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Federal Court

 

 

 

 

 

 

 

 

Cour fédérale



Date : 20090916

Dossier : T-1516-08

Référence : 2009 CF 919

ENTRE :

le conseiller ALBERT DEAN LAFOND

ET LE CONSEILLER CLIFF TAWPISIN, FILS

demandeurs

et

 

Le chef GILBERT LEDOUX

défendeur

 

Motifs du jugement

LE JUGE PHELAN

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Les événements entourant la présente affaire sont compliqués. Le statut de certaines parties a changé de façon importante, mais le problème des approbations à l’égard desquelles la Nation crie de Muskeg (la bande) a voté demeure et peut lier la bande jusqu’à ce qu’une autre décision n’en décide autrement. Pour ce motif et gardant à l’esprit les critères établis dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, la Cour se prononcera sur la question de la légalité d’un vote qui a eu lieu et qui a autorisé la bande à poser certains gestes.

 

[2]               L’avocate a informé la Cour que Cliff Tawpisin (un des demandeurs originaux) est maintenant chef de la bande et que le chef Ledoux (qui était un défendeur en vertu de sa fonction) n’occupe plus cette fonction. Aucune requête en changement d’intitulé n’a été présentée, mais pour éviter d’autres questions de nature procédurale, la Cour ne le changera pas.

 

[3]               Puisque le point véritable du présent litige est d’accorder une réparation sous forme de jugement déclaratoire pour que la bande connaisse le statut juridique du vote et des approbations en cause, conformément à l’article 55 des Règles des Cours fédérales (les Règles), la Cour ajoutera la bande en qualité de tiers. Ainsi, l’intitulé sera rédigé comme suit :

Le conseiller Albert Dean Lafond et

le conseiller Cliff Tawpisin, fils

demandeurs

- et -

Le chef Gilbert Ledoux

défendeur

- et -

La Nation crie de Muskeg

tierce partie

 

[4]               Le cabinet d’avocats McKercher, avocats inscrits au dossier pour le défendeur, a informé la Cour que la bande ne lui avait donné aucune directive et qu’il ne comparaîtrait pas à l’audience du présent contrôle judiciaire.

 

[5]               La Cour souligne que le cabinet McKercher était inscrit comme avocat du chef Ledoux et qu’aucune requête n’a été présentée, conformément à l’article 125 des Règles, pour cessation d’occuper à titre d’avocat inscrit au dossier. Le cabinet d’avocats sait depuis février qu’il n’avait aucune directive et n’a pris aucune mesure supplémentaire concernant la cessation d’occuper. En qualité d’officier de justice, il est étonnant qu’un cabinet aussi renommé que celui-ci ne prenne aucune mesure concernant la cessation d’occuper et n’ait pas eu la courtoisie d’être présent ou d’envoyer un représentant pour répondre aux questions que la Cour pourrait avoir concernant son statut. Quoi qu’il en soit, le cabinet demeure inscrit au dossier.

 

[6]               Bien qu’aucun argument contraire n’ait été présenté, les questions en litige ne sont pas théoriques et la Cour doit rendre jugement à l’égard des questions soulevées.

 

II.         l’HISTORIQUE

[7]               Il s’agit d’un contrôle judiciaire relatif à un vote qu’a pris la bande le 29 septembre 2008. Les demandeurs ont allégué que le vote était injuste et qu’il a été tenu sans compétence, parce que contraire au code foncier communautaire (le code foncier) de la bande. La réparation sollicitée est essentiellement une ordonnance annulant le vote et le déclarant irrégulier parce que contraire à la loi. La loi invoquée est principalement le code foncier de la bande, mais l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et diverses dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés ont également été plaidés.

 

[8]               La bande compte environ 1 200 membres, dont la plupart vivent à l’extérieur de la réserve. Il existe deux réserves, une réserve rurale près de Marcelin (Saskatchewan) et une réserve urbaine à Saskatoon. Les terres en cause dans la présente instance sont situées sur la réserve à Saskatoon.

 

[9]               La bande est dirigée par un chef et un conseil élus. Au moment du vote contesté, le défendeur était le chef et les demandeurs étaient des membres du conseil.

 

[10]           Vers 2003, la bande a soustrait ses terres de l’application de la Loi sur les Indiens, L.R. 1985, ch. I‑5, et ce, en vertu de la Loi sur la gestion des terres des premières nations, 1999, ch. 24. Elle a ensuite adopté le code foncier en 2005. Celui-ci prévoit que diverses questions foncières, notamment la location et le financement d’immeubles sur la réserve, doivent être approuvées.

 

[11]           Le code foncier prévoit l’existence d’un comité consultatif de la gestion foncière dont le chef n’est pas membre; celui-ci peut toutefois assister aux réunions du comité.

 

[12]           Dans la présente instance, sont en cause des propositions approuvant ce qui suit : a) les négociations d’un montage financier pour un centre de mieux-être; b) le bail avec TDL Group Corp. (Tim Hortons); c) une hypothèque sur la tenure à bail de Stor All Mini Storage.

 

[13]           Le code foncier exige l’approbation de ces questions dans le cadre d’une assemblée communautaire. À la suite d’un avis du comité consultatif de la gestion foncière aux membres de la bande et d’une séance d’information, une assemblée communautaire a eu lieu le 27 août 2008.

 

[14]           Conformément aux exigences prescrites par le code foncier, un vote à main levée a eu lieu à l’égard des trois propositions. Les propositions ont été rejetées.

 

[15]           À la suite du vote, le 2 septembre 2008, un groupe formé du chef Ledoux, de Lester Lafond, un consultant, d’administrateurs de la bande et possiblement d’autres personnes (la composition et la nomenclature précises du groupe ne sont pas clairement établies) a tenu une rencontre au cours de laquelle il a décidé qu’un nouveau vote devait avoir lieu en utilisant un autre mode de scrutin.

 

[16]           Selon ce mode de scrutin, le vote de chaque personne devait avoir lieu en privé, en présence de trois témoins qui n’étaient pas membres de la bande. La personne qui votait devait s’asseoir derrière un rideau devant les témoins, elle devait mentionner si elle était pour ou contre les propositions et elle devait apposer ses initiales à côté de son vote faite inscrit par les témoins.

 

[17]           Le vote, selon ce nouveau mode, a eu lieu les 19, 20, 21 et 27 septembre 2008, à Edmonton, au gymnase de la Nation crie de Muskeg, à Prince Albert et à Saskatoon. Cette fois, les propositions ont été approuvées.

 

[18]           La question fondamentale qui se pose est celle de savoir si ce mode de scrutin, et par conséquent le vote lui-même, sont conformes au code foncier.

 

III.       L’ANALYSE

[19]           Même si la question de la norme de contrôle n’a pas été abordée, il s’agit d’une question de droit concernant le respect des modes de scrutin approuvés par la bande. Ainsi, il s’agit d’une question qui doit être déterminée selon la norme de la décision correcte. Dans la mesure où la question vise l’équité et les droits procéduraux, ceux-ci sont également régis par la norme de la décision correcte.

 

[20]           Les demandeurs ont soulevé de nombreux motifs concernant l’irrégularité du vote. Parmi ceux-ci, mentionnons un plus grand nombre de voix exprimées qu’il n’était possible de le faire compte tenu du temps que prenait le vote; le renvoi de votants; les irrégularités qui se sont produites lors du décompte des voix; les votants étaient tenus de répondre verbalement à la question de savoir s’ils étaient favorables ou défavorables aux propositions. Même si l’une ou l’autre de ces allégations pouvait être suffisante pour infirmer le vote, cette question peut être résolue en se reportant au code foncier lui-même et au mode de scrutin fixé par le groupe le 2 septembre 2008.

 

[21]           Le code foncier prévoit que certaines décisions (telles que celles en cause) doivent être approuvées par une majorité des membres présents à une assemblée communautaire. Le code foncier poursuit en décrivant les procédures relatives à l’assemblée, aux processus de vote et aux exigences en matière d’avis et d’information.

 

[22]           Plus particulièrement, l’article 13.7 du code foncier prévoit ce qui suit :

[traduction] Les décisions sont prises par un vote majoritaire des votants admissibles présents à une assemblée communautaire, par un vote à main levée ou de toute autre manière déterminée par le droit foncier.

 

[23]           Le mode de scrutin en cause ne respecte pas l’article 13.7. Le premier vote, qui n’a jamais été contesté, démontre comment un vote « à main levée » se déroule – dans le contexte d’un groupe dont les membres lèvent la main pour indiquer leur vote. L’exigence d’aller derrière un rideau et de faire face à trois personnes pour faire part de son vote (une scène qui rappelle des aspects de la période cromwellienne), même si on le fait en levant la main (bien que la preuve ait démontrée que plusieurs personnes devaient répondre oralement), ne ressemble en rien à une procédure de vote « à main levée ». L’exigence de l’apposition des initiales à côté du vote inscrit représente une confirmation supplémentaire que le vote n’était pas conforme au code foncier.

 

[24]           Soutenir que le code foncier envisageait d’autres modes de scrutin n’est pas une réponse. Toute autre mode de scrutin que le vote « à main levée » doit être expressément approuvé dans le code foncier, non par un quelconque groupe de personnes, même s’il s’agissait du comité consultatif sur la gestion foncière. Le code foncier prévoit une manière d’en modifier les dispositions. Le mode stipulé n’a pas été suivi. Par conséquent, le code foncier n’a pas été modifié pour autoriser le mode de scrutin utilisé à l’occasion du deuxième vote.

 

[25]           Dans ces circonstances, il est inutile de se prononcer sur les questions constitutionnelles et sur les questions relatives à la Charte. Il est également inutile de se prononcer sur les autres allégations d’irrégularités du mode de scrutin. Le vote approuvant les propositions n’était pas légal et le vote doit être annulé.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 16 septembre 2009

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1516-08

 

INTITULÉ :                                       le conseiller ALBERT DEAN LAFOND et al.

                                                            c.

                                                            Le chef GILBERT LEDOUX

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 10 septembre 2009

 

Motifs du jugement :            le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS :                      le 16 septembre 2009

 

 

Comparutions :

 

Priscilla Kennedy

 

Pour les demandeurs

Aucune comparution par avocat

 

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Davis LLP

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

Pour les demandeurs

McKercher LLP

Avocats

Saskatoon (Saskatchewan)

 

Pour le défendeur

 

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