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Date : 20090918

Dossier : IMM‑1118‑09

Référence : 2009 CF 932

Montréal (Québec), le 18 septembre 2009

En présence de l’honorable Maurice E. Lagacé

 

 

ENTRE :

JEFFREY HARRIS

demandeur

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur demande, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision du 16 février 2009 (la décision) rendue par la Section d’appel de l’immigration (la SAI), décision par laquelle la SAI a conclu que le demandeur et son épouse, qu’il avait parrainée pour la résidence permanente, avaient conclu un mariage de convenance dans le seul but de permettre à l’épouse d’obtenir le statut d’immigrante au Canada.

 

 

I.          Les faits

[2]               Le demandeur est Canadien. La SAI a conclu qu’il était un témoin sincère, honnête et digne de foi quand il a témoigné pour Khadija El Boukhari dans la procédure d’appel du parrainage.

 

[3]               Selon le demandeur, Fatima, qu’il connaissait depuis février 2005, lui a présenté, par téléphone le 26 septembre 2006, sa sœur Khadija El Boukhari, une Marocaine, à l’occasion de son anniversaire. Mme Boukhari demeurait et demeure encore au Maroc.

 

[4]               Le demandeur avait alors trente‑huit ans, il était célibataire et il était à la recherche de la bonne personne pour commencer à bâtir sa propre famille, mais toutes les femmes qu’il avait fréquenté alors qu’il était dans la trentaine étaient divorcées, soit elles avaient des enfants, soit elles ne voulaient pas bâtir de nouvelle famille. Toutefois, Mme Boukhari avait vingt‑sept ans, elle était célibataire et n’avait jamais été mariée.

 

[5]               Après cette première communication, le demandeur et Mme Boukhari ont commencé à bavarder sur Internet et ont pu se voir au moyen d’une caméra. Elle semblait s’intéresser à lui autant que lui s’intéressait à elle et ainsi, ils ont continué à bavarder régulièrement et ils sont restés en communication.

 

[6]               Trois semaines après leur premier bavardage sur Internet, le demandeur a proposé à Mme Boukhari de l’épouser, mais elle a refusé. Elle a dit qu’elle voulait le rencontrer en personne, au Canada. À ce moment‑là, Mme Boukhari avait déjà présenté une demande de visa d’étudiant au Canada et elle attendait une réponse.

 

[7]               Toutefois, la demande de visa d’étudiant de Mme Boukhari a été refusée parce qu’elle avait présenté de faux documents à l’appui de cette demande. Elle a été déclarée interdite de territoire, pour fausse déclaration, en conformité avec l’alinéa 40(2)a) de la Loi, pendant une période de deux années, c’est‑à‑dire jusqu’au 6 décembre 2008.

 

[8]               Le demandeur a réitéré sa proposition de mariage à Mme Boukhari qui a refusé et, une fois de plus, elle a déclaré qu’elle voulait d’abord le rencontrer en personne. Ainsi, en janvier 2007, le demandeur a décidé de se rendre au Maroc, où il a enfin pu rencontrer Mme Boukhari en personne.

 

[9]               Comme le demandeur avait déjà été accueilli dans la famille de Mme Boukhari et qu’elle avait été accueillie dans la famille du demandeur, Mme Boukhari a alors accepté la proposition du demandeur et le mariage fut célébré le 6 janvier 2007. Le mariage a été consommé peu de temps après.

 

[10]           Parrainée par le demandeur, Mme Boukhari a présenté une demande de résidence permanente en qualité de membre de la catégorie du regroupement familial. La demande a été refusée, le 9 novembre 2007, par un agent des visas qui a conclu, se fondant sur l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement), que Mme Boukhari n’avait pas établi que son mariage avec le demandeur était authentique parce que, selon l’agent, le mariage visait principalement l’acquisition par Mme Boukhari d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

 

[11]           Déçu du refus de la demande de parrainage de son épouse pour la résidence permanente au Canada, le demandeur a interjeté appel de la décision de l’agent des visas à la SAI.

 

[12]           Depuis le mariage, le demandeur s’est endetté pour pouvoir se rendre trois fois au Maroc : en novembre 2007 (onze jours), en juillet 2008 (quinze jours) et de décembre 2008 jusqu’en janvier 2009 (environ vingt‑deux jours), pour pouvoir passer du temps avec son épouse, et il a épuisé tous les congés que son employeur lui avait octroyés. Mme Boukhari était en communication constante avec les parents du demandeur, et il n’y a aucun doute qu’elle a été bien accueillie par la famille du demandeur, tout comme le demandeur a été bien accueilli par la famille de Mme Boukhari. Il y a eu soutien, générosité et compréhension des deux côtés.

 

II.         La décision contestée

[13]           La SAI a rejeté l’appel concernant la demande de parrainage parce que, selon elle, le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau lui incombant d’établir, selon la prépondérance de la preuve, que son mariage à [Mme Boukhari] était authentique ou qu’il ne visait pas principalement l’acquisition [par Mme Boukhari] d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

 

[14]           Lorsqu’elle a rendu sa décision, la SAI n’avait pas de doute que le demandeur était sincère et crédible. Toutefois, la SAI a conclu que Mme Boukhari n’était pas crédible et que son immigration au Canada était le principal facteur pour qu’elle accepte d’épouser le demandeur.

 

[15]           La SAI a ensuite examiné si le mariage, qui, selon elle, n’était pas authentique au début, est devenu authentique par la suite, mais elle a conclu que la preuve n’était pas adéquate pour conclure que, à la date de l’audience, le mariage était authentique. Elle a aussi fait observer que selon l’article 121 de la Loi, le mariage devait être authentique à la fois au moment du dépôt de la demande de résidence permanente, et au moment de l’audience d’appel de la demande de parrainage.

 

[16]           Dans la présente demande, le demandeur allègue que la SAI a mal interprété les faits, et qu’elle a commis bon nombre d’erreurs susceptibles de contrôle.

 

III.       Les questions en litige

[17]           Dans son mémoire, le demandeur soulève cinq questions à l’encontre de la décision de la SAI. Toutefois, dans ses observations orales, le demandeur a essentiellement attiré l’attention de la Cour sur trois questions. Elles seront reformulées de la façon suivante :

a.       La SAI a‑t‑elle commis une erreur dans ses conclusions quant à la crédibilité?

b.      La SAI a‑t‑elle rendu une décision déraisonnable?

c.       La SAI a‑t‑elle violé le principe d’équité procédurale?

 

IV.       Les dispositions applicables

[18]           Les articles suivants de la Loi sont pertinents en l’espèce :

3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

[…]

 

d) de veiller à la réunification des familles au Canada;

 

63. (1) Quiconque a déposé, conformément au règlement, une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent.

 

 

 

65. Dans le cas de l’appel visé aux paragraphes 63(1) ou (2) d’une décision portant sur une demande au titre du regroupement familial, les motifs d’ordre humanitaire ne peuvent être pris en considération que s’il a été statué que l’étranger fait bien partie de cette catégorie et que le répondant a bien la qualité réglementaire.

 

 

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

 

 

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

 

[…]

 

 

 

175. (1) Dans toute affaire dont elle est saisie, la Section d’appel de l’immigration

 

[…]

 

b) n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve;

 

c) peut recevoir les éléments qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision.

 

 

3. (1) The objectives of this Act with respect to immigration are

[…]

 

(d) to see that families are reunited in Canada;

 

63. (1) A person who has filed in the prescribed manner an application to sponsor a foreign national as a member of the family class may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision not to issue the foreign national a permanent resident visa.

 

65. In an appeal under subsection 63(1) or (2) respecting an application based on membership in the family class, the Immigration Appeal Division may not consider humanitarian and compassionate considerations unless it has decided that the foreign national is a member of the family class and that their sponsor is a sponsor within the meaning of the regulations.

 

67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

 

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

 

[…]

 

175. (1) The Immigration Appeal Division, in any proceeding before it,

 

[…]

 

(b) is not bound by any legal or technical rules of evidence; and

 

(c) may receive and base a decision on evidence adduced in the proceedings that it considers credible or trustworthy in the circumstances.

 

 

[19]           Les articles suivants du Règlement sont aussi pertinents en l’espèce :

2. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement

 

[…]

 

« mariage » S’agissant d’un mariage contracté à l’extérieur du Canada, mariage valide à la fois en vertu des lois du lieu où il a été contracté et des lois canadiennes.

 

[…]

 

 

4.   Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait, le partenaire conjugal ou l’enfant adoptif d’une personne si le mariage, la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux ou l’adoption n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

 

121. Les exigences applicables à l’égard de la personne appartenant à la catégorie du regroupement familial ou des membres de sa famille qui présentent une demande au titre de la section 6 de la partie 5 sont les suivantes :

 

a) l’intéressé doit être un membre de la famille du demandeur ou du répondant au moment où la demande est faite et, qu’il ait atteint l’âge de vingt-deux ans ou non, au moment où il est statué sur la demande.

 

2. The definitions in this section apply in these Regulations

 

[…]

 

“marriage”, in respect of a marriage that took place outside Canada, means a marriage that is valid both under the laws of the jurisdiction where it took place and under Canadian law.

 

[…]

 

4.   For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner, a conjugal partner or an adopted child of a person if the marriage, common-law partnership, conjugal partnership or adoption is not genuine and was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act.

 

 

121. The requirements with respect to a person who is a member of the family class or a family member of a member of the family class who makes an application under Division 6 of Part 5 are the following:

 

 

(a) the person is a family member of the applicant or of the sponsor both at the time the application is made and, without taking into account whether the person has attained 22 years of age, at the time of the determination of the application.

 

 

 

V.        La norme de contrôle

 

[20]           En définitive, les deux premières questions soulèvent des questions de fait et de crédibilité. Le mariage du demandeur est‑il authentique? Il s’agit d’une question sur un « fait attributif de compétence » assujettie à la même norme de contrôle que les autres questions de fait. Lorsqu’elle a conclu que Mme Boukhari avait principalement épousé le demandeur pour obtenir l’entrée au Canada, la SAI l’a exclue de la catégorie du regroupement familial. Pour l’essentiel, les deux questions sont donc factuelles, et elles impliquent l’évaluation par la SAI de la preuve présentée par le demandeur, ainsi que de sa crédibilité et de celle de son épouse.

 

[21]           La norme de contrôle applicable à une conclusion de fait ou de crédibilité tirée par la Commission est la raisonnabilité. Il s’agit d’une norme commandant une grande retenue, qui reconnaît que certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution particulière et précise, mais peuvent plutôt être ouvertes à bon nombre d’issues possibles et raisonnables (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9, au paragraphe 47.) Lorsque la décision contestée appartient à de telles issues, la Cour ne devrait pas intervenir.

 

[22]           Selon cette norme, l’analyse que la Cour fait de la décision de la Commission tiendra à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[23]           Il n’est pas contesté que si les conclusions de fait de la Commission sont erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle dispose, il y a erreur susceptible de contrôle (Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 108. (C.A.F.).

 

[24]           Étant donné qu’une audience a eu lieu et que la SAI a eu l’avantage d’entendre les témoins, la Cour ne devrait pas intervenir dans l’évaluation faite par la SAI selon laquelle le mariage n’était pas authentique, à moins que la Cour soit convaincue que la SAI a basé ses conclusions sur des considérations non pertinentes ou qu’elle n’a pas tenu compte d’éléments de preuve importants (Grewal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 960; Jaglal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 685; Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 347).

 

 

VI.       Analyse

 

Les conclusions quant à la crédibilité

[25]           La SAI a principalement basé ses conclusions défavorables sur les incohérences suivantes du témoignage de Mme Boukhari :

 

a.       Mme Boukhari a dit à l’agent des visas que sa sœur avait saisi l’occasion du mariage pour se joindre à la célébration et rendre public son propre second mariage. Cependant, lors de l’audience, elle a déclaré dans son témoignage qu’il y avait eu seulement un mariage, et que c’était le sien.

 

b.      Mme Boukhari a déclaré à l’agent des visas qu’elle n’était pas au courant des relations antérieures du demandeur parce qu’elle n’avait pas posé de questions. À l’audience, elle a déclaré dans son témoignage qu’elle était bien au courant, et lorsque le tribunal l’a interrogée, elle a confirmé qu’elle avait parlé avec le demandeur de son passé avant l’entrevue.

 

c.       Elle a dit à l’agent des visas que ses parents n’avaient pas de réticences quant au mariage, pourvu que le demandeur se convertisse à l’islam. Devant la SAI, elle a déclaré sous serment qu’elle n’avait pas fait une telle déclaration à l’agent des visas.

 

La première contradiction avancée

[26]           La SAI a pensé voir une contradiction entre les deux versions, alors qu’en fait, il n’y en avait aucune. Il s’ensuit que la SAI a demandé à Mme Boukhari d’expliquer la déclaration qu’elle avait faite à l’agent des visas. Elle a alors répété qu’il y avait eu seulement un mariage, et que ce mariage avait été le sien. Comment peut‑on reprocher à Mme Boukhari de ne pas avoir expliqué une contradiction qui n’existait pas? Des éléments de preuve incontournables dans le dossier établissent qu’il y eut seulement un mariage, le mariage de Mme Boukhari avec le demandeur, et que sa sœur Fatima pouvait avoir saisi cette occasion pour rendre public son propre mariage, qui avait eu lieu au Canada. Une chose est certaine, vu la preuve incontournable, Fatima n’a pas assisté au mariage en tant que mariée, mais en tant que dame d’honneur. Par conséquent, il n’y avait pas de fait sur lequel la SAI pouvait s’appuyer pour attaquer la crédibilité de Mme Boukhari.

 

La deuxième contradiction avancée

[27]           Le fait que Mme Boukhari ne savait pas grand-chose sur les relations du demandeur avant son mariage parce qu’elle n’avait pas posé de questions à ce sujet, ne contredit pas son témoignage devant la SAI selon lequel elle avait parlé avec le demandeur de ses relations antérieures avant l’entrevue. Elle a tout de même dit à l’agent des visas qu’elle savait que le demandeur n’avait jamais été marié et qu’il n’avait jamais vécu en union de fait. Le fait que Mme Boukhari n’ait pas posé plus de questions sur le passé du demandeur et qu’elle se soit seulement fondée sur sa propre sœur, Fatima, qui connaissait le demandeur et qui les avait présentés l’un à l’autre, ne constitue pas une raison valide pour attaquer sa crédibilité et l’authenticité de son mariage. Il n’y avait pas de meilleure recommandation que celle faite par une sœur fiable et attentionnée qui attestait bien connaître le demandeur. Il est bien connu que l’amour est aveugle. Personne n’a besoin de faire une enquête avant de tomber amoureux, bien qu’il puisse être prudent de le faire avant le mariage plutôt qu’après. Encore une fois, selon la Cour, les faits ne justifiaient pas que la SAI tirât une conclusion défavorable quant à la crédibilité de Mme Boukhari. La conclusion de la SAI selon laquelle il y avait une importante incohérence n’est pas étayée par la preuve et elle ne peut pas être maintenue.

 

La troisième contradiction avancée

[28]           La SAI a pensé voir une autre importante incohérence, et elle a eu du mal à comprendre pourquoi l’agent des visas aurait rapporté la déclaration selon laquelle les parents de Mme Boukhari n’avaient pas de réticences quant au mariage. La question de savoir si Mme Boukhari a fait ou n’a pas fait la déclaration alléguée ne change pas le fait que sa famille a assisté à la célébration du mariage et qu’elle n’avait pas d’objection évidente à ce mariage, et cela, même si le demandeur ne s’était pas converti à l’islam. De plus, il faut se souvenir que Mme Boukhari a fait sa déposition à la SAI sous serment et que des éléments de preuve incontournables corroboraient son témoignage. Par conséquent, elle n’avait aucune raison valable de réfuter les notes non assermentées de l’agent des visas. Elle a simplement dit la vérité, ce qui constituait la meilleure explication qu’elle pût donner à l’encontre de la déclaration qu’on lui imputait. Encore une fois, selon la Cour, il n’y a pas de fait qui justifie des inférences défavorables quant à la crédibilité de Mme Boukhari. En fait, la SAI ne disposait pas de motif adéquat pour conclure à une importante incohérence en l’espèce.

 

[29]           En résumé, après avoir analysé la preuve, la Cour n’est pas en mesure de conclure qu’il existe des incohérences significatives dans les déclarations que la SAI a comparées. La SAI ne pouvait pas conclure que Mme Boukhari n’était pas crédible et, ainsi, que son mariage n’était pas authentique.

 

[30]           Il est vrai que Mme Boukhari a fait plusieurs tentatives pour venir au Canada avant son mariage, et qu’elle a des frères et sœurs au Canada. Cela dit, en l’absence des incohérences significatives soulevées par la SAI, incohérences dont l’existence a été rejetée par la Cour, la SAI ne pouvait pas décider sur la base du reste de la preuve que, selon la prépondérance de la preuve, immigrer au Canada était le principal facteur pour Mme Boukhari lorsqu’elle a accepté d’épouser le demandeur.

 

La période d’interdiction de territoire

[31]           Si, d’un côté, la SAI était en droit de prendre en compte, relativement à la crédibilité de Mme Boukhari, le fait qu’elle avait été déclarée interdite de territoire pour une période de deux années parce ce qu’elle avait présenté de faux documents à l’appui de sa troisième demande de visa pour entrer au Canada, de l’autre côté, constituait une erreur le fait pour la SAI de baser son refus sur ce deuxième motif, puisqu’il n’était plus applicable à la date de l’audience.

 

[32]           En fait, l’interdiction de territoire qui avait été infligée par un agent des visas le 6 décembre 2006, pour une période de deux années, avait expiré le 6 décembre 2008, et non pas en janvier 2009, comme la SAI l’a erronément mentionné dans sa décision. Par conséquent, le 18 décembre 2008, date de l’audience d’appel, la période d’interdiction de territoire avait déjà expiré et elle ne pouvait pas constituer le deuxième motif du refus de la SAI.

 

L’équité procédurale

[33]           Après avoir décidé que la SAI a commis une erreur dans ses conclusions quant à la crédibilité et que la décision qui en est résultée était déraisonnable, il n’est pas nécessaire que la Cour examine la question de l’équité procédurale soulevée par le demandeur.

 

VII.      Conclusion

 

[34]           Pour tous les motifs exposés ci‑dessus, la Cour décide que la SAI a tiré des conclusions erronées sur la base de facteurs non pertinents et insignifiants, et qu’elle a agi de façon arbitraire. La SAI a attaqué la crédibilité de Mme Boukhari sans tenir compte des éléments de preuve incontournables qui, interprétés correctement, auraient confirmé l’authenticité de son mariage. Lorsqu’elle s’est uniquement concentrée sur un motif du mariage, la SAI a omis l’intention des époux de vivre ensemble, de s’aimer et de prendre soin l’un de l’autre, de commencer une nouvelle famille, intention qui était corroborée par beaucoup de témoins.

 

[35]           Comment la SAI pouvait‑elle conclure que le mariage en question avait été conclu par Mme Boukhari principalement dans le but d’acquérir un statut ou un privilège aux termes de la Loi? La SAI n’a même pas essayé de comparer ce but du mariage avec la véritable intention que les époux avaient au moment du mariage. Pourquoi n’avoir pas non plus pris en compte les éléments de preuve abondants qui étayent le fait que les époux sont encore profondément amoureux l’un de l’autre, malgré toutes les difficultés qu’ils ont subies depuis la consommation de leur mariage? N’est‑ce pas là la façon selon laquelle la SAI aurait dû procéder avant de conclure que ce mariage n’était pas authentique?

 

[36]           Vu sa décision relative aux conclusions de crédibilité tirées par la SAI et l’erreur évidente de la SAI sur la question de l’interdiction de territoire, la Cour n’a pas d’autre choix que d’annuler la décision contestée.

 

[37]           La Cour est d’accord avec les parties qu’il n’y a pas de question de portée générale à certifier.


 

JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI‑DESSUS, LA COUR accueille la demande et renvoie l’affaire à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A. Trad.jur.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

Dossier :                                                   IMM-1118-09

 

INTITULÉ :                                                  JEFFREY HARRIS

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                            MontrÉal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                          LE 27 AOÛT 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                         LE JUGE SUPPLÉANT LAGACÉ

 

 

DATE DES MOTIFS :                                 LE 18 SEPTEMBRE 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Julius H. Grey

 

POUR LE DEMANDEUR

Sébastien Dasylva

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Grey, Casgrain

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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