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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20091001

Dossier : IMM-3418-08

Référence : 2009 CF 992

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er octobre 2009

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

DE BING LI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée par De Bing Li contestant la décision de la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SAI), laquelle a refusé de suspendre son renvoi en Chine. 

 

I.          Le contexte

[2]               M. Li a obtenu sa résidence permanente au Canada le 1er mai 2000. Il est âgé de 38 ans. Il est marié à une citoyenne canadienne et ils sont les parents de deux enfants canadiens âgés de quatre ans et d'un an.

 

[3]               En 2003, M. Li a quitté son emploi et a participé à une culture de marijuana. Cela a donné lieu à une accusation déposée en vertu du paragraphe 7(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, à laquelle M. Li a plaidé coupable le 25 août 2005. Une peine d'emprisonnement de 16 mois à purger dans la collectivité ainsi que des conditions lui ont été imposées le 3 février 2006. 

 

[4]               Le 30 novembre 2006, M. Li a été déclaré interdit de territoire au Canada pour grande criminalité. Il a interjeté appel de cette décision devant la SAI. Nonobstant une recommandation de l'avocat du ministre préconisant une ordonnance de suspension conditionnelle de l'expulsion, la SAI, dans une décision rendue le 2 juillet 2008, a confirmé l'expulsion de M. Li. La présente demande de contrôle judiciaire découle de cette décision.

 

II.        La décision faisant l'objet du contrôle

[5]               La SAI n'a pas été impressionnée par le témoignage de M. Li et a conclu qu'il n'était pas crédible. Cette évaluation défavorable reposait sur les tentatives de M. Li visant à minimiser l'importance de sa conduite criminelle, notamment certaines parties de son témoignage selon lesquelles il ne savait pas à ce moment-là qu'il était illégal de voler de l'électricité et de cultiver de la marijuana. Cela a ensuite mené la SAI à conclure que l'expression des remords de M. Li et son allégation de réadaptation n'étaient pas authentiques. 

 

[6]               La SAI a semblé croire que le tribunal pénal avait plutôt fait preuve de clémence à l'égard de M. Li et que le principe de dissuasion générale n'avait pas été respecté. Parallèlement, la SAI a reconnu qu'il s'agissait là d'un facteur qui n'avait pas été auparavant énuméré parmi les facteurs de Ribic[1], comme on les appelle. Tout cela ressort des passages suivants de la décision de la SAI :

[27]      Cette réaction de l’appelant et la façon dont il s’est conduit à l’audience, lors du présent appel, nous rappellent à quel point il est important de rendre une décision propre à dissuader dès le départ tant les ressortissants étrangers que les résidents permanents de se livrer à ce genre d’activités criminelles.

 

[28]      Le témoignage de l’appelant est très éloquent à cet égard. M. Wang recherche essentiellement des personnes qui ressemblent à l’appelant et il n’a pas de difficulté à les convaincre qu’il y a de l’argent à faire avec la culture de stupéfiants et qu’ils n’ont pas à se préoccuper des sanctions. On ne peut qu’imaginer comment M. Wang a parlé de la clémence du système juridique canadien alors qu’il convainquait l’appelant de s’impliquer dans le trafic de stupéfiants. J’estime qu’il s’agit d’une question très sérieuse et que le fait d’accorder automatiquement un sursis simplement parce que l’appelant a de jeunes enfants au Canada ne ferait que renforcer l’idée, chez les résidents permanents, qu’ils n’ont pas vraiment à se préoccuper des conséquences de leur implication dans ce genre d’activités, puisque, même s’ils finissent par être épinglés, ils purgeront leur peine au sein de la collectivité et ne seront pas expulsés du Canada.

 

[…]

 

[35]      Le tribunal estime qu’en raison de l’attitude de l’appelant et de sa prétendue ignorance de la loi en dépit de l’existence d’éléments de preuve démontrant le contraire, les circonstances ne justifient pas de prendre une mesure spéciale et de surseoir à l’exécution de la mesure d’expulsion dont l’appelant fait l’objet. J’estime en outre que prendre une mesure spéciale dans des circonstances où, comme en l’espèce, l’appelant ne s’est pas réadapté et n’éprouve pas de remords, ne ferait que conforter dans leurs agissements des individus qui, comme M. Wang, s’en prennent à des personnes nouvellement arrivées au Canada qui sont pour eux des proies faciles, alors que ces prédateurs peuvent effectivement leur montrer que le fait de s’adonner à des activités illégales à grande échelle comme la culture de stupéfiants n’expose leur auteur qu’à une peine à purger dans la collectivité ou à une ordonnance restreignant ses déplacements à son domicile et à son entreprise ou lieu de travail et qu’elles ne donnent pas lieu à une expulsion dans la mesure où l’intéressé peut démonter qu’il a de jeunes enfants qui dépendent financièrement de lui. Voilà un facteur qui n’a pas été énuméré dans la décision Ribic, mais dont il y a lieu de tenir compte lorsqu’on examine l’opportunité de prendre une mesure spéciale.

 

 

[7]               La SAI a également lié de la façon suivante les questions des remords et de la réadaptation à son appréciation de l'intérêt des enfants de M. Li :

[30]      Le fait que l’appelant accepte de s’associer à ce genre d’organisation en dit long sur son échelle de valeurs. Cette échelle de valeurs est importante parce qu’il prétend que sa présence au Canada est nécessaire dans l’intérêt supérieur de ses deux enfants. Sa conseil a demandé au tribunal de conclure en ce sens, puisque l’intérêt supérieur des enfants commanderait nécessairement la présence de cet individu au Canada. Je ne suis pas de cet avis.

 

[31]      Le tribunal ne peut présumer de la nature de l’éducation que cet individu donnerait à ces deux jeunes enfants au cours des prochaines années et cette présomption peut jouer dans un sens ou dans l’autre, sauf en ce qui concerne la conclusion que le tribunal a déjà tirée au sujet de l’absence de remords et de réadaptation de l’appelant. Lorsqu’il y a remords et réadaptation, on peut alors faire valoir de façon plausible que l’appelant, qui a appris de ses erreurs et s’est amendé, transmettra à ses enfants ce qu’il a ainsi appris. L’argument contraire est tout aussi convaincant. Lorsqu’il n’y a ni réadaptation ni remords, il est alors assez évident que l’individu en question risque de transmettre ses valeurs aux enfants dont il est chargé de faire l’éducation. Dans l’état actuel des choses, la seule conclusion objective qui joue en faveur de l’appelant est le fait qu’il apporte un revenu au ménage. Là encore, s’agissant de ce motif, le tribunal ne peut s’empêcher de remarquer que l’appelant n’a selon toute vraisemblance rien contribué au ménage entre 2003 et 2006. L’argument qu’il travaille depuis peu n’a donc pas beaucoup de poids, compte tenu de l’inaction qui a caractérisé son comportement de 2003 à 2006.

 

 

III.       Les questions en litige

[8]               a)         La SAI a-t-elle commis une erreur de droit dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire que lui accordent les articles 67 et 68 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), en prenant en compte le principe de dissuasion générale?

 

b)         La SAI a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la preuve concernant l'intérêt des enfants touchés par l'expulsion du demandeur?

 

IV.       Analyse

[9]               En l'espèce, la portée du pouvoir discrétionnaire de la SAI en ce qui a trait à la prise en considération de motifs d'ordre humanitaire est définie par les articles 67 et 68 de la LIPR. Ces dispositions sont rédigées comme suit :

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

 

 

 

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

 

 

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

 

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

 

 

Effet

 

(2) La décision attaquée est cassée; y est substituée celle, accompagnée, le cas échéant, d’une mesure de renvoi, qui aurait dû être rendue, ou l’affaire est renvoyée devant l’instance compétente.

 

 

 

 

Sursis

 

68. (1) Il est sursis à la mesure de renvoi sur preuve qu’il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

 

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

 

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

 

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

Effect

 

(2) If the Immigration Appeal Division allows the appeal, it shall set aside the original decision and substitute a determination that, in its opinion, should have been made, including the making of a removal order, or refer the matter to the appropriate decision-maker for reconsideration.

 

Removal order stayed

 

68. (1) To stay a removal order, the Immigration Appeal Division must be satisfied, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, that sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

 

Dans l'arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, la Cour suprême s'est longuement penchée sur la norme de contrôle applicable à l'exercice du pouvoir discrétionnaire que ces dispositions confèrent à la SAI. La question de savoir si le pouvoir discrétionnaire permet l'application du principe de dissuasion générale est une question de droit à l'égard de laquelle la norme de contrôle est la décision correcte. La question de savoir si la SAI a commis une erreur dans son appréciation de l'intérêt des enfants est une question mixte de fait et de droit qui commande un examen selon la norme déférente de raisonnabilité. 

 

[10]           Il n'appartient pas à la Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve ni de réexaminer les conclusions de la SAI quant à la crédibilité (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339). Même si je possédais un tel pouvoir discrétionnaire, je ne serais pas disposé à l'exercer, parce que les tentatives de M. Li visant à minimiser l'importance de sa conduite justifiaient les conclusions défavorables de la SAI concernant sa perspective de réadaptation.

 

[11]           En ce qui concerne les facteurs énoncés dans Ribic, il était tout à fait indiqué que la SAI examine l'apparente absence de remords de M. Li ainsi que l'absence d'un engagement sérieux envers sa réadaptation et, compte tenu de la preuve dont elle était saisie, de tirer une conclusion différente de celle tirée dans l'instance pénale. Il s'agit de questions qui sont de toute évidence pertinentes pour ce qui est du risque de récidive. La question dont je suis saisi est de savoir si, en refusant à M. Li la prise de mesures spéciales, la SAI était fondée en droit de prendre en compte la dissuasion générale, qui est un principe de détermination de la peine en droit pénal. 

 

[12]           Je souligne que les facteurs énoncés dans Ribic mettent l'accent sur la personne qui demande une mesure et non sur des préoccupations générales liées à l'intérêt public. Une expulsion peut évidemment servir l'intérêt public, plus particulièrement lorsqu'il y a appréhension d'un risque de récidive, mais l’accent est nettement placé sur la situation personnelle du contrevenant dans la perspective de lui éviter l'expulsion. La SAI est tenue d'examiner la question de savoir si la personne qui comparaît devant elle devrait être autorisée à demeurer au Canada pour des motifs d'ordre humanitaire.

 

[13]           Compte tenu de la fréquence à laquelle les facteurs énoncés dans Ribic ont été appliqués depuis 1985, on se serait bien attendu à ce que la dissuasion générale soit reconnue plus tôt si elle constituait un facteur pertinent et légitime dans le cadre de l'exercice du mandat de la SAI. La jurisprudence qui existe donne plutôt à penser qu'il n'est pas approprié pour la SAI d'agir comme une sorte de complément aux tribunaux pénaux. 

 

[14]           L'affirmation selon laquelle la fonction de la SAI ne consiste pas à infliger un châtiment ou à servir le principe de dissuasion générale remonte au moins à l'arrêt de la Cour d'appel dans Hurd c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l’Immigration) (1988), [1989] 2 C.F. 594, 12 A.C.W.S. (3d) 328 (C.A.F.). Dans cet arrêt, la cour se penchait sur une contestation présentée en vertu de l'alinéa 11h) de la Charte canadienne des droits et libertés se fondant sur l'argument selon lequel l'expulsion en tant que conséquence d'une déclaration de culpabilité au criminel constituait une double peine inadmissible. La cour a rejeté l'argument pour les motifs suivants :

Il ressort de cette jurisprudence qu'une procédure d'expulsion ne devrait pas être considérée comme relevant de l'alinéa 11h) de la Charte. Il existe en outre une bonne raison pour aboutir à la même conclusion. Le redressement nécessaire du tort fait à la société et l'effet de dissuasion sur les autres ont déjà été atteints au moyen de la déclaration de culpabilité au criminel. La procédure d'expulsion ne vise pas une fin sociale, mais elle vise seulement à faire partir du Canada un indésirable. Il s'agit d'un moyen afin de dissuader une personne, et non pas la société. Il s'agit d'un moyen afin de dissuader une personne, et non pas la société. Il faut ainsi établir une distinction entre l'expulsion en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976 et les sanctions pénales plus anciennes comme l'exil ou le transfèrement dans une colonie pénitentiaire, dans lesquelles un citoyen était expulsé de son pays d'origine dans le cadre de sa punition, et cela constituait seulement une autre conséquence pénale. On ne peut pas supposer que l'expulsion d'une personne vers son pays d'origine constitue une véritable conséquence pénale. Cela peut, dans certaines circonstances, équivaloir à un grave inconvénient personnel mais non pas au genre d'inconvénients plus que purement personnels que vise l'alinéa 11h) de la Charte. L'expulsion ressemble plutôt à la perte d'un permis ou au renvoi d'un corps policier ou au retrait du droit d'exercer une profession.

 

 

[15]           Même si, dans l'arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] R.C.S. 339, les juges majoritaires ont souligné que les facteurs énoncés dans la décision Ribic ne constituaient pas une liste exhaustive définissant la portée du pouvoir discrétionnaire de la SAI en ce qui concerne la prise en compte de motifs d'ordre humanitaire, ils ont noté, aux paragraphes 65 et 66, la nécessité pour elle de maintenir une séparation claire du processus pénal :

65        Quant à la transparence et à l’intelligibilité des motifs, les membres majoritaires ont pris en considération chacun des facteurs énoncés dans la décision Ribic. Ils ont fait remarquer à juste titre que cette énumération n’était pas exhaustive et que l’importance qu’il faut accorder à chaque facteur varie d’une affaire à l’autre (par. 12). Ils ont examiné la preuve et décidé que, dans les circonstances de l’espèce, la plupart des facteurs ne militaient fortement ni pour ni contre la prise de mesures. Prenant acte des constats des juridictions pénales sur la gravité de l’infraction et la possibilité de réadaptation (les premier et deuxième facteurs énoncés dans Ribic), les membres majoritaires ont conclu que l’infraction dont l’intimé a été reconnu coupable était grave et que ses possibilités de réadaptation étaient difficiles à établir (par. 23).

 

66        L’importance qu’il convenait d’accorder à la preuve de remords présentée par l’intimé et à ses possibilités de réadaptation dépendait de l’appréciation de son témoignage au regard de toutes les circonstances de l’espèce. Le mandat de la SAI diffère de celui des juridictions pénales. M. Khosa n’a pas témoigné à son procès criminel, mais il l’a fait devant la SAI. La SAI ne devait pas apprécier ses possibilités de réadaptation pour les besoins de la détermination de la peine, mais déterminer plutôt si ses possibilités de réadaptation étaient telles que, seules ou combinées à d’autres facteurs, elles justifiaient la prise de mesures spéciales relativement à une mesure de renvoi valide. La SAI devait tirer ses propres conclusions fondées sur sa propre appréciation de la preuve.  C’est ce qu’elle a fait.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[16]           Dans ses propres décisions mêmes, la SAI a respecté cette distinction. La décision de la SAI dans Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] D.S.A.I. no 1268 (QL), offre un exemple d'une telle distinction, une décision dans laquelle les membres majoritaires ont conclu comme suit :

23     Le conseil de l'appelant a présenté de longues observations pour faire valoir qu'il n'appartient pas à la SAI d'infliger une peine additionnelle à l'appelant pour l'infraction que ce dernier a commise. Il a d'ailleurs tout à fait raison : le tribunal serait malvenu d'assumer un tel rôle. Le système de justice pénale a déterminé la culpabilité de l'appelant et lui a infligé une peine en conformité avec les principes de la détermination de la peine au Canada. Le rôle de la SAI est différent de celui des tribunaux pénaux. Il s'agit en l'espèce d'une demande de mesure spéciale. La législation canadienne en matière d'immigration prévoit que le résident permanent déclaré interdit de territoire pour grande criminalité peut être renvoyé du pays. Lorsqu'elle est saisie d'un appel relatif à une mesure de renvoi, la SAI doit tenir compte de toutes les circonstances de l'affaire, mettre en équilibre les divers facteurs qui jouent pour et contre la prise d'une mesure spéciale et rendre une décision en conséquence. […]

 

 

Dans les motifs dissidents, le même point a été souligné :

31     [5] Il n'appartient pas à la SAI d'exercer son pouvoir discrétionnaire à des fins de châtiment ou de dissuasion, car la loi lui interdit de le faire. Il va sans dire que la SAI ne ferme pas non plus les yeux sur la conduite de l'appelant. Quoi qu'il en soit, elle se doit d'appliquer le critère juridique pertinent et, par conséquent, de tenir compte de toutes les circonstances.

 

 

[17]           Le bien-fondé du principe de dissuasion générale lors de la détermination de la peine en matière criminelle est d'envoyer un message dans la collectivité. L'imposition d'une sanction pénale aux fins de servir d'exemple est nettement un aspect de la détermination de la peine qui n'a aucune place dans le processus d'expulsion en matière d'immigration. Confondre le pouvoir discrétionnaire de la SAI en matière de motifs d'ordre humanitaire et le contexte pénal fait aussi courir le danger que la décision prise puisse, comme dans la présente affaire, ressembler à une tentative de corriger une insuffisance perçue dans la détermination de la peine. Dans Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 24, [2007] 4 R.C.F. 332, au paragraphe 18, le juge Robert Décary a souligné ce point et le risque de transformer l'audience de la SAI en un procès quasi pénal.

 

[18]           Bien qu'il ne soit pas strictement nécessaire de se pencher sur l'appréciation de la SAI en ce qui a trait à l'intérêt des enfants, il s'agit d'un facteur suffisamment important qui justifie d’être examiné. Les observations de la SAI concernant le lien entre le manque d'introspection de la part de M. Li quant à sa conduite et son rôle de père semblent quelque peu exagérées et conjecturales. Quoi qu'il en soit, la réduction par la SAI de l'intérêt des enfants en une mise en balance de la contribution financière de M. Li et de la possibilité d'inculquer à ses enfants de mauvaises valeurs est une simplification à outrance. La preuve des contributions positives de M. Li au bien-être de ses enfants était beaucoup plus importante que ne le reflète la reconnaissance de son rôle en tant que contributeur pécuniaire au ménage. Dans son témoignage, l'épouse de M. Li a déclaré qu'il participait directement aux soins à donner aux enfants et qu'elle ne pouvait assumer seule ces responsabilités. Elle a également affirmé dans sa déclaration de 2007 à la SAI que M. Li avait formé un lien sain et significatif avec l'aîné et que M. Li était un bon père. L'omission de la SAI de prendre en compte cet élément de preuve et de mettre plutôt l'accent sur la perception contraire de M. Li comme modèle médiocre pour ses enfants constitue une conclusion abusive tirée sans tenir compte de la preuve et la décision doit également être annulée pour ce motif.

 

V.        Conclusion

[19]           Je suis convaincu que la SAI a commis une erreur de droit en appliquant le principe de dissuasion générale dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire quant aux motifs d'ordre humanitaire. Je suis également convaincu que la SAI a commis une erreur dans son appréciation de la preuve concernant l'intérêt des enfants. En conséquence, la présente affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAI pour un nouvel examen sur le fond.

 

[20]           Le défendeur ayant exprimé un intérêt pour proposer une question à certifier à l'égard de la dissuasion générale, je lui accorderai dix jours pour présenter ses observations. Le demandeur disposera de sept jours pour y répondre. 

 


 

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l'affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué de la SAI pour un nouvel examen sur le fond.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3418-08

 

Intitulé :                                       Li

                                                            c.

                                                            MCI

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Calgary (Alberta)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               le 16 septembre 2009

 

Motifs du jugement

et jugement :                              le juge Barnes

 

DATE DES MOTIFS :                      le 1er octobre 2009

 

 

 

Comparutions :

 

Jolene Otieno

403-298-0480

 

Pour le demandeur

Brad Hardstaff

780-495-5895

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sherritt Greene

Avocats

Calgary (Alberta)

 

Pour le demandeur

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 



[1] Voir Ribic c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l’Immigration), [1985] D.S.A.I. no 4 (QL).

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