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Date : 20090908

Dossier : IMM-947-09

Référence : 2009 CF 853

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2009

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

CHOLARAM KAWALL TOTARAM

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le 9 septembre 2007, une mesure d’expulsion a été prise contre M. Kawall Totaram en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 ch. 27, en raison du fait que M. Totaram avait été reconnu coupable d’avoir causé des lésions corporelles à une autre personne alors qu’il conduisait un véhicule à moteur avec les facultés affaiblies. Une mesure d’exclusion a également été prise le même jour contre lui après qu’on eut conclu qu’il avait fait une fausse déclaration dans la demande de parrainage de son épouse, de sorte qu’il était visé par l’alinéa 40(1)a) de la Loi.

 

[2]               Le demandeur a interjeté appel des deux mesures en question devant la Section d’appel de l’immigration ( la SAI). Il n’a pas contesté la validité juridique de l’une ou l’autre mesure mais a demandé au tribunal s’exercer son pouvoir discrétionnaire et de surseoir à leur exécution. Le tribunal a rejeté les appels. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

 

Contexte

[3]               M. Kawall Totaram est un citoyen du Guyana. Né le 22 décembre 1980, il était âgé de 15 ans lorsqu’il est devenu résident permanent du Canada le 15 novembre 1996 en tant qu’enfant à charge de son père. Depuis son arrivée au Canada, M. Kawall Totaram a toujours travaillé et s’est intégré à son pays d’adoption mais il n’a jamais obtenu la citoyenneté canadienne. Il habite présentement avec sa sœur, qui est atteinte d’une déficience intellectuelle et qui dépend en partie de lui pour l’aider et pour répondre à ses besoins quotidiens.

 

[4]               Le 26 octobre 2003 ou vers cette date, M. Kawall Totaram conduisait un véhicule à moteur avec, à son bord, son beau-frère comme passager. Le véhicule est entré en collision avec une voiture de police alors que M. Totaram avait les facultés affaiblies. Son beau-frère a été grièvement blessé et a subi des dommages cérébraux permanents, tandis que le policier a subi de légères blessures. M. Kawall Totaram a été accusé d’avoir causé des lésions corporelles à une autre personne alors qu’il conduisait un véhicule à moteur avec facultés affaiblies, en contravention du paragraphe 255(2) du Code criminel du Canada. Il a été remis en liberté sur la foi d’une promesse de comparaître et il a par la suite plaidé coupable. Le 13 septembre 2006, il a été condamné à une peine d’emprisonnement de dix mois et à une période de probation de douze mois.

 

[5]               Avant d’être reconnu coupable, M. Kawall Totaram avait déjà rencontré son épouse, une citoyenne guyanaise, qu’il a épousée le 23 avril 2006. Le 7 septembre 2006, il a présenté une demande de parrainage de son épouse, soit une semaine avant sa déclaration de culpabilité, en soumettant le formulaire requis. La question 16 de la section E du formulaire est ainsi libellée : « Avez-vous été accusé d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans? » Le paragraphe 255(2) du Code criminel en vertu duquel il était accusé crée une infraction passible d’un emprisonnement maximal de dix ans. M. Kawall Totaram a répondu à cette question par la négative sur son formulaire, ce qui constituait une inexactitude.

 

[6]               Le 23 janvier 2007, deux rapports d’interdiction de territoire ont été établis en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, et l’affaire a été déférée à la Section de l’immigration pour enquête. À l’audience, M. Kawall Totaram a admis qu’il avait effectivement été reconnu coupable de l’infraction en question et que la demande de parrainage de son épouse contenait une fausse déclaration.

 

[7]               En conséquence, la Section de l’immigration a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Kawall Totaram était interdit de territoire pour grande criminalité au sens du paragraphe 36(1) de la Loi, et une mesure d’expulsion a été prise contre lui. La Section de l’immigration a également conclu que M. Kawall Totaram était visé à l’alinéa 40(1)a) et qu’il était donc interdit de territoire pour fausse déclaration. Une mesure d’exclusion a été prise contre lui.

 

[8]               M. Kawall Totaram a, en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, exercé le droit que la Loi lui conférait d’interjeter appel des deux mesures en question devant la Section d’appel de l’immigration. Une audience a eu lieu devant un tribunal de la SAI le 7 janvier 2009. Le 5 février 2009, le tribunal a rendu une décision défavorable rejetant l’appel de M. Kawall Totaram.

 

[9]               Le tribunal a expliqué qu’il avait « attentivement examiné l’ensemble des éléments de preuve dont il disposait, notamment le témoignage oral de l’appelant et de sa tante Tooliah Latchman, la preuve documentaire et le dossier d’appel ainsi que les observations orales des deux conseils ». Le tribunal a signalé qu’il se laissait guider, dans l’exercice de sa compétence discrétionnaire, par les facteurs non exhaustifs énoncés dans la décision Ribic. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’immigration), [1985] D.C.A.I. 4 (QL) et Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2002 CSC 3.

 

[10]           Le tribunal a estimé que les agissements criminels à l’origine de la mesure d’expulsion prise contre M. Kawall Totaram étaient très graves. Il a toutefois relevé que M. Kawall Totaram avait plaidé coupable, qu’il avait respecté les conditions de sa remise en liberté sur la foi d’une promesse de comparaître en attendant son procès et qu’il avait respecté les conditions de son ordonnance de probation. Le tribunal a fait observer que M. Kawall Totaram avait continué à travailler pendant qu’il purgeait sa peine. Le tribunal a retenu l’argument de l’avocate du ministre suivant lequel on aurait pu « raisonnablement envisager d’accorder un sursis à l’exécution de sa mesure de renvoi s’il n’avait pas fait de fausse déclaration ». Le tribunal s’est ensuite penché sur la question de la fausse déclaration, sur laquelle sa décision était fondée.

 

[11]           Le tribunal n’a pas cru les explications de M. Kawall Totaram suivant lesquelles l’épouse d’un collègue de travail avait rempli la demande à sa place. Le tribunal n’a pas cru non plus son affirmation portant qu’il n’avait pas relu la demande avant de la soumettre. M. Kawall Totaram affirmait que, comme il n’avait pas lu le formulaire, il n’était pas au courant de la nécessité de répondre à une question portant sur les accusations criminelles qui avaient été portées contre lui. L’analyse et le raisonnement du tribunal sur cet aspect critique sont assez brefs pour qu’il vaille la peine de les reproduire intégralement.

L’appelant a expliqué lors de l’audience qu’il avait demandé à l’épouse d’un ami et collègue de remplir la demande, ce qu’elle avait déjà fait sans problème pour d’autres personnes. Lorsqu’elle lui a rendu la demande, l’appelant l’a postée sans prendre le temps de la relire. Le tribunal ne croit pas l’appelant et note que les questions contenues dans la demande sont très faciles à comprendre et qu’elles n’appellent guère de réponses à développement. L’appelant, à qui il ne manquait qu’un crédit pour terminer sa 12e année de scolarité en Ontario, avait certainement le bagage scolaire nécessaire pour répondre aux questions de la demande qui ne portaient au fond que sur des dates ou des adresses ou qui exigeaient simplement des réponses affirmatives ou négatives. Le tribunal n’arrive pas à saisir l’avantage qu’a obtenu l’appelant en faisant remplir sa demande par une personne qui n’a même pas été capable d’épeler Trinidad correctement. De plus, même si l’appelant n’a pas rempli lui-même la demande, le tribunal juge invraisemblable qu’il ait signé et posté un document aussi crucial pour l’avenir de son couple nouvellement uni par les liens du mariage, sans avoir d’abord pris le temps d’en relire le contenu, notamment l’engagement figurant à la section G. La personne qui aurait rempli la demande n’a pas été appelée à témoigner par l’appelant. Le tribunal estime que l’excuse boiteuse avancée par l’appelant démontre qu’il n’est guère rongé par le remords; le fait que l’appelant ait fait une fausse déclaration d’une telle gravité en attendant de subir son procès démontre qu’il est un piètre candidat à l’octroi d’un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi et que ses chances de réadaptation sont faibles.

(Renvois omis.)

 

[12]           Compte tenu de la nature de la fausse déclaration et du fait que M. Kawall Totaram aurait été inadmissible à parrainer son épouse s’il n’avait pas fait de fausse déclaration au sujet des accusations dont il faisait l’objet, le tribunal a souscrit à l’avis de l’avocate suivant lequel la fausse déclaration était très grave.

 

[13]           Le tribunal a tenu compte des excellents antécédents professionnels de M. Kawall Totaram au Canada ainsi que des incidences négatives que son expulsion au Guyana aurait sur sa situation financière. Le tribunal a également signalé que M. Kawall Totaram vivait avec sa sœur, qui est atteinte d’une déficience mentale et qui compte sur lui pour l’aider à répondre à ses besoins quotidiens, dans un appartement situé dans le sous-sol du domicile de sa tante. C’était son conjoint qui avait été blessé lors de l’accident. Il l’avait quittée peu de temps après. Le tribunal a toutefois fait observer que la sœur de M. Kawall Totaram pourrait compter sur un certain soutien de la part de sa tante et de ses cousins advenant le cas où M. Kawall Totaram serait expulsé. Le tribunal a également relevé que M. Kawall Totaram n’avait  aucun proche parent au Guyana, mais qu’il pouvait « s’attacher » à son épouse et compter sur l’aide de la famille de cette dernière même si leur relation « battait de l’aile » depuis trois ans puisqu’ils ne s’étaient pratiquement pas vus au cours de cette période.

 

Questions en litige

[14]           Le demandeur soulève les cinq points suivants :

1.                  Le tribunal a commis une erreur en fondant sa conclusion défavorable au sujet de la crédibilité uniquement sur des spéculations;

 

2.                  Le tribunal a commis une erreur de droit en ne motivant pas sa conclusion au sujet de la réadaptation;

 

3.                  Le tribunal a commis une erreur de droit en accordant une importance exagérée aux circonstances ayant conduit à la mesure d’expulsion;

 

4.                  Le tribunal a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte des facteurs pertinents énumérés dans Chieu et Ribic, y compris la période passée au Canada et les difficultés que causerait à l’appelant son retour dans son pays d’origine;

5.                  Le tribunal a commis une erreur de droit en n’appliquant pas le bon critère de droit pour déterminer s’il existait des circonstances d’ordre humanitaire qui justifiaient la prise d’une mesure spéciale (les facteurs de Chirwa).

 

Analyse

[15]           Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, la Cour suprême du Canada a signalé la déférence considérable due à la SAI, compte tenu de la portée étendue du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré lorsqu’elle est saisie de ce type d’appel et a ajouté qu’il n’entrait pas dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve. Plus précisément, les conclusions tirées par la SAI au sujet de la crédibilité ne doivent être infirmées que si elles sont fondées sur des considérations dénuées de pertinence ou si la SAI n'a pas tenu compte d'éléments de preuve importants, puisque la SAI a l’avantage d’entendre le demandeur en personne.

 

[16]           Malgré l’argumentation solide et souvent énergique qu’elle a présentée sur ces points, l’avocate n’a pas réussi à me convaincre que ces questions étaient sérieuses, à l’exception de la première, en l’occurrence celle de savoir si le tribunal a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité du demandeur. Vu ma conclusion que la décision doit être annulée en raison de l’erreur commise au sujet de l’appréciation de la crédibilité, il n’est pas nécessaire d’expliquer en détail pourquoi les arguments du demandeur ne sont pas retenus en ce qui concerne les autres questions. Il suffit de dire que je suis d’avis, en lisant la décision dans son ensemble, que le tribunal a tenu compte de tous les faits pertinents et qu’il a appliqué le bon critère. Les objections du demandeur ont davantage trait à l’appréciation des facteurs applicables et j’estime que le tribunal a effectivement tenu compte de tous les faits pertinents.

 

[17]           Le demandeur fait valoir que la conclusion tirée par le tribunal au sujet de la crédibilité reposait, non pas sur des faits établis, mais sur de simples spéculations. Je suis conscient des directives données par la Cour suprême dans l’arrêt Khosa suivant lesquelles l’appréciation que le tribunal a faite de la crédibilité ne devrait être écartée que si le tribunal s’est fondé sur des considérations non pertinentes ou s’il a ignoré des éléments de preuve importants, compte tenu du fait qu’il a eu l’avantage d’entendre le demandeur en personne. Outre ces deux facteurs, je suis d’avis que la conclusion tirée au sujet de la crédibilité ne peut être confirmée lorsqu’elle ne découle pas logiquement des raisons qui sont censées la justifier. J’ai conclu que la conclusion que le tribunal a tirée au sujet de la crédibilité ne découle pas des motifs formulés par le tribunal et que la décision dans son ensemble doit en conséquence être annulée.

 

[18]           Le tribunal a conclu que le demandeur n’était pas crédible seulement en ce qui concerne deux aspects de son témoignage. Il n’a pas cru le demandeur lorsqu’il a expliqué qu’il avait fait remplir le formulaire par la femme d’un collègue de travail et qu’il l’avait signé et posté sans le relire.

 

[19]           Le tribunal n’a pas considéré que d’autres aspects du témoignage du demandeur n’étaient pas crédibles. En fait, il semble que le tribunal ait accepté pleinement tous les autres aspects de son témoignage. Son témoignage a d’ailleurs été corroboré en grande partie par sa tante, qui est la seule autre personne qui a témoigné à l’audience. Le témoignage d’une personne est présumé être véridique, à moins qu’il n’existe une raison valable d’en douter (Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’immigration) (1979), 31 N.R. 34 (C.A.F.)). On doit s’interroger sur les raisons invoquées par le tribunal pour mettre en doute le témoignage du demandeur suivant lequel le formulaire a été rempli par quelqu’un d’autre que lui-même.

 

[20]           Le tribunal fait tout d’abord observer que les questions contenues dans le formulaire « sont très faciles à comprendre » et qu’elles « n’appellent guère de réponses à développement ». Est-ce qu’il s’ensuit logiquement que toutes les personnes qui, comme le demandeur, ont terminé leur 12e année de scolarité, remplissent elles-mêmes tous les formulaires qui sont faciles à comprendre et dont les questions portent principalement sur des dates et des adresses ou demandent de répondre par « oui » ou par « non »? Je ne le crois pas; sinon, comme l’avocate du demandeur l’a souligné, bon nombre de conseillers en immigration, et certains avocats, se retrouveraient sans travail. À mon avis, il ne s’ensuit pas logiquement que, parce que le demandeur aurait pu remplir le formulaire, il a effectivement rempli le formulaire en question. La seule chose qui découle du fait qu’il aurait pu remplir lui-même le formulaire est qu’il a pu le remplir.

 

[21]           La seule autre raison qu’invoque le tribunal pour mettre en doute l’affirmation du demandeur portant qu’il n’a pas rempli le formulaire est que le «  tribunal n’arrive pas à saisir l’avantage qu’a obtenu l’appelant en faisant remplir sa demande par une personne qui n’a même pas été capable d’épeler Trinidad correctement ». Le tribunal fait allusion au fait que Trinidad était épelée « Trinedad » dans la demande qui a été soumise. On pourrait tout aussi aisément se demander quel avantage un demandeur qui sait lire et écrire peut retirer en faisant remplir des formulaires « simples » par un conseiller ou un avocat. Ce n’est pas parce qu’il n’y a peut-être aucun avantage à retirer en faisant remplir un formulaire par quelqu’un d’autre qu’il s’ensuit nécessairement que cela ne s’est pas produit. Néanmoins, on pourrait s’interroger sur l’avantage que retirent les immigrants qui savent lire et écrire lorsqu’ils demandent à un conseiller ou à un avocat de remplir pour eux des formulaires aussi simples. Faut-il absolument qu’ils en retirent un avantage quelconque? 

 

[22]           Or, en l’espèce, le demandeur a répondu à la question posée par le tribunal au sujet de l’avantage en question. En fait, il a donné la même réponse deux fois : la première fois où le demandeur a répondu à cette question était lors de l’échange suivant, reproduit dans la transcription du contre-interrogatoire que l’avocate du ministre lui a fait subir :

[traduction]

 

Q :       Pourquoi demander à un ami de votre femme, plutôt à l’épouse d’un ami (inaudible)?

 

R :        Mon ami m’a dit – lorsque je lui ai appris que je m’étais marié et que je parrainais ma femme et tout ça, il m’a répondu que sa femme s’était occupée des formalités administratives et que tout s’était bien passé. Je ne pouvais m’adresser à ma tante parce qu’elle était en vacances à ce moment-là. C’est donc elle que je suis allé voir. Elle m’a aidé à remplir ma demande et je lui ai remis mon certificat de naissance, mon passeport, bref toutes mes pièces d’identité. Et la même chose pour ma femme. Je lui ai donné tous les renseignements que j’avais et elle n’a jamais rien demandé.

 

Je n’ai jamais relu le document.

                                             (Non souligné dans l’original.)

 

La seconde fois, le demandeur répondait à une question posée par le commissaire au cours de la présentation des arguments formulés par l’avocate du ministre devant le tribunal.

[traduction]

 

Q :       En quoi ces documents étaient-ils à ce point compliqués pour les faire remplir par elle? Ils sont tellement simples. Surtout la demande de parrainage et l’engagement. Il suffit d’indiquer son nom, sa date de naissance, ses numéros de téléphone.

 

R :        Ouais. Ce n’était pas compliqué mais elle m’a dit à ce moment-là, Danny m’a dit qu’elle avait l’habitude de remplir ce genre de demande pour d’autres personnes et que tout s’était bien passé, que les documents avaient été bien remplis.

 

Q :       Parce qu’on peut voir, je ne sais pas si je fais erreur, mais elle a même fait une faute en écrivant Trinidad à la question 11. Est-ce bien la façon d’écrire Trinidad?

 

L’AVOCATE DU MINISTRE

 

-                     Je tiens par ailleurs à signaler une autre erreur d’orthographe (inaudible) le mot « technicien » à la page 33.

 

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL (à l’avocate du ministre)

 

Q :       Donc, à la page 27, Trinidad, et à quelle page?

 

R :        À la page 33. Le poste de technicien. Il faudrait plutôt lire (inaudible).

 

Q :       D’accord.

 

[23]           Il est malheureux que l’avocate du ministre soit intervenue avant que le tribunal ne découvre si le demandeur savait ou non épeler Trinidad. Si le demandeur savait épeler ce mot correctement, ce fait aurait alors confirmé son témoignage qu’il n’avait ni rédigé ni relu le document avant de le signer. Le tribunal n’a pas réclamé de réponse à sa question après l’interruption de l’avocate. Je tiens à signaler que le fait que le nom du pays où la demande de résidence permanente du demandeur était traitée avait été mal orthographié ne tire pas à conséquence pour ce qui est du formulaire à l’examen.

 

[24]           La tante du demandeur a témoigné. Les témoins avaient été exclus. La tante du demandeur a corroboré le témoignage de ce dernier en confirmant qu’elle était en vacances lorsque la demande avait été remplie et envoyée par son neveu. Elle a également confirmé que le document avait été rempli par la femme d’un ami du demandeur. Personne ne lui a demandé comment elle pouvait être au courant de ce fait. Le tribunal n’a néanmoins tiré aucune conclusion défavorable au sujet de sa crédibilité après avoir entendu son témoignage. De plus, la tante a corroboré le témoignage du demandeur suivant lequel le formulaire avait été rempli par quelqu’un d’autre.

 

[25]           Qui plus est, le témoignage cité au paragraphe 22 permet de déterminer quel « avantage » le demandeur croyait retirer en faisant remplir le formulaire par la femme de son ami. Elle l’avait fait pour d’autres personnes et [traduction] « tout s’était bien passé ». Le tribunal n’a pas tenu compte de l’avantage que le demandeur croyait ainsi retirer en faisant remplir son formulaire par quelqu’un qui l’avait fait avec succès par le passé. On pourrait soutenir que les clients perçoivent le même avantage lorsqu’ils s’adressent à un consultant ou à un avocat pour faire remplir ce genre de formulaire.

 

[26]           L’observation du tribunal suivant laquelle il n’arrivait pas à saisir l’avantage qu’avait obtenu le demandeur en faisant remplir sa demande par une autre personne pourrait être pertinente si le demandeur avait réclamé l’aide de cette personne. En fait, il a expliqué que c’était son collègue de travail qui lui avait offert les services de sa femme. Ce n’est pas le demandeur qui lui a demandé de faire le travail à sa place. On peut présumer que si son ami ne lui avait pas offert les services de sa femme, le demandeur aurait rempli le formulaire lui-même ou aurait attendu que sa tante revienne de vacances.

 

[27]           Le tribunal n’a également pas retenu l’affirmation du demandeur portant qu’il n’avait pas relu le formulaire rempli par la femme de son ami avant de le signer et de le mettre à la poste. Le tribunal affirme qu’il doute de la véracité de ce témoignage parce qu’il « juge invraisemblable qu’il ait signé et posté un document aussi crucial pour l’avenir de son couple nouvellement uni par les liens du mariage, sans avoir d’abord pris le temps d’en relire le contenu ». Comme l’avocate du demandeur l’a fait remarquer, il existe une multitude de litiges soumis aux tribunaux dans lesquels une des parties tente de revenir sur un engagement contractuel en faisant valoir qu’elle a signé le document sans le lire. Bon nombre des documents en cause dans ces affaires sont tout aussi importants pour l’intéressé que la demande de parrainage du conjoint pouvait l’être pour M. Kawall Totaram (voir, par exemple, Charlton c. Société canadienne des postes., [2009] O.J. No. 233 (C.S.J.) (QL), dans laquelle le demandeur, un vice-président à Postes Canada ayant vraisemblablement plus d’expérience que le demandeur dans la présente affaire en ce qui concerne les documents juridiques, avait demandé à être dégagé de l’entente relative au plan de retraite complémentaire des cadres qu’il avait signée. Il soutenait qu’il avait signé l’entente sans l’avoir lue. À mon avis, il n’est pas impossible ni même improbable que le demandeur, qui a remis à la personne chargée de remplir le formulaire ce qu’il croyait être tous les documents pertinents et qui croyait comprendre que cette personne avait toujours eu du succès avec ce genre de démarche, signe le formulaire en question sans l’avoir lu. Cette hypothèse n’a rien d’invraisemblable lorsque l’intéressé est par ailleurs considéré comme un témoin honnête et digne de foi.

 

[28]           En l’espèce, les motifs invoqués par le tribunal pour justifier qu’il doute de la véracité du témoignage du demandeur en ce qui concerne la préparation et la signature du formulaire ne découlent pas de la prémisse formulée par le tribunal. On ne peut confirmer la conclusion du tribunal lorsqu’il affirme, sans plus, que le demandeur manque de façon générale de crédibilité en raison des contradictions relevées entre son témoignage et les documents versés au dossier ou les déclarations des autres témoins, ou en raison de son comportement général, de la façon dont il a témoigné, etc. Dans la présente affaire, la conclusion du tribunal ne reposait sur aucun autre élément et, pour ce motif, sa décision doit donc être annulée.

 

[29]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier.

 

[30]           Il a été convenu que le défendeur légitime est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et les parties ont consenti à une ordonnance modifiant l’intitulé de la cause en conséquence.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  Le nom du défendeur qui figure dans l’intitulé de la cause est remplacé par celui de ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration;

2.                  La décision rendue le 5 février 2009 par la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est annulée et renvoyée à un autre tribunal pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire;

3.                  Aucune question n’est certifiée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre, LL.B., trad.a.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-947-09

 

INTITULÉ :                                       CHOLARAM KAWALL TOTARAM c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

                                                                                                                                                                                   

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 26 août 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 8 septembre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

 

 POUR LE DEMANDEUR

 

Sharon Stewart-Guthrie

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JACKMAN & ASSOCIATES

Avocats

Toronto (Ontario)

 

 POUR LE DEMANDEUR

 

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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