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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20090917

Dossier : T-1163-08

Référence : 2009 CF 927

Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2009

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

 

MICHAEL SAMUEL LEROY ROBERTS

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi), de l’article 21 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, et de l’alinéa 300c) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, à l’égard d’une décision du 28 mai 2008 par laquelle le juge de la citoyenneté Robert M. Morrow a approuvé la demande de citoyenneté canadienne présentée par le défendeur.

I.          Contexte

[2]               Michael Samuel Leroy Roberts est un citoyen des États-Unis qui est entré au Canada avec un visa d’étudiant en 2002 pour étudier le droit à l’Université de Toronto. Durant son séjour, il a loué des motels, a dormi dans sa voiture et a passé la nuit à l’occasion chez des confrères de classe. M. Roberts déclare qu’il se rendait trois fois par semaine à Buffalo, où il occupait un emploi d’étudiant stagiaire en droit, puis revenait à Toronto dans l’après-midi, ces jours-là. 

 

[3]               Entre le 30 mai 2003 et le 1er septembre 2003, M. Roberts a résidé à Sorbara Hall, sur le campus de l’Université de Toronto, pendant qu’il suivait le cours de préparation au Barreau de l’Ontario. Il explique que durant cette période, il ne travaillait plus aux États-Unis et est demeuré au Canada à temps plein pour assister au cours.

 

[4]               M. Roberts s’est de nouveau retrouvé sans adresse fixe au Canada tout de suite après avoir terminé le cours de préparation au barreau. Plus précisément, M. Roberts reconnaît qu’entre le 5 septembre 2003 et le 31 juillet 2004, alors qu’il occupait un emploi de stagiaire, il n’avait [traduction] « aucune résidence fixe » et dormait dans sa voiture ou, parfois, chez des amis. Il ajoute que durant cette période, il visitait sa famille à Buffalo un samedi sur deux; il s’y rendait en autobus en utilisant des billets aller-retour.

 

[5]               Par la suite, au mois d’août 2004, M. Roberts a résidé chez lui à Buffalo pour étudier en vue de l’examen du Barreau de l’État de New York et pour prendre soin de sa grand-mère malade. À compter du 13 septembre 2004, il a suivi un cours à temps partiel au Seneca College à Toronto. Toutefois, il ne semble pas avoir eu une résidence fixe au Canada pendant qu’il étudiait au Seneca College.

 

[6]               M. Roberts a obtenu la résidence permanente le 25 janvier 2005. Quelques mois plus tard, en avril 2005, il a été admis au Barreau de l’Ontario. En octobre, la même année, il a commencé à travailler comme avocat de service pour l’Aide juridique Ontario. Il reconnaît toutefois que même à cette époque, il n’a pas établi [traduction] « une résidence physique véritable au Canada ».

 

[7]               Depuis qu’il a obtenu le droit de pratique, M. Roberts a commencé à exercer le droit, principalement dans le domaine de l’immigration, œuvrant dans la région du Niagara tant du côté des États-Unis que dans le sud de l’Ontario. M. Roberts déclare en outre qu’il a travaillé à deux bureaux de H&R Block – un aux États-Unis et un au Canada – où il préparait les déclarations de revenus pour des clients. De ce fait, il faisait la navette, traversant la frontière pour venir travailler au Canada, puis retournant chez lui à Buffalo, à la maison dont il était copropriétaire avec ses deux frère et sœur.

 

[8]               M. Roberts a présenté une demande de citoyenneté canadienne le 18 mai 2007. Dans sa demande, il a déclaré avoir été absent du Canada 76,5 jours et y avoir été présent physiquement 1 075 jours. À la suite de sa demande, il a été invité à une entrevue avec un juge de la citoyenneté visant à permettre à celui-ci d’évaluer la mesure dans laquelle il avait résidé au Canada. Selon les formulaires remplis par des agents de Citoyenneté et Immigration Canada, M. Roberts a été convoqué à une entrevue parce qu’il avait une adresse aux États-Unis alors qu’il n’avait qu’une case postale au Canada. En outre, les agents ont relevé que le nombre de journées de présence physique (indiqué par M. Roberts sur sa demande de citoyenneté) était inférieur au nombre requis pour obtenir la citoyenneté.

 

II.        Analyse

A.        Décision contestée

[9]               Le 31 mars 2008, le juge de la citoyenneté Robert M. Morrow a approuvé la demande de citoyenneté de M. Roberts. La décision était accompagnée de brèves observations manuscrites du juge relativement aux six facteurs énumérés dans la décision Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.), [1992] A.C.F. no 1107 (1re inst.) (QL), pour l’examen de l’appréciation de la résidence. Brièvement, le juge de la citoyenneté a conclu que M. Roberts avait été présent au Canada durant une longue période; que ses deux frère et sœur vivent à Buffalo; que sa présence physique dénote qu’il revenait dans son pays et que quatre-vingt-dix pour cent de son travail et de son revenu proviennent du Canada; qu’il a passé plus de temps au Canada qu’à l’extérieur du Canada; que ses absences du Canada étaient temporaires; que ses liens avec le Canada sont plus importants que ses liens avec les États-Unis. Dans ces motifs, le juge a révisé le nombre de jours d’absence du Canada, les faisant passer de 76,5 à 469, et a établi le nombre de jours de présence au Canada à 685 plutôt qu’à 1 075.

 

[10]           Le juge de la citoyenneté a également fourni d’autres motifs à la suite de rencontres subséquentes avec M. Roberts. Dans ceux-ci, le juge indique que même si des contraintes financières forçaient M. Roberts à vivre à Buffalo, ce dernier travaillait en vue de vivre au Canada. Le juge a néanmoins conclu que M. Roberts avait passé plus de temps au Canada qu’aux États-Unis compte tenu de ses études, de ses antécédents de travail et du temps qu’il y avait consacré à des activités sociales. 

 

B.            Dispositions législatives pertinentes

[11]           La disposition pertinente de la Loi est l’alinéa 5(1)c), qui prévoit :  

Attribution de la citoyenneté

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

 

[…]

 

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

 

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

Grant of citizenship

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

 

[…]

 

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

 

 

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

 

III.       Questions en litige

[12]           Les questions que soulève le présent appel sont les suivantes : 

a)         Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur en omettant d’examiner un des deux volets de la démarche visant à arrêter si un demandeur a établi sa résidence?

 

b)        Le juge de la citoyenneté a-t-il appliqué incorrectement un des critères juridiques afférents à la durée de la résidence, ce qui l’a mené à conclure déraisonnablement que le défendeur avait satisfait à l’exigence formulée à l’alinéa 5(1)c) de la Loi en matière de résidence?

 

c)         Le juge de la citoyenneté a-t-il mal apprécié la preuve et tiré en conséquence des conclusions de fait déraisonnables?

 

(1)       Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur en omettant d’examiner un des deux volets de la démarche visant à arrêter si un demandeur a établi sa résidence?

 

[13]           La norme de contrôle applicable à cette question est celle de la décision correcte. Dans la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 85, 145 A.C.W.S. (3d) 770, le juge Phelan explique au paragraphe 8 que « […] la norme de contrôle de la décision correcte s’applique au fait que le juge de la citoyenneté doit considérer : a) si le demandeur a établi sa résidence; et b) si le demandeur a maintenu sa résidence. Ne pas examiner une de ces deux questions constitue une erreur de droit dont la norme de contrôle est la décision correcte ».  

 

[14]           Comme il est mentionné, une analyse en deux étapes s’impose à l’égard de l’exigence de résidence énoncée à l’alinéa 5(1)c) de la Loi. La jurisprudence enseigne que les personnes qui demandent la citoyenneté doivent démontrer en premier lieu qu’elles ont établi une résidence au Canada : voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Italia, 89 A.C.W.S. (3d) 22, [1999] A.C.F. no 876 (1re inst.) (QL), aux paragraphes 14 à 16. L’examen de cette question constitue la première étape d’une démarche à deux volets visant à établir si le demandeur s’est conformé à l’exigence énoncée à la Loi en matière de résidence : voir Zhao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1536, 306 F.T.R. 206, au paragraphe 49. En effet, l’établissement d’une résidence au Canada est une condition préalable à l’obtention de la citoyenneté. Lorsque la preuve révèle que le demandeur n’a pas établi sa résidence au Canada, la question de savoir si la résidence a été maintenue et la preuve indiquant si le demandeur a centralisé son mode de vie au Canada perdent toute pertinence : voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tarfi, 2009 CF 188, [2009] A.C.F. no 244 (1re inst.) (QL), au paragraphe 35.

 

[15]           De même, dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Nandre, 2003 CFPI 650, 123 A.C.W.S. (3d) 28, le juge O’Reilly déclare, au paragraphe 24 :

[…] Pour qu’un demandeur réponde à la condition de résidence, il doit d’abord prouver qu’il a établi sa résidence au Canada […]

 

 

[16]           Le juge de la citoyenneté n’a tiré aucune conclusion précise quant à l’établissement de la résidence par M. Roberts, et la preuve sur cette question est faible, presque inexistante. M. Roberts a vécu dans une résidence étudiante trois mois au cours de la période pertinente, et il a passé le reste du temps sans adresse fixe ou à la maison familiale aux États-Unis. Pourtant, le juge de la citoyenneté semble insister sur l’intention de M. Roberts d’établir sa résidence au Canada lorsque sa situation personnelle le lui permettra. Or, il est bien établi que la seule intention d’établir une résidence ne suffit pas : voir la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Italia, précitée, au paragraphe 16. De fait, le demandeur a informé la Cour, dans le cadre de sa plaidoirie, qu’il avait établi résidence à compter de juin 2009, ce qui semble confirmer qu’il ne l’avait pas fait auparavant ou qu’il ne l’avait certainement pas fait au cours de la période pertinente.

 

[17]           Bien que je sois sensible, dans une certaine mesure, aux circonstances qui ont empêché le demandeur d’établir sa résidence au Canada au cours de la période pertinente, il semble évident que le juge de la citoyenneté s’est plutôt laissé guider par les intentions que M. Roberts a exprimées quant à l’établissement à venir de sa résidence, et qu’il a commis une erreur dans son jugement en ne traitant pas clairement de cette question. La jurisprudence de la Cour fédérale pose également que l’établissement de la résidence est une condition préalable à l’examen de la question de savoir si le demandeur a maintenu sa résidence. Dans le cas de M. Roberts, même en adoptant l’interprétation la plus large possible de la décision du juge de la citoyenneté et de la preuve dont le juge était saisi, il est manifeste que le défendeur n’a pas établi sa résidence au Canada et pour ce motif seul, l’appel doit être accueilli. 

 

[18]           Compte tenu de ma conclusion quant à la question a), soit l’omission du juge de la citoyenneté de se prononcer sur l’établissement de la résidence par le défendeur, il n’est pas nécessaire d’examiner les questions b) et c).

 

[19]           En conséquence, l’appel est accueilli et la décision du juge de la citoyenneté est annulée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :

1.                  l’appel est accueilli;

2.                  la décision du juge de la citoyenneté d’attribuer la citoyenneté au défendeur est annulée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                              T-1163-08            

 

INTITULÉ :                                             MCI

                                                                  c.

                                                                  ROBERTS

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       TORONTO (ONTARIO)             

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     LE 8 SEPTEMBRE 2009  

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                            LE 17 SEPTEMBRE 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rhonda Marquis

416-952-4640

 

POUR LE DEMANDEUR

Michael Samuel Leroy Roberts

1-716-881-1050

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

Michael Samuel Leroy Roberts

Fort Erie (Ontario)

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

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