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Date : 20090910

Dossier : IMM-1038-09

Référence : 2009 CF 894

Ottawa (Ontario), le 10 septembre 2009

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

MARIA GUADALUPE LOPEZ SEGURA

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision défavorable rendue au sujet d’une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (CH). L’agent ayant rendu cette décision a conclu que les motifs invoqués à l’appui de la dispense ne constituaient pas des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

Le contexte

[2]               Maria Guadalupe Lopez Segura est citoyenne du Mexique. Le 11 septembre 1999, elle est entrée au Canada munie d’un permis d’études d’une durée d’un an. Elle a dépassé la durée de validité de son permis et, le 17 janvier 2001, elle a déposé une demande d’asile en se fondant sur les sévices sexuels, physiques et psychologiques que lui avait fait subir son ex-conjoint de fait au Mexique. Le 27 février 2004, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté la demande, concluant que Mme Lopez Segura, même si elle avait une crainte objective fondée de persécution, disposait au Mexique d’une possibilité de refuge intérieur (PRI). Le 22 mai 2004, la Cour a refusé la demande d’autorisation de soumettre cette décision à un contrôle judiciaire.

 

[3]               Dans l’intervalle, Mme Lopez Segura a donné naissance à son fils, Issa Alecio Nievas Lopez, le 4 janvier 2002.

 

[4]               Après le rejet de sa demande d’asile, Mme Lopez Segura a présenté une demande CH le 7 février 2005 et, par la suite, soit le 27 avril 2007, une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Ces deux demandes ont été rejetées par le même agent au début de l’année 2009. Son renvoi a été fixé au 16 mars 2009, mais Mme Lopez Segura a demandé avec succès que l’on sursoie à l’exécution de cette mesure en attendant l’issue de la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

 

[5]               L’agent a fait remarquer que c’est à la partie demanderesse qu’il incombe d’établir que l’obligation de soumettre une demande de résidence permanente depuis l’étranger lui causerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Il a ajouté que les facteurs dont il fallait tenir compte dans le cas de la demanderesse étaient ses allégations de difficultés à son retour au Mexique, son degré d’établissement, ses relations conjugales, familiales ou personnelles, de même que l’intérêt supérieur de son enfant né au Canada. L’agent a indiqué explicitement que la demande était évaluée sous l’angle des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[6]               L’agent a commencé par examiner les difficultés ou les sanctions auxquelles Mme Lopez Segura serait confrontée à son retour au Mexique. Il a fait remarquer que la prétendue difficulté que constituaient les sévices de son ex-conjoint était celle qui avait été énoncée dans sa demande d’asile, et à l’égard de laquelle la SPR avait conclu que la demanderesse disposait au Mexique d’une PRI qui lui permettrait de s’y soustraire.

 

[7]               L’agent a décidé qu’il n’y avait pas assez de preuves pour établir que l’ex-conjoint de Mme Lopez Segura s’intéressait encore à elle ou qu’il avait proféré des menaces à son endroit ou à celui de sa famille. L’agent s’est ensuite lancé dans une longue analyse de l’existence de la protection de l’État au Mexique, vraisemblablement au cas où l’ex-conjoint voudrait effectivement lui faire du mal. Il a conclu qu’une telle protection, même si elle était imparfaite, était disponible. Il a ensuite vérifié si le fait de se prévaloir de la protection de l’État, advenant que ce soit nécessaire, constituerait une difficulté, et il a conclu que non.

 

[8]               L’agent a pris en considération un rapport psychologique que la demanderesse avait présenté, mais il a accordé peu de poids à ce document, signalant qu’il n’y avait [traduction] « pas assez de preuves pour montrer si la demanderesse [avait] suivi des traitements complémentaires ou si elle pren[ait] des médicaments contre sa maladie ».

 

[9]               Les relations personnelles que la demanderesse avait nouées lors de son séjour au Canada ont été prises en considération, de même que les difficultés que l’on causerait en les rompant. Il a été signalé que la demanderesse avait avisé les autorités que si sa demande était infructueuse, son fils âgé de sept ans rentrerait au Mexique avec elle. L’agent a également signalé que la demanderesse a un conjoint qui est le père de son fils, mais que cette personne est sans statut au Canada, et que les deux ne vivent pas ensemble à l'heure actuelle, mais suivent des séances de counselling. L’agent a reconnu que la demanderesse s’était fait aussi de nombreux amis lors de son séjour au Canada, mais il a conclu qu’il n’y avait [traduction] « pas assez de preuves pour établir que la rupture de ces liens aurait sur la demanderesse une incidence défavorable marquée qui constituerait une difficulté inhabituelle et injustifiée ou excessive ».

 

[10]           L’agent a ensuite pris en considération l’intérêt supérieur du fils de la demanderesse, âgé de sept ans. Il a signalé que ce dernier est inscrit en première année d’un programme d’immersion en français, qu’il n’est jamais allé au Mexique, que tous ses amis et tous ses souvenirs sont au Canada et que son père vit présentement au Canada, sans statut toutefois. Il a conclu qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que l’enfant ait été exposé à la langue espagnole et que, à l’âge qu’il avait, il s’adapterait au Mexique sans trop de problèmes. S’il le fallait, a-t-il aussi conclu, son fils bénéficierait de la protection de l’État dont jouirait la demanderesse, de même que de la PRI. L’enfant aurait accès à une instruction ainsi qu’à la citoyenneté mexicaine. Même s’il a reconnu qu’un enfant présent au Canada jouit probablement d’occasions sociales et économiques meilleures qu’au Mexique, l’agent a jugé qu’il y avait peu de preuves que l’on ne répondrait pas aux besoins fondamentaux de l’enfant au Mexique, compte tenu surtout de la présence dans ce pays d’une famille étendue. Il a conclu que Mme Lopez Segura n’avait pas établi que les difficultés que constituerait son réétablissement au Mexique auraient sur l’enfant une incidence marquée qui équivaudrait à des difficultés inusitées et injustifiées, et ces dernières ne seraient pas non plus excessives.

 

[11]           Enfin, l’agent a tenu compte du degré d’établissement de la demanderesse au Canada et il a fait remarquer qu’il fallait s’attendre à ce qu’une personne vivant au Canada depuis sept ans ait un certain degré d’établissement, que la demanderesse travaillait régulièrement, qu’elle avait lancé sa propre petite entreprise, qu’elle avait pris des mesures pour améliorer sa connaissance de l’anglais, qu’elle avait pris activement part à des activités bénévoles et communautaires au Canada, qu’elle possède une maison au pays, et qu’elle aide son conjoint dans son entreprise. Cependant, l’agent a conclu que la demanderesse aurait anticipé les conséquences susceptibles de découler de son renvoi du Canada, et qu’il n’y avait pas assez de preuves laissant croire que la fermeture de son entreprise aurait une incidence défavorable sur l’économie canadienne.

 

[12]           Considérant l’ensemble de ces informations comme un tout, l’agent a décidé que les motifs invoqués par la demanderesse ne constituaient pas des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives et qu’il n’y avait donc pas assez de motifs d’ordre humanitaire pour justifier l’accueil de la demande de dispense.

 

Les questions en litige

[13]           La demanderesse soulève trois questions :

1.                  l’agent a-t-il commis une erreur en appliquant le mauvais critère au moment d’évaluer les risques dans la demande CH;

2.                  l’agent a-t-il tiré des conclusions déraisonnables au sujet de l’établissement de la demanderesse au Canada;

3.                  l’agent a-t-il omis de procéder à une évaluation adéquate de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché par la décision CH.

 

Analyse

A.        Le critère à appliquer au moment d’évaluer les difficultés

[14]           La demanderesse soutient que l’agent a omis d’évaluer si les circonstances à son retour équivalaient à des difficultés inhabituelles, même si elles n’étaient pas assimilables à un risque de persécution ou de peines cruelles et inusitées. Elle soutient qu’il a commis une erreur en mettant fin à son analyse après avoir examiné l’existence de la protection de l’État et d’une PRI au Mexique.

 

[15]           Dans Pinter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 296, 44 Imm. L.R. (3d) 118, le juge en chef Lutfy a conclu que le fait de considérer qu’un ERAR et une demande CH sont subordonnés au même critère juridique est une erreur de droit. Le fait de savoir si le décideur a appliqué le bon critère juridique est une pure question de droit, qui est donc susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Après Pinter, il y a eu de nombreuses décisions sur le sujet, et les parties en ont cité un grand nombre dans le cadre de la présente demande. Dans Melchor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1327, le juge Gauthier a qualifié de « subtile » la différence entre l’évaluation des risques dans le contexte d’une demande CH et l’évaluation des risques dans le contexte d’un ERAR. Cependant, comme l’a signalé le juge Mosley dans la décision Pacia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 804, au paragraphe 13, cette distinction subtile importe peut-être peu lorsque les preuves de risque sont insuffisantes ou que les allégations de risque sont indignes de foi. À mon avis, cette remarque s’applique en l’espèce.

 

[16]           Le préjudice dont la demanderesse a fait état dans sa demande CH était le suivant :

a)                  son ex-conjoint la trouvera et lui fera du mal;

b)                  selon le rapport d’un psychologue, elle souffre d’un syndrome de stress post-traumatique à cause des sévices dont elle a été victime aux mains de son conjoint, et son état psychologique est exacerbé par le stress occasionné par son retour éventuel au Mexique, même si elle ne sera pas victime d’autres actes de violence.

 

[17]           L’agent a conclu qu’il n’y avait pas assez de preuves pour étayer la prétention de la demanderesse selon laquelle son ex-conjoint la trouverait et lui ferait du mal. Cette conclusion a consisté à soupeser les éléments de preuve que la demanderesse avait présentés. À mon avis, il s’agissait d’une conclusion raisonnable fondée sur cette preuve et on ne peut la modifier au stade du contrôle.

 

[18]           À ce stade , l’agent aurait pu cesser d’examiner ce préjudice allégué; cependant, il a ensuite vérifié s’il était possible que la demanderesse s’expose à un préjudice quelconque s’il lui fallait chercher une PRI ou se prévaloir de la protection de l’État. La SPR a examiné la question du risque de violence aux mains de son ex-conjoint et elle a conclu que la demanderesse bénéficiait au Mexique d’une PRI qui atténuerait, voire éliminerait, le risque de préjudice dont elle pouvait être victime de la part de son conjoint. Comme il s’agissait là d’une option disponible, l’agent a ensuite examiné, avec raison, quel préjudice, si préjudice il y avait, la demanderesse subirait si son ex-conjoint violent venait à la repérer. Il a conclu qu’il n’y avait aucune preuve que la demanderesse subirait un préjudice quelconque en cherchant la PRI. Comme la demanderesse n’a présenté aucune observation sur la question, cette conclusion était raisonnable et il était loisible à l’agent de la tirer.

 

[19]           L’agent a ensuite examiné de quelle protection (dans le contexte d’une analyse du préjudice) la demanderesse disposerait s’il était nécessaire de la mettre à l’abri de l’ex‑conjoint. L’agent a fait remarquer que, dans la décision d’ERAR, le principal point était l’existence de la protection de l’État. Il a été conclu que la demanderesse bénéficierait de cette protection, même si elle n’était pas parfaite. L’agent a ensuite examiné si la demanderesse éprouverait des difficultés quelconques en se prévalant de la protection de l’État disponible et il a conclu que non. Il lui était loisible de tirer cette conclusion vu les éléments de preuve.

 

[20]           L’agent a donc jugé que la demanderesse ne subirait pas de difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives en se prévalant de la PRI ou de la protection de l’État si - et il a été conclu que ce fait était peu probable - l’ex-conjoint se mettait à sa recherche. Il s’agissait là, au vu des éléments de preuve, d’une conclusion raisonnable et, à mon avis, correcte.

 

[21]           L’agent a ensuite examiné la deuxième difficulté alléguée. La demanderesse a déclaré qu’elle vit dans la crainte constante de son ex-conjoint et qu’elle croit que ce dernier fera tout ce qu’il faut pour la trouver et lui faire du mal. Cette crainte, rationnelle ou non, soutient-elle, existe même si son conjoint se trouve dans l’impossibilité de la trouver et même si elle peut obtenir la protection de l’État. À l’appui de sa prétention, elle s’est fondée sur un rapport psychologique daté de 2003.

 

[22]           Il était loisible à l’agent d’accorder une faible valeur probante au rapport psychologique qui a été présenté. Ce rapport est daté de 2003 et ne constitue donc pas la meilleure preuve qui soit de la vulnérabilité psychologique actuelle de la demanderesse. En outre, comme l’a fait remarquer l’agent, il ressort de la preuve que la demanderesse a été vue à une reprise par un psychologue au Canada et qu’on ne lui a pas recommandé de suivre des séances de counselling additionnelles. Il n’y avait aucune preuve que la demanderesse avait suivi des traitements complémentaires ou pris des médicaments pour l’affection psychologique alléguée. Au vu de ces éléments de preuve, on ne peut pas dire que l’évaluation que l’agent a faite du rapport psychologique soit déraisonnable.

 

B.         L’établissement

[23]           La demanderesse invoque la décision que j’ai rendue dans Ranji c.Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 521, à l’appui de la thèse selon laquelle l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 exige que l’on évalue le degré d’établissement dans le contexte de la situation personnelle du demandeur. Elle soutient que l’agent a omis de prendre en considération son point de départ et, de là, le degré d’établissement qu’elle a atteint.

 

[24]           L’agent a bel et bien tenu compte d’un certain nombre de facteurs d’établissement avancés par la demanderesse, mais il a conclu qu’il fallait s’attendre à un certain degré d’établissement, et que ce degré ne justifiait pas l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Il est allégué que l’agent a omis de reconnaître que la demanderesse était entrée au Canada en tant que victime de violence conjugale, qu’elle souffrait du syndrome de stress post-traumatique du fait de cette violence et que, compte tenu de ces circonstances personnelles, le degré d’établissement n’était pas manifestement celui auquel on pourrait s’attendre de la part de n’importe quelle personne vivant au Canada durant cette période. Il est vrai que la demanderesse est parvenue à lancer une petite entreprise – une entreprise de nettoyage domestique employant deux résidents permanents à titre de sous-traitants – et à acheter une maison, tout en élevant son fils au cours d’une période de présence au Canada de même durée que celle de M. Ranji.

 

[25]           M. Ranji n’avait qu’une huitième année d’études et était fermier en Inde. Il n’était ni très instruit ni spécialisé; néanmoins, il avait occupé de façon ininterrompue des postes non spécialisés ne lui procurant pas plus de 50 000 $ par année, mais il était parvenu à épargner une somme considérable en banque, à acheter une maison avec son frère, à accumuler une valeur nette importante sur cette résidence, à cotiser à un REER, à appuyer financièrement sa famille en Inde et à inscrire ses deux enfants dans des écoles privées. Sa preuve d’établissement était assez exceptionnelle, quelle que soit la norme appliquée, mais surtout compte tenu de sa situation personnelle. Selon moi, on ne peut pas en dire autant de la demanderesse.

 

[26]           La demanderesse était instruite et spécialisée. Elle avait travaillé au Mexique comme journaliste et correctrice d’épreuves avant d’arriver au Canada. Par ailleurs, elle avait amélioré son niveau d’instruction pendant son séjour au Canada, y compris ses compétences linguistiques et professionnelles. Tout cela est admirable, mais cela montre qu’elle n’était pas au départ aussi désavantagée que M. Ranji. En outre, même si les  biens qu’elle a accumulés sont tout aussi admirables, M. Ranji subvenait aux besoins d’une famille tout entière, y compris ses deux enfants inscrits à l’école privée, tandis que la demanderesse ne subvenait qu’aux besoins d’un seul enfant. En outre, il y a une preuve que le père de l’enfant vivait avec la demanderesse à l’époque et, même s’il était sans statut, cet homme a vraisemblablement aidé à subvenir aux besoins de l’enfant. Par conséquent, je ne conclus pas que l’évaluation que l’agent a faite de l’établissement est déraisonnable.

 

C.        L’intérêt supérieur de l’enfant

[27]           Il y a ici deux questions en litige : 1) l’agent a-t-il appliqué le bon critère juridique et 2) la conclusion de l’agent au sujet de l’intérêt supérieur de l’enfant est-elle appropriée? Le fait d’omettre de prendre en considération le bon critère juridique est une question de droit, et donc susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, tandis que la conclusion de l’agent sur l’intérêt supérieur de l’enfant doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable.

 

[28]           Dans la décision Arulraj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 529, au paragraphe 14, le juge Barnes a conclu que le fait d’apprécier l’intérêt supérieur d’un enfant en recourant aux critères des difficultés « inhabituelles », « injustifiées » ou « excessives » est une erreur susceptible de contrôle :

Il est évident que l’agente des visas a cru que, pour tenir compte de l’intérêt supérieur des deux enfants canadiens, il fallait conclure que le renvoi « temporaire » de leur père du Canada leur causerait un préjudice irréparable. C’était là un exercice fautif, et par conséquent déraisonnable, du pouvoir discrétionnaire de l’agente. L’ajout d’une obligation de prouver un préjudice irréparable dans la prise en compte de l’intérêt supérieur des enfants ne repose tout simplement sur aucun fondement juridique. Les directives applicables (Traitement des demandes au Canada, Demande présentée pour des motifs d’ordre humanitaire (Directives IP5)) ne renferment rien qui confirme une telle manière de voir, du moins pour ce qui concerne la prise en compte de l’intérêt d’enfants. Les mots semblables que l’on trouve dans les Directives IP5, à savoir « inhabituelles », « injustifiées » ou « excessives », sont utilisés à propos de l’intérêt pour un demandeur de rester au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire, plutôt que de devoir solliciter le droit d’établissement depuis l’étranger. Il est fautif d’intégrer de telles normes dans la décision portant sur l’existence de considérations humanitaires, du moins dans la partie de cette décision qui concerne l’intérêt des enfants. Cette précision est faite dans l’arrêt Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 2 C.F. 555, 2002 CAF 475 (C.A.F.), au paragraphe 9, où le juge Robert Décary écrivait que « le concept de “difficultés injustifiées” n’est pas approprié lorsqu’il s’agit d’évaluer les difficultés auxquelles s’exposent les enfants innocents. Les enfants méritent rarement, sinon jamais, d’être exposés à des difficultés ».

 

[29]           Comme l’a fait remarquer le juge Mosley dans la décision De Zamora c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1602, au paragraphe 18, le fond devrait l’emporter sur la forme. « Je n'estime pas cependant que l'arrêt Hawthorne établisse que l'agent d'immigration qui emploie cette expression lorsqu'il examine l'intérêt supérieur des enfants commet une erreur susceptible de contrôle ou rend une décision qui est déraisonnable dans l'ensemble. » Je suis d’accord. Ce n’est pas l’emploi de mots particuliers qui est déterminant, mais plutôt la question de savoir si l’on peut dire en lisant la décision dans son ensemble que l’agent a appliqué le bon critère et procédé à une analyse appropriée.

 

[30]           En l’espèce, l’agent conclut sa section intitulée [traduction] « Intérêt supérieur de l’enfant » par l’énoncé dont se plaint la demanderesse :

[traduction]

J’ai pris en considération l’intérêt supérieur de l’enfant, de pair avec la situation de cette famille, et je conclus que la demanderesse n’a pas établi que les difficultés causées par le fait de déménager et de se réétablir au Mexique auraient sur l’enfant une incidence marquée qui équivaudrait à des difficultés inhabituelles et injustifiées. Ces difficultés ne seraient pas non plus excessives.

 

[31]           Selon la demanderesse, il ressort manifestement de cet extrait, et particulièrement du dernier passage, que l’agent a appliqué le critère des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives au moment d’examiner les difficultés causées à l’enfant, plutôt que d’examiner les difficultés que subirait simplement l’enfant et de soupeser ces dernières avec les autres facteurs CH.

 

[32]            Dans l’arrêt Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, la Cour d’appel a fait remarquer que lorsqu’on procède à une analyse de l’intérêt supérieur d’un enfant dans le contexte de motifs d’ordre humanitaire, il est nécessaire d’évaluer l’avantage dont bénéficierait les enfants si leur parent n’était pas renvoyé, de pair avec une évaluation des difficultés auxquelles seraient confrontés les enfants si leur parent était renvoyé ou s’ils étaient renvoyés avec lui.

 

[33]           À mon avis, c’est ce que cet agent a fait. Ce dernier a examiné les avantages suivants du non-renvoi : l’enfant se débrouille bien à l’école, il n’est jamais allé au Mexique, ses amis et ses souvenirs sont au Canada et son père se trouve au Canada même s’il est sans statut. L’agent a aussi examiné l’effet qu’aurait le renvoi au Mexique sur l’enfant : l’enfant est jeune, il est exposé à la langue et à la culture espagnoles par sa mère, il s’adapterait au Mexique sans trop de problèmes, il aurait accès à une instruction publique, il aurait droit à la citoyenneté mexicaine et il aurait une famille étendue dans ce pays.

 

[34]           Dans la décision Kolosovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 165, la Cour a décrit le degré d’analyse qui est nécessaire pour être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur d’un enfant au moment d’évaluer les deux côtés de la médaille de l’intérêt supérieur qui est décrit dans l’arrêt Hawthorne. Selon le juge Campbell, pour être attentif à l’intérêt supérieur de l’enfant il faut être « au courant de l’intérêt supérieur de l’enfant en indiquant les manières dont cet intérêt entre en jeu ». Les aspects de la vie de l’enfant au Canada et au Mexique que l’agent a examinés, et que j’ai brièvement mentionnés plus tôt, dénotent que l’agent était attentif à l’intérêt de cet enfant.

 

[35]           Le juge Campbell a conclu que « pour être attentif à l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent des visas doit montrer qu’il comprend bien le point de vue de chacun des participants dans un ensemble donné de circonstances, y compris le point de vue de l’enfant s’il est raisonnablement possible de le connaître » [Non souligné dans l’original.]. En l’espèce, l’enfant est âgé de sept ans et aucune preuve présentée n’indique qu’un aspect quelconque qui lui est propre le distinguerait des autres enfants âgés de sept ans nés au Canada d’une mère immigrante.

 

[36]           À mon avis, l’agent a bel et bien compris le point de vue de l’enfant, dans la mesure où il était possible de le déterminer. Il a pris en considération ses amis, sa famille, sa vie à l’école. Il a reconnu aussi que l’enfant bénéficierait peut-être de possibilités sociales et économiques meilleures au Canada qu’au Mexique, mais cela est vrai dans la presque totalité des demandes CH. Comme l’a fait remarquer le juge Décary dans l’arrêt Hawthorne, « [à] mon sens, l'examen de l'agente repose sur la prémisse — qu'elle n'a pas à exposer dans ses motifs — qu'elle constatera en bout de ligne, en l'absence de circonstances exceptionnelles, que le facteur de ‘l'intérêt supérieur de l'enfant’ penchera en faveur du non-renvoi du parent ».

 

[37]           Enfin, le juge Campbell a fait remarquer que la condition de la sensibilité oblige à exposer les épreuves que l’enfant subirait. L’agent n’a pas exposé ces épreuves de manière précise. Cependant, selon moi, cet exposé est inutile lorsqu’il n’y a aucune preuve que les « épreuves » que l’enfant subira seront différentes des épreuves habituelles et ordinaires que n’importe quel enfant subirait censément en étant renvoyé avec un parent dans un pays qu’il ne connaît pas. En revanche, l’agent a été sensible aux facteurs qui, au Mexique, atténueraient les épreuves habituelles et ordinaires, dont la présence d’une famille étendue, la connaissance qu’a l’enfant de la langue et de la culture ainsi que la disponibilité d’écoles. Il ressort clairement de la décision dans son ensemble que l’agent conclut que l’enfant subira peu d’épreuves, sinon aucune, car dit-il, [traduction] « il est raisonnable de s’attendre à ce que l’enfant […] s’adaptera au Mexique sans trop de problèmes ».

 

[38]           Je conclus qu’il ressort manifestement de la décision dans son ensemble, et surtout de la section portant sur l’intérêt supérieur de l’enfant, que l’agent a recouru au critère et à l’analyse qui convenaient. En outre, comme il a appliqué le bon critère, je ne puis conclure que son évaluation du facteur de l’intérêt supérieur était déraisonnable ou qu’elle ne concordait pas avec la preuve présentée.

 

[39]           Il aurait été préférable que l’agent ne dise pas, à propos des difficultés de l’enfant, que ces dernières n’équivaudraient pas à des difficultés inhabituelles et injustifiées, ou qu’elles ne serait pas excessives. Cependant, comme je l’ai indiqué, je suis d’avis que lorsqu’on lit la décision dans son ensemble l’analyse de l’agent révèle que les difficultés que cet enfant subirait ne sont pas plus marquées que celles que subirait n’importe quel enfant renvoyé dans un pays étranger. Annuler cette décision pour les motifs demandés reviendrait à privilégier la forme au détriment du fond et à attribuer à l’intérêt de l’enfant un poids supérieur à celui qui l’a été aux autres facteurs CH qui, comme l’agent l’a conclu, n’atteignent pas le degré des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives pour la demanderesse.

 

[40]           Ni l’une ni l’autre des parties n’ont proposé une question à certifier; il n’y en a aucune à certifier au vu des faits de la présente espèce.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, et qu’aucune question n’est certifiée.

                                                                                                            « Russel W. Zinn »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.  

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1038-09

 

INTITULÉ :                                       MARIA GUADALUPE LOPEZ SEGURA c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                                                                                                                                                   

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 2 SEPTEMBRE 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT                                LE JUGE ZINN

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 10 SEPTEMBRE 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alyssa Manning

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jocelyn Espejo Clarke

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Vandervennen Lehrer

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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