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Date : 20090831

Dossier : IMM-5058-08

Référence : 2009 CF 863

OTTAWA (Ontario), le 31 août 2009

En présence de l’honorable Louis S. Tannenbaum

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeur

et

 

JOTHIRAVI SITTAMPALAM

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour statue sur une demande, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision, datée du 13 novembre 2008, par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a ordonné que certaines modifications soient apportées aux conditions assortissant la remise en liberté du défendeur.

 

[2]               Le demandeur affirme que l’ordonnance de la commissaire Harnum compromet la capacité de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASCF) d’assurer une surveillance adéquate du défendeur, d’où la présente demande de contrôle judiciaire de son ordonnance.

 

[3]               Né en 1970, le défendeur, M. Jothiravi Sittampalam, est un citoyen tamoul du Sri Lanka. Il est arrivé au Canada en 1990 et a présenté avec succès une demande d’asile. Il a obtenu la résidence permanente au Canada en 1992.

 

[4]               M. Sittampalam est le fils de l'une des têtes dirigeantes d'un groupe politique du Sri Lanka. Les policiers émettent l'hypothèse que c'est ce lien qui a amené au Canada de vieilles hostilités.

 

[5]               Alors qu’il résidait au Canada, le défendeur a été déclaré coupable des infractions suivantes : le 24 janvier 1992, manquement à un engagement; le 8 juillet 1996, trafic d'héroïne; le 18 février 1998, entrave au travail d'un policier. Lors d'une enquête, M. Sittampalam a reconnu que, en raison de sa déclaration de culpabilité pour trafic de drogue, il était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité au sens du texte constituant l'actuel alinéa 36(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). Lors de la deuxième enquête, il a été déclaré interdit de territoire pour criminalité organisée au sens de l'alinéa 37(1)a) de la Loi. Un tribunal de la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu'il était membre de la bande AK Kannon, considérée comme une organisation qui se livre à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles, plus précisément définies à l'alinéa 37(1)a) de la Loi.

 

[6]               M. Sittampalam a été arrêté et détenu le 18 octobre 2001, le jour même où ont été détenues de nombreuses autres personnes dans le cadre d'une intervention conjointe des fonctionnaires de l'immigration et du service de police de Toronto. Il était allégué que les personnes détenues étaient membres de bandes tamoules à Toronto, ou liées à elles. Les deux bandes principales seraient la bande AK Kannon et la bande VVT, cette dernière étant le sigle du village de Valvettithurai où un bon nombre de ses membres sont nés.

 

[7]               Le 4 octobre 2004, une mesure d’expulsion a été prise contre le défendeur pour cause de grande criminalité et de criminalité organisée. La décision a été contestée, mais la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont toutes les deux confirmé cette mesure. Un représentant du ministre s’est ensuite dit d’avis que le défendeur constituait un danger pour le public au sens des alinéas 115(2)a) et b) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). Le renvoi du défendeur devait avoir lieu au cours de l’été 2007, mais le défendeur a obtenu un sursis en attendant que soit connu le sort de sa contestation de l’avis de danger émis en vertu de l’article 115. La Cour fédérale a confirmé l’évaluation du danger, mais a exigé que la partie de l’avis de danger portant sur l’évaluation du risque fasse l’objet d’une nouvelle décision.

 

[8]               À compter de la date de son arrestation et de sa détention initiales en 2001, le défendeur a régulièrement fait l’objet de contrôles de sa détention. Il était détenu au motif qu’on avait conclu qu’il constituait un danger pour le public et qu’il se soustrairait vraisemblablement à son renvoi. Par deux fois, il a été ordonné qu'il soit mis en liberté en 2004, mais ces deux décisions ont été annulées par la Cour fédérale. À deux autres reprises, la décision de le maintenir en détention a été infirmée par la Cour. La décision de le remettre en liberté a été contestée sans succès devant la Cour.

 

[9]               Le 11 janvier 2008, on a terminé la réévaluation du risque et on a conclu que le défendeur ne serait pas exposé à un risque s’il devait retourner au Sri Lanka.

 

[10]           Le demandeur a de nouveau entrepris des démarches en vue de faire expulser le défendeur. Le défendeur a une fois de plus présenté une demande pour contester la nouvelle évaluation du risque. Il a également présenté une requête en sursis à l’exécution de son renvoi et, le 5 mars 2008, la Cour a, sous la plume du juge Campbell, sursis à l’exécution du renvoi tant qu’il n’aurait pas été statué sur la demande contestant la nouvelle évaluation du risque. La demande de contrôle judiciaire de cette décision a été instruite le 5 juin 2008 et elle n’a pas encore été tranchée.

 

[11]           Le 19 avril 2007, le commissaire Gratton de la Section de l’immigration a ordonné la remise en liberté du défendeur, qui a été remis en liberté le 22 mai 2007.

 

[12]           Le 30 janvier 2008, le commissaire Willoughby a modifié l’ordonnance initiale de remise en liberté pour autoriser le défendeur à effectuer une sortie par semaine.

 

[13]           En août 2008, le défendeur a demandé à la Section de l’immigration de modifier les conditions de sa remise en liberté. Les avocats des parties ont convenu que :

a.  M. Sittampalam soit autorisé à demeurer seul chez lui;

b.  M. Sittampalam puisse se trouver seul dans la cour à condition qu’une caution se trouve dans la maison;

c.  M. Sittampalam soit autorisé à effectuer deux sorties par semaine (d’une durée maximale de quatre heures chacune) à condition d’obtenir une autorisation préalable (72 heures) et d’être accompagné d’une caution;

d.  M. Sittampalam soit autorisé à accompagner ses enfants à pied jusqu’à l’école le matin et à les ramener de l’école l’après-midi;

e.  M. Sittampalam consulte un psychiatre/psychologue au sujet de son état mental et qu’il soumette un rapport dans un délai de six mois.

 

[14]           Le défendeur a réclamé une audience visant à faire modifier les conditions de sa remise en liberté, et plus particulièrement les conditions 2, 4, 15, 16, 17, 18, 24, 26 et 28 de l’ordonnance originale de remise en liberté.

 

[15]           L’audience a eu lieu devant la commissaire J. Harnum le 8 octobre 2008. À l’audience, les parties ont formulé des observations au sujet des modifications réclamées dans la requête du défendeur.

 

[16]           Le 13 novembre 2008, la commissaire Harnum a rendu son ordonnance. Elle a fait droit à la requête du défendeur et a effectué d’autres modifications aux conditions assortissant la remise en liberté du défendeur.

 

[17]           Le demandeur a introduit une instance en contrôle judiciaire de la décision de la commissaire de procéder à des modifications aux conditions de sa mise en liberté que le demandeur n’avait pas réclamées dans la requête qu’il avait soumise à la Section de l’immigration.

 

[18]           Les parties ont soulevé plusieurs questions. J’estime toutefois que la question déterminante est la suivante :

 

La commissaire a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale en n’accordant pas aux parties la possibilité de faire valoir leur point de vue au sujet des conditions de la remise en liberté en cause?

 

[19]           En ce qui concerne les questions d’équité procédurale et de justice naturelle, la cour de révision n’a pas à faire preuve de déférence envers l’auteur de la décision.

 

[20]           Le demandeur affirme que la commissaire a enfreint les principes de justice naturelle en procédant à des modifications et à des suppressions de conditions qui n’étaient pas réclamées par le défendeur et qui n’avaient pas été abordées lors du contrôle de la détention du 8 octobre 2008 ou qui n’étaient manifestement pas en litige. Le défendeur réclamait uniquement des modifications aux conditions 2, 4, 15, 16, 17, 18, 24, 26 et 28 de l’ordonnance initiale de remise en liberté et le demandeur a uniquement répondu aux modifications apportées à ces conditions.

 

[21]           Le demandeur signale que, malgré les affirmations claires qui avaient été faites, la commissaire a effectué des modifications importantes aux conditions, alors que ces modifications n’avaient pas été plaidées à l’audience et qu’elles n’avaient pas été présentées à l’audience comme étant des questions en litige. En agissant ainsi, la commissaire l’aurait privé de la possibilité d’aborder ces conditions et de soumettre des éléments de preuve pour étayer son point de vue.

 

[22]           Le 12 décembre 2008, le juge Russel Zinn a ordonné qu’il soit sursis à l’exécution de la décision, datée du 13 novembre 2008, par laquelle le tribunal avait modifié les conditions de la mise en liberté du défendeur.

 

[23]           La requête dont le soussigné est saisi porte sur le contrôle judiciaire de la décision du 13 novembre 2008.

 

[24]           Le défendeur soutient essentiellement que toutes les conditions de l’ordonnance originale de remise en liberté étaient susceptibles d’examen lorsque les parties ont comparu devant le tribunal, et ce, indépendamment de la question de savoir si le défendeur avait demandé ou non des modifications spécifiques.

 

[25]           Le défendeur soutient en conséquence que le demandeur aurait dû présenter des éléments de preuve et plaider devant le tribunal au sujet des conditions dont il se plaint maintenant qu’elles ont été modifiées sans qu’il l’ait demandé. Suivant le défendeur, le demandeur ne peut plus se plaindre de la situation à cette étape-ci.

 

[26]            La Cour suprême a jugé qu’une détention prolongée ou une remise en liberté à des conditions strictes ne sont constitutionnelles que si l’on procède à des contrôles à des intervalles réguliers, c’est-à-dire aux six mois, selon la Cour. La Cour a reconnu que, plus le temps passe, plus l’obligation imposée au ministre de justifier les restrictions est exigeante. La Cour a conclu ce qui suit : « Les solutions de rechange à une longue détention consécutive à un certificat, telles de sévères conditions de mise en liberté, ne doivent pas être disproportionnées par rapport à la nature du danger ». La Cour a ajouté ce qui suit :

117. Autrement dit, il faut que la détention soit contrôlée régulièrement et que le juge qui la contrôle puisse tenir compte de tous les facteurs pertinents quant au bien‑fondé du maintien de la détention, y compris la possibilité d’un mauvais usage ou d’une application abusive des dispositions de la LIPR autorisant la détention. Des principes analogues s’appliquent à la mise en liberté assortie de conditions sévères ou restrictives pendant une longue période : ces conditions doivent être révisées régulièrement, en fonction de tous les facteurs susmentionnés, y compris l’existence de solutions de rechange.

 

 

[27]           Il ressort du raisonnement de la Cour suprême que les conditions restrictives assortissant la remise en liberté doivent faire l’objet de contrôles réguliers pour déterminer si ces conditions sont toujours nécessaires. Ce contrôle ne dépend pas de l’objet visé par les conditions. Il s’agit plutôt d’une obligation constitutionnelle qui oblige les autorités chargées de procéder au contrôle à s’assurer que les conditions imposées ne sont pas disproportionnées par rapport au risque.

 

[28]           Reconnaissant que le critère permettant de conclure à l’existence d’une question sérieuse à juger est moins exigeant dans le cas d’une requête en sursis à l’exécution que dans celui d’un contrôle judiciaire, et bien que le sort de la présente demande de contrôle judiciaire ne soit pas lié au sursis de l’ordonnance du juge Zinn, nous ne pouvons faire abstraction de la conclusion à laquelle le juge Zinn en arrive :

[traduction]

 

[15] [...] En l’espèce, la commissaire a assoupli les conditions en question de son propre chef, sans qu’on lui ait demandé de le faire et sans avoir eu l’avantage d’entendre le point de vue de l’une ou l’autre des parties. À mon avis, il y a eu violation du droit absolu reconnu par la loi à chacune des parties de faire valoir son point de vue au sujet des conditions précises de remise en liberté que la commissaire examinait.

 

[29]           Les parties n’ont pas eu l’occasion de faire valoir leur point de vue au sujet de l’opportunité des nouvelles conditions de remise en liberté imposées par la commissaire. La décision de la commissaire débordait le cadre de la demande initiale que M. Sittampalam lui avait soumise en vue de faire réviser certaines conditions précises. Le défendeur ne réclamait des changements qu’aux conditions 2, 4, 15, 16, 17, 18, 24, 26 et 28 de l’ordonnance initiale de remise en liberté. Malgré les affirmations claires qui avaient été faites, la commissaire a effectué des modifications importantes, alors que ces modifications n’avaient pas été plaidées et n’avaient pas été présentées à l’audience comme étant des questions en litige. En n’accordant pas aux parties la possibilité de faire valoir leur point de vue et en procédant à des modifications et à des suppressions qui n’avaient pas été réclamées par le défendeur, la commissaire a manqué aux principes d’équité procédurale, en particulier le droit de se faire entendre et de savoir ce qu’on doit prouver. Cette erreur justifie l’intervention de la Cour.

 

[30]           En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

 

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que la décision du 7 novembre 2008 est annulée à toutes fins que de droit. L’affaire est renvoyée à la Commission pour nouvel examen par un autre commissaire. Lors de ce nouvel examen, le commissaire devra tenir compte des motifs exposés au paragraphe 29 du présent jugement.

 

La question suivante est certifiée :

 

Les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Charkaoui c. M.C.I., [2007] A.C.S. no 9, au sujet du contrôle des conditions de la remise en liberté lorsque la détention est fondée sur un « certificat de sécurité » s’appliquent-ils aussi aux contrôles de la détention prévus au paragraphe 58(3) de la LIPR?

 

 

 

                                                                                                            « Louis S. Tannenbaum »

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur


SOURCES CONSULTÉES PAR LA COUR

 

  1. M.S.P.P.C. c. Sittampalam, 2008 CF 1394
  2. P.G. du Canada c. Sketchley, 2005 CAF 404
  3. Cepeda-Gutierrez c. Canada (M.C.I.), (1998), 157 F.T.R. 35
  4. Charkaoui c. M.C.I., 2007 CSC 9
  5. Mahjoub c. M.C.I. et M.S.P.P.C., 2007 CF 1366
  6. Mahjoub c. M.C.I. et M.S.P.P.C., 2007 CF 171
  7. M.C.I. c. Thanabalasingham, 2004 CAF 4
  8. M.C.I. c. Sittampalam, 2004 CF 1756
  9. Harkat c. M.C.I., 2007 CF 416
  10. Bains c. M.E.I. (1990), 109 N.R. 239 (C.A.F.)
  11. M.P.S.E.P. c. Sittampalam, [2004] A.C.F. No. 2152
  12. M.C.I. c. Thanabalasingham, [2003] A.C.F. No. 1548
  13. M.C.I. c. Thanabalasingham, [2004] A.C.F. No. 15 (CA)
  14. P.G. du Manitoba c. Metropolitan Stores, [1978] 1 R.C.S. 110
  15. M.C.I. c. Sittampalam, [2004] A.C.F. No. 2152
  16. Sittampalam c. Solliciteur général, [2005] A.C.F. no 1734
  17. Harkat c. M.C.I., [2006] A.C.F. no 934
  18. Harkat c. M.C.I., [2006] A.C.F. no 770
  19. M.C.I. c. Harkat, [2006] A.C.F. no 1091
  20. Mahjoub c. M.C.I., [2007] A.C.F. no 206
  21. Jaballah c. M.C.I., [2007] A.C.F. no 518

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5058-08

 

INTITULÉ :                                       MSPPC c. JOTHIRAVI SITTAMPALAM

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 8 juin 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              L’HONORABLE LOUIS S. TANNENBAUM

 

DATE DES MOTIFS

DU JUGEMENT :                             Le 31 août 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mme Judy Michaely

M. Manuel Mendelson

 

POUR LE DEMANDEUR

Mme Barbara Jackman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

Jackman & Associates

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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