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Date : 20090918

Dossiers : IMM‑4668‑08

IMM‑4669‑08

IMM‑4670‑08

IMM‑4675‑08

IMM‑4722‑08

 

Référence : 2009 CF 938

 

Vancouver (Colombie-Britannique), le 18 septembre 2009

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

Dossier : IMM‑4668 08

RICO BAYLON

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ENTRE :

Dossier : IMM‑4669‑08

JOHN CARREON

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur


ENTRE :

Dossier : IMM‑4670‑08

JUAN DASTAS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ENTRE :

Dossier : IMM‑4675‑08

GLEN FUENTES

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ENTRE :

Dossier : IMM‑4722‑08

ROMUALDO C. BAYLON

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]               Les demandeurs sont de jeunes citoyens philippins. Ils font partie d’un groupe d’environ 40 personnes qui ont demandé des visas de résident temporaire afin de pouvoir venir travailler dans une usine de transformation du poisson à Richmond en Colombie-Britannique. Leurs demandes ont été rejetées par décisions en date des 11, 13 et 17 septembre 2008, au motif qu’ils n’ont pas convaincu les agents des visas qu’ils quitteraient le Canada une fois leurs visas expirés. Ils demandent maintenant le contrôle judiciaire de ces décisions.

 

[2]               J’ai fait savoir à la fin de l’audience que j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire IMM‑4668‑08, rejetterais les demandes IMM‑4722‑08 et IMM‑4675‑08, et remettrais le prononcé de mes décisions sur les dossiers IMM‑4669‑08 et IMM‑4670‑08. Je suis maintenant parvenu à la conclusion que la demande de contrôle judiciaire IMM‑4670‑08 doit être accueillie, et la demande IMM‑4669‑08 rejetée, pour les motifs dont l’exposé suit.

 

[3]               Si chacun de ces dossiers met en jeu des faits différents et doit donc être examiné séparément, il est également vrai qu’ils soulèvent des questions communes et font intervenir les mêmes principes juridiques. C’est pourquoi ces affaires ont été instruites ensemble et feront l’objet d’un seul exposé des motifs, les distinctions voulues étant établies en fonction de la situation particulière de chaque demandeur. En conséquence, un exemplaire des présents motifs sera versé à chacun des cinq dossiers sur lesquels ils portent.

 

I. Les faits

[4]               Comme je le disais plus haut, tous les demandeurs sont des citoyens philippins qui ont chacun reçu une offre d’emploi de deux ans de Gran Hale Fisheries, entreprise exploitant une usine de transformation du poisson en Colombie-Britannique. Le travail en question consisterait à découper, vider et emballer du poisson et d’autres produits de la mer. Le salaire horaire des demandeurs serait de 12 $, soit beaucoup plus que ce qu’ils gagnent aux Philippines. Service Canada a émis à l’égard de tous un avis positif relatif au marché du travail.

 

[5]               M. Rico Baylon (dossier IMM‑4668‑08) est né en 1984. Ses parents, qui sont âgés, et la plupart des membres de sa famille résident aux Philippines. Il est célibataire et n’a ni enfants ni autres personnes à charge. Ses grands-parents et une de ses tantes vivent près de Vancouver. Il détient un diplôme d’études supérieures et a travaillé aux Philippines de janvier à décembre 2007 comme représentant de commerce chez Motorparts Unlimited, dans la province des Camarines, où son salaire mensuel équivalait à 75 $.

 

[6]               M. John Carreon (dossier IMM‑4669‑09) est né en 1984. Ses parents, qui sont âgés, ses frères et sœurs et sa fiancée résident aux Philippines. Il a travaillé comme agent de recouvrement chez Executive Village, à Lucena, de mai 2003 à décembre 2007. Son salaire mensuel y équivalait à un montant se situant entre 315 et 340 $.

 

[7]               M. Juan Dastas (IMM 4670 08) est né en 1970. Son épouse et ses trois enfants résident aux Philippines. Une de ses tantes vit près de Vancouver. Il travaillait aux Philippines comme ouvrier des services publics chez 4 NA Alas Trading depuis janvier 2004. Son salaire mensuel y était d’environ 150 $. Il a déposé une lettre de son ancien employeur où celui‑ci déclare qu’il le réembauchera à son retour.

 

[8]               M. Glen Fuentes (IMM‑4675‑08) est né en 1981. Il est célibataire et n’a ni enfants ni autres personnes à charge. Il a travaillé comme gardien chez NC Miguel‑Fuentes Optical de 2000 à 2002, et comme commis au classement chez Selective Security Services à partir de 2002. Son salaire mensuel équivalait à environ 240 $. Il affirme avoir obtenu en 2007 un diplôme de premier cycle en génie agricole à l’Université d’État Isabela.

 

[9]               Enfin, M. Romualdo C. Baylon (IMM‑4722‑08) est né en 1978. Son père, trois de ses frères et/ou sœurs et un de ses grands-pères vivent au Canada; sa mère est décédée. Un de ses deux frères et/ou sœurs résidant aux Philippines a aussi demandé un visa de travail en vue d’un emploi chez le même employeur. M. Baylon déclare avoir travaillé comme représentant de commerce pour Kenrich Distributor Co. de 1999 à 2000, comme associé aux ventes chez Phil Gear Int’l Inc. d’octobre 2000 à mars 2001, et comme directeur commercial chez Kumbawa Sales Marketing de mai à octobre 2007. Au moment où il a déposé sa demande de visa, son salaire mensuel était d’environ 150 $.

 

II. Les décisions contrôlées

[10]           Les décisions relatives à ces cinq demandes de visa ont été rendues par trois agents différents, qui ont tous rejeté celles‑ci au motif qu’ils n’étaient pas convaincus que les demandeurs quitteraient le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, par application de l’alinéa 20(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et de l’alinéa 200(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Leur conclusion était essentiellement motivée par la faiblesse supposée des liens économiques des demandeurs avec leur pays d’origine.

 

[11]           La lettre type envoyée à chacun des demandeurs n’explique guère la décision rendue à son propos. On y a simplement coché la case correspondant à la mention : [TRADUCTION] « Vous ne m’avez pas convaincu(e) que vous aurez quitté le Canada à la fin de votre période de séjour autorisée, au motif que vous n’avez pas démontré l’existence de liens qui me convaincraient de votre intention de retourner dans votre pays d’origine. » Les notes du STIDI sont cependant un peu plus détaillées, et elles sont complétées par un affidavit de chacun des agents des visas, où il expose plus amplement les motifs de sa décision. Je résumerai maintenant ces motifs à propos de chacun des demandeurs.

 

[12]           Pour ce qui concerne M. Rico Baylon, l’agente des visas note d’abord qu’il a omis de révéler que son frère déposait une demande de visa semblable. Elle exprime également des doutes touchant sa période d’emploi récente, le demandeur n’ayant pas produit d’attestation y afférente. Selon l’agente, ses perspectives d’emploi dans son pays paraissent incertaines, étant donné qu’il n’a d’expérience professionnelle que dans le domaine de la vente alors qu’il détient un diplôme universitaire en criminologie; en fait, ajoute‑t‑elle, le demandeur ne semblait pas avoir d’emploi au moment du dépôt de sa demande. L’agente insiste aussi sur le fait qu’il est célibataire, et qu’il n’a ni conjoint de fait ni enfants. Le demandeur et son frère ont donné l’adresse l’un de l’autre dans leurs formulaires de demande, et l’adresse ainsi déclarée par le demandeur se trouve à dix heures de route du lieu où il affirme être employé. Pour tous ces motifs, l’agente se dit non convaincue que le demandeur a de bonnes raisons de quitter le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée.

 

[13]           Pour ce qui est de M. John Carreon, l’agent des visas déclare aussi ne pas être convaincu qu’il a de bonnes raisons de quitter le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée, pour les motifs suivants. Premièrement, il est célibataire, et n’a ni conjoint de fait ni enfants. De plus, il a une tante qui habite au Canada. Son salaire aux Philippines est bas pour quelqu’un qui a fait des études supérieures, et il a occupé le même poste peu spécialisé durant cinq ans sans aucun avancement, ce qui démontre la faiblesse de ses liens économiques avec les Philippines. Qui plus est, il y a lieu de mettre en doute ses antécédents professionnels, étant donné que l’adresse de résidence qu’il déclare se situe à quatre ou cinq heures de route de l’endroit où il affirme travailler.

 

[14]           M. Juan Dastas est lui aussi considéré comme non établi aux Philippines, pour divers motifs. Bien qu’il soit marié et ait trois enfants à sa charge, on note une lacune importante (concernant la période de 1994 à 2004) dans le compte rendu qu’il donne de sa vie professionnelle. Il est peu instruit, touche un faible salaire mensuel, occupe un emploi peu spécialisé et a échoué deux fois en anglais à l’école secondaire. L’agente des visas note également ce qui suit dans son affidavit : [TRADUCTION] « Il n’est pas rare aux Philippines que l’un des parents ou les deux travaillaient à l’étranger durant de longues périodes, parfois plusieurs années. Dans la culture philippine, la présence de membres de la famille n’est pas un facteur d’attraction puissant. » Selon elle, le revenu sur lequel il peut compter au Canada et le fait qu’y vivent certains de ses proches parents constituent de puissants facteurs d’attraction propres à l’inciter à y rester, en particulier si l’on ajoute à cela le fait qu’il n’est pas certain qu’il puisse trouver un emploi à son retour aux Philippines. 

 

[15]           La demande de M. Glen Fuentes a été rejetée pour de nombreux motifs. Premièrement, il n’a jamais été marié et n’a personne à sa charge. Le document qu’il a produit en guise d’attestation de son emploi chez NC Miguel‑Fuentes Optical n’était pas établi dans la forme officielle normale, ne contenait pas comme il est d’usage les coordonnées de répondants et avait un signataire portant le même nom de famille que lui. Par conséquent, l’agente des visas a mis en doute la fiabilité de ce document. L’autre attestation d’emploi du demandeur ne se présentait pas non plus dans la forme officielle normale : il n’était pas daté, et il était signé par le directeur général plutôt que par un agent des ressources humaines. Selon l’agente des visas, cette seconde attestation pouvait avoir aussi été établie au moyen d’un ordinateur domestique. Elle a également estimé non crédible qu’une si petite entreprise pût garantir le même emploi après deux ans. Le demandeur avait aussi déclaré que, de 2002 à 2007, il avait travaillé à plein temps à Cainta (dans la province de Rizal), tout en étudiant à plein temps à Echague (dans la province d’Isabela). Or il faut au moins huit heures de car pour se rendre de l’une à l’autre de ces villes. L’agente des visas ajoute que le demandeur n’a que de faibles liens économiques avec les Philippines. Son salaire est bas pour quelqu’un qui a fait des études supérieures. Il a continué à travailler dans un poste peu spécialisé, sans rapport avec son domaine d’études, après avoir obtenu son diplôme universitaire. Il veut quitter ce poste pour un autre au Canada, aussi peu spécialisé et aussi peu en rapport avec sa discipline d’études, mais considérablement mieux rémunéré. Cette expérience n’accroîtra pas ses compétences professionnelles, ni son employabilité à son retour aux Philippines. La faiblesse de son établissement économique aux Philippines réduit donc les raisons qu’il aurait de quitter le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée.

 

[16]           Enfin, la demande de M. Romualdo C. Baylon a aussi été rejetée au motif de l’extrême faiblesse de ses liens avec les Philippines. Il n’a jamais été marié, et n’a ni enfants ni autres personnes à charge. L’agent des visas insiste sur le fait que, sur les huit personnes que le demandeur déclare composer sa famille, seuls deux frères et/ou sœurs restent aux Philippines, dont un essaie de venir au Canada afin d’y travailler pour le même employeur. En outre, le demandeur a été au chômage durant les neuf mois qui ont précédé sa demande et n’a été employé que pendant six mois depuis 2001. L’agent des visas souligne aussi dans son affidavit que le demandeur, bien qu’il ait passé sept ans dans des établissements d’enseignement postsecondaire, n’a obtenu de diplôme dans aucune des disciplines qu’il a étudiées. Il n’a donc acquis aucune stabilité économique, pas plus qu’il n’a manifesté de dispositions pour le travail manuel.

 

III. La question en litige

[17]           La seule question à trancher dans les cinq affaires est celle de savoir si les agents des visas se sont trompés en concluant qu’aucun des demandeurs ne remplissait les conditions requises pour obtenir le visa de résident temporaire et le permis de travail sollicités. Plus précisément, la Cour est invitée à évaluer la raisonnabilité de la conclusion des agents des visas comme quoi les demandeurs n’auraient pas établi qu’ils quitteraient le Canada à la fin de leur période de séjour autorisée.

 

IV. Le cadre législatif

[18]           L’étranger qui cherche à entrer au Canada est tenu de prouver qu’il satisfait aux conditions fixées par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [L.C. 2001, ch. 27, paragraphe 11(1)]. Le paragraphe 20(1)b) de la Loi énonce les obligations de l’étranger qui cherche à entrer au Canada pour y devenir résident temporaire :

 

20. (1) L’étranger non visé à l’article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :

 

 

a) pour devenir un résident permanent, qu’il détient les visas ou autres documents réglementaires et vient s’y établir en permanence;

 

 

 

b) pour devenir un résident temporaire, qu’il détient les visas ou autres documents requis

par règlement et aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

 

20. (1) Every foreign national, other than a foreign national referred to in section 19, who seeks to enter or remain in Canada must establish,

 

(a) to become a permanent resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and have come to Canada in order to establish permanent residence; and

 

(b) to become a temporary resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

 

[19]           L’une des catégories de résidents temporaires est celle des travailleurs; elle fait l’objet de la section 11 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227. L’étranger qui souhaite obtenir un permis de travail doit, entre autres, établir qu’il remplit les deux conditions suivantes :

200. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), l’agent délivre un permis de travail à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

[…]

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de la section 2 de la partie 9;

c) il se trouve dans l’une des situations suivantes :

[…]

(iii) il s’est vu présenter une offre d’emploi et l’agent a, en application de l’article 203, conclu que cette offre est authentique et que l’exécution du travail par l’étranger est susceptible d’avoir des effets positifs ou neutres sur le marché du travail canadien;

200. (1) Subject to subsections (2) and (3), an officer shall issue a work permit to a foreign national if, following an examination, it is established that

[…]

(b) the foreign national will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2 of Part 9;

(c) the foreign national

 

[…]

(iii) has been offered employment and an officer has determined under section 203 that the offer is genuine and that the employment is likely to result in a neutral or positive effect on the labour market in Canada;

 

[20]           Selon les lignes directrices intitulées « Procédures des travailleurs étrangers temporaires », en date du 21 avril 2008, le projet pilote des travailleurs peu qualifiés est conçu pour remédier à la pénurie de travailleurs peu spécialisés en permettant l’embauche de tels travailleurs venant de l’étranger. Les principes de base de cette politique sont énoncés dans les termes suivants :

Présentement, le marché de l’emploi vit des transformations majeures. L’accroissement de la demande pour des travailleurs hautement qualifiés a créé un vide et a poussé les employeurs à rechercher des employés qualifiés hors de leurs marchés traditionnels. Le projet pilote des travailleurs peu qualifiés est une stratégie de gestion du risque sous l’impulsion du marché du travail visant à combler ce vide par l’embauche de travailleurs peu qualifiés d’outre-mer. Lors de l’évaluation des demandes de TPQ les agents des visas doivent avoir à l’esprit les objectifs de la politique de ce projet pilote ainsi que l’équilibre à atteindre entre les risques potentiels et les bénéfices pour l’économie canadienne.

 

 

[21]           Suivant cette politique, l’examen d’une demande de permis de travail exige qu’il soit répondu à deux questions fondamentales : « Le demandeur fera-t-il le travail et peut-il le faire? » Les réponses à ces questions ne font de doute dans aucun des cinq dossiers dont la Cour est ici saisie.

 

[22]           Le rappel fait aux agents des visas qu’ils doivent aussi assurer l’application du paragraphe 200(1) du Règlement concerne de plus près les présentes instances. On trouve à ce sujet le passage suivant dans les lignes directrices :

 

Le paragraphe 200(1) du Règlement stipule que l’agent des visas doit délivrer un permis de travail à un étranger si, à l’issue d’un contrôle, il est établi (notamment) que l’étranger quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. La norme de preuve à cet égard est la norme civile de la « prépondérance des probabilités » ou « est plus susceptible de le faire que de ne pas le faire ».

 

[23]           C’est en tenant compte du cadre ainsi délimité que j’examinerai maintenant les décisions rendues par les agents des visas dans les cinq dossiers qui nous occupent.

 

V. Analyse

[24]           L’agent des visas qui examine une demande de permis de travail exerce un pouvoir discrétionnaire défini par la loi, qui commande un degré élevé de retenue judiciaire. Par conséquent, la norme de contrôle logiquement applicable à la décision d’un agent des visas est celle de la décision raisonnable. C’est là en fait la norme que la jurisprudence de notre Cour a retenue pour le contrôle des décisions de cette nature; voir : Choi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 577; et Angeles c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 744. Par conséquent, la Cour doit s’en remettre à la décision de l’agent des visas si elle est justifiée, si elle résulte d’un processus transparent et intelligible, et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard de l’ensemble de la preuve : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.

 

[25]           Pour ce qui concerne, d’abord, la décision rendue dans le cas de M. Rico Baylon, le demandeur soutient que l’évaluation par l’agente des visas de sa demande de permis de travail était déraisonnable au motif qu’elle n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents. Je pense comme le défendeur qu’il incombait à M. Baylon de convaincre l’agente des visas qu’il quitterait le Canada à la fin de la période autorisée pour tout travail temporaire au Canada. Aux fins d’établir si le demandeur s’était acquitté de cette charge, l’agente des visas était en droit d’examiner la totalité de sa situation. La solidité des liens pécuniaires et autres du demandeur avec les Philippines, son âge, ainsi que sa situation familiale et professionnelle, étaient tous des facteurs pertinents que l’agente pouvait prendre en compte. Le point de savoir si un demandeur donné a des raisons de rester au Canada et les conditions qui caractérisent son pays d’origine font partie de l’ensemble des faits que l’agent des visas doit prendre en considération pour établir s’il quittera le Canada à la fin de la période autorisée pour tout séjour temporaire. En outre, le poids à attribuer aux facteurs respectifs relevait du pouvoir discrétionnaire de l’agente et n’est pas soumis au contrôle judiciaire.

 

[26]           Cela dit, l’agente des visas a négligé un élément de preuve important. Aussi bien dans les notes du STIDI que dans son affidavit, elle déclare que M. Baylon n’a pas produit de preuve documentaire de l’emploi qu’il affirme avoir occupé. Or, M. Baylon fait référence à une lettre de son employeur dans la déclaration qu’il a présentée à l’agente, et l’on trouve dans le dossier du tribunal une attestation d’emploi jointe à la déclaration du demandeur. Cette attestation non seulement confirme que M. Baylon a été employé chez Motor Parts Unlimited de janvier à décembre 2007, mais elle porte également qu’un poste y sera à sa disposition [TRADUCTION] « quand il voudra ».

 

[27]           L’avocat du défendeur a concédé à l’audience que c’était là une omission importante, dans la mesure où l’absence d’attestation d’emploi et le caractère limité des perspectives d’emploi du demandeur paraissent avoir été des facteurs importants de la décision de l’agente de rejeter sa demande de permis de travail temporaire. L’avocat du défendeur a également concédé que la demande de contrôle judiciaire en question devrait être accueillie à ce motif. En conséquence, la demande de permis de travail de M. Rico Baylon sera renvoyée pour nouvel examen par un agent des visas différent.

 

[28]           Quant à MM. Glen Fuentes et Romualdo C. Baylon, je conclus qu’ils ne sont pas fondés en leurs demandes respectives de contrôle judiciaire. Je constate que, dans ces deux cas, les agents des visas ont pris en considération la totalité de la preuve produite. Ils ont examiné avec attention les faits en question et ont tout simplement abouti à une conclusion différente de celle que les demandeurs auraient préférée. Ils ont bien tenu compte de l’offre d’emploi, de la situation de famille et des antécédents professionnels des demandeurs. Les agents ont aussi pris en considération la situation générale de l’emploi aux Philippines, qui fait partie du contexte général dont doivent tenir compte les agents qui examinent les demandes de visa de travail. Ils ont ensuite déduit leurs conclusions de l’ensemble de ces renseignements. Je ne vois rien de déraisonnable dans ces conclusions, compte tenu du fait qu’il incombait aux demandeurs de prouver qu’ils quitteraient le Canada à l’expiration de leurs visas de travail.

 

[29]           Pour ce qui est de la demande de M. John Carreon, on ne m’a pas convaincu que la décision de l’agent des visas n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard de la preuve dont il disposait. Les attaches personnelles de M. Carreon avec les Philippines sont très faibles, étant donné qu’il n’a jamais été marié et n’a ni enfants ni conjoint de fait. Le fait que son salaire soit peu élevé, même pour les Philippines, ne devrait pas être retenu contre lui puisque c’est là un aspect inévitable de la situation de travailleur peu spécialisé. Cependant, l’agent des visas fait observer que ses perspectives de carrière semblent limitées, étant donné qu’il a occupé durant cinq ans (l’agent écrit par inadvertance huit ans) le même poste peu spécialisé sans recevoir aucun avancement. S’il est vrai que je serais peut-être parvenu moi-même à une conclusion différente, ce n’est pas là le critère applicable. Il n’était pas déraisonnable de conclure, comme l’a fait l’agent des visas, que l’abandon par le demandeur de son emploi en vue d’occuper un autre poste peu spécialisé au Canada, non lié à son domaine d’études (il détient un diplôme universitaire d’informatique) mais considérablement plus rémunérateur, et la présence d’un parent au Canada, constitueraient pour lui autant de motifs de rester dans notre pays après la période autorisée pour son séjour. Cette conclusion se trouve dans une certaine mesure renforcée par le problème de crédibilité qui se pose à propos de ses antécédents professionnels déclarés. En effet, l’adresse de résidence du demandeur se situe apparemment à quatre ou cinq heures de route de son lieu de travail. Même si l’agent des visas a décidé de ne pas pousser plus loin les recherches sur cette question parce que le résultat n’en aurait pas changé sa décision, il s’agit là d’un facteur défavorable à M. Carreon dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire.

 

[30]           J’examinerai enfin le cas de M. Juan Dastas, plus difficile que les autres, parce que sa situation personnelle le place plus près de la ligne de démarcation. Malgré le degré élevé de retenue judiciaire que commande la décision de l’agente des visas, je suis parvenu (encore qu’après beaucoup d’hésitation) à la conclusion qu’il était déraisonnable d’estimer plus improbable que probable que M. Dastas retourne aux Philippines à la fin de sa période de séjour autorisée au Canada. Cette conclusion repose sur les motifs dont l’exposé suit.

 

[31]           Premièrement, M. Dastas a une épouse, trois enfants et quatre frères et sœurs aux Philippines. Si je me rends bien compte que le fait de laisser son père et sa mère dans son pays ne garantit pas qu’on y retournera (en particulier si on a 39 ans), il n’en va pas de même dans le cas où les personnes dont on se sépare ainsi sont une épouse et trois enfants en bas âge. Cela devrait à l’évidence constituer un puissant facteur d’« attraction », en l’absence d’éléments tendant à établir que le mariage se désagrège et/ou que les enfants ne sont plus à la charge de leurs parents. Or, l’agente des visas ne disposait pas d’éléments de cette nature.

 

[32]           Touchant les liens économiques du demandeur avec les Philippines, l’agente note que son salaire mensuel est très bas. Comme je le disais plus haut à propos d’un autre dossier, je ne pense pas que ce facteur devrait être retenu contre M. Dastas, puisque les bas salaires sont inhérents à la condition de travailleur peu spécialisé. La lacune de dix ans observée dans le compte rendu que donne M. Dastas de sa vie professionnelle (il ne déclare aucun emploi entre 1994 et 2004) me paraît plus gênante. Ce fait, si on y ajoute le peu d’instruction du demandeur, tendrait à établir le caractère limité de ses perspectives d’emploi aux Philippines. Cependant, M. Dastas a été employé sans interruption au cours des quatre dernières années, et il affirme dans la déclaration écrite qu’il a présentée à l’agente des visas que son employeur actuel lui garantit un emploi à son retour aux Philippines (cette lettre ne figure pas dans le dossier du tribunal, mais est incluse dans le dossier du demandeur). Qui plus est, ainsi que le fait valoir son avocat, M. Dastas ne peut qu’avoir travaillé pour subvenir aux besoins de sa famille pendant la période susdite de dix ans, puisque son épouse paraît être une femme au foyer.

[33]           L’agente des visas écrit dans son affidavit que le fait d’y avoir laissé sa famille n’est pas une forte motivation pour retourner aux Philippines, étant donné qu’ [TRADUCTION] « il n’est pas rare [dans ce pays] que le père, la mère ou les deux travaillent à l’étranger durant de longues périodes, pouvant parfois atteindre plusieurs années ». « En fait, ajoute‑t‑elle, plus d’un million de Philippins résident et travaillent à l’étranger chaque année, la plupart y occupant des emplois peu spécialisés. La séparation d’avec ses proches pour travailler à l’étranger est un fait admis et courant. »

 

[34]           Cet élément de preuve extrinsèque n’est ni corroboré ni appuyé de documents et, en tout état de cause, n’a pas de pertinence. J’admets que les conditions du pays d’origine du demandeur peuvent s’insérer dans l’ensemble des faits que l’agent des visas doit prendre en considération pour établir si le demandeur quittera le Canada à la fin de la période autorisée pour tout séjour temporaire. Mais le simple fait que de nombreux ouvriers philippins peu spécialisés travaillent à l’étranger ne signifie pas en soi qu’ils y restent plus longtemps que ne l’autorise leur permis de travail, et encore moins qu’ils y vivent illégalement. Les généralisations et simplifications excessives de ce genre ne peuvent ni ne doivent former la base d’un examen qui doit toujours être individuel et fondé sur la situation particulière de la personne en cause. Pour tous ces motifs, je suis d’avis d’accueillir la demande de contrôle judiciaire de M. Dastas.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

·        les demandes de contrôle judiciaire nos IMM‑4668‑09 et IMM‑4670‑08 sont accueillies, et les dossiers correspondants sont renvoyés pour nouvel examen à un agent des visas différent;

·        les demandes de contrôle judiciaire nos IMM‑4669‑08, IMM‑4675‑08 et IMM‑4722‑08 sont rejetées.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                      IMM‑4668‑08

                                                            IMM‑4669‑08

                                                            IMM‑4670‑08

                                                            IMM‑4675‑08

                                                            IMM‑4722‑08

 

INTITULÉ :                                       RICO BAYLON c. MCI

                                                            JOHN CARREON c. MCI

                                                            JUAN DASTAS c. MCI

                                                            GLEN FUENTES c. MCI

                                                            ROMUALDO C. BAYLON c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATES DE L’AUDIENCE :             Les 15, 16 et 17 septembre 2009

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 18 septembre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sumandeep Singh

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Edward Burnet

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cowley & Company

Surrey (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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