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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20090629

Dossier : T-703-08

Référence : 2009 CF 675

Ottawa (Ontario), le 29 juin 2009

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

ELI LILLY CANADA INC.

demanderesse

et

 

NOVOPHARM LIMITED et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

défendeurs

et

 

ELI LILLY and COMPANY LIMITED

défenderesse/brevetée

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté par Novopharm Limited (Novopharm) d’une décision de la protonotaire Mireille Tabib rejetant sa requête présentée en vertu de l’alinéa 6(5)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement AC) et accueillant la requête présentée par Eli Lilly Canada Inc. (Lilly) en vue de modifier son avis de demande sous‑jacent. 

 

a.                  L’historique

[2]               La requête de Novopharm constituait une tentative de mettre fin sommairement à la demande d’interdiction de Lilly au motif que celle-ci était frivole en droit et en fait. Selon Novopharm, le produit d’olanzapine qu’elle propose ne contreferait manifestement pas le brevet no 2,214,005 de Lilly (le brevet 005) relatif à l’olanzapine. Pour affirmer l’absence de contrefaçon, Novopharm se fonde sur le fait que son produit d’olanzapine ne sera pas fabriqué avec la forme sensiblement pure II, le composé protégé par le brevet 005 de Lilly.

 

[3]               Lilly a cherché à modifier son avis de demande afin d’inclure une allégation selon laquelle l’avis d’allégation de Novopharm contenait l’allégation trompeuse et mensongère selon laquelle le produit d’olanzapine proposé serait fabriqué à partir de l’olanzapine de forme I. Selon le témoignage du témoin expert de Lilly, le Dr David E. Bugay, les tests qu’il a effectués sur le produit de Novopharm ont indiqué qu’il était composé de l’olanzapine sous forme de solvate éthanol‑eau et non pas de la forme I. Pour sa part, Novopharm a soutenu devant la protonotaire et à nouveau devant moi que la question de savoir si son produit d’olanzapine est fabriqué à partir de la forme I ou non est dénuée de toute pertinence à l’égard de la question de contrefaçon, qui ne peut exclusivement porter que sur la question de savoir si son produit contient de l’olanzapine de forme sensiblement pure II. Novopharm soutient également que la preuve de Lilly concernant la possibilité de transformation du produit de Novopharm à la forme II n’est rien de plus qu’une hypothèse et est manifestement insuffisante pour établir la contrefaçon.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

[4]               La protonotaire a rejeté la requête de Novopharm en s’appuyant sur une conclusion selon laquelle il n’était pas « évident et manifeste » que l’allégation contestée était une partie indivisible et importante de sa déclaration d’avis d’allégation. Dans le passage suivant, elle conclut, avec une certaine réticence apparente, que l’importance, sur le plan juridique, d’un avis d’allégation faux ou insuffisant n’était pas une question réglée et qu’elle ne devrait pas être résolue sommairement :

[traduction] Je ne suis par ailleurs pas convaincue qu’il est évident et manifeste que la fausseté démontrable d’une déclaration faite dans un avis d’allégation concernant ce que contiendra le produit n’est pas suffisante pour déclarer que l’avis d’allégation, en ce qu’il se rapporte à l’absence de contrefaçon, est insuffisant et justifie ainsi une ordonnance d’interdiction. La jurisprudence fait certainement allusion à cette possibilité (Pfizer Canada Inc. c. RhoxalPharma Inc. (2005) 40 C.P.R. (4th) 306). L’argument de Novopharm, tiré de son analyse de divers autres précédents, est que la fausseté d’une allégation ne peut vicier l’avis d’allégation à moins d’être « importante », dans le sens qu’elle est déterminante quant à la question de savoir si l’allégation est justifiée ou dans le sens qu’elle doit avoir été conçue pour tromper significativement le demandeur ou du moins avoir eu cet effet. Ces arguments sont tous très convaincants. Malheureusement, puisqu’il n’existe aucune décision judiciaire relativement à la validité de ces arguments, dans un sens ou dans l’autre, il ne convient certainement pas que la Cour se hasarde à se prononcer sur le sujet sans qu’il y ait eu argumentation devant elle et sans qu’elle ne soit saisie d’un dossier de preuve complet.

 

 

[5]               La protonotaire a ensuite conclu qu’il serait inutile de résoudre sommairement la question de savoir si la preuve de Lilly concernant le risque de contrefaçon par transformation était suffisante pour justifier l’instruction de sa demande d’interdiction. 

 

II.        La question en litige

[6]               La décision de la protonotaire contient-elle une erreur susceptible de contrôle?

 

III.       L’analyse

[7]               Il ressort clairement de la décision de la protonotaire qu’elle a correctement appliqué le critère du caractère « évident et manifeste » à la requête dont elle était saisie. La jurisprudence dicte que dans le cadre d’une requête en rejet d’action déposée en vertu de l’alinéa 6(5)b) du Règlement AC, il incombe de démontrer que l’action « est tellement futile qu’elle n’a pas la moindre chance de réussir ». Cette forme de réparation hâtive est exceptionnelle et sera refusée en présence d’une question de fait ou de droit qui peut faire l’objet d’un débat : voir Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2007 CAF 163, 59 C.P.R. (4th) 416 (C.A.F.), aux paragraphes 32 à 34. 

 

[8]               Je doute grandement qu’une allégation factuelle dans un avis d’allégation qui se révèle plus tard fausse, mais qui n’est pas pertinente à l’égard de la question de la contrefaçon, constituera, en soi, un fondement pour une ordonnance d’interdiction. Néanmoins, on ne peut ignorer l’importance de l’avis d’allégation en ce qui a trait à la décision de la première partie de présenter une demande d’interdiction ni ignorer l’exigence corrélative d’exactitude : voir Hoffmann-La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien-être social) (1996), 70 C.P.R. (3d) 206, [1996] A.C.F. n1333 (C.A.F.). En fin de compte, on ne peut pas affirmer qu’un avis d’allégation délibérément trompeur peut mener à l’octroi de cette réparation. La question de savoir si la décision dans Pfizer c. Rhoxalpharma, 2005 CF 487, [2005] A.C.F. n818, visait à aller aussi loin n’est pas tout à fait claire, mais la déclaration faite au paragraphe 41 étaye la position de Lilly à l’égard de la présente requête. Je suis donc d’accord avec la protonotaire lorsqu’elle a conclu qu’il n’y a pas encore eu de décision judiciaire concernant la validité de cet argument et qu’il ne devrait pas être tranché dans le cadre d’une requête comme celle en l’espèce sans que la Cour ne soit saisie d’un dossier de preuve complet. 

 

[9]               Même si je conviens avec Novopharm qu’il est possible de soutenir que la preuve par affidavit du Dr Bugay contient certaines faiblesses, pour les besoins de l’espèce, cette preuve doit être acceptée telle quelle. Je dois présumer par exemple que sa méthodologie était scientifiquement valable et que sa preuve concernant la possibilité de transformation du produit d’olanzapine de Novopharm sera acceptée. 

 

[10]           Novopharm affirme néanmoins que la preuve du Dr Bugay constitue uniquement une hypothèse ou que, à tout le moins, elle ne permettrait pas de s’acquitter du fardeau exigé pour établir la contrefaçon. Novopharm s’appuie sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Pfizer Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2005 CAF 270, 42 C.P.R. (4th) 97. L’arrêt Pfizer était une affaire qui portait sur l’insuffisance de l’avis d’allégation de Novopharm concernant le produit d’azithromycine de Pfizer et la décision a été rendue sur le fond. Novopharm s’appuie cependant sur la description que fait la Cour de la preuve d’expert présentée par Pfizer concernant la transformation comme étant insuffisante pour établir la contrefaçon. Cette preuve indiquait que le produit proposé par Novopharm pouvait se transformer en la substance protégée par le brevet de Pfizer – une preuve que la Cour a décrite comme ayant « une faible valeur probante ». Dans la présente instance, Novopharm soutient que la preuve du Dr Bugay concernant la transformation n’est pas meilleure que celle que la Cour a examinée dans l’arrêt Pfizer et que l’issue inéluctable sera la même. On m’a donc demandé d’examiner la preuve du Dr Bugay attentivement et de façon critique et de ne pas imposer à Novopharm l’exigence de procéder plus avant pour faire entendre la présente demande au fond. Novopharm s’appuie également sur l’arrêt Novopharm c. Sanofi-Aventis Canada Inc., 2007 CAF 167, 59 C.P.R. (4th) 24 (C.A.F.) dans lequel une requête semblable a été accueillie et l’argument présenté par Sanofi selon lequel le contre-interrogatoire pourrait fournir des éléments de preuve de contrefaçon a été rejeté parce qu’il relevait de l’hypothèse. 

 

[11]           Le problème que soulève l’interprétation de l’arrêt Pfizer, précité, par Novopharm est que la qualification défavorable faite par la Cour quant à la preuve de Pfizer s’appuyait sur son évaluation de l’ensemble de la preuve concernant la possibilité de transformation : voir les paragraphes 25 à 28. En l’espèce, je ne qualifierais pas la preuve du Dr Bugay d’hypothèse, car, selon moi, une hypothèse ne possède aucune valeur probante quelle qu’elle soit. La preuve du Dr Bugay demeure plutôt essentiellement incontestée et elle possède une certaine force probante. La préoccupation de Novopharm est réellement une préoccupation qui vise le poids de cette preuve et la question de savoir si elle est suffisante pour établir plus que la simple possibilité de transformation. Il s’agit d’un point de désaccord qui concerne nécessairement le poids à accorder à la preuve ou la question de savoir si certaines conclusions pourraient être tirées de cette preuve et, par conséquent, ce n’est pas une question qui devrait être tranchée dans le cadre d’une requête présentée en vertu de l’alinéa 6(5)b). 

 

[12]           Compte tenu de ce qui précède, il doit s’ensuivre que l’ordonnance de la protonotaire autorisant la modification de Lilly ne peut être attaquée. Le présent appel est par conséquent rejeté, avec dépens accordés à Lilly.


 

ordonnance

 

            LA COUR ORDONNE que la présente requête soit rejetée, avec dépens accordés à Eli Lilly Canada Inc.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-703-08

 

Intitulé :                                       Eli Lilly Canada Inc.

                                                            c.

                                                            Novopharm Limited et al.

                                                            c.

                                                            Eli Lilly and Company Limited

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 9 juin 2009

 

MOTIFS de l’ordonnance

et ordonnance :                       le juge Barnes

 

DATE des MOTIFS:                       le 29 juin 2009

 

 

 

Comparutions :

 

Christopher Van Barr,

Scott Robertson

613-786-8675

 

Pour la demanderesse et

pour la défenderesse/brevetée

ELI LILLY and COMPANY LIMITED

 

Andrew Skodyn,

Andy Radhakant

416-643-6915

 

Pour la DÉFENDERESSE

NOVOPHARM LIMITED

Rick Woyiwada

613-941-2353

 

Pour le défendeur

le ministre de la santé

 

 


 

avocats inscrits au dossier :

 

Gowling Lafleur Henderson s.e.n.c.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse et

pour la défenderesse/brevetée

ELI LILLY and COMPANY LIMITED

 

Heenan Blaikie s.e.n.c.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour lA DÉFENDERESSE

NOVOPHARM LIMITED

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

le ministre de la santé

 

 

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