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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20090921

Dossier : IMM-1202-09

Référence : 2009 CF 941

Ottawa (Ontario), le 21 septembre 2009

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

 

SHAMINDER KANG

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’égard d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le 25 février 2009 par laquelle celle‑ci a rouvert l’appel interjeté par Shaminder Kang (le défendeur) à l’encontre d’une mesure de renvoi.

 

Les questions en litige

[2]               Le demandeur a soulevé les questions suivantes :

 

a.                   La SAI a‑t‑elle appliqué le critère juridique approprié lorsqu’elle a décidé de rouvrir l’appel?

b.                  La SAI a‑t‑elle mal interprété ce qu’on entend par manquement à la justice naturelle?

 

[3]               La demande de contrôle judiciaire sera accueillie pour les motifs qui suivent.

 

Le contexte factuel

[4]               Le défendeur est un citoyen de l’Inde qui est devenu résident permanent du Canada en 1977. Il n’a jamais obtenu la citoyenneté canadienne. Il a été déclaré coupable de nombreuses infractions criminelles, notamment de voies de fait (juin 2003 et juillet 2006) et de vol (octobre 2004).

 

[5]               Le 30 novembre 2007, le défendeur a été déclaré coupable, en vertu de l’alinéa 267a) et de l’alinéa 264.1(1)a) du  Code criminel, L.R.C. 1985, ch. c-46, respectivement, d’avoir commis une agression armée et d’avoir proféré des menaces.

 

[6]               À la suite de ces déclarations de culpabilité, un rapport alléguant que le défendeur est interdit de territoire au Canada pour criminalité en vertu du paragraphe 36(1) a été établi le 28 janvier 2008 en vertu de l’article 44 de la Loi. Ce rapport a été renvoyé le 8 février 2008 à la Section de l’immigration (la SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

 

[7]               La SI a entrepris une enquête le 14 mars 2008, mais elle l’a suspendue pour deux mois afin de donner au défendeur la possibilité de consulter son avocat. Le 14 mai 2008, la SI a de nouveau suspendu l’enquête afin de donner au défendeur la possibilité de consulter son avocat. Le 29 mai 2008, la SI a repris l’enquête.

 

[8]               Lors de cette enquête, le défendeur a reconnu les allégations d’interdiction de territoire figurant dans le rapport et une mesure de renvoi a été prise contre lui.

 

[9]               Le jour suivant l’enquête, le défendeur a déposé un avis d’appel de la mesure de renvoi auprès de la SAI.

 

[10]           Le 30 septembre 2008, la SAI a tenu une audience visant à fixer un échéancier. Le défendeur a reçu avis de l’audience, mais il n’y a pas assisté et n’a fourni aucune explication quant à son absence.

 

[11]           Le 21 octobre 2008, la SAI a tenu une audience relative au désistement dans le cadre de l’appel du défendeur et celui‑ci en a reçu avis. Le défendeur ne s’est pas présenté à l’audience et la SAI a rendu une ordonnance rejetant l’appel pour cause de désistement.   

 

La décision contestée

[12]           Le 28 novembre 2008, l’avocat du défendeur a déposé auprès de la SAI une demande sollicitant, en vertu de l’article 71, une ordonnance de réouverture de l’appel interjeté par le défendeur contre la mesure de renvoi. Le défendeur a prétendu qu’il y avait eu manquement à la justice naturelle dans l’instance devant la SAI car il n’était pas représenté par un représentant désigné et que, comme il souffrait d’alcoolisme, cette représentation était nécessaire. Le ministre (le demandeur) s’est opposé à la réouverture.

 

[13]           Dans une décision rendue le 25 février 2009, la SAI a accueilli l’appel et a ordonné la réouverture de l’appel portant sur la mesure de renvoi.

 

[14]           La SAI a reproduit dans ses motifs de nombreux passages de la transcription de l’instance devant la SI. La SAI a également souligné que, dans le cadre de la demande de réouverture, le défendeur avait produit, à l’appui de sa prétention selon laquelle il n’était pas capable de vraiment saisir toute l’importance de l’instance devant la SAI, un certain nombre de billets émanant de son médecin et un certain nombre de déclarations émanant de parents mentionnant qu’il souffrait d’alcoolisme, de dépendance à la drogue et d’autres maux.  

 

[15]           La SAI a alors conclu qu’elle était saisie de certains renseignements qui semblaient indiquer un manque de compréhension du processus. La SAI a fondé sa conclusion sur des extraits de la transcription de l’instance devant la SI dans lesquels le défendeur a formulé des commentaires qui, selon la SAI, « peuvent sembler décousus et ne pas avoir de lien logique avec les propos de la commissaire » (Shaminder Kang c. Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (25 février 2009), VA8-02108, au paragraphe 8 (SAI) (motifs de la SAI)).

 

La disposition législative pertinente

[16]           Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

71. L’étranger qui n’a pas quitté le Canada à la suite de la mesure de renvoi peut demander la réouverture de l’appel sur preuve de manquement à un principe de justice naturelle.

71. The Immigration Appeal Division, on application by a foreign national who has not left Canada under a removal order, may reopen an appeal if it is satisfied that it failed to observe a principle of natural justice.

 

Les arguments de l’appelant

[17]           Premièrement, l’appelant prétend que la SAI a outrepassé sa compétence de réouverture des appels en vertu de l’article 71 de la Loi, lequel limite explicitement sa compétence de réouverture d’un appel interjeté à l’encontre d’une mesure de renvoi aux cas où la SAI conclut qu’elle n’a pas observé un principe de justice naturelle.

 

[18]           Dans les motifs justifiant la réouverture de l’appel, la SAI ne relève aucun manquement à la justice naturelle de sa part dans le dossier du défendeur. Elle a simplement relevé une possibilité que le demandeur n’a pas compris le processus. De plus, dans les motifs, la SAI s’appuie sur des éléments de preuve soumis dans l’instance devant la SI et non pas celle devant la SAI.    

 

[19]           Deuxièmement, l’appelant prétend que la SAI a commis une erreur de droit en interprétant mal la portée du manquement à la justice naturelle. Plus particulièrement, il a mal interprété ce que nécessite la justice naturelle lorsque l’incapacité mentale d’une personne est telle que les principes de justice naturelle exigeraient la nomination d’un représentant désigné.

 

[20]           L’appelant attire l’attention sur le paragraphe 19(1) des Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/2002-230 (Section d’appel de l’immigration) qui impose au conseil, et non pas à la SAI, la charge de trouver un représentant.

 

[21]           L’appelant conclut également que le seuil fixé pour le manquement à la justice naturelle pour cause d’incapacité est beaucoup plus élevé que celui qui est fixé pour un possible manque de compréhension. Pour qu’il y ait manquement à la justice naturelle, la preuve au dossier doit démontrer que la personne est atteinte d’une maladie mentale (Mattia c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1987] 3 C.F. 492) (1re inst.) (Mattia) ou que la personne a été effectivement privée de la possibilité de prendre une décision libre et éclairée en raison d’une quelconque forme de contrainte psychologique (Kaur c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 C.F. 209 (C.A.)).  

 

[22]           L’appelant souligne que la SAI disposait de peu d’éléments de preuve démontrant l’existence de la présumée maladie mentale du défendeur et il souligne que la SAI a accueilli l’appel parce que la preuve donnait à penser qu’il y avait eu manque de compréhension.

 

[23]           Le défendeur prétend qu’il convenait que la SAI décide de rouvrir l’appel. Il invoque la décision rendue par la Cour dans Aslam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 514, [2004] A.C.F no 620 (QL). La Cour a conclu dans cette cause que les règles de procédure doivent être interprétées et appliquées de manière à ne pas sacrifier le droit à une audience complète et équitable.  

 

[24]           Le défendeur prétend que, en utilisant la décision de la SI, la SAI a conclu par inférence qu’il y avait eu manquement à la justice naturelle.

 

[25]           Le défendeur conclut que la preuve médicale soumise à la SAI suffisait à démontrer qu’il souffrait de problèmes d’ordre médical et psychiatrique lorsque l’instance devant la SAI a été introduite.

 

[26]           Le défendeur, en prétendant que la SAI peut nommer un représentant lorsqu’elle l’estime nécessaire, invoque également les articles 57 et 58 des Règles de la Section d’appel de l’immigration qui permettent à la SAI, dans le cas où les règles ne contiennent pas de dispositions permettant de régler une question qui survient dans le cadre d’un appel, de prendre toute mesure nécessaire pour régler la question et d’agir de sa propre initiative et de modifier les exigences des règles.

 

[27]           Le défendeur prétend également que la décision de la SAI est de nature interlocutoire. Par conséquent, la Cour ne doit pas examiner la demande de contrôle judiciaire du demandeur.

 

L’analyse

La SAI a‑t‑elle appliqué le critère juridique applicable en matière de réouverture d’un appel?

 

La norme de contrôle

[28]           La question de savoir si la SAI a appliqué le critère juridique applicable en matière de réouverture d’un appel est une question de droit à laquelle s’applique la norme de la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir)).

 

[29]           Les dispositions législatives habilitantes et la jurisprudence de la Cour établissent clairement que, pour qu’un appel soit rouvert, la SAI doit être convaincue qu’elle n’a pas observé un principe de justice naturelle (Ye c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 964, 254 F.T.R. 238; Nazifpour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 35, [2007] 4 R.C.F. 515; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Ishmael, 2007 CF 212, 309 F.T.R. 147; Wilks c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CF 306, [2009] A.C.F. no 354 (QL) (Wilks)). Il est mentionné ce qui suit au paragraphe 40 de la décision Wilks :

L’objet de l’article 71 est d’éviter qu’un préjudice soit causé à l’appelant en raison d’une erreur de la SAI, mais cet article ne permet pas à l’appelant de tirer un avantage de ses propres actes ou omissions […]

 

[30]           La SAI devait se demander si elle avait commis une erreur, un manquement à la justice naturelle, qui a porté préjudice au défendeur en rejetant l’appel pour désistement. Le manquement doit découler de la faute de la SAI.

 

[31]           En l’espèce, le défendeur a été informé des étapes du processus d’appel qui a mené à l’ordonnance de rejet de l’appel pour désistement. Il a également eu le temps de demander à son avocat de le représenter et d’assister à l’audience. Aucun de ces faits n’est contesté par le défendeur.   

 

[32]           Les motifs formulés par la SAI sont presque entièrement fondés sur la transcription de l’instance devant la SI. Rien dans les motifs n’indique qu’elle s’est demandé si la SAI avait commis une erreur équivalant à un manquement à la justice naturelle et son évaluation de la preuve ne permet à quiconque de tirer une telle conclusion.

 

La SAI a‑t‑elle mal interprété la signification de « manquement à la justice naturelle »?

[33]           Dans ses motifs, la SAI a déclaré ce qui suit :

[…] Le conseil de l’appelant fait valoir qu’un représentant désigné aurait dû être nommé.

 

[…] Bien qu’aucune demande n’ait été déposée en vue de la nomination d’un représentant désigné devant la SI et la SAI, cette dernière possédait certaines informations qui auraient pu porter à croire que l’appelant, comme le soutient son conseil, comprenait mal le processus. À cet égard, je me reporte aux commentaires faits à l’audience de la SI […] (motifs de la SAI, aux paragraphes 7 et 8)

 

[34]           Il est difficile, au vu de ce commentaire, de dire si oui ou non la SAI a bel et bien conclu qu’il incombe à la SAI de déterminer si un représentant désigné doit être nommé. La SAI n’est pas tenue par la loi de le faire. Les Règles de la Section d’appel de l’immigration n’imposent aucune obligation à la SAI, elles laissent les avocats de l’une ou l’autre partie libre de faire une telle demande (article 19). 

 

[35]           Dans des causes antérieures, il a été ordonné de rouvrir des appels lorsqu’il a été prouvé que la maladie mentale était la cause de l’incapacité de comprendre les procédures et leurs ramifications. La décision Mattia est invoquée par les parties. Dans cette affaire, l’appelant était schizophrène et il avait reçu un traitement au cours de la période d’appel; la preuve soumise dans cette affaire comprenait des diagnostics posés par des médecins de l’immigration, le propre témoignage de l’appelant et la preuve documentaire de l’hospitalisation.

 

[36]           La SAI n’a pas mentionné si les déclarations souscrites par certains parents du défendeur avaient eu une quelconque importance dans la décision ou avaient eu un quelconque effet convaincant. Elle a également souligné que les notes du médecin avaient été soumises. La preuve médicale soumise à la SAI n’était manifestement pas de la même nature que celle qui a été soumise dans la décision Mattia. Autre que de mentionner son existence, la SAI n’a pas renvoyé, dans ses motifs, à la preuve médicale et elle ne l’a pas évaluée et n’a pas semblé l’invoquer.

 

[37]           Dans l’ensemble, les motifs fournis par la SAI ne permettent pas de déterminer les motifs invoqués pour accueillir l’appel ou de déterminer comment la SAI a conclu que la SI avait manqué à la justice naturelle en déclarant qu’il y avait eu désistement de l’appel. La seule chose qui est claire c’est que, selon la SAI, à l’audience de la SI le défendeur donnait l’impression de ne pas comprendre parfaitement la procédure. Cela ne suffit pas à étayer la conclusion selon laquelle la SI a manqué à la justice naturelle en rejetant l’appel pour cause de désistement.

 

[38]           Dans l’arrêt Nazifpour, précité, la Cour d’appel fédérale, au paragraphe 74, a clairement énoncé ce qui suit :

Si l’objet de l’article 71 n’était pas de retirer à la SAI le droit de rouvrir une décision pour une raison autre qu’un manquement à un principe de justice naturelle, il est difficile de voir quel est l’intérêt de la disposition.

 

[39]           La décision en l’espèce n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit en l’espèce.

 

[40]           L’intervention de la Cour est justifiée.

 

[41]           Aucune question de portée générale n’a été soumise pour certification et aucune n’est soulevée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. L’affaire est renvoyée pour nouvel examen par une formation différemment constituée de la Section d’appel de l’immigration. Aucune question n’est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc. LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1202-09

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

c.

SHAMINDER KANG

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (C.‑B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 8 septembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 21 septembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Banafsheh Sokhansanj                                                              POUR LE DEMANDEUR

                                                                                               

 

Narindar S. Kang                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                               

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (C.‑B.)

                                                                                               

Kang & Company                                                                    POUR LE DÉFENDEUR       

Surrey (C.‑B.)

 

 

 

 

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