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Date : 20090831

Dossier : IMM‑5607‑08

Référence : 2009 CF 864

Ottawa (Ontario), le 31 août 2009

En présence de l’honorable Louis S. Tannenbaum

 

 

ENTRE :

RUHUL AMIN SHEAKH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), contre la décision défavorable rendue le 31 octobre 2008 par un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent d’ERAR).

 

[2]               Le demandeur, M. Ruhul Amin Sheakh, est né le 15 juillet 1983 au Bangladesh. Il allègue craindre avec raison de graves difficultés personnelles et/ou la persécution en raison de ses activités politiques de soutien au Parti Jatiya (le Parti). Il déclare que son opposition à la Awami League (la ligue), au pouvoir, l’a fait connaître du public. De plus, il a souligné que, vers le 5 juin 2000, il a été témoin du meurtre d’un militant de la ligue lors d’une manifestation. Cet incident était à la base de toutes ses allégations.

 

[3]               Le demandeur soutient qu’il est arrivé à échapper à la police à la suite du meurtre et qu’il s’est caché. Il déclare qu’il a appris que la police était à sa recherche relativement au meurtre. Il déclare que la police utilisait de fausses accusations dans le but de le persécuter.

 

[4]               Sa demande d’asile a été rejetée le 23 octobre 2002, et l’autorisation de contrôle judiciaire de cette décision a été refusée par un juge de la Cour.

 

[5]               La Section de la protection des réfugiés (SPR) a déclaré ce qui suit :

 

Selon la prépondérance des probabilités, j’estime que le meurtre, l’implication du demandeur d’asile et les difficultés qu’il a rencontrées par la suite sont des éléments qui ont été inventés pour étayer une demande d’asile.

 

Dans son témoignage de vive voix, le demandeur d’asile a affirmé que des hommes de main seraient encore à sa recherche, comme ils étaient à sa recherche dans le passé. J’ai conclu que les hommes de main de l’AL, selon la prépondérance des probabilités, ne se préoccupaient aucunement du demandeur d’asile par le passé et, par conséquent, je suis convaincu qu’ils ne se préoccuperaient aucunement de lui s’il devait retourner au Bangladesh.

 

[…]

 

Selon la prépondérance des probabilités, l’événement principal à l’origine de la présente demande d’asile n’a pas eu lieu. Par conséquent, les forces policières ou les hommes de main de l’AL ne portent aucun intérêt au demandeur d’asile.

 

[…]

 

Puisque le tribunal conclut que le témoignage du demandeur d’asile concernant l’élément principal sur lequel […] sa demande d’asile [est fondée] n’est pas crédible, il n’y a aucun fondement objectif permettant de conclure que le demandeur d’asile craint avec raison d’être persécuté ou qu’il serait exposé personnellement à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il devait retourner au Bangladesh.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

(Dossier du Tribunal, aux pages 14 à 16)

 

[6]               L’agent d’ERAR a conclu que le demandeur [traduction] « n’avait pas fourni de preuve adéquate pour permettre d’infirmer la conclusion défavorable de la SPR sur la crédibilité. Il n’y a pas de preuve adéquate pour me convaincre d’arriver à une conclusion différente de celle tirée par la SPR ». De plus, en ce qui a trait aux éléments de preuve documentaire sur la situation du pays au Bangladesh, l’agent d’ERAR n’a pas conclu [traduction] « qu’ils constituent la preuve d’une nouvelle évolution des risques qui sont personnels au demandeur et qui se sont manifestés après la décision de la SPR ».

 

[7]               La question à trancher est de savoir si l’agent d’ERAR a commis une erreur lorsqu’il a conclu que le demandeur n’était pas exposé à un risque de persécution ou de peine cruelle et inusitée.

 

La norme de contrôle

 

[8]               L’examen portant sur les faits et visant à déterminer les risques auxquels le demandeur pourrait être exposé s’il était renvoyé dans un pays précis entraîne l’application de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, qui dispose que la Cour peut accueillir la demande si elle est convaincue que le tribunal « a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose »; la jurisprudence estime que cela équivaut en common law à la raisonnabilité (voir Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir); Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12; Matsko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 691, au paragraphe 8).

 

Les conclusions sur la crédibilité

 

[9]               Le demandeur fait valoir que l’agent d’ERAR a commis une erreur lorsqu’il a appliqué à M. Sheakh les conclusions sur la crédibilité tirées par la SPR. Le demandeur allègue que la SPR n’a jamais examiné la question de savoir si la réputation de M. Sheakh en tant qu’activiste étudiant pouvait, en soi, l’exposer à un risque. Ce qui est plus important, c’est qu’il n’y a pas eu d’analyse de la crédibilité du demandeur relativement à sa réputation.

 

[10]           Par conséquent, le demandeur allègue que même si l’agent d’ERAR avait le droit de se fonder sur les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la Commission, il pouvait seulement le faire s’il menait la même analyse. Lorsque la Commission n’a pas analysé un motif et que, par conséquent, elle n’a pas tiré de conclusion relative à la crédibilité sur ce motif, l’agent d’ERAR ne peut pas appliquer la conclusion relative à la crédibilité quant aux risques que la Commission n’a jamais analysés. En l’absence d’une conclusion expresse que le demandeur d’asile n’est pas crédible, la conclusion de la SPR selon laquelle un incident donné n’est pas crédible ne peut pas être échafaudée en la conclusion selon laquelle l’ensemble de la demande du demandeur n’est pas crédible (Ariff c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1997) 68 A.C.W.S. (3d) 716).

 

[11]           Dans ses observations à l’agent d’ERAR, le demandeur a déclaré [traduction] « avoir demandé le statut de réfugié en raison de la crainte de persécution de la part de la police du Bangladesh et de la ligue. Il a peur de solliciter la protection des autorités au Bangladesh parce que la police est à sa recherche. Il n’est en sécurité nulle part dans le pays » (observations à l’agent d’ERAR, dossier du demandeur, à la page 61). [traduction] « M. Sheakh a peur que, s’il retourne au Bangladesh, la ligue mettra à exécution ses menaces de le tuer et qu’il sera faussement arrêté et détenu pour le meurtre du militant de la ligue » (observations à l’agent d’ERAR, dossier du demandeur, à la page 62). Le demandeur allègue que [traduction] « la situation du pays au Bangladesh s’est radicalement détériorée depuis l’audition de sa demande d’asile, ce qui le met dans une situation de risque permanent de persécution, s’il est renvoyé au Bangladesh » (observations à l’agent d’ERAR, dossier du demandeur, à la page 63).

 

[12]           L’avocat du demandeur ajoute aussi que [traduction] « M. Sheakh craint la vengeance personnelle du leadership régional de la ville de Munshiganj, et ses liens avec la police dans sa ville d’origine. Il craint aussi qu’étant donné que la ligue a un réseau élargi partout dans le pays, le leadership de la ligue à Munshiganj pourrait facilement lancer ses hommes de main aux trousses du demandeur n’importe où au Bangladesh ». En outre, [traduction] « la police régionale continue de le rechercher pour son arrestation erronée relativement à un crime qu’il n’a pas commis » (observations à l’agent d’ERAR, dossier du demandeur, à la page 65).

 

[13]           L’agent d’ERAR a conclu que le demandeur n’avait pas fourni de preuve adéquate pour permettre d’infirmer la conclusion défavorable de la SPR relativement à la crédibilité. Il a fait observer qu’il n’y avait pas de preuve adéquate pour le convaincre de tirer une conclusion différente de celle de la SPR; en particulier, « Le demandeur d’asile n’a pas établi par une preuve crédible et digne de foi qu’il a été témoin du meurtre d’un militant de l’AL. » (Décision de la SPR, dossier du Tribunal, à la page 12).

 

[14]           À la lecture de la preuve présentée dans la présente affaire et lorsqu’on admet la conclusion de la SPR quant à la crédibilité de M. Sheakh sur l’élément au cœur de sa demande, il était raisonnable que l’agent d’ERAR conclue comme il l’a fait. Bien que le demandeur allègue que l’agent d’ERAR a tenu compte de considérations et de conclusions de fait erronées et non pertinentes, l’agent d’ERAR n’était pas convaincu que la preuve dont il disposait permettrait d’infirmer la conclusion défavorable de la SPR quant à la crédibilité. La décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (arrêt Dunsmuir, précité).

 

L’audience

 

[15]           Le demandeur affirme que l’agent d’ERAR aurait dû tenir une audience pour examiner la preuve produite dans le but de faire infirmer la conclusion défavorable de la SPR quant à la crédibilité.

 

[16]           L’alinéa 113b) de la LIPR et l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés DORS/2002‑227, reconnaissent précisément que, dans certaines circonstances, il pourrait être approprié de tenir une audience dans le cadre d’une demande d’examen des risques avant renvoi, en particulier s’il existe des éléments de preuve importants quant à la crédibilité du demandeur, que ces éléments de preuve sont importants pour la prise de décision, et que si ces éléments de preuve étaient admis, ils justifieraient que la demande soit accueillie.

 

[17]           En l’espèce, l’agent d’ERAR a examiné les éléments de preuve qui lui ont été présentés et il a conclu qu’ils ne pouvaient pas être qualifiés de « nouvelles » preuves puisque ces éléments avaient trait exactement aux mêmes risques que ceux qui avaient été évalués par la SPR. Là où la preuve ne permettait pas d’infirmer la conclusion défavorable de la SPR, la question de la crédibilité n’était pas en jeu. Par conséquent, cet argument ne peut pas aboutir.

 

La réputation du demandeur

 

[18]           Malgré l’allégation du demandeur selon laquelle l’agent d’ERAR n’a pas correctement évalué son risque en cas de retour au Bangladesh, le demandeur n’a pas produit de preuve qui soulève la question d’un nouveau risque n’ayant pas auparavant été évalué par la SPR. La SPR a examiné la preuve relative à sa demande et elle a conclu qu’il n’était pas crédible. La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il présentait un intérêt pour la ligue. Selon moi, l’agent d’ERAR a adéquatement examiné la preuve contenue dans la demande. Par conséquent, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

 

La référence à la preuve documentaire

 

[19]           Le demandeur allègue que l’agent d’ERAR a erronément interprété la preuve documentaire, en ce sens qu’il n’a pas tenu compte du risque accru du demandeur en tant qu’activiste politique pour le Parti.

 

[20]           La SPR n’a pas fait référence à la preuve documentaire parce qu’elle n’a pas cru que le demandeur était exposé à un risque de préjudice de la part de la ligue. Il n’y a pas d’obligation de faire référence à la preuve documentaire qui renvoie aux risques auxquels sont exposées les personnes qui ont une certaine réputation, si le demandeur n’a pas établi qu’il a cette réputation. Par conséquent, il n’y avait aucune raison pour que l’agent d’ERAR fasse référence à cette preuve (Fernando c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1349, aux paragraphes 25 à 35; Kofitse c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 894, citant Djouadou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1999) 94 A.C.W.S. (3d) 1183, au paragraphe 4).

 

[21]           L’agent d’ERAR a évalué la preuve documentaire actuelle et il a conclu que, bien que la situation du pays ne soit pas favorable au Bangladesh, le demandeur n’avait pas établi que le risque présentait un caractère personnel plutôt que généralisé. Il était loisible à l’agent d’ERAR de tirer une telle conclusion étant donné que le demandeur n’avait pas produit de preuve adéquate pour lui permettre d’infirmer la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’avait pas établi qu’il serait exposé à un risque de préjudice causé par la ligue.

 

Conclusion

 

[22]           Vu la retenue dont la Cour doit faire preuve lorsqu’elle contrôle la présente affaire, et vu que la SPR a conclu que les faits qui étayent la demande du demandeur n’étaient pas crédibles, et vu que l’agent d’ERAR n’était pas convaincu par la preuve fournie et que, par conséquent, il n’a pas été en mesure de conclure que le demandeur avait réfuté la conclusion défavorable quant à sa crédibilité, je conclus que l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

 

[23]           L’agent d’ERAR a raisonnablement soupesé la crainte du demandeur. En outre, lorsque je lis la décision et que j’examine la preuve déposée, je conclus que la décision de l’agent d’ERAR était raisonnable.

 

[24]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été proposée pour certification.

 

 

« Louis S. Tannenbaum »

Juge suppléant

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A. Trad.jur.

 

 


 

 

JURISPRUDENCE CONSULTÉE PAR LA COUR

 

 

 

  1. Kastrati c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1141;
  2. Brzezinska c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006  CF 1182;
  3. Ortega c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 601;
  4. Latifi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1388;
  5. Narany c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 155;
  6. Elmagraby c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 346;
  7. Syed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 549;
  8. Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1;
  9. Ruiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 465;
  10. Matsko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 691;
  11. Cirahan c. Canada (Solliciteur général du Canada), 2004 CF 1603;
  12. Bowen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 112;
  13. Adjei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 680;
  14. Orelien v. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1991) 15. Imm. L.R. (2d) 1 (C.A.F.);
  15. Boulis c. Canada (Ministre de la Main d’œuvre et de l’Immigration), [1974] R.C.S. 875;
  16. Mughal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1557;
  17. Singh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 1 R.C.S. 177;
  18. Kaybaki c. Canada (Solliciteur général du Canada), 2004 CF 32;
  19. Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1303;
  20. Krishnan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 846;
  21. Fernando c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1349;
  22. Kofitse c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 894;
  23. Bains c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1990) 109 N.R. 239 (C.A.F.);
  24. Elezi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 422.

 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                               IMM-5607-08

 

INTITULÉ :                                             RUHUL AMIN SHEAKH

                                                                  c.

                                                                  MCI

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                       Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 10 JUIN 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    LE JUGE SUPPLÉANT TANNENBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                            LE 31 AOÛT 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

 

POUR LE DEMANDEUR

Alexis Singer

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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