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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20090910

Dossier : IMM-841-09

Référence : 2009 CF 898

Vancouver (Colombie-Britannique), le 10 septembre 2009

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

 

 

ENTRE :

ALEXANDER POPOV,

IRINA DOUBROVSKAIA,

MARIA DOUBROVSKAIA (DOUBROVSKAYA),

POLINA DOUBROVSKAIA

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada en date du 23 janvier 2009, dans laquelle il a été décidé que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger en vertu de la Loi.

 

Questions en litige

[2]               Voici les questions soulevées en l’espèce :

a.                   La SPR a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que les demandeurs – des apatrides – doivent épuiser tous les recours disponibles aux États-Unis pour obtenir la protection de l’État avant de demander l’asile au Canada?

b.                  La SPR a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que les demandeurs n’avaient pas épuisé tous les recours disponibles aux États-Unis pour obtenir la protection de l’État avant leur arrivée au Canada?

c.                   La SPR a‑t‑elle commis une erreur de droit en concluant que les demandeurs ne craignent pas avec raison d’être persécutés et que les lois américaines en matière d’immigration appliquées à l’égard des demandeurs sont des lois d’application générale qui ne revêtent pas un caractère de persécution ou qui ont été appliquées dans leur cas d’une manière différente pour un motif de la Convention?

 

Contexte factuel

 

[3]               Les faits suivants sont extraits des conclusions de la SPR.

 

[4]               Les demandeurs, Alexander Popov et Irina Doubrovskaia, sont mariés et ont été respectivement demandeur d’asile principal et demandeure d’asile associée devant la SPR. Tous deux sont nés et ont vécu dans l’ancienne Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), maintenant appelée Fédération de Russie. Leurs enfants, Maria et Polina Doubrovskaia, également demanderesses devant la Cour, sont des demandeures d’asile mineures qui sont nées aux États-Unis et qui sont citoyennes de ce pays.

 

[5]               M. Popov et Mme Doubrovskaia sont apatrides. Ils vivaient aux États-Unis au moment de l’éclatement de l’ancienne URSS et ont omis de prendre les mesures requises pour obtenir la citoyenneté russe. Par conséquent, la Russie prétend qu’ils ne sont pas des citoyens russes. Ils ne sont pas non plus des citoyens des États-Unis.

 

[6]               En 1992, M. Popov et Mme Doubrovskaia ont quitté l’ancienne URSS pour se rendre aux États‑Unis, munis d’un visa d’affaires. Un an plus tard, M. Popov a fait une demande de changement de visa et les deux demandeurs ont demandé la résidence permanente. En 1994, ils ont tous deux obtenu des visas qui leur permettaient de séjourner aux États-Unis et d’exploiter leur entreprise. En 1995, ils ont fait une demande de rectification de leur statut et ont été amenés à croire, par le Service d’immigration et de naturalisation (INS), qu’ils obtiendraient leurs cartes vertes.

 

[7]               En 1996, l’avocat des demandeurs a appris que leur rectification de statut avait été retardée parce que l’INS avait mal classé les dossiers. Des recherches ont permis de retrouver le dossier de M. Popov. Ce dernier a alors renouvelé sa demande. De nouveau, on lui a assuré qu’il obtiendrait une carte verte.

 

[8]               Le 5 avril 2003, M. Popov a été arrêté par des policiers aux États-Unis. Il a été informé qu’il n’existait aucun dossier sur son statut et il a été arrêté pour avoir indûment prolongé son séjour après l’expiration de son visa. Un cautionnement lui a été refusé et il a été incarcéré dans une prison à sécurité maximale.

 

[9]               Le 24 septembre 2003, tout en admettant que M. Popov possédait le statut de travailleur étranger, l’INS l’informe de son intention de révoquer son statut. L’avocat de M. Popov a omis de prendre les mesures nécessaires pour réfuter l’intention de révocation et le statut de M. Popov a été révoqué. L’avocat n’a pas interjeté appel de la décision de révocation.

 

[10]           À la fin de 2003, le renvoi de M. Popov a été ordonné. Le Bureau des appels de l’immigration (BIA) a rejeté l’appel de cette décision. La mesure de renvoi a alors été déclarée finale. M. Popov a ensuite fait appel devant la Cour d’appel, neuvième circuit, mais il n’a pas demandé de surseoir à la mesure de renvoi. Il a plutôt demandé d’être renvoyé en Russie.

 

[11]           C’est alors que le Bureau de l’immigration et de l’exécution des douanes (BICE) a été informé que M. Popov n’était pas un citoyen de la Fédération de Russie et qu’aucun document de voyage n’allait être émis à son intention.

 

[12]           M. Popov a été détenu en prison pendant 180 jours après que la mesure de renvoi fut déclarée finale, et ce, malgré le fait qu’aux États‑Unis, les étrangers doivent être libérés de prison 90 jours après qu’une mesure de renvoi devient finale. M. Popov est demeuré en prison pendant plus de deux ans au total relativement à la présente affaire.

 

[13]           À sa libération, en 2005, M. Popov a été mis sous surveillance et on lui a accordé la liberté sous certaines conditions.

 

[14]           En avril 2006, M. Popov a eu en partie gain de cause dans le cadre de son appel devant la Cour d’appel, neuvième circuit. En décembre 2006, son dossier a été de nouveau renvoyé au BIA et ensuite à un juge d’immigration, afin que soit examinée sa demande de rectification de statut ainsi que sa demande d’annulation.

 

[15]           Le statut de M. Popov n’est pas défini par la loi.  En outre, il ne peut pas travailler ni recevoir de prestations d’assurance-emploi puisque son permis de travail a expiré.

 

[16]           Quant à Mme Doubrovskaia, elle n’a pas de statut connu aux États-Unis. Sa demande de rectification de statut de 1996 n’a jamais été retrouvée et elle vit avec la crainte d’être arrêtée.

 

[17]           Le 14 août 2006, les demandeurs sont arrivés au Canada et ont déposé une demande d’asile à la frontière.

 

[18]           Il y a eu certains changements depuis l’arrivée de M. Popov au Canada. Le 2 janvier 2008, compte tenu d’une décision rendue dans une autre affaire, la Cour d’appel, neuvième circuit, a renvoyé le cas de M. Popov à la Cour de district afin que celle-ci réexamine une demande d’habeas corpus faite antérieurement ainsi que la révocation de sa demande de visa. Également en 2008, le département de la Sécurité intérieure et le demandeur principal ont proposé à la Cour de district américaine que la révocation de la demande de visa soit annulée sans préjudice pour le département de la Sécurité intérieure afin d’instituer une nouvelle procédure de révocation de la demande de visa et de réévaluer la demande de rectification de statut de M. Popov. Aucune preuve n’a été présentée qui aurait permis de déterminer si cette option a été acceptée ou non.

 

Décision contestée

[19]           Le 23 janvier 2009, la SPR a conclu que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention car ils ne craignent pas avec raison d’être persécutés aux États-Unis.

 

[20]           La SPR a également conclu que les demandeurs n’étaient pas des personnes à protéger dans la mesure où leur renvoi aux États‑Unis ne les exposerait pas personnellement à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités et parce qu’il n’existe aucun motif sérieux de croire qu’ils seraient personnellement exposés à un risque de torture s’ils retournaient aux États-Unis.

 

[21]           La SPR a conclu que M. Popov et Mme Doubrovskaia sont apatrides. Ils ne sont pas des citoyens des États-Unis ni de la Fédération de la Russie. On a également conclu qu’ils avaient résidé dans les deux pays.

 

[22]           La SPR a déclaré que les apatrides devaient démontrer qu’ils craignent avec raison d’être persécutés dans l’un ou l’autre des pays où ils ont eu une résidence antérieure et qu’ils ne peuvent pas y retourner.  De plus, étant donné que les demandeurs sollicitent la protection contre les États‑Unis, ils doivent démontrer qu’ils craignent d’être persécutés dans ce pays.

 

[23]           Les demandeurs affirment qu’ils seront persécutés aux États‑Unis car ils n’y ont pas de statut juridique. Ils craignent d’être emprisonnés constamment, même s’ils n’ont commis aucune infraction criminelle. En outre, M. Popov affirme qu’il pourrait être précisément ciblé par les États‑Unis en raison de ses opinions politiques réelles ou présumées.

 

[24]           La SPR a analysé la question de la protection de l’État aux États-Unis, soit leur pays de résidence habituelle. Elle a fondé son analyse sur l’arrêt Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 282 D.L.R. (4th) 413, 63 Imm. L.R. (3d) 13 (Hinzman), et a conclu que les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante.

 

[25]           La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas épuisé tous les recours dont ils disposaient aux États-Unis. En ce qui a trait à M. Popov, il n’a pas interjeté appel du refus de sa demande de rectification de statut et d’annulation de renvoi. En ce qui concerne Mme Doubrovskaia, après la perte de sa demande, elle n’a pris aucune mesure pour rétablir celle-ci et n’a pas non plus déposé de nouvelle demande.

 

[26]           La SPR a laissé entendre que si les demandeurs étaient renvoyés aux États‑Unis et arrêtés parce qu’ils n’ont pas de statut dans ce pays, ils risqueraient d’être emprisonnés pendant six mois tout au plus. De plus, ils pourraient accepter la mesure de renvoi et démontrer ensuite aux autorités américaines qu’ils devraient être libérés de prison puisqu’ils ne peuvent pas être renvoyés en Russie.

 

[27]           Par la suite, ils pourraient obtenir une autorisation de travail ou faire l’objet d’une ordonnance de surveillance. Le fait qu’ils ne peuvent avoir accès aux services sociaux et aux services de santé et que leurs possibilités d’emploi sont limitées ne revêt pas un caractère de persécution, mais constitue simplement l’exercice par un pays de son droit de restreindre l’accès à certains services.

 

[28]           La SPR a également conclu que les lois américaines en matière d’immigration sont des lois d’application générale qui n’ont pas un caractère de persécution. Elle a fait remarquer que les pays ont le droit de détenir des non-citoyens et qu’aux États‑Unis, il y a un terme à la période de détention. Elle a ajouté également que les États‑Unis offrent une protection constitutionnelle contre les détentions indéfinies par le biais de l’habeas corpus et le droit à l’application régulière de la loi.

 

[29]           La SPR a souligné que particulièrement en ce qui concerne le renvoi d’étrangers, des limites sont imposées à la période de détention si le renvoi n’est pas raisonnablement prévisible ou réalisé, même si ces limites n’ont pas été respectées dans le cas de M. Popov.

 

[30]           S’agissant de Maria et de Polina Doubrovskaia, la SPR a conclu qu’elles sont des citoyennes américaines et qu’elles n’ont fait valoir aucune demande de protection contre les États‑Unis. Puisqu’elles se sont appuyées sur la preuve de leurs parents, leur demande doit être rejetée.

 

[31]           Enfin, la SPR a conclu en faisant des observations sur les circonstances malheureuses dont les demandeurs ont été victimes, lesquels ont dû compter sur la charité d’autrui pour assurer leurs besoins quotidiens et ont vécu dans la crainte d’être expulsés pendant près de 15 ans. La SPR a également souligné que le ministre pourrait envisager d’autoriser les demandeurs à demeurer au Canada en vertu de l’article 25 de la Loi.

 

Législation pertinente

[32]           Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 :

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Analyse

Question préliminaire

[33]           Le défendeur s’oppose à la présentation de deux documents déposés en tant que pièces jointes à l’affidavit de M. Popov dans le dossier des demandeurs et demande qu’ils ne soient pas pris en compte.

 

[34]           À l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire, M. Popov a déposé deux documents se rapportant au système de détention actuel en matière d’immigration aux États-Unis – un rapport d’Amnistie internationale et un article de journal. Ces deux documents ne faisaient pas partie du dossier du tribunal car ils ont été publiés ultérieurement.

 

[35]           Il est établi en droit qu’une cour de révision est liée par le dossier qui a été déposé devant l’office fédéral dont la décision fait l’objet de l’appel, à moins qu’une question de compétence soit soulevée devant la cour. Si des éléments de preuve nouveaux dont ne disposait pas le tribunal de première instance sont produits dans le cadre du contrôle judiciaire, la demande de contrôle serait effectivement transformée en un appel ou un procès de novo (Rahi c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, 28 mai 1990, 90-A-1343 (C.A.F.), opinion du juge MacGuigan; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Toledo (1998), 143 F.T.R. 135 (C.F. 1re inst.), paragraphe 7 (QL)).

 

[36]           En l’espèce, la Cour n’est pas saisie d’une question d’erreur de compétence et par conséquent, je trancherai l’affaire sans égard aux nouveaux éléments de preuve.

 

La SPR a‑t‑elle commis une erreur de droit en concluant que les demandeurs – des apatrides – doivent épuiser tous les recours disponibles aux États‑Unis pour obtenir la protection de l’État avant de demander l’asile au Canada?

 

[37]           La question de savoir si un apatride doit épuiser tous les recours disponibles dans un pays où il a eu sa résidence habituelle pour obtenir la protection de l’État est une question de droit qui doit être examinée selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir)).

 

[38]           Les demandeurs font valoir que, puisqu’ils sont apatrides, ils ne sont pas assujettis à la présomption selon laquelle il existe une protection de l’État tel qu’il a été établi dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 (Ward), et expliqué plus en détail par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Hinzman.

 

[39]           À l’appui de leurs prétentions, ils invoquent l’affaire Thabet c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 4 C.F. 21 (C.A.) (Thabet), ainsi que d’autres décisions où la Cour a conclu qu’une erreur avait été commise dans le cas où des apatrides avaient été tenus de réfuter la présomption de protection de l’État dans tous les pays où ils avaient eu une résidence habituelle.

 

[40]           Le défendeur soutient que les demandeurs apatrides doivent établir qu’ils seraient victimes tous deux de persécution dans le pays où ils ont eu leur résidence habituelle et qu’ils ne peuvent y retourner. Quant aux demanderesses mineures, étant donné qu’elles sont des citoyennes des États‑Unis, elles doivent établir le bien-fondé de leur demande contre les États-Unis.

 

[41]           Le défendeur prétend que ce point de vue est conforme à l’opinion de la Cour suprême du Canada selon laquelle les demandeurs qui ont la protection étatique ne devraient pas bénéficier de la protection internationale des réfugiés (Thabet, Ward).

 

[42]           Bien qu’il soit vrai que dans l’affaire Thabet, la Cour d’appel fédérale crée une distinction entre les apatrides et les personnes qui possèdent une nationalité, il importe d’en lire la suite. La Cour a répondu à la question certifiée dont elle était saisie de la façon suivante :

Pour se voir reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention, une personne apatride doit démontrer, selon la probabilité la plus forte, qu'elle serait persécutée dans l'un ou l'autre des pays où elle a eu sa résidence habituelle et qu'elle ne peut retourner dans aucun d’eux. (Thabet, paragraphe 30) [Non souligné dans l'original.]

 

[43]           L’affaire Thabet a clairement établi qu’il ne suffit pas à une personne d’être en mesure de retourner dans tous les pays où elle a eu sa résidence habituelle, elle doit également prouver qu’elle sera persécutée dans l’un de ces pays.

 

[44]           En l’espèce, compte tenu de leur statut d’apatride, M. Popov et Mme Doubrovskaia doivent prouver qu’ils seraient persécutés dans un pays, soit en Russie, soit aux États-Unis, les pays où ils ont eu leur résidence habituelle, et qu’ils ne peuvent retourner dans l’autre. Bien qu’il soit clairement établi qu’ils ne peuvent retourner en Russie, ils ont déposé leur demande de protection contre les États‑Unis et, à ce titre, ils doivent établir qu’ils seraient persécutés dans ce pays en particulier.

 

[45]           Pour y arriver, ils doivent démontrer non seulement une crainte subjective mais également une crainte objective. Cela exige qu’ils réfutent la présomption de protection de l’État et qu’ils « prouve[nt] qu’ils ont épuisé tous les recours disponibles aux États‑Unis sans avoir obtenu gain de cause avant de demander l’asile au Canada » (Hinzman, paragraphe 46).

 

[46]           Par conséquent, la SPR a eu raison de statuer que les demandeurs apatrides doivent avoir épuisé tous les recours disponibles aux États‑Unis afin d’établir qu’ils craignent avec raison d’être persécutés dans l’un ou l’autre des pays où ils ont eu leur résidence habituelle.

 

La SPR a‑t‑elle commis une erreur de droit en concluant que les demandeurs n’avaient pas épuisé tous les recours disponibles aux États-Unis pour obtenir la protection de l’État avant leur arrivée au Canada?

 

[47]           À la lumière des arrêts Dunsmuir, Cervantes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 680, [2008] A.C.F. nº 848 (QL), paragraphe 7, et Ruiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 337, [2009] A.C.F. nº 392 (QL), paragraphes 22 à 26, la norme de contrôle que la Commission doit appliquer pour examiner le caractère adéquat et l’existence de la protection étatique est celle de la décision raisonnable. Lorsqu’elle applique cette norme de contrôle, la Cour examine si le caractère raisonnable tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, paragraphe 47).

 

[48]           Les demandeurs font valoir qu’ils ont en effet épuisé tous les recours pertinents disponibles aux États-Unis pour obtenir la protection de l’État.

 

[49]           S’agissant de Mme Doubrovskaia, elle prétend qu’elle ne peut déposer une nouvelle demande de visa puisque sa première demande a été égarée et que son passeport de l’URSS est expiré. Par conséquent, elle soutient qu’elle ne dispose d’aucun autre recours.

 

[50]           M. Popov affirme que le fait d’épuiser tous les recours disponibles aux États‑Unis n’atténuera pas la crainte générée par le risque d’être incarcéré de nouveau et, vu l’ineptie dont il a été témoin, il pourrait être détenu pendant une période excessive.

 

[51]           De plus, M. Popov allègue que les mesures qu’il a déjà prises sont suffisantes et qu’il a épuisé tous les recours raisonnables dont il disposait. Il fait également remarquer que la SPR a reconnu qu’en raison de la nature de son dossier, il est difficile de déterminer s’il obtiendrait effectivement gain de cause en appel s’il devait être renvoyé aux États‑Unis.

 

[52]           Le défendeur allègue que bien que les États‑Unis n’aient pas l’obligation d’offrir une protection aux apatrides, cette protection est en réalité fournie. En l’espèce, les demandeurs n’ont pas épuisé tous les recours pertinents disponibles aux États‑Unis comme le démontrent les recours en attente de règlement.

 

[53]           La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas épuisé tous les recours disponibles aux États-Unis pour obtenir la protection de l’État. Pour en arriver à cette conclusion, la SPR n’a pas seulement dégagé les mécanismes de protection de l’État qui s’offraient aux demandeurs et que ceux-ci ont sollicités, mais elle a également désigné les autres recours qui s’offraient à eux.

 

[54]           Les motifs exposés par la SPR sont complets et justifient sa conclusion. La décision de la SPR est raisonnable et justifiée selon le droit et les faits en cause.

 

La SPR a‑t‑elle commis une erreur de droit en concluant que les demandeurs ne craignent pas avec raison d’être persécutés et que les lois américaines en matière d’immigration appliquées à l’égard des demandeurs sont des lois d’application générale qui ne revêtent pas un caractère de persécution ou qui ont été appliquées dans leur cas d’une manière différente pour un motif de la Convention?

 

[55]           Je voudrais maintenant aborder la question de savoir si la crainte des demandeurs d’être persécutés est fondée et si les lois en matière d’immigration revêtent un caractère de persécution. Il s’agit là d’une conclusion de nature principalement factuelle, où les questions de droit et de fait sont entrelacées et pour lesquelles il devrait être fait preuve de retenue. À ce titre, elle commande la norme de contrôle de la raisonnabilité (Dunsmuir, paragraphe 51).

 

[56]           Les demandeurs prétendent qu’ils ont été persécutés par les États-Unis, en raison de l’application qui a été faite des lois en matière d’immigration. Ils font valoir que la façon dont les lois ont été appliquées à leur égard a violé leurs droits fondamentaux.

 

[57]           Le défendeur prétend que les conclusions de la SPR selon lesquelles les demandeurs n’ont pas été victimes de persécution aux États‑Unis et que les lois en matière d’immigration ne revêtent pas un caractère de persécution et qu’elles ne sont pas appliquées de manière à persécuter sont raisonnables.

 

[58]           Comme le souligne la SPR, les États‑Unis, pays démocratique, sont dotés d’un système de freins et contrepoids. Les lois en matière d’immigration, tout comme diverses autres lois, offrent une protection contre la détention arbitraire et les périodes de détention excessives.

 

[59]           Il est certainement regrettable que ces lois aient été appliquées avec une telle ineptie et que le dossier de M. Popov soit passé à travers les mailles du système, causant ainsi, à lui et aux membres de sa famille, un tort considérable et de nombreuses souffrances.

 

[60]           Cependant, sur la foi des éléments de preuve dont elle a été saisie, la SPR a conclu de manière raisonnable que les lois ne revêtent pas un caractère de persécution et qu’elles n’ont pas été appliquées à l’endroit des demandeurs de manière à les persécuter. La SPR a dégagé les éléments des lois en question et a démontré que celles-ci ne revêtent pas un caractère de persécution en soi; elle a ensuite expliqué raisonnablement les raisons pour lesquelles elle a conclu que l’application de ces lois à l’égard des demandeurs n’avait pas un caractère de persécution.

 

[61]           Il n’y a aucune erreur de droit susceptible de contrôle en l’espèce qui justifie l’intervention de la Cour.

 

[62]           Les demandeurs proposent que les questions suivantes soient certifiées :

[traduction]

1. Est‑il toujours nécessaire pour un demandeur d’asile apatride au Canada de s’acquitter du fardeau de prouver qu’il ne pouvait se prévaloir de la protection étatique dans l’État ou les États où il avait sa résidence habituelle?

 

2. Si la réponse à la première question est « oui », que signifie la distinction faite entre les alinéas a) et b) de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?

 

[63]           Le défendeur soutient que la Cour ne devrait pas certifier les questions proposées par les demandeurs.

 

[64]           La Cour est d’accord avec le défendeur. Le point déterminant dans la présente affaire est la conclusion de la SPR selon laquelle la crainte des demandeurs n’est pas fondée.

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre, LL.B., trad. a.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-841-09

 

INTITULÉ :                                       ALEXANDER POPOV,

                                                            IRINA DOUBROVSKAIA,

                                                            MARIA DOUBROVSKAIA (DOUBROVSKAYA),

                                                            POLINA DOUBROVSKAIA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 2 septembre 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 septembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alexander Popov                                                                      POUR LE DEMANDEUR

(pour son propre compte)

 

Caroline Christiaens                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sans objet                                                                                POUR LE DEMANDEUR

 

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

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