant prendre part à l’appel le cas échéant. » (Non souligné dans l’original.) Le conseil des anciens présidé par Alma Poitras, lequel a adopté la résolution destituant la demanderesse de ses fonctions de chef et l’interdisant de se porter candidate à une élection, prétend qu’il est le Conseil des anciens prévu par la Loi électorale par suite de cette résolution. Ce groupe, dont la composition était différente à chacune des réunions pertinentes mais qui ne comportait que peu, voire aucun, des membres du conseil des anciens de Thomas Desnomie, sera appelé le conseil des anciens d’Alma Poitras dans les présents motifs.

Les événements ayant mené à la destitution de la chef Bellegarde

[11]           La défenderesse, Evelyn Poitras, est membre d’un groupe appelé le Peepeekisis Kiskimanacihk Treaty Enforcement Group (PKTE). Il s’agit d’une organisation non élue. Evelyn Poitras décrit le PKTE comme une [traduction] « organisation communautaire intéressée à prendre des mesures dans l’intérêt supérieur de la bande de Peepeekisis concernant la bonne gouvernance, le processus législatif autochtone et l’application de traités ». Au paragraphe 6 de son affidavit déposé en l’espèce, elle explique ses craintes à l’égard de la demanderesse de la manière suivante :

[traduction] Je craignais que Mme Bellegarde ne parle pas au nom de la bande; les mesures qu’elle avait prises en destituant les dirigeants, Brian Desnomie et Lambert Stonechild, étaient personnellement et politiquement motivées, et son conseil des anciens n’était pas reconnu par la bande de Peepeekisis comme étant habilité à exécuter ces fonctions. Autant que je sache, la bande n’a pas approuvé les demandes présentées par Mme Bellegarde ou n’a pas été consultée à ce sujet.

 

Les demandes mentionnées par Evelyn Poitras sont les dossiers de la Cour no T‑202‑08 et T‑502‑08, lesquels sont décrits plus loin. Je remarque qu’Evelyn Poitras avait exactement les mêmes craintes, lesquelles sont énoncées dans son affidavit souscrit le 22 mai 2008 et déposé dans le dossier no T‑502‑08. La situation présente est issue du passé.

[12]           Evelyn Poitras a écrit une lettre ouverte aux membres de la bande de Peepeekisis le 23 avril 2008, dans laquelle elle explique ses craintes à l’égard de la conduite de la demanderesse. Cette lettre indique au recto qu’elle a été écrite par [traduction] « Evelyn Poitras au nom de sa mère Marie Alma Poitras et de sa famille » et est signée par Evelyn Poitras, Marie Alma Poitras et d’autres personnes. Marie Alma Poitras est Alma Poitras, une défenderesse dans la présente demande et la personne qui a présidé les réunions des anciens durant lesquelles la motion visant à destituer la demanderesse de ses fonctions de chef et à l’interdire de se porter candidate à une élection pendant 10 ans a été adoptée.

[13]           N’ayant reçu aucune réponse de la part de la demanderesse, bien qu’elle n’en ait pas demandé, Evelyn Poitras a écrit personnellement à la demanderesse le 22 septembre 2008 et le 20 octobre 2008. La demanderesse n’a pas répondu à ces lettres. Evelyn Poitras affirme également qu’elle a fait part de ses craintes lors de deux réunions de la Première nation auxquelles la chef Bellegarde était présente, mais elle n’a reçu aucune réponse.

[14]           Le 3 février 2009, Evelyn Poitras a présenté une résolution de la part du PKTE au conseil des anciens d’Alma Poitras qui visait la destitution de la chef Bellegarde. Le procès‑verbal de cette réunion indique que Inez Deiter, Delma Poitras, May Desnomie, James Poitras, Gregory Brass, Alice Sangwais et Evelyn Desnomie appuyaient tous la motion. Mabel George a affirmé ceci : [traduction] « Si je peux appuyer la résolution, je le ferai. » Alma Poitras, à titre de présidente et n’ayant aucun droit de vote, n’a fait aucune déclaration. En contre‑interrogatoire, Evelyn Poitras a affirmé que ce groupe voulait qu’elle tienne compte de quelques points, mais qu’à part cela, il avait donné son appui unanime à la résolution qu’elle avait présentée. La demanderesse n’a pas été avisée de cette réunion ni du fait que les anciens envisageaient sa destitution.

[15]           Le 28 mars 2009, cette résolution a de nouveau été présentée au conseil des anciens d’Alma Poitras, en l’absence de la demanderesse et sans même l’en aviser. Une motion a été adoptée réclamant la destitution immédiate de la demanderesse à titre de chef de la bande de Peepeekisis. Le 3 avril 2009, le même groupe, après avoir avisé la demanderesse, a adopté une motion affirmant que la [traduction] « motion du 28 mars 2009 était toujours en vigueur telle que présentée ». Le 15 mai 2009, ce groupe a tenu une autre réunion durant laquelle une motion a été adoptée confirmant que la demanderesse [traduction] « sera inhabile à exercer les fonctions de chef ou de dirigeante pour une période de dix (10) ans ».

[16]           Le 21 mai 2009, la Résolution du conseil de bande no 589 a été adoptée par un autre groupe censé former le conseil de bande par laquelle étaient nommés le directeur général des élections et le président du scrutin, étaient arrêtées les dates de la nomination et de l’élection complémentaire pour les postes de chef et de dirigeant, et par laquelle on demandait aux Affaires indiennes et du Nord Canada de fournir une liste électorale. Conformément à une entente, aucune élection n’a eu lieu par suite de la présente demande.

[17]           Dans le cadre d’une demande déposée devant la Cour le 5 juin 2009, la demanderesse a sollicité le contrôle des décisions du conseil des anciens apparent et du conseil de bande apparent, qui visent toutes sa destitution, son inhabileté à être réélue et l’établissement des dates et de la procédure à suivre concernant l’élection complémentaire. Plus particulièrement, la demanderesse sollicite les réparations suivantes :

a.       Une réparation de la nature d’un jugement déclaratoire attestant que la demanderesse est la chef de la Première nation de Peepeekisis;

b.      Une réparation de la nature d’une ordonnance annulant la motion adoptée par les défendeurs à la réunion du 15 mai 2009;

c.       Une réparation de la nature d’une ordonnance annulant la Résolution du conseil de bande no 589 adoptée par les défendeurs le 21 mai 2009;

d.      Une réparation de la nature d’une injonction interdisant la tenue de la réunion relative à la nomination prévue le 16 juin 2009 et de l’élection complémentaire prévue les 2 et 3 juillet 2009;

e.       Une réparation de la nature d’une injonction interdisant aux défendeurs, à la défenderesse MARTINE DESNOMIE et à toute autre personne de ne pas reconnaître les pouvoirs de la demanderesse à titre de chef de la Première nation de Peepeekisis, et enjoignant aux défendeurs et à la défenderesse MARTINE DESNOMIE de cesser immédiatement toute action diminuant les pouvoirs de la demanderesse, notamment :

                                                               i.      Restaurer le pouvoir de signature de la demanderesse et les autres pouvoirs qui lui appartiennent légitimement;

                                                             ii.      Permettre à la demanderesse de ravoir l’accès complet aux dossiers, matériels, documents et bureaux de la Première nation de Peepeekisis;

                                                            iii.      Restaurer et maintenir les procédures et le protocole de bureau;

                                                           iv.      Toute autre action pouvant être exigée pour restaurer l’ordre et la bonne gouvernance au sein de la Première nation de Peepeekisis.

f.        Une réparation de la nature d’un jugement déclarant que les défendeurs ne font pas partie du conseil des anciens actuel de la Première nation de Peepeekisis;

g.       Une réparation de la nature d’une ordonnance de quo warranto enjoignant aux défendeurs de prouver en vertu de quel pouvoir ils ont décidé le 15 mai 2009 de fixer et convoquer une réunion électorale et une élection complémentaire et en vertu de quel pouvoir ils ont décidé que la demanderesse serait inhabile à exercer les fonctions de chef, et interdisant aux défendeurs de prétendre exercer leurs pouvoirs à titre de conseil des anciens de la Première nation de Peepeekisis;

h.       Une réparation de la nature d’une modification des délais pour la signification de la présente demande et pour la réponse, et une modification des délais applicables à la présente procédure en général.

Les litiges antérieurs

[18]           Il convient en l’espèce de rappeler brièvement la récente tourmente politique de la bande de Peepeekisis qui a donné lieu à des litiges devant notre Cour. Ce résumé sert de toile de fond au présent litige et dans l’espoir que les membres de la bande de Peepeekisis et leurs dirigeants puissent mieux apprécier les coûts personnels et financiers qu’engendrent ces litiges. 

[19]           Tout au long de l’audience en l’espèce, les défendeurs étaient d’avis que la bande de Peepeekisis est une nation dotée d’un gouvernement autonome opposée à l’intervention de la Cour. Le résumé des litiges suivant démontrera peut‑être pourquoi l’intervention de la Cour a été si souvent sollicitée ces dernières années. De plus, le présent jugement, combiné aux litiges antérieurs, aidera peut‑être la Première nation à organiser ses affaires internes afin que l’intervention de la Cour ne soit plus exigée, ou du moins qu’elle ne soit plus aussi souvent demandée à l’avenir.

Dossier de la Cour no T‑1759‑05 : Lyle Desnomie c. Première nation Peepeekisis

[20]           L’ancien chef Lyle Desnomie a reçu une lettre datée du 26 juillet 2005, l’informant que le conseil de la bande de Peepeekisis l’avait définitivement démis de ses fonctions de chef en raison de manquements à l’obligation fiduciaire envers la Première nation. Les membres du conseil de bande, autres que le chef Desnomie, étaient Maurice Nokusis, Allan Bird, Lambert Stonechild et Brian Desnomie. Le chef Lyle Desnomie a présenté à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de la décision visant sa destitution. Dans Desnomie c. Première nation Peepeekisis, 2007 CF 426, le juge Blais, maintenant juge en chef à la Cour d’appel fédérale, a annulé les décisions du conseil de bande destituant le chef Desnomie de ses fonctions et ordonnant la tenue d’une élection complémentaire. Il a pris cette décision principalement au motif que le conseil de bande n’avait pas compétence pour destituer le chef, puisque selon la Loi électorale, seul le conseil des anciens pouvait destituer un chef ou un dirigeant. Bien que la décision de destituer le chef de ses fonctions ait été subséquemment ratifiée par un conseil des anciens apparent et les membres de la bande de Peepeekisis, la Cour a conclu que cette ratification ne rectifiait pas les lacunes de la décision initiale visant la destitution du chef Desnomie.

[21]           Le juge Blais a tiré beaucoup d’autres conclusions qui se rapportent directement à l’espèce : 

a.                   Aucun conseil des anciens n’a jamais été constitué suite à l’adoption de la Loi électorale, même si cette question était source d’inquiétude lors des réunions de la Première nation tenues en janvier et février 2005.

b.                   Lorsqu’il a été décidé qu’il y avait matière à démettre le chef Desnomie de ses fonctions, un processus a été suivi afin d’établir un conseil des anciens. Toutefois, le chef Desnomie s’est opposé au processus suivi pour établir le conseil des anciens parce que les anciens n’avaient pas tous été informés qu’un tel conseil était constitué, ni informés de la raison pour laquelle il était constitué (soit pour destituer le chef). Il a soutenu que le conseil ainsi choisi ne représentait qu’une minorité des membres de la bande de Peepeekisis.

c.                   Aucune disposition dans la Loi électorale ne prévoit la manière dont le conseil des anciens doit être constitué, et les parties n’ont produit aucune preuve permettant de dire si la procédure suivie était conforme aux coutumes de la bande de Peepeekisis. Par conséquent, la Cour s’en est rapportée aux principes de l’équité procédurale pour savoir si les droits du chef Desnomie avaient été violés et si la procédure suivie pour instituer le conseil des anciens suscitait une crainte raisonnable de partialité.

d.         Il n’y a aucune raison valide, autre que la convenance, expliquant pourquoi ce ne sont pas tous les anciens de la bande qui ont été invités à devenir membres du conseil des anciens. Dans cette affaire, la décision avait été prise par un conseil constitué de seulement trois anciens. La Cour a fait remarquer qu’une « prudence élémentaire et un souci d’équité lui commandaient de réunir le plus grand nombre possible d’anciens, vu l’importance de la décision pour le demandeur ».

e.                   Le fait d’avoir invité le chef Desnomie à répondre aux accusations après avoir décidé de le destituer était insuffisant, car « cela ne dispensait pas le conseil des anciens de son obligation d’inviter le chef à répondre aux accusations, dans le cadre de ses délibérations ». (Non souligné dans l’original.) « [P]our que soit respecté le critère de l’équité procédurale, il faut à tout le moins signifier à l’intéressé un avis suffisant et lui donner l’occasion de réagir quand lui sont imputés de graves manquements qui pourraient avoir de graves conséquences, telles que, comme c’est le cas ici, la destitution du demandeur de ses fonctions de chef. »

[22]           La Cour a annulé la décision visant la destitution du chef Desnomie. Cependant, dans l’intervalle, la demanderesse en l’espèce a été élue chef lors d’une élection complémentaire tenue en septembre 2005 par suite de la destitution du chef Desnomie. Elle a été subséquemment réélue par la bande de Peepeekisis lors d’une élection régulière tenue en décembre 2006, et n’eut été les événements faisant l’objet du présent contrôle, elle serait demeurée chef jusqu’en décembre 2010.

 

Dossier de la Cour no T‑202‑08 : Bellegarde c. Lambert Stonechild, Brian Desnomie                           et Gerald Desnomie

 

[23]           Le 26 novembre 2007, lors d’une réunion des membres de la bande de Peepeekisis, une motion a été présentée, appuyée par les 18 membres présents, en vue de destituer Beverley Bellegarde de ses fonctions de chef. Le 28 novembre 2007, trois dirigeants ont adopté la Résolution du conseil de bande no 540 confirmant la motion des membres. La chef Bellegarde a été destituée de ses fonctions le 17 décembre 2007. La chef Bellegarde a alors présenté une demande à  la Cour visant l’annulation de la Résolution du conseil de bande no 540 au motif qu’il n’avait pas le pouvoir en vertu de la Loi électorale de la destituer. Le 17 avril 2008, avec le consentement de Lambert Stonechild, Brian Desnomie et Gerald Desnomie, la demande a été accueillie sans frais et la décision visant la destitution de la chef Bellegarde a été annulée, et un jugement déclarant que la chef Bellegarde est la chef de la Première nation de Peepeekisis a été prononcé.

 

 

Dossier de la Cour no T‑502‑08 : Bellegarde c. Lambert Stonechild et Brian Desnomie

 

[24]           Le 27 mars 2008, la chef Bellegarde a présenté une demande de contrôle judiciaire dans laquelle elle demandait en vertu de quel pouvoir Lambert Stonechild et Brian Desnomie ont continué d’exercer leurs fonctions de dirigeants malgré la décision du 14 mars 2008 prise par le conseil des anciens de Thomas Desnomie de les destituer. Avec le consentement de Lambert Stonechild et Brian Desnomie, la chef Bellegarde s’est désistée de sa demande, sans frais, le 21 avril 2009.

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

 

[25]           Les questions soulevées par les parties en l’espèce sont les suivantes :

                        I.          La Cour avait-elle compétence en vertu de la Loi sur les cours fédérales, L.R.C. 1985. ch. F‑7, pour examiner les décisions en cause en l’espèce?

                      II.          Quelles sont les décisions faisant l’objet du contrôle? La Cour devrait‑elle exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 302 des Règles pour instituer la demande si elle ne porte pas uniquement sur une seule ordonnance?

                   III.          La demande est‑elle prescrite et, dans l’affirmative, la Cour devrait‑elle proroger le délai et instruire la demande?

                   IV.           La procédure appropriée a‑t‑elle été suivie en l’espèce pour destituer la demanderesse de ses fonctions de chef et lui interdire de se porter candidate à une élection pour une période de 10 ans?

I.          La compétence de la Cour fédérale

[26]           Les défendeurs soutiennent que la Cour n’a pas compétence pour statuer sur l’objet de la demande – une décision d’un conseil des anciens. Ils prétendent que le conseil des anciens, tel qu’il est défini dans la Loi électorale de la bande de Peepeekisis, n’est pas un « office fédéral » au sens du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, élément qui permet à la Cour de se déclarer compétente. 

[27]           Cet argument a été précédemment soulevé et examiné par la Cour d’appel fédérale dans La nation crie d’Ermineskin c. Minde, 2008 CAF 52. Les faits de cette affaire sont identiques à ceux de l’espèce. Le conseil des anciens de la Nation crie d’Ermineskin a adopté une résolution confirmant que le chef Minde avait quitté son poste de chef. Cette résolution a été approuvée et appliquée par le conseil de bande. Monsieur Minde a soutenu devant la Cour d’appel fédérale que les conseil des anciens n’était pas un office fédéral et que sa décision ne pouvait faire l’objet d’un contrôle par la Cour. La Cour d’appel fédérale, au paragraphe 33 de sa décision, en a décidé autrement :

En ce qui concerne l’argument préliminaire de M. Minde suivant lequel la décision du Conseil des anciens, s’il s’agissait du décideur, ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire parce qu’il n’est pas un office fédéral au sens de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, il me suffit de dire que la compétence de la Cour fédérale prévue à l’article 18 ne dépend pas de la forme de l’entité mais de son pouvoir de décider. Dans la mesure où le Conseil des anciens est habilité à démettre M. Minde de sa fonction de chef conformément à la Constitution de la bande et c’est ce qu’il a fait, sa décision peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire en vertu de l’article 18. [Non souligné dans l’original.]

 

[28]           Par conséquent, la Cour a compétence pour examiner les décisions du conseil des anciens prises en vertu de la Loi électorale.

II.        La décision faisant l’objet du contrôle

[29]           Au paragraphe 47 de leur mémoire, les défendeurs se demandent quelles sont les décisions faisant l’objet du contrôle :

 

[traduction]

Les documents de la demanderesse ne précisent pas clairement la décision qu’elle conteste :

a)       Est-ce la décision du conseil des anciens visant à destituer la demanderesse de ses fonctions de chef et à l’empêcher de se porter candidate à une élection pour une période de dix ans?

b)       Est-ce la décision des membres de la bande de Peepeekisis de tenir des élections en vue de pourvoir le poste de chef?

c)       Est-ce la Résolution du conseil de bande visant à fixer les dates pour la nomination et l’élection conformément aux résultats de la réunion des membres de la bande de Peepeekisis?

 

[30]           Cette « question » a été soulevée pour la première fois dans le mémoire des défendeurs déposé le 29 juillet 2009. Apparemment, les défendeurs devaient bien savoir de quelle(s) décisions(s) contestée(s) il s’agissait pour déposer des affidavits en réponse et pour contre‑interroger les auteurs des affidavits déposés par la demanderesse.

[31]           Selon la Cour, il ressort clairement de l’avis de demande que la demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de toutes ces décisions. 

[32]           Les défendeurs font valoir à juste titre que l’article 302 des Règles des Cours fédérales prévoit que, « sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée ». En l’espèce, la demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de quatre ordonnances : (1) la décision du 28 mars 2009 du conseil des anciens d’Alma Poitras destituant la demanderesse de ses fonctions de chef, (2) la décision du 15 mai 2009 du conseil des anciens d’Alma Poitras interdisant à la demanderesse de se porter candidate à une élection pendant 10 ans, (3) la décision du 15 mai 2009 du conseil des anciens d’Alma Poitras recommandant une élection complémentaire et (4) la décision du 21 mai 2009 de trois dirigeants établissant les dates et la procédure à suivre concernant l’élection complémentaire.

[33]           À mon avis, il s’agit en l’espèce de l’une de ces circonstances exceptionnelles où les intérêts de la justice exigent que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire pour permettre à toutes ces décisions de faire l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Selon moi, deux raisons essentielles le justifient. Tout d’abord, les parties ont présenté leur preuve et ont contre‑interrogé les auteurs d’affidavits relativement à toutes ces décisions, ainsi aucun préjudice ne sera causé aux parties si toutes les décisions font l’objet du contrôle. Ensuite, les dernières décisions découlent directement des décisions qui les ont précédées. Si les décisions du conseil des anciens d’Alma Poitras ne sont pas valides, alors la demanderesse demeure chef et les deux décisions subséquentes ne peuvent être maintenues.

III.       Prorogation du délai

[34]           Les défendeurs prétendent que le 28 mars 2009, date à laquelle le conseil des anciens d’Alma Poitras a pris la première décision de destituer la demanderesse de ses fonctions de chef, est la date à partir de laquelle commence la période de 30 jours prévue au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales. Cette disposition permet à un juge de la Cour de fixer ou d’accorder un délai supplémentaire pour le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire avant ou après l’expiration des 30 jours. Par conséquent, à supposer que les défendeurs ont raison de dire que le délai prescrit pour contester au moins une des décisions faisant l’objet du contrôle a expiré avant le dépôt de la présente demande, la Cour peut permettre la prorogation du délai.

[35]           En général, la Cour a prorogé les délais lorsque la prorogation était nécessaire pour assurer que justice soit rendue entre les parties, après avoir tenu compte de la question de savoir si le demandeur a une cause défendable à faire valoir, s’il avait toujours l’intention de contester la décision, s’il a fourni une explication raisonnable pour justifier le temps qu’il a mis avant de présenter la demande et si le défendeur pourrait subir un préjudice indu.

[36]           Je suis convaincu que la demanderesse a une cause défendable à faire valoir et que les défendeurs ne subiront pas de préjudice si j’autorise la prorogation du délai pour le dépôt de la demande de contrôle judiciaire. S’agissant des autres facteurs, je considère que les faits suivants sont pertinents. Bien que la première décision du conseil des anciens d’Alma Poitras ait été rendue le 28 mars 2009, la chef Bellegarde s’est vu refuser l’accès à son bureau seulement à partir du 10 juin 2009. Le jour même, elle a été privée de sa rémunération à titre de chef, qu’elle avait reçue précédemment, sans égard à la décision de mars. De plus, c’est à cette date qu’elle a été privée de son pouvoir de signature à titre de chef. La prise de ces mesures ont fait comprendre à la demanderesse qu’on donnait suite aux décisions des anciens, comme il avait été donné suite aux décisions de la mi‑mai de tenir une élection complémentaire. Dans ces circonstances, il est normal que la demanderesse ait mis du temps avant de déposer la présente demande.

[37]           Pour ces motifs, la Cour exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère la Loi sur les Cours fédérales et proroge le délai pour le dépôt de la présente demande de contrôle judiciaire.

IV.       La procédure appropriée a‑t‑elle été suivie

[38]           J’estime que je suis dans la même situation que celle du juge Blais en 2007. Rien ne démontre que le conseil des anciens de Thomas Desnomie est ou était dûment constitué conformément à la Loi électorale ou selon la coutume. De même, rien ne démontre que le conseil des anciens d’Alma Poitras est ou était dûment constitué conformément à la Loi électorale ou selon la coutume.

[39]           La question de la coutume a été examinée par la Cour dans Francis c. Le conseil mohawk de  Kanesatake, [2003] 4 C.F. 1133, au paragraphe 21. Il incombe à la partie qui invoque la coutume de prouver son contenu. La Cour a également conclu au paragraphe 23 que les éléments dont se compose une coutume, dans la sélection d’un conseil dans cette affaire, sont (1) les « pratiques » touchant le choix d’un conseil, (2) les pratiques qui sont « généralement acceptables pour les membres de la bande » et (3) les pratiques qui font l’objet d’un « large consensus ».

[40]           S’agissant du conseil des anciens de la bande de Peepeekisis, il est évident qu’aucune pratique n’était établie avant 2007 lorsque le juge Blais a rendu sa décision. Depuis ce temps, au moins deux conseils ont été « choisis », dont deux par différents moyens. Par conséquent, il est impossible d’affirmer qu’une « pratique » a été établie ou généralement acceptée par les membres de la bande de Peepeekisis. Le fait qu’il y a deux conseils apparents prouve que la « pratique », si pratique il y a, ne fait pas l’objet d’un large consensus.

[41]           Bien que le conseil des anciens d’Alma Poitras semble recevoir l’approbation des membres lors des réunions, la preuve documentaire n’indique pas qu’il a été autorisé à prendre des décisions autres que des décisions en appel en application de la Loi électorale.

[42]           Si la bande de Peepeekisis souhaite qu’à toutes les fins visées par la Loi électorale, y compris la destitution d’un chef, le conseil des anciens établi en vertu de la Loi électorale soit composé de toutes les personnes qui se considèrent comme un ancien, alors il serait nécessaire, à tout le moins, d’adopter une résolution clairement libellée à cette fin lors d’une réunion à laquelle la majorité des membres participeraient, après signification d’un avis à tous les membres concernant les motions à examiner. Si la bande de Peepeekisis souhaite que les anciens habilités à siéger à un conseil des anciens soient reconnus à ce titre par la bande, alors il serait logique que la composition du conseil des anciens soit confirmée par exemple lors d’une réunion générale des membres durant laquelle les anciens seraient reconnus à cette fin, après signification d’un avis à tous les membres concernant les questions à examiner.

[43]           La Cour a été frappée par les divergences au sein de la bande de Peepeekisis entre le processus suivi lors de l’élection d’un chef et celui suivi lors de la destitution d’un chef élu. Le dossier démontre que les élections sont contestées et prises très au sérieux par tous les électeurs. Il semble que les membres sont certes très divisés sur le choix du meilleur candidat, mais beaucoup d’électeurs vont voter, de telle sorte qu’on peut affirmer que le processus d’élection est largement appuyé, même lorsque le candidat élu obtient seulement une majorité relative et non la majorité absolue des voix.

[44]           Puisque la bande a établi un processus électoral aussi démocratique, notamment des droits d’appel, on s’attendrait à ce qu’elle établisse un processus tout aussi juste bénéficiant de l’appui de la majorité des membres et à ce qu’elle prévoit la possibilité d’en appeler lorsque la destitution d’un représentant dûment élu est envisagée. Malheureusement, cela n’a pas été le cas ces dernières années. Peu de membres se sont présentés aux réunions des anciens et aux réunions des membres, en partie en raison de la composition d’origine de la Première nation, du fait que ses membres sont dispersés sur un large territoire et de l’absence d’avis détaillés. Tout comme la coutume doit recevoir un large appui pour qu’elle soit reconnue à ce titre, l’appui de la majorité des membres devrait être nécessaire lorsque la destitution d’un dirigeant démocratiquement élu est envisagée.

[45]           Il ne ressort pas clairement du dossier que les anciens de la bande de Peepeekisis désirent vraiment avoir le pouvoir de destituer leur chef. En effet, Evelyn Poitras a présenté une motion aux membres en vue de supprimer ce pouvoir. En contre‑interrogatoire, Thomas Desnomie, un ancien de la Première nation, a affirmé que le rôle traditionnel des anciens est de guider et de conseiller, et non de faire de la politique. Dans la mesure où les anciens ont ce rôle politique, alors leurs décisions de destituer un chef doivent, conformément à la coutume et la tradition, recevoir l’appui de la majorité de ces anciens. De même, si ce rôle n’est plus assuré aux anciens et est plutôt donné à l’ensemble des membres, les décisions visant une destitution devraient recevoir l’appui de la majorité des membres et être prises aussi équitablement que les décisions électorales. Sinon, les représentants élus de la bande de Peepeekisis continueront d’être destitués par une minorité des membres faisant partie d’une faction, sans l’appui général des membres, ou peut‑être même sans que les membres de la Première nation n’en soit avisés.

[46]           En l’espèce, même si le conseil des anciens d’Alma Poitras a été dûment constitué pour être le conseil des anciens prévu par la Loi électorale, ses décisions concernant la demanderesse auraient été annulées au motif que les principes d’équité procédurale et de justice naturelle n’avaient pas été respectés, à moins qu’il ne puisse être établi que le respect des principes ne fait pas partie de la coutume de la bande de Peepeekisis.

[47]           En l’espèce, la demanderesse n’a jamais été avisée de la tenue de la réunion en mars, durant laquelle la résolution visant à la destituer a été approuvée. On ne lui a pas donné l’occasion de parler avec les anciens ou de se défendre avant que la décision ne soit prise le 28 mars 2009. À mon sens, la réunion subséquente durant laquelle elle a eu l’occasion de répondre aux questions n’a pas suffi à rectifier cette erreur initiale puisque la décision avait déjà été prise. Rien ne démontre que le groupe était préparé à réexaminer sérieusement sa décision. De même, la suggestion formulée lors de la réunion selon laquelle les lettres précédentes d’Evelyn Poitras constituaient un avis adéquat est sans fondement. Elles n’ont pas prévenu la demanderesse des mesures qui seraient prises subséquemment en vue de la destituer.

[48]           De plus, le conseil des anciens d’Alma Poitras n’a pas observé les principes de justice naturelle et d’équité procédurale à d’autres égards. Tout d’abord, le groupe est présidé par Alma Poitras, la mère d’Evelyn Poitras, la personne qui a proposé la destitution de la chef au groupe. Il se peut que ce lien de famille, en soi, ne suffise pas à créer une impression de conflit d’intérêt ou d’impartialité apparente, comme l’a prétendu la demanderesse. Cependant, la motion était fondée et appuyée sur une lettre écrite par Evelyn Poitras au nom de sa mère et de sa famille en opposition à la chef. Elle a été écrite avant la décision des anciens. Il ressort de cette lettre qu’Alma Poitras semble avoir préjugé de la question, et cela donne une apparence d’impartialité. Même si elle n’a fait aucun commentaire ni participé au vote, elle n’aurait pas dû présider la réunion durant laquelle la décision a été prise. 

[49]           Ensuite, la motion pour la destitution de la chef avait été antérieurement présentée au conseil des anciens d’Alma Poitras pour qu’il l’examine et la commente. Il ressort clairement du dossier, à vrai dire de la déclaration d’Evelyn Poitras elle‑même, que la motion pour la destitution de la chef était appuyée à l’unanimité. Par conséquent, on peut difficilement dire que la décision du 28 mars 2009 a été prise de nouveau. Le dossier indique que la décision avait déjà été prise et ainsi, on ne peut dire que les décideurs ont exercé une prise de décision indépendante. Ils avaient préjugé de la question.

[50]           Enfin, même si le conseil des anciens d’Alma Poitras est le conseil des anciens dûment établi et même s’il est accepté que tout ancien pourrait y siéger, le dossier indique que les réunions visées par le contrôle étaient présidées par Alma Poitras, qui avait convoqué « quelques‑uns » des anciens pour les aviser de la réunion. Il se peut ou non qu’ils aient été avisés de l’objectif de la réunion. Quoi qu’il en soit, si la composition du conseil des anciens est ouverte à tous les anciens, alors tous les anciens, et non seulement quelques‑uns, doivent être avisés de la réunion et des questions qui y seront débattues. Autrement, on ne saurait dire que la composition du groupe était juste, générale ou conforme aux exigences de la bande de Peepeekisis.

[51]           Comme je l’ai déjà signalé, rien ne démontre que les règles d’équité procédurale et de justice naturelle ne s’appliquent pas au conseil des anciens. En fait, la preuve établit qu’elles doivent être respectées. Les dispositions d’appel de la Loi électorale prévoient que les appels sont instruits par le conseil des anciens. La Loi électorale prévoit que les appels [traduction] « prendront la forme d’une enquête publique formelle » à laquelle la personne faisant l’objet de la plainte doit être présente, ainsi que la personne qui a interjeté appel. Elle prévoit également que chaque membre du conseil des anciens instruisant l’appel [traduction] « doit convenir d’agir impartialement et doit paraître impartial ». Si la bande de Peepeekisis suit ce processus respectueux et équitable à l’égard des appels interjetés à l’encontre des élections, pourquoi a‑t‑elle accepté une norme moins exigeante lorsqu’on a proposé la destitution de la chef dûment élue?

[52]           Pour tous les motifs qui précèdent, la présente demande est accueillie. La demanderesse a droit à ses dépens. La Cour demeurera saisie de la question des dépens. Si les parties ne peuvent s’entendre sur l’adjudication des dépens dans les 10 jours de la date de la présente décision, alors la demanderesse signifiera et déposera ses observations dans les cinq jours et les défendeurs signifieront et déposeront leurs observations dans les cinq jours suivant la réception de celles de la demanderesse. La demanderesse aura cinq jours de plus pour y répondre.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie;

 

  1. La décision du 28 mars 2009 du conseil des anciens d’Alma Poitras destituant la demanderesse de ses fonctions de chef, la décision du 15 mai 2009 du conseil des anciens d’Alma Poitras interdisant à la demanderesse de se porter candidate à une élection pendant 10 ans, la décision du 15 mai 2009 du conseil des anciens d’Alma Poitras recommandant une élection complémentaire et la décision du 21 mai 2009 de trois dirigeants établissant les dates et la procédure à suivre concernant l’élection complémentaire sont annulées;
  2. En raison du paragraphe 2 du présent jugement, la Cour déclare que Beverly Bellegarde est la chef de la Première nation de Peepeekisis et a droit de recevoir immédiatement la rémunération qui ne lui a pas été versée par suite de la décision du 10 juin 2009 visant à interrompre sa rémunération;
  3. La question des dépens est reportée.

   « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑927-09

 

INTITULÉ :                                       CHEF BEVERLY BELLEGARDE c.

                                                            ALMA POITRAS ET AL

 

                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Régina (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 août 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 30 septembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeffrey R.W. Rath

L. Nathalie Whyte

 

POUR LA DEMANDERESSE

Philip J. Gallet

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

RATH & CIE

Avocats

Priddis (Alberta)

 

POUR LA DEMANDERESSE

MCDOUGALL GAULEY, s.r.l.

Avocats

Régina (Saskatchewan)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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