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Date : 20090527

Dossiers : T‑1587‑08

T‑610‑09

T‑660‑09

 

Référence : 2009 CF 548

T‑1587‑08

ENTRE :

PREMIÈRE NATION DE TEMAGAMI, Gary Potts, Peter McKenzie

Annette Polson, Sherwood Becker fils et Thomas Friday père

demandeurs

et

 

JOHN TURNER, JAMIE SAVILLE, ROXANE AYOTTE,

JOHN MCKENZIE, STEVEN LARONDE et ARNOLD PAUL

défendeurs

 

ET ENTRE :

T‑610‑09

 

PREMIÈRE NATION DE TEMAGAMI, représentée par la chef Roxane Ayotte,

le chef adjoint John McKenzie et les conseillers Arnold Paul, Marty Pridham,

Jamie Saville et Steven Laronde

demandeurs

‑ et –

GARY POTTS, PETER MCKENZIE, ANNETTE POLSON, THOMAS FRIDAY père, AL MARQUETTE et DOUG McKENZIE, et toutes les personnes censées être le chef, le chef adjoint et/ou les conseillers de la Première nation de Temagami

défendeurs

 

ET ENTRE :

T‑660‑09

PREMIÈRE NATION DE TEMAGAMI, représentée par le chef principal GARY POTTS, le chef adjoint PETER McKENZIE  et les conseillers ANNETTE POLSON et THOMA FRIDAY père

demandeurs

‑ et ‑

ROXANE AYOTTE,  JOHN MCKENZIE, JAMIE SAVILLE, MARTY PRIDHAM, STEVEN LARONDE et ARNOLD PAUL

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE HUGHES

 

[1]               Les présents motifs concernent trois demandes distinctes introduites devant la Cour sous les numéros T‑1587‑08, T‑610‑09 et T‑660‑09. La première demande, qui porte le numéro de dossier T‑1587‑08, a été instruite le 27 avril 2009, et les deux dernières (T‑610‑09 et T‑660‑09) ont été instruites conjointement conformément à une ordonnance de consentement prononcée le 13 mai 2009. Après avoir procédé à l’instruction de ces demandes, j’ai convenu de ne faire connaître mes motifs ou mes jugements qu’une fois terminé le processus de médiation dirigé par un autre juge la Cour, le juge Mandamin. Ce n’est qu’en cas d’échec de la médiation que je devais exposer les présents motifs et rendre jugement. C’est malheureusement ce que je fois faire.

 

LES PARTIES

[2]               Les demandeurs et les défendeurs dans chacune des instances en question, selon l’instance qui est considérée, affirment représenter la Première nation de Temagami, une collectivité autochtone située dans les environs de Bear Island, dans la région du lac Temagami, en Ontario. Les membres qui composent chacun des deux groupes affirment être le chef, le chef adjoint et les conseillers de la Première nation de Temagami. Bien que dans chacune des demandes les demandeurs et les défendeurs soient dans une certaine mesure différents, en ce sens qu’il y a ajout ou omission de certaines personnes, il est de façon générale pratique, par souci de simplification, de désigner chaque groupe par le nom de la personne du chef présumé du groupe en question. Ainsi, dans le dossier T‑1587‑08, le groupe Potts est le demandeur et le groupe Ayotte est le défendeur. Dans le dossier T‑610‑09, le groupe Ayotte est le demandeur et le groupe Potts est le défendeur. Dans le dossier T‑660‑09, le groupe Potts est le demandeur et le groupe Ayotte est le défendeur. Toutefois, dans le dossier T‑610‑09, deux des personnes qui ont été élues au Conseil du groupe Potts lors d’une élection partielle, Al Marquette et Doug McKenzie, ne faisaient pas partie du groupe Potts initial et ne sont donc pas représentées par les avocats qui représentent ce groupe. Ces deux personnes ne sont pas représentées. Al Marquette a pris la parole en son nom personnel à l’audience du 13 mai. Doug McKenzie n’était pas présent.

 

[3]               À l’ouverture de leur plaidoirie lors de l’audience relative à la demande T‑1587‑08, l’avocat des défendeurs a soulevé une objection au sujet de la justesse de la désignation et du choix des personnes constituant les demandeurs et les défendeurs dans ce dossier. Cette objection n’avait pas été soulevée antérieurement par voie d’avis de requête ou dans le mémoire des défendeurs. Par ailleurs, la protonotaire Tabib a modifié, dans une ordonnance de consentement prononcée très récemment, le 14 mars 2009, l’intitulé de la cause en supprimant et en ajoutant certaines personnes comme demandeurs et comme défendeurs. De toute évidence, si le choix des parties régulièrement constituées soulevait alors une question sérieuse, c’est à ce moment‑là qu’il aurait fallu s’opposer à leur désignation comme parties. Or, comme aucune objection n’a alors été formulée, j’ai refusé d’entendre des arguments soulevés tardivement pour la première fois à l’audience au sujet du choix de la désignation des personnes comme parties dans le dossier T‑1587‑08.

 

RÉPARATIONS SOLLICITÉES

[4]               Dans le dossier T‑1587‑08, les demandeurs, les membres du groupe Potts, sollicitent les réparations suivantes :

[traduction]

1.         Un jugement déclarant valides les résultats de l’élection générale tenue le 12 juin 2008.

 

2.         Une ordonnance déclarant que les deux résolutions proposées et appuyées le 2 août 2008, à savoir la « Résolution no 1 : Décision et directives communautaires de la PNT » et la « Résolution no 2 : Modification constitutionnelle de la PNT », sont invalides, illicites et sans effet.

 

3.         Un jugement déclarant invalide, illicite et sans effet la présumée élection tenue le 20 septembre 2008.

 

4.         Un jugement déclarant invalides, illicites et sans effet toutes les démarches entreprises depuis le 12 juin 2008 en vue de modifier la Constitution de la Tribu de la Première nation de Temagami.

 

5.         Les dépens de la présente demande sur une base avocat‑client.

 

6.         Toute autre réparation que la Cour peut juger bon d’accorder.

 

[5]               Dans le dossier T‑610‑09, les demandeurs, les membres du groupe Ayotte, sollicitent les réparations suivantes :

[traduction]

1.                  Un bref de quo warranto en application du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7 au sujet du droit que revendiquent les défendeurs d’agir à titre de conseil de bande de la Première nation de Temagami.

 

2.                  Un bref de quo warranto déclarant que les défendeurs n’ont aucun droit d’exercer les charges de chefs et/ou de conseillers.

 

3.                  Un jugement déclaratoire de la nature d’un bref de quo warranto portant que les défendeurs n’ont pas le droit d’exercer les charges de chefs ou de conseillers, selon le cas.

 

4.                  Une injonction interdisant aux défendeurs de se présenter comme étant les chefs et conseillers de la Première nation ou d’entraver de toute autre manière l’exercice légitime, par les demandeurs, de leurs pouvoirs de chefs et de conseillers.

 

5.                  Une injonction interdisant aux défendeurs de s’approprier, de dilapider ou de détourner les actifs de la bande à leur usage personnel, notamment pour payer les frais juridiques afférents à la demande de contrôle judiciaire introduite devant la Cour fédérale (Première nation de Temagami c. John Turner et autres, dossier T‑1578‑08);

 

6.                  Les dépens de la présente demande, payables par les défendeurs personnellement selon une formule permettant une pleine indemnisation (dépens avocat‑client).

 

7.                  Toute autre réparation que la Cour peut juger bon d’accorder.

 

[6]               Dans la demande T‑660‑09, les demandeurs, les membres du groupe Potts, sollicitent les réparations suivantes :

[traduction]

1.                  Un jugement déclarant invalides, illicites et sans effet la pétition datée du 3 février 2009 qui a été soumise aux demandeurs le 23 février 2009 et les motions datées des 14 et 29 mars 2009;

 

2.                  Un jugement déclarant mal fondées, déraisonnables et abusives les raisons invoquées par les défendeurs dans leur pétition pour justifier la destitution des demandeurs;

 

3.                  Un jugement déclarant invalides, illicites et sans effet les démarches entreprises par les défendeurs pour prendre le contrôle de la gouvernance de la Première nation de Temagami sur le fondement de la pétition et des motions;

 

4.                  Un bref de quo warranto contre les défendeurs en ce qui concerne leur prétendu droit d’exercer les charges de chefs et de conseillers de la Première nation de Temagami;

 

5.                  Un jugement déclaratoire confirmant la validité des résultats de l’élection générale du 12 juin 2008 et déclarant que les chefs et les conseillers élus à cette occasion qui n’ont pas démissionné ont le droit d’exercer les fonctions pour lesquelles ils ont été élus.

 

6.                  Une ordonnance réunissant, conformément à l’article 105 des Règles, la présente demande avec la demande présentée dans le dossier T‑610‑09 (par les défendeurs dans la présente demande);

 

7.                  Les dépens de la présente demande sur une base avocat‑client.

 

8.                  Toute autre réparation que la Cour peut juger bon d’accorder.

 

 

[7]               Il y a lieu de signaler que les réparations sollicitées dans chacune des demandes visent diverses questions différentes, bien que connexes. Personne ne s’est jamais élevé contre le nombre de points soulevés, et je ne vais le faire non plus.

 

[8]               Lorsqu’il a plaidé devant notre Cour à l’audience du 13 mai 2009, l’avocat des demandeurs dans le dossier T‑610‑09 (les membres du groupe Ayotte) a souligné que ceux‑ci n’avaient pas l’intention d’obtenir de la Cour un jugement ou une déclaration qui aurait pour effet de reconnaître la légitimité de la prétention du groupe Ayotte en ce qui concerne les postes de chefs et de conseillers revendiqués. Ces demandeurs souhaitent essentiellement que la Cour déclare que la réparation la mieux appropriée consisterait à ordonner la tenue d’une nouvelle élection. Dans cette mesure, les réparations réclamées au paragraphe 3 de la demande T‑1587‑08 et aux paragraphes 3 et 4 de la demande T‑660‑08 sont inutiles. La réparation demandée au paragraphe 6 de la demande T‑660‑08 a déjà été accordée de consentement.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[9]               Les questions en litige dans les trois demandes en question peuvent être simplifiées et être reformulées comme suit :

1.                  Les résultats de l’élection du 12 juin 2008 lors de laquelle les membres du groupe Potts ont été élus comme chefs et conseillers de la Première nation de Temagami sont‑ils valides?

 

2.                  Si les résultats en question sont valides, les démarches entreprises en vue de destituer les membres du groupe Potts comme chefs et conseillers étaient‑elles valides et efficaces?

 

3.                  Y a‑t‑il lieu de prononcer une injonction pour interdire aux conseillers du groupe Potts de dépenser d’autres fonds dans la demande T‑1587‑08?

 

ACTION INTRODUITE EN ONTARIO

[10]           Il y a lieu de signaler l’existence d’une autre instance qui met en présence les mêmes parties et qui a été introduite devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans le dossier CV‑08‑471‑00. Dans cette action, la Première nation de Temagami, représentée par ce que j’appelle en l’espèce le groupe Potts, est désignée comme demanderesse et bon nombre des personnes que j’appelle le groupe Ayotte sont désignées comme défenderesses. Une grande partie des réparations réclamées dans la demande T‑1587‑08 introduite devant notre Cour sont également sollicitées dans cette action. Un acte de comparution a été déposé dans cette action, mais aucune autre démarche n’a jusqu’ici été faite dans ce procès. Les avocats des parties en l’espèce m’informent que l’action introduite en Ontario a été « mise en suspens » en attendant que l’issue des présentes instances soit connue.

 

ENTITÉS ET PERSONNES CONCERNÉES

[11]           Il y a beaucoup d’entités et de personnes concernées par les questions en litige. En voici une liste partielle :

PNT : la Première nation de Temagami

 

MAINC : le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien

 

Roxane Ayotte : Élue conseillère le 12 juin 2008, elle affirme être la chef principale d’après les résultats de l’élection tenue à l’automne 2008.

 

John McKenzie : Chef de Teme‑Augama Anishnabai, l’organisme chargé de négocier les revendications territoriales. Candidat au poste de chef adjoint à l’élection du 12 juin 2008, il a perdu par une seule voix. Il a été élu chef adjoint du groupe Ayotte à l’automne 2008.

 

Al Marquette : Élu au poste de conseiller du groupe Potts lors d’une élection partielle, il se représente lui‑même et a pris la parole dans les présentes instances.

 

Virginia Paul : Secrétaire/préposée à la liste des effectifs du conseil de bande. Elle était présidente d’élection lors de toutes les élections qui ont eu lieu approximativement entre 1994 et le 12 juin 2008.

 

Gary Potts : Affirme être le chef principal en se fondant sur les résultats de l’élection du 12 juin 2008.

 

Desire Snef : Membre de la PNT qui a fait circuler les pétitions de destitution de février 2009.

 

Elizabeth Taylor : Présidente d’élection du groupe Ayotte.

 

John Turner : Membre du groupe Ayotte.

 

 

CHRONOLOGIE DES FAITS

 

[12]           Les faits à l’origine des trois présentes demandes sont complexes mais, sauf exception, ils ne sont pour l’essentiel pas contredits. Je les relate plus ou moins dans leur ordre chronologique avec de brèves explications. La première liste a été dressée à partir de la preuve versée dans le dossier T‑1587‑08 :

Date et activité

Détails

 

19 mars 2008

 

 

 

 

 

Assemblée communautaire de la PNT au cours de laquelle un vote est tenu au sujet de la possibilité de cesser les négociations sur les revendications territoriales. La résolution a été adoptée, mais pas à la majorité, et il a donc fallu organiser un second vote.

 

1er mai 2008

 

Le conseil de la PNT déclenche une élection générale

 

 

Mme Paul est nommée présidente d’élection de la bande. Elle est la sœur de la personne qui occupait alors de poste de chef.

22 mai 2008

 

Avis d’assemblée et d’élection

 

Mme Paul avise les électeurs de la PNT de la tenue d’une assemblée de mise en candidature le 29 mai 2008, laquelle sera suivie par une élection générale le 12 juin 2008.

 

23 mai 2008

 

Affichage de la liste électorale

 

La liste électorale est affichée dans trois lieux publics.

 

5 juin 2008

 

Ajout de June MacInnes à la liste électorale

June MacInnes avait demandé que son nom soit ajouté à la liste électorale. La présidente d’élection l’a rencontrée et a examiné avec elle les critères d’admissibilité. La présidente d’élection a estimé que Mme MacInnes avait le droit de voter et elle a souscrit un affidavit en ce sens. Le nom de Mme MacInnes a été ajouté à la liste.

 

29 mai 2008

 

Assemblée de mise en candidature

 

Mise en candidature de quatre membres de la PNT aux postes de chef principal, de trois membres au poste de chef adjoint et de huit membres aux quatre postes de conseillers.

 

12 juin 2008

 

Élection générale

La présidente d’élection était aidée par deux adjointes, Lillian Birtch et Jennifer Potts Paul.

 

Charles Laronde, un membre de la PNT dont le nom ne figurait pas sur la liste électorale, a été autorisé à voter le jour de l’élection. Il a produit un permis de conduire pour prouver qu’il vivait sur Bear Island. La présidente d’élection et ses adjointes étaient convaincues qu’il avait le droit de vote; il a souscrit un affidavit et son nom a été ajouté à la liste.

 

Trois autres personnes, à savoir Trevor Laronde, Briana Nelles et Simone Twain ont tenté de voter, mais leur nom n’a pas été ajouté à la liste. La présidente d’élection a estimé qu’ils n’avaient pas le droit de vote étant donné qu’ils vivaient à l’extérieur du territoire tribal ancestral de chasse et qu’ils n’étaient pas visés par les exceptions prévues par la Constitution de la Tribu.

 

Le nombre initial de noms figurant sur la liste électorale était de 187. Le nombre total final d’électeurs le jour de l’élection était de 187, si l’on tient compte de l’ajout de June MacInnes et de Charles Laronde.

 

Après la fermeture des bureaux de scrutin, la présidente d’élection, ses adjointes et les douze scrutateurs ont procédé au dépouillement des suffrages. Ils se sont tous entendus sur les bulletins de vote douteux ou annulés.

 

12 juin 2008

 

Résultats de l’élection générale

Les deux candidats au poste de chef, Alexander Paul et Gary Potts,  ont recueilli le même nombre de voix, en l’occurrence 51. La présidente d’élection était parente avec les deux candidats. L’alinéa 8‑3p) de la Constitution de la Tribu prévoit qu’en cas de partage égal des voix, le président d’élection a voix prépondérante. Mme Paul avait déclaré dans le passé qu’en cas de partage des voix, elle tirerait à pile ou face. C’est ce qu’elle a fait. Après avoir tiré à pile ou face, elle a fait pencher la balance en faveur de Gary Potts.

 

Peter McKenzie a été élu chef adjoint (par une voix de plus que John McKenzie) et Roxane Ayotte, Sherwood Beker fils, Thomas Friday père et Annette Polson ont été élus conseillers.

 

La présidente d’élection a préparé les formules de résultats prescrites et les a télécopiées à divers organismes. Elle a soumis un rapport d’élection au MAINC. Le 25 juin 2008, le MAINC a confirmé la sélection des chefs et des conseillers.

 

Un dépouillement judiciaire a eu lieu le 16 juin 2008 et les résultats du scrutin ont été confirmés.

 

27 juin – 11 juillet 2008

 

Appels interjetés au sujet de l’élection

John Turner, Jamie Saville, John McKenzie et Alex Paul père ont, avec six autres membres de la PNT, fait appel des résultats de l’élection.

 

Les appels portaient sur la question du droit de vote, et plus précisément sur le fait que certains membres qui ne remplissaient pas les critères d’admissibilité avaient voté alors que d’autres qui les remplissaient s’étaient vu refuser le droit de vote. Ils soutenaient que la présidente d’élection se trouvait en conflit d’intérêt.

 

La présidente d’élection a inscrit les mots [traduction] « refusée – mal fondée » sur les pétitions et les a retournées à l’expéditeur. Si l’appel ne satisfaisait pas aux exigences de la Constitution de la Tribu, la présidente d’élection expliquait les exigences qui devaient être remplies.

 

Le chef principal et les conseillers élus n’ont pas été consultés sur la suite à donner aux appels interjetés au sujet de l’élection.

 

9 juillet 2008

 

Correspondance de John McKenzie

 

Dans une lettre adressée au chef Potts, John McKenzie demande que les conseillers ne tiennent aucune assemblée étant donné que les résultats de l’élection font l’objet d’un appel.

 

29 juillet 2008

 

Le Conseil reçoit une pétition

 

Le groupe Potts reçoit une pétition signée tant par les membres ayant droit de vote que par ceux n’ayant pas le droit de vote « enjoignant » au Conseil de tenir, le 2 août 2008, une assemblée communautaire au cours de laquelle les membres de la PNT seraient autorisés à voter sur une résolution visant à déclarer vacants les postes de chef principal et de chef adjoint et à tenir une nouvelle élection.

 

Les chefs et les conseillers répondent le même jour par une lettre indiquant qu’ils n’appuient pas la tenue d’une assemblée communautaire et que la pétition n’est pas conforme à la Constitution de la Tribu. Ils confirment la tenue de l’assemblée communautaire d’automne prévue pour les 20 et 21 septembre 2008.

 

La conseillère Roxane Ayotte se dit en désaccord avec les chefs et les conseillers sur cette question et remet par la suite sa démission.

 

2 août 2008

 

Première assemblée communautaire du groupe Ayotte

Deux résolutions sont présentées lors de l’assemblée du 2 août tenue par le groupe Ayotte :

 

Résolution no 1 : Décision et directives communautaires de la PNT : réclamant une nouvelle élection générale pour tous les postes du conseil de la PNT.

 

Résolution no 2 : Modification de la constitution de la PNT visant à supprimer bon nombre des critères relatifs au droit de vote.

 

Les résolutions ne recueillent pas l’appui de la majorité des électeurs admissibles lors de l’assemblée, contrairement à ce que prévoit la Constitution de la Tribu, et les résolutions sont renvoyées à un scrutin ultérieur.

 

17 août 2008

 

Seconde assemblée communautaire du groupe Ayotte

 

Lors du second vote, les deux résolutions sont adoptées. On ne sait pas avec certitude qui a voté.

 

 

28 août 2009

John McKenzie publie un communiqué de presse déclarant que le conseil Teme‑Augama Anishnabai ne reconnaît pas les chefs et les conseillers actuels de la PNT.

 

7 septembre 2008

 

Avis de l’assemblée de mise en candidature et d’élection du groupe Ayotte sur du papier à en‑tête de la PNT.

 

12 septembre 2008

 

Roxane Ayotte démissionne de son poste de conseillère. Elle avait été élue le 12 juin 2008.

 

14 septembre 2008

 

Résultats de l’assemblée de mise en candidature et d’élection du groupe Ayotte publiés sur du papier à en‑tête de la PNT.

 

20‑21 septembre 2008

 

Assemblée communautaire et élection du groupe Ayotte

 

Résultats de l’élection du groupe Ayotte publiés sur du papier à en‑tête de la PNT. Roxane Ayotte est élue chef principale, John McKenzie est élu chef adjoint et Jamie Saville, John Turner, Steven Laronde et Arnold Paul sont élus conseillers.

 

L’élection a lieu en même temps que l’assemblée communautaire d’automne prévue.

 

À l’assemblée du 21 septembre, une « résolution de compromis » est soumise en vue de ne pas tenir compte des résultats de l’élection du 12 juin et du 20 septembre et de tenir une nouvelle élection. La majorité des personnes présentes, indépendamment de leur droit de vote, votent en faveur de la résolution : 41 voix pour, 0 contre, 3 abstentions.

 

7 octobre 2008

 

Communication du groupe Potts à la collectivité

 

Communication de John Turner à la collectivité

 

Le groupe Potts envoie une lettre à la collectivité pour annuler l’assemblée prévue pour le 11 octobre et pour déclarer qu’il entend s’adresser à la Cour fédérale pour faire trancher ces questions.

 

John Turner distribue son propre avis où il indique que l’assemblée aura lieu.

11 octobre 2008

 

Assemblée communautaire du groupe Ayotte

Une assemblée communautaire est organisée par le groupe Ayotte. La résolution no 1 et la résolution no 2 sont adoptées, tout comme la « résolution de compromis » en vue de tenir une autre élection. On ne sait pas avec certitude qui a voté.

 

Elizabeth Turner est nommée présidente d’élection. Un conseil des aînés est également nommé.

 

12 octobre 2008

 

Affichage des avis

Affichage des avis d’élection du groupe Ayotte, et mises en candidature devant avoir lieu le 20 octobre et l’élection, le 26 octobre.

 

Cent personnes se sont présentées dans les bureaux de scrutin, mais leur qualité d’électeur n’a pas été déterminée.

 

12‑14 octobre 2008

 

Campement de protestation

 

Un campement de protestation est érigé devant le bureau du conseil de bande.

 

 

15 octobre 2008

Demande de contrôle judiciaire déposée devant la Cour fédérale du Canada (dossier T‑1587‑08) par le groupe Potts.

 

17 octobre 2008

Le groupe Potts dépose une déclaration devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario.

 

26 octobre 2008

 

Élection du groupe Ayotte

Élection du groupe Ayotte. Élection des mêmes personnes que celles qui avaient été élues le 20 septembre, à l’exception de Marty Prindham, qui est élu conseiller à la place de John Turner. John Turner n’a pas brigué les suffrages lors de la seconde élection.

 

27 octobre 2008

Le groupe Ayotte revendique sa direction au bureau du conseil de bande.

 

6 novembre 2008

 

Les demandeurs déposent une requête en injonction qui est rejetée par le juge Noël le 11 novembre 2008.

 

[13]           D’autres éléments de preuve ont été présentés dans le dossier T‑610‑09. Les parties ont convenu que ces éléments de preuve s’appliquaient aussi au dossier T‑660‑09. Voici la chronologie de ces faits :

Date et activité

 

Détails

23 février 2009

 

 

Pétitions transmises au bureau du conseil de bande de la PNT

Desiree Senf transmet les pétitions au bureau du conseil de bande. Il y a trois pétitions. Voici ce qu’on trouve dans la première pétition:

 

·                    Les chefs et les conseillers (Potts) se sont placés dans une situation de conflit d’intérêts en présentant une demande de contrôle judiciaire dans le dossier T‑1787‑08 afin de protéger leurs intérêts, ce qui entre en conflit avec les résolutions proposées et adoptées lors des assemblées du 20 septembre et du 11 octobre 2008.

·                    Les chefs et les conseillers (Potts) ont outrepassé les pouvoirs de leur charge en déposant la demande de contrôle judiciaire et en désignant nommément certains membres de la collectivité sans avoir obtenu l’appui de la collectivité au moyen d’un vote;

·                    Une assemblée de la bande doit être convoquée pour voter et décider des mesures à prendre au sujet de ces accusations.

 

La deuxième pétition est datée de février 2009. Elle comporte des ajouts par rapport à la première pétition. Chacune des pages de ce deuxième document est signée par une personne. On y trouve la mention que ces personnes ont apposé leur signature sous réserve de toute position qu’elles pourraient adopter devant une autre tribune.

 

Le texte de la troisième pétition, datée du 1er février, est semblable à celui des deux premières, mais il est plus précis. La troisième pétition porte sur les questions suivantes : l’argent dépensé pour le contrôle judiciaire, les changements survenus au sein du comité des revenus Rama, la suspension des négociations sur les revendications territoriales et le recours au contrôle judiciaire pour « court‑circuiter le processus communautaire ». Aucune explication n’est donnée au sujet des différences.

 

Il était déclaré ce qui suit dans la lettre d’accompagnement jointe aux pétitions :

 

·                    51 % des électeurs admissibles (selon la liste dressée pour l’élection du 12 juin) avaient signé la pétition conformément à la procédure de destitution prévue par la Constitution (art. 5‑1 H);

·                    Le nom de neuf membres déterminés devait être ajouté à la liste électorale étant donné qu’ils remplissaient les conditions exigées en date du 12 juin 2008 et qu’ils avaient également signé la pétition.

·                    Une assemblée de la bande aurait lieu au centre des loisirs de Bear Island le samedi 14 mars 2009 à 10 h.

 

Un accusé de réception a été produit avec une photocopie de la pétition originale.

 

 

10, 11 et 12 mars 2009

 

Correspondance entre le chef Potts et Mme Senf

 

Le groupe Potts adresse à Mme Senf une lettre dans laquelle le chef et le Conseil affirment que les pétitions ne respectent pas les exigences de la Constitution de la Tribu et qu’aucune assemblée communautaire ne serait donc prévue. Voici quelques‑unes des failles qu’ils relèvent dans les pétitions :

 

·                    Les pétitions sont signées par 88 personnes, soit un nombre insuffisant pour respecter le pourcentage exigé par la Constitution de la Tribu.

·                    De ce nombre, 46 personnes sont des électeurs non admissibles.

·                    Le texte des documents est différent.

·                    Bon nombre des « signatures » sont en format électronique et ne se trouvent pas sur la pétition elle‑même.

 

Mme Senf répond le 12 mars en affirmant qu’elle n’accepte pas ce point de vue et en ajoutant qu’une assemblée doit avoir lieu.

 

Mme Senf envoie le 12 mars une seconde lettre dans laquelle elle ajoute quatre autres signatures à la pétition. Il n’y est pas précisé si ces personnes étaient des électeurs admissibles en date du 12 juin 2008.

 

10 mars 2009

 

Lettre ouverte du groupe Potts à la collectivité

 

Dans sa lettre, le groupe Potts déclare que la pétition comporte des failles, qu’aucune assemblée communautaire ne sera convoquée, nie l’existence de quelque conflit d’intérêts que ce soit et défend son point de vue.

14 mars 2009

 

Assemblée communautaire

L’assemblée est appelée à voter sur trois résolutions. Le scrutin est secret. Mme Turner est scrutatrice, et on utilise divers bulletins de vote de couleur. Au total, 117 bulletins de vote sont déposés relativement aux trois résolutions. La répartition des électeurs entre ceux qui ont le droit de vote et ceux qui ne l’ont pas est contestée.    

 

Résolution no 1 : [traduction] Il est donc résolu que la Première nation de Temagami déclare que le chef Gary Potts, le chef adjoint Peter McKenzie et les conseillers Annette Polson, Sherwood Becker fils et Thomas Friday sont en conflit d’intérêts et qu’ils soient destitués de leurs fonctions conformément à l’article 5‑1 de la Constitution de la Première nation de Temagami.

 

La résolution no 1 est adoptée avec 115 voix pour, aucune voix contre, une abstention et un bulletin annulé.

 

Résolution no 2 : [traduction] Il est donc résolu que la Première nation de Temagami retire tout pouvoir administratif et exécutif, y compris le pouvoir de signature, à Gary Potts, Peter McKenzie, Annette Polson, Sherwood Becker fils et Thomas Friday.

 

La résolution n2 est adoptée avec 116 votes pour, aucune voix contre et une abstention.

 

Résolution n3 : [traduction] Il est donc résolu que la Première nation de Temagami enjoigne au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien de reconnaître sans délai la chef Roxane Ayotte, le chef adjoint John McKenzie et les conseillers Steve Larond, Marty Pridham, Arnold Paul et Jamie Saville en tant que représentants dûment élus investis des pouvoirs administratifs et exécutifs relativement à la Première nation de Temagami.

 

Et que la Première nation de Temagami enjoigne à la chef Roxane Ayotte, au chef adjoint John McKenzie et aux conseillers Steve Laronde, Marty Pridham, Arnold Paul et Jamie Saville de prendre les mesures nécessaires pour informer tous les membres du personnel, les fonctionnaires du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, la Banque de Nouvelle‑Écosse, les banques, les fonctionnaires du gouvernement ontarien, les chefs de toutes les Premières nations de l’Ontario que Gary Potts, Peter McKenzie, Annette Polson, Sherwood Becker fils et Thomas Friday ne représentent pas la Première nation de Temagami et qu’ils n’ont pas le pouvoir d’autoriser de paiement susceptible d’engager juridiquement la Première nation de Temagami.

 

La résolution no 3 est adoptée avec 115 voix pour, aucune voix contre et deux abstentions.

 

26 mars 2009

 

Élection partielle du groupe Potts

Deux sièges de conseillers sont devenus vacants à la suite de démissions. Mme Ayotte a démissionné à l’automne 2008 et Sherwood Becker fils a démissionné le 10 mars 2009. Au cours de l’élection partielle, les deux candidats élus sont Doug McKenzie et Al Marquette.

 

29 mars 2009

 

Second vote sur les trois résolutions

Les résultats sont les suivants :

 

Résolution no 1 :  79 voix pour, 0 contre, 0 abstention.

Résolution no 2 :  79 voix pour, 0 contre, 0 abstention.

Résolution no 3 :  79 voix pour, 0 contre, 0 abstention.

 

30 mars – 6 avril 2009

 

 

Correspondance avec le MAINC

Ayotte communique au MAINC les résultats du vote sur les trois résolutions et demande au MAINC de mettre à jour ses dossiers en conséquence.

 

Le MAINC adopte le point de vue qu’il ne peut se prononcer sur l’identité des chefs et conseillers légitimes de la Première nation. Il indique donc que la direction de la PNT sera [traduction] « indéterminée en attendant que la question soit réglée à l’interne ou qu’un consensus se dégage ou encore que les tribunaux se prononcent sur les questions de fond. En conséquence, le MAINC ne reconnaît pas présentement l’une ou l’autre des personnes ou factions opposées comme chefs et conseillers de la Première nation de Temagami et il prendra au besoin les mesures nécessaires pour s’assurer que les services essentiels soient fournis ».

 

30 mars – 13 avril 2009

 

Correspondance avec la banque de la PNT

Ayotte transmet les résultats du vote sur les trois résolutions à la banque en lui donnant pour instructions de changer l’autorisation de signature.

 

La banque refuse de changer l’autorisation de signature conformément aux instructions du groupe Ayotte. La banque adopte le point de vue que, comme une audience est prévue pour le 27 avril, elle attendra l’issue de l’audience avant de procéder à quelque changement que ce soit.

 

9 avril 2009

 

Lettre ouverte du chef Potts à la collectivité

Potts envoie une lettre pour mettre la collectivité au courant des développements les plus récents. Il affirme qu’il a rencontré des fonctionnaires du MAINC le 3 avril et que le MAINC a confirmé que le groupe Ayotte n’avait pas été reconnu. La lettre porte aussi que le groupe Potts a discuté de la situation avec la banque. Potts cite le paragraphe 11 des motifs en date du 17 novembre 2008 par lesquels le juge Noël a rejeté la requête en injonction au motif que la bande était toujours en mesure d’exercer ses activités.

 

14 avril 2009

 

Lettre ouverte du chef Ayotte au groupe Potts

En réponse à la lettre du 9 avril, le groupe Ayotte adopte le point de vue que le MAINC ne reconnaît pas le groupe Potts, que les motifs du juge Noël ne disent pas que Potts est le chef et que des questions sont discutées avec la banque. Le groupe Ayotte soutient aussi que la question de la destitution est « entièrement distincte » des questions soulevées dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire (T‑1578‑08).

 

17 avril 2009

 

Le groupe Ayotte dépose un avis de demande dans le dossier T‑610‑09

 

Demande de quo warranto visant le groupe Potts et injonctions interdisant à ses membres de se présenter comme étant les chefs et conseillers de la PNT et leur interdisant de s’approprier, de dilapider ou de détourner les actifs de la bande pour leur usage personnel, notamment pour payer les frais afférents au dossier T‑1578‑08.

23 avril 2009

Le groupe Potts dépose un avis de demande dans le dossier T‑660‑09

Demandes de quo warranto visant le groupe Ayotte et diverses déclarations portant que la destitution est invalide, que les motifs invoqués pour justifier la destitution ne sont pas valables et que les résultats de l’élection du 12 juin 2008 demeurent valides.

 

LA COUTUME

[14]           Les parties reconnaissent que la Première nation de Temagami est ce qu’on appelle une « bande indienne agissant selon ses coutumes ». Elle a une constitution écrite. Toutefois, pour interpréter cette constitution et les questions qui ne sont pas traitées dans la Constitution, on doit tenir compte de la coutume de la bande.

 

[15]           Le juge Martineau de la Cour a examiné attentivement la question de la coutume dans la décision Francis c. Conseil mohawk de Kanesatake, [2003] 3 C.N.L.R. 86. Au paragraphe 21, le juge Martineau explique que la jurisprudence a établi qu’il incombe à celui qui revendique l’existence d’une coutume d’en prouver le contenu et les écarts par rapport à celle‑ci. Il écrit :

21     Selon un principe établi par la jurisprudence, il incombe à ceux qui invoquent la « coutume » de prouver, à tout le moins, son contenu et les écarts par rapport à celle‑ci : McArthur v. Canada (Department of Indian Affairs and Northern Development) (1992), 91 D.L.R. (4th) 666 [ [1992] 4 C.N.L.R. 33] (C.B.R. Sask.) (McArthur). Cependant, même si la Loi permet que les membres du « conseil de bande » soient choisis selon la coutume de la bande, elle n’énonce aucune ligne directrice quant à la façon de déterminer cette coutume.

 

[16]           Au paragraphe 23, le juge résume les éléments constitutifs de la coutume :

23     Les éléments dont se compose une coutume peuvent donc être résumés comme suit :

 

1) les « pratiques » touchant le choix d’un conseil;

2) des pratiques qui sont « généralement acceptables pour les membres de la bande » ;

3) des pratiques qui font l’objet d’un « large consensus ».

 

[17]           Au paragraphe 24, il explique que la définition jurisprudentielle de la coutume comporte deux éléments. Le premier réside dans les pratiques, qui peuvent être établies soit par des actes répétitifs, soit au moyen d’une mesure isolée comme l’adoption d’un code. Au paragraphe 25, il reconnaît que la coutume d’une bande varie au fil des années. Au paragraphe 26, il aborde le second volet de la coutume, soit le fait qu’elle est généralement acceptable pour les membres de la bande et qu’elle fait l’objet d’un large consensus. Il examine ensuite les règles de droit relatives à la façon dont un principe devient une coutume. Au paragraphe 36, il conclut que, pour devenir une coutume, une pratique doit être fermement établie, généralisée et suivie de manière uniforme et délibérée par une majorité de la communauté. Voici ce qu’il écrit, au paragraphe 36 :

36    Pour qu’une règle devienne une coutume, la pratique se rapportant à une question ou situation donnée qui est visée par cette règle doit être fermement établie, généralisée et suivie de manière uniforme et délibérée par une majorité de la communauté, ce qui démontrera un « large consensus » quant à son applicabilité. Cette description exclurait les comportements sporadiques visant à corriger des difficultés d’application exceptionnelles à un moment donné ainsi que d’autres pratiques qui sont manifestement considérées au sein de la communauté comme des pratiques suivies à titre d’essai. S’il existe, ce « large consensus » prouvera la volonté de la communauté à un moment donné de ne pas considérer le code électoral adopté comme un document exhaustif et exclusif. Ce consensus aura pour effet d’exclure de l’équation un nombre infime de membres d’une bande qui se sont constamment opposés à l’adoption d’une règle régissant les élections à titre de règle coutumière.

 

[18]           Les avocats s’entendent pour dire que cette décision énonce correctement le droit.

 

LA CONSTITUTION ET LA COUTUME

[19]           Depuis le 26 septembre 1978, la Première nation de Temagami possède une constitution écrite (la Constitution). Celle‑ci a jusqu’ici été modifiée à quatre reprises. Les avocats conviennent qu’on doit se fonder, pour trancher les questions en litige dans les présentes demandes, sur ce que prévoit la Constitution, sous réserve de son interprétation et de son étoffement à la lumière de la coutume de cette Nation telle qu’établie par la preuve.

 

[20]           Les dispositions suivantes de la Constitution et de la coutume sont importantes pour trancher les questions en litige :

a.       L’article 2 définit les personnes qui ont le droit de vote : ce sont celles dont le nom est inscrit sur la liste des effectifs de la bande et qui sont âgées d’au moins dix‑huit (18) ans et qui résident sur le territoire tribal ancestral de chasse (les alinéas D à I et K à N définissent la notion de résidence) :

[traduction]

 

A) Être inscrit sur la liste des effectifs de la bande;

B)     Être âgé d’au moins dix‑huit (18) ans;

C)    Résider sur un territoire tribal ancestral de chasse.

 

b.      L’alinéa 2J) prévoit que, sauf lorsque les résultats sont serrés, le fait qu’il y a un petit nombre d’électeurs n’ayant pas le droit de vote n’a pas d’incidence sur les résultats du scrutin.

[traduction]

 

J) Il y a lieu de signaler que l’existence d’un petit nombre d’électeurs n’ayant pas le droit de vote n’entraîne pas l’annulation d’une élection à moins que le nombre d’électeurs n’ayant pas le droit de vote soit suffisamment élevé pour avoir eu une incidence sur les résultats. Par exemple, si un conseiller a été élu par dix (10) voix de majorité sur son adversaire le plus proche, le fait qu’il existe jusqu’à neuf (9) personnes n’ayant pas le droit de vote qui auraient voté n’aurait aucune incidence sur l’issue du scrutin et l’élection serait confirmée mais, si au moins dix (10) personnes n’ayant pas le droit de vote ont voté, l’élection du conseiller sera annulée, ce qui n’aura pas nécessairement d’incidence sur l’élection de tout autre conseiller ou du chef au cours de la même élection.

 

c.       L’article 3 prévoit que le Conseil est constitué du chef principal, du chef adjoint et d’un certain nombre de conseillers. Leur mandat a été fixé à trois ans par suite de la modification du 22 mai 2008 :

[traduction]

 

Article 3 Représentation politique

Un (1) chef principal, un (1) chef adjoint et un (1) conseiller pour chaque groupe de cinquante membres de la bande répondant aux critères de résidence. Il ne doit pas y avoir plus de deux (2) et moins de neuf (9) conseillers. Le tiers des cinquante (50) membres de la bande doivent être des résidents avant qu’on puisse ajouter de nouveaux conseillers (c.‑à‑d. 117 membres au lieu de 101).

 

Le chef principal, le chef adjoint et tous les conseillers exercent leur charge pour le même mandat de trois (3) ans à la suite de l’élection générale qui devra avoir lieu au cours du mois de juin, à partir de juin 2008.

 

d.      L’article 5‑1(B) énumère les obligations générales des chefs et des conseillers de défendre les politiques, règlements et intérêts politiques de la PNT pour le bien de la PNT.

[traduction]

 

Article 5‑1 Chefs et conseillers :

 

Les chefs et les conseillers sont tenus de représenter les membres de la Première nation de Temagami et de défendre les politiques, lois, règlements et intérêts politiques de la PNT pour le bien des membres de la Première nation de Temagami à N’Daki Menan.

 

e.       L’article 5‑1(H) prévoit la possibilité d’accuser un chef ou un conseiller de conflit d’intérêts. Un vote de 51 % est exigé. Les parties ont reconnu que la coutume de la bande consiste à procéder à un scrutin en deux étapes conformément à l’article 5‑2(B) lorsque la proposition ne recueille pas 51 % des suffrages à la première assemblée. Les accusations de conflit d’intérêts sont déclenchées par une pétition signée personnellement par 51 % des électeurs admissibles.

[traduction]

 

Advenant le cas où le chef ou un conseiller est accusé de conflit d’intérêts ou d’avoir outrepassé ses pouvoirs, une pétition réclamant la tenue d’une assemblée de la bande et énonçant clairement les accusations doit être signée personnellement par 51 % des électeurs admissibles et être soumise au bureau du conseil de bande. Un accusé de réception sera remis à la personne qui présente la pétition avec une photocopie de l’original. Une date sera ensuite fixée pour la tenue d’une assemblée de la bande au plus tôt quatorze (14) jours francs après la soumission de la pétition au bureau du conseil de bande et au plus tard vingt et un (21) jours francs plus tard. Si le conseiller ou le chef est reconnu coupable de conflit d’intérêts, il est destitué de ses fonctions sur vote en ce sens de 51 % des membres de la bande et il conserve son poste si 51 % des membres de la bande estiment qu’il est innocent.

 

f.        L’article 5‑2(B) porte sur l’exercice du droit de vote lors des assemblées de la bande. Si la motion proposée ne recueille pas 51 % des suffrages lors du premier tour de scrutin, un second tour est alors prévu lors d’une assemblée subséquente qui aura lieu, sur préavis, à la date et à l’heure fixées. Lors du second tour, le vote se tient à la majorité simple.

[traduction]

 

B) 51 % des électeurs admissibles doivent se prononcer pour ou contre une motion avant qu’elle puisse être adoptée ou rejetée, sous réserve des exceptions prévues à l’article suivant.

 

g.       L’article 6 prévoit que le Conseil peut proposer des règlements administratifs et  l’article 6‑1 incorpore des dispositions de la Loi sur les Indiens qui ne nous intéressent pas en l’espèce.

[traduction]

 

Le Conseil peut proposer des règlements administratifs pour l’une ou l’autre ou la totalité des fins suivantes en vue de préserver et d’améliorer la qualité de vie dans la réserve de Bear Island.

 

 

h.        L’article 7 oblige le Conseil à constituer un conseil des aînés chargé de donner des conseils au sujet des traditions tribales et de rendre un jugement définitif sur les appels en matière électorale.

[traduction]

 

Article 7   Conseil des aînés

 

A)                 Est constitué un conseil des aînés chargé de conseiller le Conseil sur les traditions tribales.

 

B)                 Le conseil des aînés rend des jugements définitifs sur les appels en matière électorale.

 

 

i.         L’article 8‑2 traite du droit de vote et plus particulièrement de la liste électorale. Je reproduis les alinéas 8‑2A), B) et C) :

[traduction]

 

A)                 Le président d’élection dresse une liste électorale sur laquelle figure, par ordre alphabétique, le nom de tous les électeurs.

 

B)                 Le président d’élection affiche une ou plusieurs copies de la liste électorale dans un lieu bien en vue de la région.

 

C)                Tout électeur peut demander la révision de la liste électorale au motif que le nom d’un électeur en a été omis ou que celui d’une personne qui n’a pas le droit de vote y est inscrit.

 

 

j.        L’article 8‑3L) confère au président d’élection le pouvoir d’ajouter à la liste le nom d’un électeur admissible :

[traduction]

 

L) L’électeur dont le nom ne figure pas sur la liste électorale peut voter lors d’une élection, à condition que le président d’élection ou son adjoint soit convaincu qu’il a le droit de vote.

 

k.      Les alinéas 8‑3O) et P) prévoient que le président d’élection déclare les résultats d’une élection. En cas de partage égal des voix, le président d’élection a voix prépondérante. Suivant la preuve, la coutume de la PNT en cas d’égalité des voix est de demander au président d’élection de trancher en tirant à pile ou face.

[traduction]

 

O) Immédiatement après le dépouillement du scrutin, le président d’élection déclare publiquement élu(s) le ou les candidat(s) ayant recueilli le nombre le plus élevé de suffrages. Il affiche à un endroit bien en vue une déclaration signée de sa main indiquant le nombre de suffrages exprimés en faveur de chaque candidat.

 

P) En cas de partage égal des voix, le président d’élection a voix prépondérante. Le président d’élection n’a autrement pas le droit de vote.

 

 

l.         L’article 8‑5 porte sur les appels relatifs aux résultats de l’élection. Le président d’élection doit faire rapport au conseil des aînés. Suivant la preuve, la coutume prévoit que ce rapport se résume à tracer une ligne diagonale sur le document en cause en y ajoutant un mot comme « refusé ». Il n’y avait toutefois pas de conseil des aînés au moment de l’élection de juin 2008 ou après. Rien ne permet non plus de penser qu’il existait une coutume qui permettait de ne pas avoir de conseil des aînés.

[traduction]

 

A)   Si, dans les 30 jours suivant une élection, un candidat ou un électeur ayant voté a des motifs raisonnables de croire :

 

1.      qu’il y a eu une manœuvre corruptrice en rapport avec l’élection;

 

2.      qu’il y a eu violation de la Loi ou du présent règlement qui puisse porter atteinte au résultat de l’élection;

 

3.      qu’un électeur présenté comme candidat à l’élection était inéligible :

 

il peut interjeter appel en faisant parvenir au président d’élection, par courrier recommandé, les détails de ces motifs au moyen d’un affidavit en bonne et due forme.

 

B)      Dans les sept jours qui suivent la réception du document introductif d’appel, le président d’élection en fait parvenir une copie, par courrier recommandé, avec toutes les pièces à l’appui aux aînés et à chacun des candidats de la section électorale visée.

 

C)      Dans les quatorze  jours qui suivent la réception de la copie du document introductif d’appel, tout candidat peut transmettre au président d’élection, par courrier recommandé, une réponse par écrit aux détails spécifiés dans le document introductif d’appel, accompagnée de toutes les pièces s’y rapportant dûment certifiées sous serment.

 

D)      L’ensemble des détails et des documents déposés conformément au présent article constituent le dossier.

 

E)      1) Si les documents déposés sont insuffisants pour décider de la validité de l’élection faisant l’objet de la plainte, le président d’élection peut mener une enquête aussi approfondie qu’il le juge nécessaire et de la manière qu’il juge convenable.

 

          2) Cette enquête peut être tenue par le président d’élection ou par toute personne qu’il désigne à cette fin.

 

          3) Lorsque le président d’élection désigne une personne pour tenir une telle enquête, cette personne doit présenter un rapport détaillé de l’enquête à l’examen du président d’élection.

 

F)            Le président d’élection fait rapport au conseil des aînés s’il est d’avis, selon le cas :

 

1)        qu’il y a eu une manœuvre corruptrice en rapport avec l’élection;

 

2)        qu’il y a eu violation de la Constitution ou du présent règlement qui puisse porter atteinte au résultat de l’élection;

 

3)        qu’un électeur présenté comme candidat à l’élection était inéligible.

 

EXAMEN DES FAITS PERTINENTS

            a) Destitution des chefs dans le passé

[21]           Avant les faits qui nous intéressent en l’espèce, il y a eu deux situations dans lesquelles des chefs de la PNT ont quitté leur poste avant la fin de leur mandat. La première remonte à 1993, année où le chef principal Joseph Katt et un conseiller ont été destitués. Suivant le témoignage de Virginia Paul, qui n’a pas été contredite sur ce point, on avait fait circuler une pétition dans laquelle on accusait le chef et le conseiller d’inconduite. On avait tenu une assemblée communautaire au cours de laquelle le chef et le conseiller étaient présents et avaient eu l’occasion de se défendre. Un vote avait eu lieu. Le conseiller avait démissionné de son plein gré. Le vote était en faveur de la destitution du chef. Le Conseil a présenté une motion en ce sens et le chef a été destitué.

 

[22]           En 2002, suivant le témoignage de Virginia Paul, chef principal de l’époque, Raymond Katt, avait été accusé d’excès de pouvoir. On avait fait circuler une pétition et on avait convoqué une assemblée communautaire à laquelle Raymond Katt était présent et avait répondu aux accusations portées contre lui. Une motion réclamant sa destitution avait été proposée et adoptée, mais il avait fallu tenir un second vote. Suivant l’affidavit d’Arnold Paul, le chef Katt avait tenté sans succès de faire annuler la seconde assemblée. Lors de la seconde assemblée, les résultats du vote de destitution de Katt ont été ratifiés.

 

[23]           Je déduis de ces éléments de preuve que la coutume, au sein de la PNT, consiste à déclencher le processus de destitution au moyen d’une pétition, et de tenir ensuite une assemblée communautaire à laquelle les personnes accusées d’inconduite sont censées être présentes pour expliquer leurs agissements. Un vote s’effectue. Si moins de 51 % des électeurs admissibles ne se prononcent pas en faveur de la motion, on tient un second vote au cours d’une assemblée subséquente. Si la destitution est approuvée lors du second vote, le Conseil est alors censé tenir une assemblée pour adopter une motion approuvant la destitution de la personne visée.

 

b) L’élection du 12 juin 2008

[24]           Avant le 12 juin 2008, la Constitution prévoyait des mandats de trois ans étalés dans le temps pour les chefs et les conseillers de la PNT. L’élection du 12 juin était la première où les chefs et les conseillers devaient être élus au même moment pour des mandats de trois ans.

 

[25]           La procédure suivie avant le déclenchement de l’élection n’est pas contestée. Il importe toutefois de signaler qu’aucun conseil des aînés n’avait encore été mis sur pied. Il n’y avait pas conseil des aînés depuis 2006. La raison de cette omission n’a pas été expliquée dans les éléments de preuve versés au dossier. Suivant la preuve, en 2006, il existait un conseil des aînés qui s’occupait des appels relatifs aux élections, ce qui faisait effectivement partie de ses fonctions.

 

[26]           Une élection s’est tenue le 12 juin 2008 pour pourvoir aux postes de chefs et de conseillers. Au départ, le nombre d’électeurs admissibles aurait été de 187. On a ajouté deux autres personnes, pour un total de 189. Trois autres personnes ont demandé que leur nom soit ajouté à la liste électorale, mais la présidente d’élection a refusé leur demande. Les électeurs ont voté, on a procédé au dépouillement du scrutin, puis à un nouveau dépouillement. Les deux candidats au poste de chef, Alexander Paul et Gary Potts, ont recueilli le même nombre de voix, en l’occurrence 51. Suivant ce qui semblait être la coutume, la présidente d’élection a tiré à pile ou face. Le sort a favorisé Potts. La présidente d’élection a par conséquent voté pour Potts au poste de chef.

 

[27]           À la suite de l’annonce des résultats, certains des membres de la PNT ont interjeté appel au motif que certaines des personnes qui avaient voté n’avaient pas le droit de vote alors que d’autres, qui n’avaient pas voté, avaient le droit de vote. Comme les deux candidats au poste de chef avaient recueilli le même nombre de voix, il était évident qu’un seul vote était susceptible d’avoir des conséquences considérables sur le choix du chef.

 

[28]           C’est ici que je ne suis pas d’accord avec ce qu’a fait la présidente d’élection, Virginia Paul. Au paragraphe 38 de l’affidavit qu’elle a souscrit le 5 novembre 2008, elle énumère trois motifs justifiant selon elle de faire droit à un appel :

[traduction]

 

38. L’alinéa 8‑5F), à la partie F de la Constitution de la Tribu, prévoit que le président d’élection fait rapport au conseil des aînés s’il est d’avis, selon le cas : (1) qu’il y a eu une manœuvre corruptrice en rapport avec l’élection, (2) qu’il y a eu violation de la Constitution de la Tribu qui puisse porter atteinte au résultat de l’élection, (3) qu’un électeur présenté comme candidat à l’élection était inéligible. Je n’ai constaté l’existence en l’espèce d’aucun de ces motifs, d’où le rejet des appels.

 

 

[29]           C’est là que la présidente d’élection a fait fausse route. Il ne lui appartenait pas de rejeter l’appel : c’est au conseil des aînés qu’il revenait de le faire. Ce que la présidente d’élection est appelée à décider, en ce qui concerne le point (2), c’est de déterminer s’il y a eu violation de la Constitution qui a pu porter atteinte au résultat de l’élection. Si c’est ce qui est allégué, elle doit déférer la question au conseil des aînés pour qu’il juge la question sur le fond. La présidente d’élection ne peut se contenter de rejeter l’allégation.

 

[30]           Or, si l’on en croit ce qu’elle explique au paragraphe 39 de son affidavit, la présidente d’élection s’est contentée de tracer une ligne diagonale sur la lettre d’appel en y apposant la mention « rejetée », puis de retourner la lettre à l’expéditeur. Cette façon de faire était incorrecte. Si l’allégation était susceptible d’avoir une incidence sur l’issue du scrutin ─ et, dans le cas qui nous occupe, un seul vote aurait pu tout changer ─ c’était alors au conseil des aînés de se prononcer sur le fond de l’allégation.

 

[31]           L’élection du 12 juin 2008 était entachée d’irrégularités depuis le début, parce qu’il n’existait pas de conseil des aînés pour statuer sur les appels. Même après la tenue de l’élection, aucun conseil des aînés n’a été créé pour trancher les appels. La présidente d’élection n’a pas le pouvoir de se prononcer sur des allégations portant sur des irrégularités du scrutin. Son travail consiste à décider si les présumées irrégularités « auraient pu » influencer les résultats de l’élection. C’est au conseil des aînés qu’il appartient de se prononcer sur l’existence de ces irrégularités, en l’occurrence celles relatives au droit de vote de certains électeurs.

 

[32]           Je conclus donc que les résultats de l’élection du 12 juin 2008 sont nuls. Un nouveau scrutin doit avoir lieu et un conseil des aînés doit être constitué avant sa tenue.

 

c) Résolutions de juillet / août 2008

[33]           À la fin de juillet, plusieurs membres de la bande de la PNT ont fait circuler et signer une pétition réclamant la tenue d’une assemblée le 2 août 2008 pour voter sur la résolution suivante :

[traduction]

 

Résolution : « Décision et directives communautaires de la PNT »

 

Attendu que les membres de la Première nation de Temagami n’acceptent pas les résultats de l’élection du 12 juin 2008 pour les postes de chef et de chef adjoint en raison du rejet des appels légitimes des résultats de cette élection sans examen juste et approprié.

 

Attendu que l’élection de tous les conseillers lors du scrutin du 12 juin 2008 est considérée légitime au motif qu’ils ont tous remporté leur élection avec une confortable avance et que les appels ne portaient pas sur cette question.

 

Il est par conséquent résolu que les postes de chef et de chef adjoint sont vacants à partir de la date des présentes et qu’un nouveau scrutin visant à pourvoir à ces postes se tiendra le samedi 30 août 2008, entre 9 h et 20 h, au bureau de scrutin de Bear Island.

 

 

[34]           Le groupe Potts a répondu par une lettre ouverte datée du 29 juillet 2008 :

[traduction]

 

La lettre et la pétition de John Turner, James Saville, Alex Paul et John McKenzie, reçues au bureau du conseil de bande le 29 juillet 2008, sont jointes à la présente.

 

Renvoi 1 : à la troisième phrase dont voici un extrait : « […] la résolution relative à la pétition en conformité avec notre Constitution ».

 

Renvoi 2 : au premier paragraphe, troisième ligne, de la pétition : Résolution : « Décision et directives communautaires de la PTN »

 

« [...] rejet des appels légitimes des résultats de cette élection sans examen juste et approprié. ».

 

Réponse au renvoi 1 : Notre Constitution ne parle de pétitions qu’à son article 5 portant sur les attributions du chef et des conseillers.

 

Conclusion : Cette pétition n’est pas conforme à notre Constitution.

 

Réponse au renvoi 2 : Dans notre Constitution, les présidentes d’élection depuis le 26 septembre 1978, à savoir Laura McKenzie, Linda George Mathias et notre présidente d’élection actuelle, Virginia Paul, sont les seules personnes qui ont le pouvoir d’accueillir ou de rejeter un appel. Aucun conseil ou individu membre de la bande ne peut supplanter la compétence que notre Constitution confère au président d’élection.

 

La résolution relative à la pétition intitulée « Décision et directives communautaires de la PTN » n’est pas conforme à notre Constitution.

 

La lettre et la pétition reçues le 29 juillet 2008 sont versées au dossier.

 

[35]           La confusion qui a été créée découle directement du fait qu’aucun conseil des aînés n’existait pour statuer sur les appels des résultats de l’élection. Dans sa réponse à la lettre précitée, le groupe Potts a tort d’affirmer que c’est au président d’élection qu’il appartient de trancher les appels relatifs aux résultats des élections. Ce n’est pas le cas. La pétition est toutefois erronée en ce qu’elle cherche à faire annuler l’élection en déclarant vacants les postes en question et en demandant qu’un vote soit tenu pour les combler lors d’une assemblée communautaire. Il aurait fallu désigner un conseil des aînés, même à une date aussi tardive, pour faire trancher la question du droit de vote des électeurs. Si le conseil des aînés décide que même quelques personnes qui ont voté n’avaient pas le droit de vote ou encore que quelques‑unes ont refusé d’exercer leur droit de vote, l’élection de Potts comme chef aurait dû être annulée.

 

[36]           L’assemblée qui a finalement eu lieu pour voter sur la pétition était irrégulière : elle n’était fondée ni sur la Constitution ni sur la coutume. Par conséquent, la soi‑disant seconde élection au cours de laquelle les membres du groupe Ayotte ont été élus comme chef et conseiller était invalide.

 

[37]           Lors de l’assemblée du 2 août 2008, les membres présents ont voté sur une seconde résolution qui aurait eu pour effet de lever la plupart des restrictions relatives au droit de vote, notamment en ce qui concerne le lieu de résidence. Suivant la preuve, le nombre d’électeurs admissibles serait ainsi passé de moins de 200 à plus de 670. Une seconde assemblée a eu lieu le 17 août 2008 : la résolution no 1, réclamant une nouvelle élection pour tous les postes du Conseil du groupe Potts, et la résolution no 2, visant à faire augmenter le nombre d’électeurs admissibles, ont toutes les deux été adoptées.

 

[38]           J’ai déjà parlé de la résolution no 1 : elle était irrégulière. La résolution no 2 modifierait la Constitution en profondeur en modifiant les critères relatifs au droit de vote et en triplant le nombre d’électeurs admissibles. J’accepte le témoignage de Virginia Paul, qui déclare, au paragraphe 46 de son affidavit du 5 novembre 2008, que toutes les modifications apportées à la Constitution dans le passé avaient été adoptées lors d’assemblées communautaires convoquées par les chefs et les conseillers à cette fin. À l’époque de la présente résolution, les membres du groupe Potts occupaient visiblement les postes de chefs et de conseillers, et ce, même si j’estime que leur élection était invalide, et que, sur réception de la pétition, ils auraient dû convoquer une assemblée et s’y présenter. Ils n’auraient pas dû refuser de participer à cette assemblée. Il était de leur devoir de convoquer une assemblée sur la seconde résolution, voire même sur la première, et d’en permettre la tenue. Même si leur élection était invalide, ils étaient tenus, par nécessité, de respecter la pétition et d’aider la collectivité à traverser ce qui constituait de toute évidence une crise.

 

d) L’élection des membres du groupe Ayotte

[39]           En septembre 2008, une élection aurait été tenue. Les membres du groupe Ayotte ont été élus aux postes de chefs et de conseillers. Encore une fois, il n’y avait aucun conseil des aînés.

 

[40]           Je crois comprendre, d’après ce que l’avocat du groupe Ayotte a dit à la Cour, que les membres de ce groupe ne prétendent plus être les chefs et conseillers, sous réserve du déclenchement d’une nouvelle élection. Comme j’estime que la tenue d’une nouvelle élection est la solution qui convient le mieux, il n’est pas nécessaire que je m’attarde davantage sur cette question.

 

e) Les résolutions de février /mars 2009

[41]           En février 2009, les personnes qui militaient dans l’ensemble pour le groupe Ayotte ont fait circuler une pétition parmi les membres de la bande de la PNT. Les auteurs de la pétition alléguaient essentiellement que le groupe Potts s’était placé en situation de conflit d’intérêts en introduisant l’action T‑1587‑98 devant la Cour fédérale et en demandant la convocation d’une assemblée de la bande pour se prononcer sur l’allégation. On trouve en particulier l’extrait suivant dans la pétition :

[traduction]

 

Attendu que le chef Garry Potts, le chef adjoint Peter McKenzie et les conseillers Annette Polson, Sherwood Becker fils et Thomas Friday se sont placés dans une situation de conflit d’intérêts en intervenant dans des décisions et en prenant des mesures engageant la Première nation de Temagami dans une action introduite devant la Cour fédérale en octobre 2008. Attendu qu’en introduisant leur action devant la Cour fédérale, ils cherchent uniquement à protéger leurs propres intérêts en continuant à occuper leurs postes de chefs et de conseillers, ce qui entre directement en conflit avec les résolutions réclamant la tenue d’une nouvelle élection générale qui ont été présentées lors de l’assemblée communautaire du 20 septembre 2008 et qui ont été adoptées lors du vote final du 11 octobre 2008;

 

Et attendu que le chef Garry Potts, le chef adjoint Peter McKenzie et les conseillers Annette Polson, Sherwood Becker fils et Thomas Friday ont outrepassé leurs pouvoirs en déposant une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale en octobre 2008 et en désignant certains membres de la collectivité comme défendeurs à l’action sans avoir d’abord obtenu l’appui de la collectivité au moyen d’un vote tenu lors d’une assemblée communautaire, ce qui va à l’encontre de l’alinéa 5‑1i) de la Constitution de la Tribu, et/ou est contraire à l’esprit et à l’économie de ce même alinéa. La Constitution de la Tribu ne confère pas aux chefs et aux conseillers le pouvoir d’abolir les décisions communautaires et ne leur permet pas de se faire la voix politique des membres de la collectivité par le biais d’institutions coloniales.

 

En conséquence, les soussignés appuient la présente pétition et réclament la tenue d’une assemblée de la bande avec préavis suffisant conformément à la Constitution de la Première nation de Temagami pour permettre aux membres de la bande de voter et de se prononcer sur les accusations portées contre le chef Gary Potts, le chef adjoint Peter McKenzie et les conseillers Annette Polson, Sherwood Becker fils et Thomas Friday.

 

[42]           Un vif débat a été engagé au sujet de la question de savoir qui avait le droit de signer une telle pétition, si l’on avait employé la bonne formule de pétition pour les signatures et si les signatures électroniques ou télécopiées pouvaient être considérées comme acceptables. Une autre complication est survenue du fait que quelques‑unes des personnes qui faisaient partie du groupe Ayotte avaient signé la pétition en y ajoutant la mention qu’elles le faisaient sous toutes réserves. Une complication supplémentaire s’est également présentée en raison du fait que quelques autres personnes avaient signé une pétition dont le libellé était différent et dans laquelle elles formulaient un autre grief contre le groupe Potts.

 

[43]           À l’audience que j’ai présidée en mai, les avocats de chacune des parties ont passé en revue les questions des personnes ayant le droit de vote, de l’acceptation des signatures électroniques ou télécopiées et de la différence de libellé des pétitions. Je ne tiendrai pas compte de la pétition dont le libellé était différent et dans laquelle on trouvait d’autres griefs adressés au groupe Potts puisque seulement trois personnes semblent avoir signé cette pétition et que leur nombre ne change rien aux calculs. Si l’on retient le reste et que l’on accepte les calculs proposés par le groupe Ayotte, le nombre de signataires de la pétition dépasse le minimum de 51 %  exigé. Si l’on retient plutôt la thèse du groupe Potts, le chiffre que l’on obtient est inférieur de peu au minimum exigé.

 

[44]           Pour déterminer si la pétition a recueilli le nombre minimal de signatures requis, la consultation de la Constitution s’avère utile, en particulier les dispositions liminaires des alinéas 2J) et 2K) :

[traduction]

 

Il est nécessaire de moderniser et de clarifier les lignes directrices et les orientations de la Première nation de Temagami à la lumière de la coutume tribale. Le principe fondamental est le suivant : les représentants politiques élus doivent servir les intérêts des la majorité des membres de la bande.

[…]

J) Il y a lieu de signaler que l’existence d’un petit nombre d’électeurs n’ayant pas le droit de vote n’entraîne pas l’annulation d’une élection, à moins que le nombre d’électeurs n’ayant pas le droit de vote soit suffisamment élevé pour avoir eu une incidence sur les résultats. Par exemple, si un conseiller a été élu par dix (10) voix de majorité sur son adversaire le plus proche, le fait qu’il existe jusqu’à neuf (9) personnes n’ayant pas le droit de vote qui auraient voté n’aurait aucune incidence sur l’issue du scrutin et l’élection serait confirmée mais, si au moins dix (10) personnes n’ayant pas le droit de vote ont voté, l’élection du conseiller sera annulée, ce qui n’aura pas nécessairement d’incidence sur l’élection de tout autre conseiller ou du chef au cours de la même élection.

 

K) Sous réserve des autres dispositions du présent article, la question de savoir où une personne déterminée se trouve ou réside à un moment donné ou durant une période déterminée est tranchée à la lumière de l’ensemble des faits.

 

 

[45]           Les tribunaux ont adopté un point de vue analogue. Ils critiquent ceux qui rejettent des pétitions et des documents semblables en se fondant sur des subtilités portant sur de présumées irrégularités. Cette attitude est erronée. Je cite le juge Russell, qui écrit ce qui suit dans la décision récente Première nation Nekaneet c. Oakes, 10 février 2009, 2009 CF 134, aux paragraphes 76 et 77 :

76         Comme le soulignent les demandeurs, il n’est pas toujours nécessaire d’interpréter strictement les dispositions d’un code électoral et le manquement à ces dispositions n’invalide pas nécessairement le processus électoral (Brian A. Crane, Robert Mainville et Martin W. Mason, First Nations Governance Law, Markham, Ontario, LexisNexis Butterworths, 2006, à la page 200). Par conséquent, si par exemple le comité de gouvernance de Nekaneet n’a pas strictement respecté son mandat, cela n’invalide pas nécessairement le référendum.

 

77      En général, un vote sera invalidé à la suite d’irrégularités seulement si ces irrégularités auraient influencé de façon appréciable les résultats. Un résumé de ce principe se trouve au paragraphe 20 de la décision Ta’an Kwäch’än Conseil (Re [2006] Y.J. No. 139, 2006 YKSC 62 :

 

[traduction]

 

20     Le principe général de common law veut que la volonté du peuple exprimée lors d’une élection ne soit pas annulée à moins que les irrégularités ou le manquement à la loi ou aux pratiques électorales soient tels que le résultat en aurait été touché de façon appréciable. De toute évidence, une irrégularité touche le processus électoral d’une certaine manière. À moins qu’elle ne touche de façon appréciable la validité des résultats de l’élection, les tribunaux n’annuleront pas la décision des électeurs.

 

 

[46]           Il convient de tenir compte, de façon générale, du fait qu’un pourcentage appréciable de la bande de la PNT a exprimé des réserves au sujet du groupe Potts et qu’il souhaite tenir une assemblée pour en discuter et, au besoin, pour voter sur la question. Il aurait fallu aborder de façon équitable et généreuse la question de l’admissibilité des personnes ayant le droit de signer la pétition. Les signatures électroniques et télécopiées auraient dû être acceptées. Les pétitions portant la mention « sous toutes réserves » auraient dû être acceptées. Il ne s’agissait pas d’un vote, mais d’une demande visant à obtenir la tenue d’une assemblée.

 

[47]           Je conclus que c’est à tort que le groupe Potts a rejeté la pétition et refusé de tenir une assemblée.

 

[48]           Il s’avère qu’une assemblée a de toute façon eu lieu. Il semble qu’un grand nombre des partisans du groupe Ayotte se sont présentés. Quant aux partisans du groupe Potts, ils ont boycotté l’assemblée, tout comme les membres du groupe Potts. Le groupe Potts justifie son boycottage par le fait que l’assemblée était à son avis illégale. Leur avocat cite les propos suivants du juge MacKay dans le jugement Linklater c. Nation crie Peter Ballantyne, [2001] 1 C.N.L.R. 156, au paragraphe 26 :

26     Traitant cette question comme une question générale, sans faire référence aux faits précis de l’espèce et sans me prononcer sur la question de savoir si la coutume a ou non été suivie par ceux qui ont organisé l’élection partielle, je réponds à cette question par l’affirmative. À mon avis, elle mérite une réponse puisque la question soulevée est fondamentale au régime légal en vertu duquel la nation crie Peter Ballantyne ou toute autre nation est gouvernée. Selon moi, il ne fait aucun doute que le chef et le conseil de la nation peuvent ignorer les résultats d’une élection partielle locale qui ne suit pas la « coutume » applicable à cette élection. En agissant ainsi, le chef et le conseil exercent leurs responsabilités de maintenir la loi, c’est‑à‑dire la coutume, de la nation là où elle est applicable. S’ils interprètent la coutume d’une façon erronée, ils pourront être tenus d’en rendre compte, mais ils ne peuvent se soustraire à leurs responsabilités.

 

[49]           Comme je l’ai déjà dit, le groupe Potts a eu tort de ne pas donner suite à la pétition. Les chefs et les conseillers étaient libres d’assister ou non à l’assemblée. Il aurait préférable qu’ils y assistent. Il était nécessaire de discuter des questions soulevées et non de n’y accorder aucune considération. Ainsi que le juge MacKay l’a expliqué, ils ne pouvaient se soustraire à leurs responsabilités et s’ils ont eu tort, ce qui est effectivement le cas, ils pourront être tenus de rendre des comptes.

 

[50]           Une première assemblée a eu lieu le 17 mars 2009. En tout, 117 bulletins de vote ont été déposés relativement aux trois résolutions. Voici les résultats qui ont été consignés :

Résolution no 1 : [traduction] Il est donc résolu que la Première nation de Temagami déclare que le chef Gary Potts, le chef adjoint Peter McKenzie et les conseillers Annette Polson, Sherwood Becker fils et Thomas Friday sont en conflit d’intérêts et qu’ils soient destitués de leurs fonctions conformément à l’article 5‑1 de la Constitution de la Première nation de Temagami.

 

La résolution no 1 a été adoptée avec 115 voix pour, aucune voix contre, une abstention et un bulletin annulé.

 

Résolution no 2 : [traduction] Il est donc résolu que la Première nation de Temagami retire tout pouvoir administratif et exécutif, y compris le pouvoir de signature, à Gary Potts, Peter McKenzie, Annette Polson, Sherwood Becker fils et Thomas Friday.

 

La résolution no 2 a été adoptée avec 116 votes pour, aucune voix contre et une abstention.

 

Résolution no 3 : [traduction] Il est donc résolu que la Première nation de Temagami enjoigne au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien de reconnaître sans délai la chef Roxane Ayotte, le chef adjoint John McKenzie et les conseillers Steve Larond, Marty Pridham, Arnold Paul et Jamie Saville en tant que représentants dûment élus investis des pouvoirs administratifs et exécutifs relativement à la Première nation de Temagami.

 

Et que la Première nation de Temagami enjoigne à la chef Roxane  Ayotte, au chef adjoint John McKenzie et aux conseillers Steve Laronde, Marty Pridham, Arnold Paul et Jamie Saville de prendre les mesures nécessaires pour informer tous les membres du personnel, les fonctionnaires du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, la Banque de Nouvelle‑Écosse, les banques, les fonctionnaires du gouvernement ontarien, les chefs de toutes les Première nations de l’Ontario que Gary Potts, Peter McKenzie, Annette Polson, Sherwood Becker fils et Thomas Friday ne représentent pas la Première nation de Temagami et qu’ils n’ont pas le pouvoir d’autoriser de paiement susceptible d’engager juridiquement la Première nation de Temagami.

 

La résolution no 3 a été adoptée avec 115 voix pour, aucune voix contre et deux abstentions.

 

 

[51]           Il a été jugé que, malgré le fait qu’une majorité écrasante des membres avaient voté en faveur des résolutions lors de l’assemblée, le chiffre de 51 % des électeurs admissibles n’était pas atteint et qu’il fallait tenir une seconde assemblée et un second vote.

 

[52]           L’alinéa 5.2‑B) de la Constitution de la PNT exige l’envoi d’un avis avant la tenue d’une seconde assemblée, mais il ne précise pas la forme que cet avis doit revêtir. En l’espèce, il est évident qu’à tout le moins, les 117 personnes présentes lors de la première assemblée auraient été avisées de la tenue de la seconde assemblée. Suivant la preuve, et en particulier le témoignage de John Turner, cet avis a été donné de diverses façons, y compris en utilisant Postes Canada, en le communiquant en personne, par courriel ainsi que par d’autres moyens. Il n’y a aucun élément de preuve au sujet de l’existence d’une coutume que la bande aurait suivie au sujet de la façon de donner un avis. L’avocat du groupe Potts soutient que l’avis envoyé par Postes Canada était insuffisant compte tenu du temps requis pour trier le courrier et pour le livrer. Personne n’a toutefois soumis d’éléments de preuve tendant à démontrer que l’avis avait été reçu trop tard ou qu’il n’avait jamais été reçu. Vu l’ensemble de la preuve, je conclus que l’avis relatif à la seconde assemblée était suffisant.

 

[53]           Lors de la seconde assemblée, qui a eu lieu le 29 mars 2009, on a pris acte des trois résolutions et chacune a recueilli 79 voix favorables, aucune voix défavorable et aucune abstention. On ne sait pas avec certitude si, parmi ceux qui ont voté, il se trouvait des électeurs considérés admissibles selon des critères plus larges ou plus étroits. Si l’on tient compte du fait qu’une résolution antérieure adoptée par le groupe Ayotte aurait pu faire passer le nombre d’électeurs admissibles de juste un moins de 200 à environ 675 ou plus, il est impossible, vu l’ensemble de la preuve dont nous disposons, de savoir de quel groupe provenaient les 79 électeurs qui ont participé à la seconde assemblée. Compte tenu du manque d’éléments de preuve sur ce point, je conclus que les résolutions adoptées lors de la seconde assemblée ne peuvent être considérées comme valides.

 

[54]           Le groupe Potts a exprimé une autre réserve au sujet des résolutions. Il fait valoir qu’il ne peut y avoir de conflit d’intérêts, contrairement à ce qui est allégué, pour la simple raison que les chefs et les conseillers ont décidé de soumettre aux tribunaux une question qui était controversée. Je suis du même avis. On ne devrait pas entraver le libre accès à la justice en raison de présumés conflits d’intérêts.

 

[55]           Le groupe Ayotte affirme toutefois que le groupe Potts a financé la demande soumise à la Cour avec les fonds de la bande de la PNT et qu’elle aurait dû chercher à obtenir l’approbation générale de la bande avant de le faire. Elle soutient que, comme c’était la position personnelle des membres du groupe Potts en tant que conseillers de la bande qui était contestée, ils auraient dû payer personnellement les frais en question. Voilà, selon le groupe Ayotte, où se situe le conflit.

 

[56]           S’il s’agit du véritable conflit en cause, force est de reconnaître qu’il n’a pas été clairement formulé dans la pétition. La pétition parle du fait que des instances ont été introduites devant la Cour et non de la façon dont elles devaient être financées. Je conviens qu’il s’agit peut‑être là d’une subtilité, mais elle n’est pas négligeable. La question aurait pu être débattue plus à fond lors de l’assemblée de la bande en présence du groupe Potts.

 

[57]           L’alinéa 5‑1H) de la Constitution de la PNT précise que la pétition doit :

[traduction]

 

« […] énon[cer] clairement les accusations »

 

 

[58]           Il y a au moins deux raisons pour lesquelles il est important de le faire. En premier lieu, la récusation d’un chef ou d’un conseiller est une chose sérieuse. Ils devraient pouvoir savoir clairement et sans équivoque ce qu’on leur reproche. En second lieu, ceux qui participent à l’assemblée devraient savoir clairement ce qui doit être débattu.

 

[59]           Je conclus par conséquent que les trois résolutions en question ne peuvent être considérées comme valides, premièrement parce que la pétition n’énonce pas clairement les actes reprochés et, en second lieu, parce que la preuve ne précise pas qui a voté lors de la seconde assemblée.

 

CONCLUSIONS ET DÉPENS

[60]           En ce qui concerne les questions en litige, j’ai conclu, pour résumer :

1.            L’élection du 12 juin 2008 au cours de laquelle les membres du groupe Potts ont été élus chefs et conseillers est invalide;

2.            Les résolutions proposées par le groupe Ayotte en vue de faire déclarer invalide l’élection du 12 juin 2008 et de faire augmenter le nombre d’électeurs admissibles sont invalides.

 

[61]           Il nous reste donc à examiner la troisième question, celle des réparations à accorder.

 

[62]           L’alinéa 18(1)a) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, confère à la Cour le pouvoir de prononcer un jugement déclaratoire de la nature d’un bref de quo warranto. Le paragraphe 18.1(3) de la même Loi permet à la Cour de déclarer une affaire nulle et de la renvoyer pour qu’il soit statué à nouveau sur l’affaire conformément aux instructions qu’elle estime appropriées. Je constate que, dans la décision Sparvier c. Bande indienne Cowessess no 73 [1993] 3 C.F. 142, le juge Rothstein, alors juge à la Section de première instance, répugnait à rendre un jugement définitif sans avoir donné aux parties et à leurs avocats suffisamment de temps pour se consulter et pour formuler les recommandations appropriées. Cela ne devrait pas dissuader la Cour de rendre au besoin une ordonnance réparatrice ainsi que le juge Phelan l’affirme dans la décision Jackson c. Nation Piikani, 1er février 2008, 2008 CF 130, au paragraphe 37 :

37     La Cour a la compétence pour choisir la réparation appropriée. Elle ne devrait pas procéder à une « interprétation large » d’un libellé lorsque la bande peut traiter de ses intentions véritables plus directement. Cependant, je vais rendre une ordonnance réparatrice afin de refléter la preuve relative à l’intention et d’empêcher qu’il y ait confusion à l’avenir.

 

[63]           Il est important d’assurer dans l’intervalle une certaine continuité, de sorte qu’à titre uniquement de conseil de transition, le conseil actuel formé par les membres du groupe Potts (y compris McKenzie et Marquette) devrait être maintenu en poste, mais seulement pour une brève période, soit jusqu’à la tenue d’une nouvelle élection. Ce conseil ne devra prendre aucune décision importante jusqu’à la tenue d’une nouvelle élection.

 

[64]           Je demande donc aux avocats de consulter leurs clients et à fournir par écrit, d’ici 30 jours, leurs recommandations écrites sur le jugement qu’il convient de rendre en l’espèce, ainsi qu’un projet de jugement prévoyant les mesures suivantes :

1.      Constituer sans délai un conseil des aînés;

2.      Tenir une nouvelle élection pour combler les postes de chef, chef adjoint et conseillers de la Première nation de Temagami dans les quelques jours suivant la constitution du conseil des aînés;

3.      Annuler les résultats de l’élection du 12 juin 2008;

4.      Annuler toutes les résolutions du groupe Ayotte;

5.      Maintenir en poste, dans l’intervalle, les membres du groupe Potts et les chefs et conseillers (y compris MM. Marquette et McKenzie qui ont été élus lors de l’élection partielle) en tant que conseil de transition uniquement jusqu’à ce que les résultats finaux de la nouvelle élection soient connus.

 

[65]           Chacune des parties doit, dans chaque demande, supporter ses propres dépens. Il n’y a donc pas d’adjudication de dépens relativement aux demandes en question. La PNT devrait toutefois fournir des fonds pour indemniser le groupe Ayotte à la hauteur du financement dont le groupe Potts a bénéficié.

 

[66]           Le prononcé du jugement sera reporté jusqu’à ce que les avocats aient soumis leurs observations par écrit.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                                  T‑1587‑08, T‑610‑09 et T‑660‑09

 

INTITULÉ :                                                   PREMIÈRE NATION DE TEMAGAMI et autres c. JOHN TURNER et autres

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           le 27 avril et le 13 mai 2009     

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        le juge Hughes

 

DATE DES MOTIFS :                                  le 27 mai 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Mme Maureen Ball

Mme Andrea Risk

POUR LES DEMANDEURS dans les dossiers T‑1587‑08 et T‑660‑09

POUR LES DÉFENDEURS
dans le dossier T‑610‑09

PREMIÈRE NATION DE TEMAGAMI

 

M. Clifford Lax

Mme Amy Salyzyn

M. Patrick Nadjiwan

POUR LES DÉFENDEURS
dans les dossiers T‑1587‑08 et T‑660‑09

POUR LES DEMANDEURS

dans le dossier T‑610‑09

JOHN TURNER et autres

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cunningham, Swan, Carty, Little & Bonham s.r.l.

Avocats

City Place II, bureau 201

1473, boulevard John Counter

Kingston (Ontario)  K7M 8Z6

613‑542‑9814

 

POUR LA DEMANDERESSE

PREMIÈRE NATION DE TEMAGAMI

 

 

 

 

Nadjiwan Law Office

Avocats

915, chemin Jocko Point

Première nation Nipissing, RR no 4

North Bay (Ontario)  P1B 8G5

705‑753‑9795

POUR LE DÉFENDEUR

JOHN TURNER et autres

 

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