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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court


Date : 20090528

Dossier : T-1514-06

Référence : 2009 CF 558

Ottawa (Ontario), le 28 mai 2009

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

HARRY WAWATIE, TOBY DECOURSAY,

JEANNINE MATCHEWAN ET LOUISA PAPATIE,

EN LEUR QUALITÉ DE MEMBRES DU

CONSEIL DES ANCIENS DES MITCHIKANIBIKOK INIK

(également appelés les ALGONQUINS DU LAC BARRIÈRE)

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES

ET DU NORD CANADIEN

défendeur

 

et

 

 

LE CONSEIL DES ANCIENS DES MITCHIKANIBIKOK INIK

(ALGONQUINS DU LAC BARRIÈRE)

SOUS LE CHEF DU CONSEIL, CASEY RATT

intervenant

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE DE DÉPENS

 

[1]               La demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre d’imposer l’intervention d’un séquestre‑administrateur aux Algonquins de Lac Barrière a été rejetée. Mes motifs publiés sous la référence 2009 CF 374. Il a été convenu, au cours de l’audience, que les parties préféreraient aborder la question des dépens après que le jugement soit rendu. Plus précisément, les demandeurs sollicitaient que les dépens leurs soient accordés à l’encontre du ministre sur la base avocat-client. L’intervenant sollicitait aussi les dépens, mais je ne suis pas saisi de cette question.  

 

[2]               Le ministre sollicite maintenant par requête une ordonnance enjoignant aux demandeurs à verser solidairement la somme globale de 35 187,39 $. La requête était accompagnée d’un projet de mémoire des frais calculés selon la colonne III du tarif B, qui est l’échelon ordinaire. Il est manifeste que le projet de mémoire ne tenait pas compte de tous les déboursés pertinents, particulièrement des frais de déplacements aériens. Je suis convaincu que, si le mémoire des frais était taxé, il le serait pour au moins 35 000 $, et probablement plus. Cependant, puisque toute taxation pourrait bien être symbolique, le ministre a accepté de se contenter d’une somme globale de 30 000$. Je rends une ordonnance en ce sens.

 

[3]               La présente requête soulève deux questions : le droit aux dépens et le montant de ceux-ci. Les demandeurs avaient peu à dire au sujet du montant, même s’ils ont exprimé une certaine préoccupation que les débours étaient proportionnellement élevés comparativement aux frais. Cependant, la réduction de la somme à 30 000$ répondait de manière plus qu’adéquate à cette préoccupation. Les oppositions à la taxation étaient plutôt fondées sur des questions de principe. Les demandeurs prétendent qu’ils ne devraient pas avoir à payer de frais, parce que 

 

a.       le ministre a renoncé aux frais;

b.      la demande était d’intérêt public, et même si elle a échoué en première instance, elle a engagé l’honneur de la Cour dans de nouveaux domaines du droit;

c.       les demandeurs sont impécunieux, et une adjudication des frais leur serait indûment punitive;

d.      si, malgré tout, une ordonnance devait être rendue, elle devrait l’être à l’encontre de la Bande elle-même, et non contre les demandeurs, puisqu’ils agissaient à titre de représentants.

 

DROIT AUX DÉPENS

[4]               Les articles 400 et suivants des Règles des Cours fédérales traitent de l’adjudication des dépens entre les parties.

 

[5]               Le principe général est que la Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens et de les répartir. Ceux-ci peuvent être adjugés à la Couronne ou à l’encontre de celle-ci, comme le faisait remarquer le juge Mahoney dans l’arrêt Canada c. James Lorimer & Co. [1984] 1 C.F. 1065, 180 N.R. 351 (C.A.F.) : « […] Il fut un temps où la "dignité" empêchait l'État de demander ou de payer des dépens dans le cours ordinaire des choses. Cette époque est révolue […] »

 

[6]               Toutes choses étant égales, les dépens sont habituellement adjugés à la partie qui a gain de cause. Le ministre ne demande pas les dépens majorés fondés sur les motifs énoncés à l’article 400.

 

[7]               Il a été décidé, par souci de principe, que la Cour devrait favoriser l’adjudication d’une somme globale lorsque les circonstances le permettent, en s’inspirant principalement des normes établies au tarif B. Comme le disait le juge Hugessen dans Barzelex Inc. c. EBN Al Waleed (Le), [1999] A.C.F. no 2002 (QL), au paragraphe 11 :

[…] À mon avis, la Cour devrait en principe accorder pareilles sommes. Cette méthode épargne aux parties du temps et des efforts et leur permet plus facilement de savoir jusqu'à quel point elles sont tenues responsables des dépens. Par conséquent, si les défendeurs, qui ont en bonne partie gain de cause dans la présente requête, voulaient rédiger une ordonnance fixant le montant des dépens auxquels chaque partie a droit, je serais prêt à rendre une autre ordonnance de façon à adjuger en fait une somme forfaitaire.

 

En l’espèce, le ministre a eu gain de cause et a déjà effectué les calculs appropriés.

 

RENONCIATION AUX DÉPENS

[8]               Rien n’empêche une partie qui a eu gain de cause de renoncer aux dépens ou, s’il y a adjudication, de refuser de les recouvrer. Les demandeurs prétendent que le ministre a renoncé aux dépens, parce qu’aucune mention de ceux-ci n’apparaissait dans le dossier du défendeur. Cela est véridique, et le paragraphe 70(1) des Règles des Cours fédérales prévoit qu’un mémoire des faits et du droit comporte un énoncé concis de l’ordonnance demandée, « y compris toute demande visant les dépens. »

 

[9]             Même si la jurisprudence est relativement rare dans ce domaine, la Cour d’appel a statué qu’une partie ne cesse pas d’avoir droit aux dépens, à moins qu’elle ne l’ait pas demandé dans les actes de procédures ou oralement à l’audience (Pelletier c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 418, 380 N.R. 158 et Balogun c. Canada, 2005 CAF 150, [2005] A.C.F. no 728 (QL)). En l’espèce, le ministre a certainement demandé les dépens à l’audience reportée. Je statue que le droit au dépens n’a pas fait l’objet de renonciation.

 

INTÉRÊT PUBLIC

[10]           Il ne s’agit pas, à mon d’avis, d’une affaire où l’intérêt public dicte un résultat précis en ce qui concerne les dépens. L’honneur de la Couronne n’était pas en jeu. L’affaire était limitée à des manquements à un accord de financement, et aux redressements que pouvait obtenir le ministre. L’affaire n’avait rien à avoir avec des pratiques, des coutumes ou des traditions constituant des droits ancestraux qui existaient avant l’arrivée des Européens, comme je l’ai signalé au paragraphe 40 de mes motifs.

 

[11]           Il n’y a pas, non plus, d’autres circonstances qui me poussent à ordonner que chaque partie doive payer ses propres dépens. Les demandeurs m’ont renvoyé à Première nation Anishinabe de Roseau River c. Atkinson, 2003 CFPI 168, [2003] 2 C.N.L.R. 345. Cette affaire portait sur une demande de contrôle judiciaire déposée par le Chef et quatre conseillers du Conseil de Première nation à l’encontre d’une décision du conseil coutumier qui modifiait le règlement sur les élections de la première nation. Le juge Kelen a conclu ce qui suit au paragraphe 68 : « […] Le conseil coutumier aurait pu obtenir un avis juridique avant de chercher à révoquer les demandeurs au milieu de leur mandat, ce qui aurait pu enlever tout fondement à la procédure légale introduite par les demandeurs. Pour ce motif, il ne sera pas adjugé de dépens. » Cependant, il s’agit d’une demande présentée par quatre membres du Conseil des anciens afin de contester la décision du ministre, et non du Conseil de bande. Les circonstances sont passablement différentes.

 

IMPÉCUNIOSITÉ    

[12]           Il y a des éléments de preuve anecdotiques montrant que les demandeurs sont peut-être impécunieux, et que le ministre est peut-être, ou ne veut peut-être même pas, recouvrer les dépens. La question toutefois est la dette, et non le recouvrement de cette dette. (Solosky c. Canada, [1977] 1 C.F. 663).

 

[13]           Les demandeurs citent l’arrêt Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3 comme établissant la règle bien connue que les dépens sont en partie compensatoires et ne sont pas punitifs, sauf dans des circonstances spéciales. Cependant, il s’agissait d’une affaire qui portait sur des dépens avocat-client. Le ministre ne sollicite pas des dépens avocat-client, ou même des dépens majorés, au motif que l’affaire est devenue indûment complexe parce que les demandeurs ont déterré des questions qui remontaient à quinze ans avant que ne soit prise la décision d’imposer l’intervention d’un administrateur-séquestre. 

 

RESPONSABILITÉ DE LA BANDE 

[14]           En dernier lieu, les demandeurs affirment que, si des dépens doivent être taxés, ils devraient l’être contre la bande elle-même. Je ne souscris pas à cette opinion. J’ai statué que les quatre demandeurs, que ce soit à titre de membres du Conseil des anciens ou à titre de membres « individuels » de la Bande, n’avaient pas la qualité pour agir. Rien au dossier n’indiquait que le Conseil de bande lui-même était incapable d’introduire des procédures. En fait, juste après la présentation de la demande, le Conseil a adopté une résolution appuyant celle-ci. Cela laisse entendre que les demandeurs ont été utilisés comme hommes de paille, à l’abri des dépens, afin d’empêcher que la demande devienne caduque dans l’éventualité où le Conseil de l’époque serait remplacé par un nouveau Conseil qui ne souhaiterait pas aller de l’avant avec le litige. L’intervenant, dans les faits, prétend être un tel Conseil de remplacement

 

[15]           Laisser entendre que la Bande devrait payer les dépens équivaut à s’introduire dans d’autres procédures qui sont présentement en instance devant la Cour, soit la décision du ministre de traiter avec le Conseil mené par Casey Ratt (T-462-08) et la demande présentée par Casey Ratt et autres contre le statut du Conseil concurrent, sous la direction de Benjamin Nottaway (T-654-09).

 

[16]           Si les demandeurs ont engagé leur procédure avec l’appui de leur communauté, peut-être pourraient-ils demander aux membres de la Bande qui les appuient de contribuer aux paiements.   

 

[17]           Si quelqu’un avait le droit d’estimer que la Bande devait être responsable des dépens, c’est le ministre, et il a choisi de ne pas le faire. (Gulf Canada Resources Ltd. c. Merlac Marine Inc. (1994), 18 O.R. (3d) 239, [1994] O.J. No. 812 (QL)).


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que:

Les demandeurs, ou leurs successions, sont tenus solidairement de verser la somme globale de 30 000 $ au titre des dépens au ministre.

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-1514-06

 

INTITULÉ :                                       HARRY WAWATIE et al. c.

                                                            LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN et

                                                            LE CONSEIL DES ANCIENS DE MITCHIKANIBIKOK INIK (ALGONQUINS DU LAC BARRIÈRE) SOUS LE CHEF DE CASEY RATT

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 mai 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET

ORDONNANCE DE DÉPENS :      Le juge Harrington

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             Le 28 mai 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Nicole Richmond / Amber Crowe

 

POUR LES DEMANDEURS

Tania Hernandez

 

POUR LE DÉFENDEUR

Michael Swinwood / Liza Swale

POUR L’INTERVENANT

 

Alan O’Brien

POUR M. NAHWEGAHBOW

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Nahwegahbow, Corbiere

Rama (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Deputy Attorney General of Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

Elders Without Borders

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’INTERVENANT

 

Nelligan O’Brien Payne LLP

Ottawa (Ontario)

POUR M. NAHWEGAHBOW

 

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