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Date :  20090916

Dossier :  IMM-667-09

Référence :  2009 CF 911

Montréal (Québec), le 16 septembre 2009

En présence de monsieur le juge Boivin 

 

ENTRE :

NAVJOT SINGH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.R. 2001, c. 27 (la loi), à l’encontre d’une décision rendue le 12 janvier 2009 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal), selon laquelle le demandeur n’a pas la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

 

[2]               Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

 

La question en litige

[3]               La seule question en litige est de savoir si le tribunal a commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas crédible?

 

Le contexte factuel

[4]               Le demandeur, Navjot Singh, est un citoyen de l’Inde de religion sikh. Il est fermier et résidant du village de Agit Nagar dans la province du Penjab. Il allègue avoir été arrêté par la police le 31 décembre 2005 alors qu’il était en visite chez son ami Baljinder Singh dans la ville de Batala, aussi au Penjab. Son ami Baljinder ainsi que le cousin de ce dernier, dont le demandeur ne connaît que le surnom de « Vikki », ont aussi été arrêtés. Les policiers visaient particulièrement le cousin de l’ami, qui était recherché par les policiers de la province du Jammu et Cachemire où il habitait. Vikki était caché chez son cousin Baljinder à Batala pour échapper aux policiers de la province du Jammu et Cachemire.

 

[5]               Le demandeur a été transféré aux policiers assignés à sa localité, soit dans la ville de Beas, et il a été torturé et questionné au sujet de ses activités auprès des militants. Des photos du demandeur et de son ami Baljinder Singh à l’entraînement au maniement des armes alors qu’ils étaient cadets de l’armée ont été trouvées par les policiers lors d’une fouille au domicile du demandeur, ce qui a renforcé leur suspicion à l’effet que le demandeur aidait les militants.

 

[6]               Le demandeur et Baljinder ont été libérés après quelques jours et les policiers ont remis le cousin de Baljinder aux autorités du Jammu et Cachemire. Ledit cousin ne fut jamais retrouvé et sa mère a demandé au demandeur et à Baljinder d’agir comme témoins contre les policiers concernant une plainte qu’elle envisageait de déposer. Finalement, elle n’a pas déposé de plainte car le demandeur n’a pas voulu témoigner et Baljinder s’est sauvé de son domicile.

 

[7]               Le demandeur a été arrêté une deuxième fois le 10 octobre 2006 après avoir rencontré une organisation des droits de la personne car il voulait porter plainte contre les policiers qui le harcelaient. Le demandeur allègue avoir été torturé et questionné sur ses liens avec les militants. Il a été libéré après deux jours de détention sous condition de se présenter au poste de police chaque mois, de ne pas porter plainte contre les policiers et de leur apporter des informations au sujet de Baljinder Singh et des militants.

 

[8]               Le demandeur est plutôt allé chez une tante dans la ville de Chandigarh avant de quitter l’Inde le 12 janvier 2007 pour la Malaisie avec l’aide d’un passeur qui lui a obtenu un visa. Le demandeur allègue avoir été fait presque prisonnier en Malaisie par son passeur pendant environ cinq mois avant d’être envoyé au Canada avec un faux passeport le 13 juin 2007 pour y demander l’asile le 19 juillet 2007.

 

[9]               Le demandeur allègue que les policiers sont toujours à sa recherche en Inde, qu’ils l’accusent d’avoir joint les militants et qu’il craint d’être tué par les policiers ou d’être faussement accusé d’un crime quelconque.

 

 

La décision contestée

[10]           Le tribunal a rejeté la réclamation du demandeur en déclarant que son récit était fabriqué et non crédible. La décision rendue par le tribunal est basée sur sa conclusion d’absence de crédibilité du témoignage du demandeur.

 

La norme de contrôle

[11]           Lorsqu’il est question de crédibilité et d’appréciation de la preuve, il est bien établi en vertu du paragraphe 18.1(4)(d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7, que la Cour n’interviendra que si la décision est basée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon arbitraire ou abusive ou si la décision est rendue sans égard à la preuve (Aguebor c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), 42 A.C.W.S. (3d) 886).

 

[12]           L’évaluation de la crédibilité et l’appréciation de la preuve relèvent de la compétence du tribunal administratif qui doit apprécier l’allégation d’une crainte subjective d’un demandeur d’asile (Cepeda-Gutierrez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1ère inst.), 83 A.C.W.S. (3d) 264 au paragraphe 14). Avant Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la norme de contrôle applicable dans des circonstances semblables était celle de la décision manifestement déraisonnable. Depuis, il s’agit de la décision raisonnable.

 

 

 

L’analyse

[13]           Il appartient au tribunal d’apprécier la preuve testimoniale et documentaire faite devant lui et le poids à accorder à cette preuve relève entièrement de la compétence du tribunal qui est maître des faits (Khangura c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.), (2000), 191 F.T.R. 311, 97 A.C.W.S. (3d) 1228; Hoang c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration.), (1990), 120 N.R. 193, 24 A.C.W.S. (3d) 1140 (C.A.F.); Tawfik c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), 137 F.T.R. 43, 26 Imm. L.R. (2d) 148 (C.F. 1ère inst.)).

 

[14]           Pour ce faire, le tribunal peut se servir de son expertise pour analyser toute la preuve et choisir celle qui s’applique selon les circonstances (Ganiyu-Giwa c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1995), A.C.W.S. (3d) 960, [1995] F.C.J. no. 506 (QL) (C.F. 1ère inst.)). Enfin, il est reconnu que le tribunal n’a pas à mentionner dans sa décision chacun des éléments de preuve qu’il avait devant lui (Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration.) c. Hundal, (1994), 167 N.R. 75; 47 A.C.W.S. (3d) 372 (C.A.F.); Randhawa c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1999), 88 A.C.W.S. (3d) 184, [1999] A.C.F. no. 606 (QL) (C.F. 1ère inst.); Tutu c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), 74 F.T.R. 44, 46 A.C.W.S. (3d) 929 (C.F. 1ère inst.); Ccanto c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1994), 73 F.T.R. 144, 46 A.C.W.S. (3d) 309).

 

[15]           Le demandeur prétend que le tribunal n’a pas fait diligence dans l’étude des documents médicaux et il soutient que le tribunal ne pouvait donner aucune valeur probante aux documents médicaux sur le seul fondement de l’évaluation négative du tribunal en regard de la crédibilité du demandeur car ces documents, dont l’authenticité n’est pas contestée, existent de façon indépendante et corroborent le récit du demandeur (Khaira c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1071, 260 F.T.R. 15 au par. 21).

 

[16]           Dans Cepeda-Gutierrez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1ère inst.), 83 A.C.W.S. (3d) 264 et repris dans Gill c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 656, 129 A.C.W.S. (3d) 783, cette Cour a noté que l’obligation de commenter une preuve documentaire dans une décision dépend de l’importance de cette preuve. En l’espèce, le demandeur allègue que la preuve documentaire ignorée portait sur des faits au cœur de la revendication du demandeur, ce qui rend la décision du tribunal déraisonnable.

 

[17]           En l’espèce, le document médical du Dr. Naveen Khaneja, soit la pièce P-7, mentionne expressément que : « Patient alleged above said medical problems due to the beating in police custody ». Bien que les rapports médicaux notent des blessures physiques chez le demandeur, la preuve médicale ne démontre pas qu’il s’agit de blessures véritablement subies suite aux événements allégués. C’est le demandeur, et non les médecins, qui prétend que ses séquelles sont la conséquence des actes de la police.

 

[18]           À maintes reprises, cette Cour a confirmé que le tribunal peut tirer une conclusion défavorable du fait qu’un revendicateur n’a pas produit une preuve probante pour étayer son témoignage lorsque le tribunal a des préoccupations concernant sa crédibilité (Sinnathamby c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 473, 105 A.C.W.S. (3d) 725; Muthiyansa c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 17, 103 A.C.W.S. (3d) 809).

 

[19]           En l’espèce, le demandeur n’a pu donner le nom complet du cousin de son ami Baljinder, Vikki, qui est à la source de tous ses problèmes, et ce, même après avoir parlé à la mère de ce dernier. Le demandeur n’a pu expliquer pourquoi il devrait témoigner pour la mère de Vikki alors que la police a admis avoir détenu et remis ce dernier aux policiers de Jammu et Cachemire. De plus, il paraît invraisemblable que la police ait libéré le demandeur s’il y avait des soupçons qu’il était lié à des militants étant donné que la loi prévoit qu’il peut être détenu sans possibilité de libération sous condition. Finalement, le demandeur n’a pas soumis de preuve probante du harcèlement de sa mère par la police en Inde.

 

[20]           Tel que noté lors de l’audience, il y a eu une erreur cléricale car le tribunal fait référence à la pièce P-5 qui représente un certificat de donation de sang du « Indian Red Cross Society » et daté du 6-10-97. Toutefois, à la note 3 des motifs, il est clair qu’il s’agit de l’affidavit qui se trouve à la pièce P-6 puisque la description de la pièce correspond au contenu dont fait référence le tribunal. Le tribunal a donc tenu compte et commenté l’affidavit du 6 novembre 2008 (soit la pièce P-6) ainsi que les raisons pour lesquelles il n’accordait aucune valeur probante à cette pièce.

 

[21]           Le demandeur a également plaidé à l’audience qu’il n’existe aucune transcription (procès-verbal) de l’audience devant le tribunal et qu’il s’agit dès lors d’un manquement à l’équité. Je ne souscris pas à cet argument.  Dans la décision Singh c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 363, 135 A.C.W.S. (3d) 903 au paragraphe 3, le juge Martineau de cette Cour a noté ce qui suit à l’égard de l’absence du procès-verbal :

 

D'une part, il a été établi à maintes reprises que le non-enregistrement des procédures, sauf s'il est prévu par la loi, ne donne pas ouverture à un recours pour violation des règles de justice naturelle (Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (ville), [1997] 1 R.C.S. 793 aux paras. 79-87). D'autre part, l'absence de transcription, sans être fatal, peut empêcher la Cour qui siège en révision, de vérifier notamment si la conclusion générale de non crédibilité du tribunal s'appuie sur la preuve au dossier et si celle-ci est raisonnable. En l'espèce, il n'existe aucune exigence dans la Loi relativement à l'enregistrement des propos tenus à l'audience. La Cour doit donc déterminer si le dossier dont elle dispose lui permet de statuer convenablement sur la présente demande de contrôle judiciaire (Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 739 (C.F. 1re inst.) (QL), (2000) 182 F.T.R. 312; et Hatami c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 402 (C.F. 1re inst.) (QL)).

 

[22]           Ayant révisé l’ensemble du dossier du tribunal ainsi que l’affidavit circonstancié du demandeur et les preuves documentaires qu’il a soumis au tribunal, je suis d’avis que, malgré l’absence de procès-verbal, le dossier devant la Cour me permet de statuer convenablement sur la demande de révision judiciaire.

 

[23]           Il est de jurisprudence constante que le tribunal est le mieux placé pour évaluer les explications fournies par les demandeurs au sujet des contradictions et invraisemblances apparentes. Il n’appartient pas à la Cour de substituer son jugement aux conclusions de fait tirées par le tribunal au sujet de la crédibilité du demandeur (Singh c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 181, 146 A.C.W.S. (3d) 325 au par. 36; Mavi c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no. 1 (C.F. 1ère inst.) (QL)). De même, dans la mesure où les conclusions du tribunal ne sont pas déraisonnables, la Cour ne doit pas intervenir pour casser la décision (Aguebor, ci-dessus; Wen c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1994), 48 A.C.W.S. (3d) 1000, [1994] A.C.F. No. 907 (QL) (C.A.F.); Kumar c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), 39 A.C.W.S. (3d) 1027, [1993] A.C.F. No. 219 (QL) (C.A.F.)).

 

[24]           Somme toute, je suis d’avis que le demandeur, en l’espèce, n’a pas démontré que le tribunal a rendu une décision fondée sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire, sans tenir compte de la preuve.

 

[25]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et ce dossier n’en contient pas.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-667-09

 

INTITULÉ :                                       Navjot Singh c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 10 septembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Boivin

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 16 septembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Michel LeBrun

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Sylviane Roy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michel LeBrun

Avocat

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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