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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court


Date : 20090916

Dossier : T-1035-06

Référence : 2009 CF 909

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Ottawa (Ontario), le 16 septembre 2009

En présence de monsieur le juge K. Hugessen       

 

ENTRE :

UNDERWRITERS LABORATORIES INC.

demanderesse

et

 

SAN FRANCISCO GIFTS LTD.,

SAN FRANCISCO RETAIL GIFTS INCORPORATED

(auparavant sous le nom de SAN FRANCISCO GIFTS INCORPORATED),

SAN FRANCISCO GIFT STORES LIMITED,

SAN FRANCISCO GIFTS (ATLANTIC) LIMITED,

SAN FRANCISCO STORES LTD.,

SAN FRANCISCO GIFTS & NOVELTIES INC.,

SAN FRANCISCO GIFTS & NOVELTY

MERCHANDISING CORPORATION

(auparavant sous le nom de SAN FRANCISCO GIFTS AND

NOVELTY CORPORATION),

SAN FRANCISCO (THE ROCK) LTD.

(auparavant sous le nom de SAN FRANCISCO NEWFOUNDLAND LTD.),

SAN FRANCISCO RETAIL GIFTS &

NOVELTIES LIMITED (auparavant sous le nom de

SAN GIFTS & NOVELTIES) et BARRY SLAWSKY

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

Introduction

[1]               Il s’agit de deux requêtes déposées par les défendeurs qui interjettent appel de deux ordonnances distinctes rendues par la protonotaire chargée de la gestion de l’instance qui a rejeté, au complet dans une affaire et en partie dans l’autre, les deux requêtes déposées par les défendeurs. La première requête demandait le rejet de l’action pour cause de retard de la demanderesse; la deuxième demandait la radiation de certaines parties de la déclaration. Bien que les requêtes aient été entendues et traitées séparément par la protonotaire chargée de la gestion de l’instance, les requêtes en appel de ces ordonnances ont été entendues ensemble et sont traitées dans les présents motifs.

 

Requête de rejet pour cause de retard

[2]               L’action a été déposée en juin 2006 et a été mise en suspens durant plus de trois ans. Elle n’a pas beaucoup progressé, bien qu’on m’ait informé à l’audience que la communication de documents est imminente et que les interrogatoires oraux devraient suivre peu après. La protonotaire a examiné attentivement les diverses mesures qui avaient été prises depuis le début de l’action. Elle a constaté que le retard avait été causé en grande partie par le fait que l’action avait été suspendue à plusieurs reprises, à la demande des parties. Puisqu’une suspension ne peut être obtenue qu’au moyen d’une ordonnance de la Cour, la protonotaire avait raison de soutenir qu’en l’absence d’éléments de preuve de mauvaise foi ou de fraude de la part de la demanderesse, la demanderesse ne pouvait pas être tenue responsable des retards causés. Elle a également attribué une autre période importante de temps perdu à une requête déposée par les défendeurs (la même requête qui fait l’objet du deuxième appel) dont la forme était irrégulière et qui a nécessité beaucoup de temps en vue d’apporter des corrections et de fixer une date d’audience. Évidemment, encore une fois, cela n’était pas la faute de la demanderesse. Elle a également soutenu que la demanderesse ne devait pas être tenue responsable des retards liés aux périodes normales accordées par les règles pour la prise des diverses mesures dans le processus judiciaire. Ces conclusions ne comportent aucune erreur susceptible de contrôle.

 

[3]               Après avoir examiné le dossier, la protonotaire a conclu que seule une période de quatre mois de retard pouvait être attribuée à la demanderesse et que, dans les circonstances, ce retard n’était ni excessif ni inexcusable. Même si le point n’était pas strictement essentiel, la requête en vertu de l’article 167 des Règles n’étant pas un examen régulier de l’état de l’instance, la protonotaire a également précisé que la demanderesse n’était pas en défaut en ce qui concerne l’établissement du calendrier des audiences.

 

[4]               Finalement, la protonotaire a refusé de prendre en considération la preuve des défendeurs concernant le préjudice allégué attribuable au retard, bien qu’elle ait souligné en passant qu’elle estimait qu’une telle preuve n’avait que peu de valeur ou de poids. Je suis d’accord avec cette évaluation. En effet, en ce qui concerne certaines remarques incidentes indiquant le contraire, je suis d’avis que le préjudice à l’égard des autres parties n’est pas un élément nécessaire dans une décision selon laquelle l’action d’un demandeur a été retardée indûment et devrait être rejetée; en d’autres termes, la preuve de préjudice aux autres parties est pertinente, mais non essentielle pour une ordonnance de rejet pour cause de retard. 

 

[5]               En supposant qu’une décision discrétionnaire de ne pas rejeter une action pour cause de retard fasse partie de la catégorie des décisions qui sont de nature à entraîner une incidence sur le résultat final de l’affaire qui nécessite qu’une instance révisionnelle exerce sa propre discrétion de novo, mon propre pouvoir discrétionnaire ne mènerait pas à une conclusion différente de celle de la protonotaire. Je ne constate ni erreur de droit ni faille susceptible d’un contrôle, tant dans son raisonnement que dans ses conclusions. Je rejette surtout l’argument proposé par l’avocat des défendeurs selon lequel l’obligation d’un demandeur de régler l’affaire est en fait une obligation de résultat et selon lequel la Cour devrait examiner au-delà des diverses ordonnances de suspension qui ont été rendues et des autres retards dont les défendeurs étaient eux-mêmes responsables et rejeter l’action de la demanderesse tout simplement sous prétexte que la demanderesse aurait pu en faire davantage pour forcer le règlement de l’affaire. Les règles d’une procédure civile sont conçues pour fournir une solution juste et rapide à un litige en fonction de ses fondements, et non pour imposer aux parties un échéancier rigide qui les force à se lancer tête baissée vers une conclusion sans égard aux conséquences. 

 

[6]               Le premier appel sera rejeté.

 

Requête en radiation

[7]               Bien que de nombreuses questions aient été soulevées par les défendeurs dans leur requête en radiation devant la protonotaire, seulement deux ont été mises en cause dans l’appel : le caractère adéquat des allégations liées à la responsabilité personnelle de M. Slawsky, ainsi que le bien-fondé de l’allégation de condamnation au criminel antérieure de l’une des sociétés défenderesses. 

 

[8]               Pour commencer, dans la question concernant les allégations de responsabilité personnelle contre M. Slawsky, il est clair que cet aspect de la requête devant la protonotaire était fondé sur l’alinéa 221(1)a) des Règles : aucune cause d’action contre M. Slawsky n’a été plaidée dans la déclaration. C’est mentionné avec ambiguïté au paragraphe 2 de la section [traduction] « motifs » de la requête des défendeurs datée du 13 février 2007. D’abord devant la protonotaire et ensuite au cours de l’appel devant moi, l’avocat des défendeurs a tenté d’introduire subrepticement dans l’affidavit au dossier un élément de preuve de l’étendue de l’implication personnelle de M. Slawsky, ou du manque d’une telle implication dans les activités des sociétés défenderesses. Il s’agit là d’une violation directe de l’interdiction contenue dans le paragraphe 221(2) des Règles.

 

[9]               L’avocat des défendeurs tente de surmonter cette difficulté en affirmant que sa requête est également fondée sur l’alinéa 221(1)f) des Règles. On fait valoir que le fait de mettre en cause un défendeur sans alléguer une cause d’action contre lui est un abus de procédure. L’argument est inacceptable. Comme cela a déjà été démontré, il s’agit d’une contradiction directe avec les documents relatifs à la requête des défendeurs. Il fait également abstraction du libellé exact de l’alinéa 221(1)f) des Règles qui, en utilisant le mot [traduction] « autrement », semble exclure des abus de procédure possibles qui peuvent être soulevés en vertu de ce paragraphe et qui peuvent et qui devraient être soulevés en vertu des paragraphes précédents, tout cela, selon les circonstances, peut constituer un abus des procédures de la Cour. La requête en radiation des défendeurs, conformément au paragraphe 221(2) des Règles, doit être jugée uniquement en fonction des allégations de la déclaration et des détails qui, à ces fins, sont présumés prouvés, mais sans tenir compte des éléments de preuve. Agir autrement aurait pour effet de transformer une simple requête préliminaire sur une question de droit en une forme de requête en jugement sommaire déguisée.

 

[10]           Les allégations pertinentes et les détails figurent aux paragraphes 49 à 51 de la déclaration et se lisent comme suit :

 

[traduction]

49.       Slawsky, par l’entremise de Laurier Investments, détient 100 % de SFG Ltd. et, par son entremise, tous les autres défendeurs. Il est également président et administrateur unique de chacun des défendeurs. Slawsky est la force motrice et l’esprit dirigeant de San Francisco.


50.       Slawsky a exécuté tant le procès-verbal de transaction que l’engagement pour le compte de San Francisco. Par conséquent, Slawsky connaissait déjà l’existence de la marque de certification des Underwriters Laboratories (UL) et de l’entente de San Francisco en vue de mettre fin à l’offre de vente et à la vente de marchandises affichant des reproductions contrefaites de la marque de certification UL. De plus, Slawsky était au courant de l’observation de la Cour provinciale de l’Alberta selon laquelle l’importation et la vente par San Francisco de, notamment, produits électriques affichant des étiquettes contrefaites de la parque de certification UL constituaient « une fraude odieuse à l’égard de la population ». Néanmoins, Slawsky, par l’entremise de San Francisco, continue d’offrir et de vendre des produits électriques non certifiés qui affichent des reproductions contrefaites de la marque de certification UL en le sachant sciemment ou sans s’en soucier avec un mépris total des droits des UL et de la marque de certification UL et de la fraude potentielle à l’égard des consommateurs liée à la vente des produits électriques San Francisco.

 

51.       Par ailleurs, Slawsky, en tant qu’âme dirigeante de San Francisco, a fait en sorte que l’entreprise adopte un comportement répréhensible dont les détails figurent ci-dessus,  sachant ou sans se soucier que, par l’entremise de San Francisco, il induisait le public en erreur et portait atteinte à la réputation et à l’entreprise des UL.

 

[11]           À mon avis, ces allégations vont bien au-delà de simples affirmations de gestion et de contrôle d’un administrateur qui ont été jugées suffisantes dans Mentmore Manufacturing Co. c. National Merchandise Manufacturing Co. (CAF), [1978] A.C.F. no 521 et Kastner c. Painblanc (CAF), [1994] A.C.F. no 1671 pour soutenir la responsabilité personnelle d’un administrateur et d’un actionnaire majoritaire. Les paroles de monsieur le juge LeDain dans le premier cas sont instructives:

[traduction]

[28]      Je ne crois pas qu’il faille aller jusqu’à soutenir que l’administrateur ou le dirigeant doit savoir ou avoir des raisons de savoir que les actes qu’il ordonne ou qu’il amène à commettre constituent des violations. Cela reviendrait à imposer une condition de responsabilité qui, en général, n’existe pas dans le cas de la violation d’un brevet. Je constate qu’il a été soutenu aux États‑Unis qu’une telle connaissance n’était pas importante lorsqu’il est question de la responsabilité personnelle des administrateurs ou des dirigeants. Voir Deller’s Walker on Patents, 2e éd., 1972, vol. 7, pp. 117 et 118. Cependant, à mon avis, il doit y avoir des circonstances à partir desquelles il est raisonnable de conclure que le but de l’administrateur ou du dirigeant n’était pas de diriger l’activité de fabrication et de vente de l’entreprise dans le cadre normal de ses rapports avec elle, mais plutôt de suivre sciemment et délibérément une ligne de conduite susceptible d’enfreindre la loi ou traduisant une indifférence au risque d’une telle infraction. La formulation précise du critère approprié est manifestement difficile. Il faut s’assurer d’être en mesure d’obtenir une connaissance générale des circonstances de chaque affaire afin de déterminer si, en tant que question de politiques, ils demandent la responsabilité personnelle. Il peut y avoir des divergences d’opinions quant au caractère approprié du libellé précis du juge de première instance en formulant le critère qu’il a adopté -- « a volontairement et sans se soucier des conséquences entrepris un stratagème en utilisant l’entreprise comme moyen de faire des profits ou une coutume qui appartenait de droit aux demandeurs » -- mais je ne suis pas en mesure de conclure que cela était essentiellement erroné. […]

 

[12]           Je conclus, comme la protonotaire, que les allégations citées, si elles sont prouvées, sont suffisantes pour permettre d’établir raisonnablement que la responsabilité personnelle de Slawsky est engagée par sa conduite consciente et délibérée en causant la violation des droits de propriété intellectuelle de la demanderesse.  

 

[13]           Le deuxième aspect de la requête en radiation des défendeurs est lié au paragraphe 32 de la déclaration :

 

[traduction]

32.       Le ou vers le 30 décembre 2004, San Francisco a plaidé coupable aux accusations en vertu de l’article 42 de la Loi sur le droit d’auteur, y compris à un (1) chef lié à la vente par San Francisco de produits électroniques affichant une étiquette contrefaite de certification de sécurité qui représentait la marque de certification UL.

 

 

[14]           On prétend que cette allégation est non pertinente et nettement préjudiciable. L’argument, si j’ai bien compris, est que, depuis le plaidoyer de culpabilité plaidé et la condamnation avaient trait à la Loi sur le droit d’auteur et que la présente demande concerne la violation de la marque de commerce, il n’y a tout simplement aucune relation entre l’allégation et la présente demande. Avec respect, je ne suis pas d’accord. Les questions de droits d’auteur dans les marques de commerce sont monnaie courante. Une fois de plus, l’allégation doit, aux fins de la présente requête, être considérée comme prouvée et il est établi clairement que, peu importe le fondement législatif de la criminalité prouvée et admise par les défendeurs, les faits y donnant lieu sont identiques dans chaque affaire, notamment la vente de produits électriques affichant une version contrefaite de la marque de certification bien connue UL. Même si l’allégation peut fort bien être préjudiciable pour les défendeurs, elle est manifestement extrêmement pertinente pour les questions invoquées dans la présente action en tant qu’admission du comportement antérieur identique à ce qui est allégué dans ce cas-ci. Je ne connais aucune règle qui exclurait la preuve d’un tel comportement. Il ne s’agit pas de preuve de « faits similaires », mais de preuve de la perpétration antérieure de l’acte illégal en tant que tel qui fait l’objet de la présente action. 

 

[15]           La deuxième requête en appel sera aussi rejetée.

 

Dépens

[16]           La demanderesse devrait se voir accorder ses dépens pour chaque requête. Ces dépens devraient être évalués séparément, puisque les requêtes ont été présentées et contestées séparément et qu’elles ont été réunies pour l’audience à la toute fin seulement; la période de l’audience devrait être séparée également entre les deux requêtes. 

 

[17]           De plus, je ne crois pas que les appels ont soulevé des questions de droit particulières ou importantes quant à la justification d’une adjudication des dépens supérieure à l’échelle habituelle (colonne III), mais je suis d’avis que les deux requêtes n’auraient pas dû être déposées. La protonotaire chargée de la gestion de l’instance avait assuré la responsabilité de cette affaire durant plus de deux ans et demi; elle connaissait très bien tous les détails de l’affaire et ses ordonnances en appel traitaient de questions de procédure relativement courantes. Interjeter appel de telles ordonnances comme l’ont fait les défendeurs, sans fondement solide en droit, ne fait tout simplement qu’accroître les frais et les retards liés au litige. Les défendeurs sont tenus de payer les dépens de la demanderesse sans délai et quelle que soit l’issue de l’appel.

 


 

ORDONNANCE

 

LA COUR STATUE que les appels des ordonnances de la protonotaire chargée de la gestion de l’instance du 23 juin 2009 et du 2 juillet 2009 sont rejetés avec dépens payables sans délai et quelle que soit l’issue de l’appel.

 

 

« James K. Hugessen »

Juge suppléant


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1035-06

 

INTITULÉ :                                       UNDERWRITERS LABORATORIES INC. c.

                                                            SAN FRANCISO GIFTS LTD., et al

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 11 SEPTEMBRE 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE SUPPLÉANT HUGESSEN

 

DATE :                                               LE 16 SEPTEMBRE 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Brian Isaac

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Michael D. Andrews

Me Nyall Engfield

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

SMART & BIGGAR

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

ANDREWS ROBICHAUD

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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