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Date : 20090910

Dossier : IMM-5696-08

Référence : 2009 CF 889

Ottawa (Ontario), le 10 septembre 2009

En présence de monsieur le juge Louis S. Tannenbaum

 

 

ENTRE :

Muhammad Maner HAJI

 

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 22 octobre 2008 de l’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi (ERAR) M.C. Bennett.

 

I. Le contexte

[2]               Le demandeur est un citoyen pakistanais âgé de 71 ans. Il a quitté le Pakistan en décembre 1991 pour les États‑Unis et est entré au Canada en juillet 1992. Sa demande d’asile a été refusée en 1994. Le demandeur a été renvoyé aux États‑Unis en avril 1997 mais, plus tard cette année‑là, il est retourné au Canada et a présenté une deuxième demande d’asile. Cette demande, fondée majoritairement sur les mêmes faits que la première, a été rejetée le 30 juillet 1999. Dans le cadre du contrôle judiciaire, le juge Pelletier (maintenant juge à la Cour d’appel) a annulé cette décision. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) a tenu une nouvelle audience et a de nouveau rejeté la demande du demandeur au motif qu’il n’était pas crédible. Le 29 avril 2003, le juge Kelen a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du demandeur à l’égard de la troisième décision.

 

[3]               Le 21 août 2007, le demandeur a déposé sa demande d’ERAR sur le fondement de quatre motifs. Premièrement, il a affirmé craindre d’être persécuté ou tué par le parti du peuple pakistanais (PPP) en raison de ses liens avec le parti Jamiat Ulema-e-Islam (JUI). Deuxièmement, il a prétendu que s’il retournait dans son pays, il serait toujours persécuté par la police pakistanaise. Troisièmement, il craignait d’être persécuté par l’armée pakistanaise et les groupes militants Sipah‑e-Sahaba et Lashkar-e-Jhangvi. Cette crainte découlait des menaces qu’il avait reçues de sa belle­‑fille, qui a, selon lui, des liens avec ces organisations. Enfin, il a fait valoir que son frère, qui habite au Pakistan, l’a également menacé de mort.

 

[4]               Le demandeur a demandé la tenue d’une audience pour permettre à l’agent d’évaluer convenablement sa crédibilité, mais ce dernier a refusé, estimant que l’audience n’était pas nécessaire dans les circonstances. En rejetant la demande d’ERAR, l’agent a conclu que le demandeur n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour étayer sa prétention selon laquelle il était exposé personnellement à un risque au Pakistan.

 

II. Les questions en litige

[5]               Les questions en litige sont les suivantes :

1.   L’agent a‑t‑il commis une erreur en ne reconnaissant pas la présomption de véracité à l’égard du témoignage sous serment du demandeur?

2.   L’agent a‑t‑il commis une erreur en fondant sa décision sur la question de la crédibilité sans accorder une audience au demandeur?

 

III. La norme de contrôle

[6]               Les conclusions portant sur la crédibilité sont au cœur de la décision d’un agent chargé de l’ERAR. La norme de contrôle applicable à de telles conclusions était autrefois celle de la décision manifestement déraisonnable : Tekie c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), [2005] A.C.F. no 39 (C.F.), au par. 6. Après l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, de la Cour suprême du Canada, les normes de la décision manifestement déraisonnable et de la décision raisonnable simpliciter ont été fondues en une seule norme de raisonnabilité. Par conséquent, je conclus que la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer en l’espèce est celle de la décision raisonnable.

 

[7]               Dans Karimi c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), [2007] A.C.F. no 1289 (C.F.), le juge Beaudry a conclu que la question de savoir si un agent aurait dû ordonner la tenue d’une audience conformément à l’alinéa 113b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés était une question mixte de fait et de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

 

IV. Le droit et les arguments

L’agent a‑t‑il commis une erreur en ne reconnaissant pas la présomption de véracité à l’égard du témoignage sous serment du demandeur?

 

[8]               Le demandeur prétend que l’agent n’a pas examiné si son témoignage était probant en soi, et a plutôt directement conclu qu’il devait être corroboré. Le demandeur fait valoir que le témoignage sous serment d’une personne demandant une protection bénéficie de la présomption de véracité si aucune raison valable ne permet de le mettre en doute : Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1979), 31 N.R. 34 (C.A.F.), au par. 5.

 

[9]               Le défendeur soutient que la présomption de véracité peut être réfutée en l’absence d’éléments de preuve corroborants, lorsqu’on peut raisonnablement s’attendre à de tels éléments de preuve : Adu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 114 (C.A.F.); Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 520 (C.F., 1re inst.). Le défendeur prétend que le demandeur n’a pas fourni de tels éléments de preuve corroborants et que la décision de l’agent était par conséquent raisonnable.

 

[10]           À mon avis, il était raisonnable dans les circonstances de s’attendre à ce que le demandeur ait fourni des éléments de preuve objectifs à l’appui de ses allégations de risque. Ces éléments de preuve auraient pu être des affidavits souscrits par ses collègues politiques et des membres de sa famille. De plus, le demandeur aurait pu présenter une copie des accusations que sa belle‑fille aurait déposées contre lui à la police de Toronto. En l’absence de ces éléments de preuve, que l’on s’attendrait raisonnablement à trouver à l’appui de sa demande, il était loisible à l’agent de conclure que les déclarations non fondées du demandeur étaient insuffisantes pour lui permettre d’accueillir sa demande d’ERAR.

 

L’agent a‑t‑il commis une erreur en fondant sa décision sur la question de la crédibilité sans accorder une audience au demandeur?

 

[11]           Le demandeur prétend que la conclusion de l’agent selon laquelle il n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objectifs révèle que sa décision était fondée sur sa conviction qu’il n’était pas crédible. Les conclusions d’un agent portant sur la suffisance pourraient équivaloir à des conclusions portant sur la crédibilité : Liban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2008), 76 Imm. L.R. (3d) 227 (C.F.), au par. 14. Le demandeur fait valoir qu’une audience doit être tenue si la crédibilité est « au cœur » de la décision de l’agent d’ERAR : Karimi, précité.

 

[12]           Le défendeur soutient qu’une audience n’est tenue que dans des circonstances exceptionnelles et que si la crédibilité est au cœur de la décision de l’agent chargé de l’ERAR. Il allègue que ce n’était pas le cas en l’espèce puisque l’agent n’a pas mis en doute la crédibilité du demandeur. Il a plutôt fondé sa décision sur l’absence d’éléments de preuve objectifs démontrant les risques examinés précédemment par la CISR et les nouveaux risques présentés par le demandeur.

 

[13]           L’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, D.O.R.S./2002‑227 expose les facteurs qui doivent être examinés lorsqu’un agent décide si la tenue d’une audience est requise :

 

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant's credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

 

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

[14]           Il ressort clairement de la lecture de la décision que l’agent a critiqué l’absence d’éléments de preuve objectifs parce qu’il a mis en doute la crédibilité du demandeur. À la page quatre de sa décision, l’agent affirme ce qui suit :

[traduction] J’estime que [le demandeur] n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve sûrs ou fiables pour dissiper les doutes soulevés par la CISR quant à sa crédibilité, et je ne suis pas convaincu d’en arriver à une conclusion différente sur le fondement de la preuve présentée en l’espèce dans la demande d’ERAR.

 

 

[15]           Quoi qu’il en soit, l’agent a reconnu l’existence de violence politique, d’exécutions extrajudiciaires, du nombre grandissant de disparitions d’opposants politiques et de corruption au sein du service de police du Pakistan.

 

[16]           Les conclusions de l’agent quant à la crédibilité du demandeur avaient une importance capitale pour l’issue de sa demande. Les conclusions de l’agent concernant la preuve documentaire démontrent que s’il avait cru le demandeur, il aurait vraisemblablement accueilli sa demande d’ERAR. Je suis convaincu que les circonstances de l’espèce sont telles que les facteurs prévus à l’article 167 sont présents. Par conséquent, l’agent avait l’obligation de tenir une audience. Son défaut de le faire constitue une erreur susceptible de contrôle.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que pour les motifs précédents, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent chargé de l’ERAR pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question de portée générale n’a été proposée pour certification.

 

 

 

« Louis S. Tannenbaum »

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau

DÉCISIONS CONSULTÉES PAR LA COUR

 

1.                  Maldonado c. Canada (M.E.I.) (1979), 31 N.R. 34 (C.A.F.)

2.                  Ward c. Canada (P.G.), [1993] 2 R.C.S. 689, p. 713-714

3.                  Ahortor c. Canada (M.E.I.) (1993), 21 Imm. L.R. (2d) 39

4.                  Attakora c. Canada (M.E.I.), [1989] A.C.F. no 444 (C.A.F.)

5.                  Zheng c. Canada (M.C.I.), 2007 CF 974

6.                  Naqvi c. Canada (M.C.I.), 2008 CF 779

7.                  Nilam c. Canada (M.C.I.), 2004 CF 1037

8.                  Adu c. Canada (M.E.I.), [1995] A.C.F. no 114 (C.A.F.)

9.                  Liban c. Canada (M.C.I.), 2008 CF 1252

10.              Latifi c. Canada (M.C.I.), 2006 CF 1388

11.              Komahe c. Canada (M.C.I.), 2006 CF 1521

12.              Zokai c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 1103

13.              Shafi c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 714

14.              Fernandez Ortega c. Canada (M.C.I.), 2007 CF 601

15.              Karimi c. Canada (M.C.I.), 2007 CF 1010

16.              Tekie c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 27

17.              Ferguson c. Canada (M.C.I.), 2008 CF 1067

18.              Pachment c. Canada (M.C.I.), 2008 CF 1140

19.              Jasim c. Canada (M.C.I.), [2003] A.C.F. no 1290

20.              Krishnapillai c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 244

21.              Mobarekeh c. Canada (M.C.I.), 2004 CF 1102

22.              Rolfe c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 1514

23.              Pankou c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 203

24.              Alam c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 4

25.              Hassan c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 601

26.              Bains c. M.E.I. (1990), 109 N.R. 239 (C.A.F.)

27.              Kurniewicz c. M.E.I. (1974), 6 N.R. 225 (C.A.F.)

28.              Wu et al c. M.E.I., [1989] 2 F.C. 175 (1re inst.)

29.              Virk c. M.E.I. (1991), 13 Imm. L.R. (2d) 119 (C.F., 1re inst.)

30.              Khan c. Canada (M.C.I.), 2002 CFPI 400

31.              Ortiz Juarez c. Canada (M.C.I.), [2006] A.C.F. no 365

32.              Selliah c. Canada (M.C.I.), 2005 CAF 160

33.              Gerardo Chavarria Gonzalez c. Canada (M.C.I.), (IMM-3659-03, 30 mai 2003)

34.              Li c. Canada (M.C.I.), 2005 CAF 1

35.              Canada (M.C.I.) c. Flores Carillo, 2008 CAF 94

36.              Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817

37.              Owusu c. Canada (M.C.I.), 2004 CAF 38

38.              Lewis c. Canada (M.C.I.), 2007 CF 778

39.              Gong c. Canada (M.C.I.), 2008 CF 600

40.              Kim c. M.C.I. (2003), 33 Imm. L.R. (3d) (C.F.)

41.              Kazmi c. M.C.I., 2004 CF 1375

42.              Younis c. M.C.I., 2004 CF 266

43.              Sylla c. M.C.I., 2004 CF 475

44.              Abdou c. S.G.C., 2004 CF 752

45.              Malhi c. M.C.I., 2004 CF 802

46.              Iboud c. M.C.I., 2005 CF 1316

47.              Ray c. M.C.I., 2006 CF 731

48.              Saadatkhani c. M.C.I., 2006 CF 614

49.              Yousef c. M.C.I., 2006 CF 864

50.              Sen c. M.C.I., 2006 CF 1435

51.              Lake c. Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23

52.              Mehterian c. Canada (M.E.I.), [1992] A.C.F. no 545

53.              Via Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25

54.              Ghavidel c. Canada (M.C.I.), [2007] A.C.F. no 1205

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5696-08

 

INTITULÉ :                                       Muhammad Maner HAJI c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               23 juin 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE SUPPLÉANT TANNENBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                      10 septembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Douglas Lehrer

 

POUR LE DEMANDEUR

Sharon Stewart Guthrie

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

VanderVennen Lehrer

Avocats

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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