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Federal Court

Cour fédérale

Date : 20090521

Dossier : IMM-3938-08

Référence : 2009 CF 514

Ottawa (Ontario), le 21 mai 2009

En présence de l'honorable Orville Frenette

ENTRE :

MENA NARVAEZ, Kemel

CASTILLO DE MENA, Ileana Aglae

MENA CASTILLO, Kemel Adalio

MENA CASTILLO, Defina Saleh

MENA CASTILLO, Shahafadi Emir

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée en application de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d'une décision non datée rendue par un agent d'immigration au Canada (l'agent), déclarant que l'octroi antérieur de la résidence permanente aux demandeurs et la délivrance de leurs cartes de résident permanent par un autre agent étaient une erreur et que le statut n'était pas valide. Une nouvelle audience était prévue pour le 28 août 2008.

 

[2]               Les demandeurs sollicitent un jugement déclarant que l'agent était functus officio et qu'il n'avait aucune compétence pour révoquer la résidence permanente des demandeurs et que les demandeurs demeurent par conséquent des résidents permanents du Canada.

 

Les faits

[3]               Les demandeurs ont présenté une demande d'asile et la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SPR) les a déclarés personnes à protéger dans une décision datée du 5 octobre 2006.

 

[4]               Le 26 octobre 2006, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a présenté une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision favorable de la SPR alléguant que M. Kemel Mena Narvaez aurait dû être réputé interdit de territoire puisqu'il avait été accusé d'avoir commis un crime grave de droit commun, tel que prévu à l'alinéa 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Le juge Pierre Blais a accordé l'autorisation le 27 août 2007.

 

[5]               Dans sa décision datée du 21 février 2008, la juge Elizabeth Heneghan a accueilli la demande de contrôle judiciaire du ministre pour les motifs suivants :

[17]     En l’espèce, la Commission a conclu que les accusations de fraude avaient été « fabriquées de toutes pièces » et qu’elles étaient « fausses », puisqu’elle a conclu que le défendeur principal était crédible. À mon avis, la Commission a commis une erreur en tirant cette conclusion relative à la crédibilité puisqu’en ce faisant, elle a apparemment omis de tenir compte des éléments de preuve relatifs à l’existence des accusations en instance et du mandat d’arrestation, et du fait que le défendeur principal n’avait pas divulgué ces éléments de preuve à la première occasion. Ces éléments de preuve, s’ils avaient été pris en compte par la Commission, auraient peut-être eu une incidence sur ses conclusions relatives à la crédibilité. Comme l’a souligné la Cour dans la décision Cepeda‑Gutierrez, plus la preuve dont la Commission omet de tenir compte est importante, plus la Cour sera disposée à inférer que la Commission a pris sa décision sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait.

 

 

[6]               Le 28 février 2007, les demandeurs ont présenté une demande de résidence permanente en qualité de personnes à protéger. Ils ont présenté cette demande en raison de l'exigence du paragraphe 175(1) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), lequel prévoit que les personnes à protéger doivent présenter une demande de résidence permanente dans les six mois suivant la décision de la SPR.

 

[7]               Une lettre datée du 22 janvier 2008 avise que le processus de demande est terminé et que les demandeurs seront avisés de la décision.

 

[8]               Le 4 avril 2008, le bureau de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) de Scarborough (Ontario) a fourni aux demandeurs la confirmation de leur résidence permanente et les cartes de résident permanent.

 

[9]               Le 26 août 2008, CIC a transmis par télécopieur une lettre non datée à l’avocat des demandeurs et ces derniers ont reçu cette même lettre le 27 août 2008 par la poste. Cette lettre affirmait que leur statut de résident permanent n'était pas valide et qu'ils devaient apporter le 28 août 2008 ces documents à l'audience de la SPR pour une nouvelle décision.

 

[10]           Les demandeurs ont répondu à cette demande en présentant la présente demande de contrôle judiciaire le 8 septembre 2008.

 

La question en litige

[11]           CIC était-il functus officio et par conséquent n'avait pas compétence lorsqu'il a rendu la décision selon laquelle la résidence permanente avait été accordée par erreur?

 

Les arguments des parties

[12]           Les demandeurs prétendent que l’agent qui leur a accordé la résidence permanente savait que la Cour fédérale avait infirmé la décision concernant leur demande d'asile et qu'il a choisi de leur octroyer la résidence permanente malgré cette décision.

 

[13]           De plus, ils allèguent qu'un nouvel examen ne peut être effectué de manière arbitraire. Ils allèguent que le décideur a le pouvoir de réexaminer une décision uniquement en présence de nouveaux faits, des faits qui n'étaient pas dans le dossier de l’espèce (Dumbrava c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 101 F.T.R. 230, [1995] A.C.F. no 1238 (1re inst.) (QL), au paragraphe 15).

 

[14]           Les demandeurs font aussi valoir qu'à la fois avant et après la décision de la Cour fédérale, ils ont reçu des lettres d’avis de CIC les avisant que le traitement de leur demande était terminé. Les lettres déclaraient qu’un rendez-vous au centre de CIC de Scarborough serait fixé et qu'une décision définitive concernant l’octroi du statut de résident permanent serait rendue à ce moment-là.

 

[15]           Les demandeurs se sont présentés à CIC aux dates qui leur avaient été fixées pour les entrevues. Ils ont informé les agents de CIC concernant la situation juridique relativement aux contrôles judiciaires. En effet, l'un d'eux, Kemel Adalio Mena Castillo, allègue qu'il a montré à deux agents différents une copie de la décision accueillant le contrôle judiciaire. À chaque occasion, la réponse des agents a été que cela ne les intéressait pas ou que cela ne les concernait pas et que la décision concernant leur résidence permanente avait déjà été prise. Les agents leur ont alors donné leurs cartes de résident permanent.

 

[16]           Le défendeur souligne toutefois que les demandeurs n'avaient pas le droit d'obtenir le statut de résident permanent en vertu de l'article 21 de la Loi et de l'article 174 du Règlement et que, puisqu'ils avaient perdu leur statut par suite de la décision concernant le contrôle judiciaire, la remise de ces documents constituait une erreur administrative de la part du défendeur.

 

La norme de contrôle

[17]           La jurisprudence a établi que la norme de contrôle applicable à l'évaluation des conclusions de fait ou des conclusions mixtes de fait et de droit est la raisonnabilité. Pour les questions de droit et de compétence, la norme applicable est la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190). Les décisions des tribunaux administratifs concernant des questions de fait commandent la retenue (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Khosa, 2009 CSC 12). Les manquements aux règles de justice naturelle ou à l'équité procédurale sont assujettis à la décision correcte (Juste c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 670, aux paragraphes 23 et 24; Bielecki c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 442, au paragraphe 28; Hasan c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 1069, au paragraphe 8).

 

Analyse

          Le régime légal

[18]           Les personnes possédant le statut de personne protégée peuvent présenter une demande de résidence permanente et l'obtenir si elles répondent aux exigences de la Loi et du Règlement. Le régime légal empêche clairement l'octroi de la résidence permanente jusqu'à la décision définitive concernant une demande d'asile, l'épuisement des recours en matière de contrôle judiciaire ou l'expiration du délai pour instituer un contrôle judiciaire.

 

[19]           L’article 21 de la Loi est rédigé comme suit :

  21. (1) Devient résident permanent l’étranger dont l’agent constate qu’il a demandé ce statut, s’est déchargé des obligations prévues à l’alinéa 20(1)a) et au paragraphe 20(2) et n’est pas interdit de territoire.

  (2) Sous réserve d’un accord fédéro-provincial visé au paragraphe 9(1), devient résident permanent la personne à laquelle la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger a été reconnue en dernier ressort par la Commission ou celle dont la demande de protection a été acceptée par le ministre — sauf dans le cas d’une personne visée au paragraphe 112(3) ou qui fait partie d’une catégorie réglementaire — dont l’agent constate qu’elle a présenté sa demande en conformité avec les règlements et qu’elle n’est pas interdite de territoire pour l’un des motifs visés aux articles 34 ou 35, au paragraphe 36(1) ou aux articles 37 ou 38.

 

  21. (1) A foreign national becomes a permanent resident if an officer is satisfied that the foreign national has applied for that status, has met the obligations set out in paragraph 20(1)(a) and subsection 20(2) and is not inadmissible.

  (2) Except in the case of a person described in subsection 112(3) or a person who is a member of a prescribed class of persons, a person whose application for protection has been finally determined by the Board to be a Convention refugee or to be a person in need of protection, or a person whose application for protection has been allowed by the Minister, becomes, subject to any federal-provincial agreement referred to in subsection 9(1), a permanent resident if the officer is satisfied that they have made their application in accordance with the regulations and that they are not inadmissible on any ground referred to in section 34 or 35, subsection 36(1) or section 37 or 38.

 

[20]           Le paragraphe 175(2) du Règlement s'ajoute au paragraphe 21(2) de la Loi et est rédigé comme suit :

  175. (2) L’agent ne peut conclure que le demandeur remplit les conditions prévues au paragraphe 21(2) de la Loi si la décision fait l’objet d’un contrôle judiciaire ou si le délai pour présenter une demande de contrôle judiciaire n’est pas expiré.

  175. (2) An officer shall not be satisfied that an applicant meets the conditions of subsection 21(2) de la Loi if the determination or decision is subject to judicial review or if the time limit for commencing judicial review has not elapsed.

 

 

 

 

          La décision

 

[21]           Le fondement de la présente demande est qu’une décision a été rendue, signée et communiquée aux parties.

 

[22]           Comme nous le verrons, le principe du functus officio en cas d'erreur administrative intervient si une décision est rendue, c'est-à-dire rédigée, signée et communiquée aux parties et, même si elle est moins formelle dans le domaine du droit administratif, une décision doit être visée (Salewski c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 899, aux paragraphes 39 à 48).

 

          Le principe du functus officio

[23]           Le principe du functus officio s'appuie sur le caractère définitif des jugements et de la compétence et une fois qu'une décision formelle est rendue, signée et communiquée aux parties, elle ne peut être rouverte.

 

[24]           En s'appuyant sur le principe du functus officio, les demandeurs soutiennent qu'ils devraient avoir le droit de conserver leur statut de résident permanent et leurs cartes de résident permanent.

 

[25]           L’arrêt Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848, de la Cour suprême, est l'arrêt-clé concernant le principe du functus officio. S'exprimant pour la majorité, le juge John Sopinka a écrit ce qui suit à la page 861 :

     Je ne crois pas que le juge Martland ait voulu affirmer que le principe functus officio ne s'applique aucunement aux tribunaux administratifs. Si l'on fait abstraction de la pratique suivie en Angleterre, selon laquelle on doit hésiter à modifier ou à rouvrir des jugements officiels, la reconnaissance du caractère définitif des procédures devant les tribunaux administratifs se justifie par une bonne raison de principe. En règle générale, lorsqu'un tel tribunal a statué définitivement sur une question dont il était saisi conformément à sa loi habilitante, il ne peut revenir sur sa décision simplement parce qu'il a changé d'avis, parce qu'il a commis une erreur dans le cadre de sa compétence, ou parce que les circonstances ont changé. Il ne peut le faire que si la loi le lui permet ou s'il y a eu un lapsus ou une erreur au sens des exceptions énoncées dans l'arrêt Paper Machinery Ltd. v. J. O. Ross Engineering Corp., précité.

 

 

[26]           Le juge Sopinka a formulé les deux exceptions dans les termes suivants :

1.      lorsqu'il y a eu lapsus en rédigeant la décision;

2.      lorsqu'il y a une erreur dans l'expression de l'intention manifeste de la cour.

 

 

Il poursuit à la page 862 en déclarant ce qui suit :

     Le principe du functus officio s'applique dans cette mesure. Cependant, il se fonde sur un motif de principe qui favorise le caractère définitif des procédures plutôt que sur la règle énoncée relativement aux jugements officiels d'une cour de justice dont la décision peut faire l'objet d'un appel en bonne et due forme. C'est pourquoi j'estime que son application doit être plus souple et moins formaliste dans le cas de décisions rendues par des tribunaux administratifs qui ne peuvent faire l'objet d'un appel que sur une question de droit. Il est possible que des procédures administratives doivent être rouvertes, dans l'intérêt de la justice, afin d'offrir un redressement qu'il aurait par ailleurs été possible d'obtenir par voie d'appel.

 

 

[27]           La Cour suprême a également examiné un autre type d’erreur qui justifierait un nouvel examen de la question, soit un déni de justice naturelle qui rend nulle une décision rendue. Le juge Sopinka a formulé le principe comme suit à la page 863 :

     Si l'erreur qui a pour effet de rendre nulle la décision entache la totalité des procédures, le tribunal doit tout recommencer. Les arrêts Ridge v. Baldwin, [1964] A.C. 40 (H.L.), Lange v. Board of School Trustees of School District No. 42 (Maple Ridge) (1978), 9 B.C.L.R. 232 (C.S.C.-B.), et Posluns v. Toronto Stock Exchange, [1968] R.C.S. 330, se situent dans cette catégorie. Dans chaque cas, il s'agissait d'un déni de justice naturelle qui avait pour effet de vicier toute l'instance. Le tribunal était tenu de tout recommencer afin de remédier à ce vice.

 

 

[28]           Dans la décision Jimenez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 147 F.T.R. 199, le juge Francis Muldoon a conclu qu'une décision rendue par l'agent d'immigration pertinent selon laquelle le demandeur « sembl[ait] satisfaire aux conditions d'admissibilité de cette catégorie [catégorie des immigrants visés par une mesure de renvoi à exécution différée] » rendait le décideur functus officio de sorte que la décision ne pouvait pas être rouverte pour permettre à l'agent d'immigration d'examiner des éléments de preuve selon lesquels le demandeur pouvait avoir commis des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité.

 

[29]           Dans sa décision, le juge Muldoon fait observer ce qui suit :

[16]     Comme l'a déclaré le juge Sopinka, le principe du functus officio favorise le caractère définitif des procédures, encore qu'il s'applique de manière souple dans le cas des tribunaux administratifs. Cela veut dire qu'indépendamment du fait que les parties soient d'accord ou non avec la décision rendue, l'affaire ne peut être rouverte que s'il est établi qu'une erreur a été commise dans la façon d'exprimer l'intention manifeste du décisionnaire, ou s'il existe une erreur administrative qu'il est nécessaire de rectifier : Paper Machinery Ltd. v. J.O. Ross Engineering Corp., [1934] R.C.S. 186. Dernièrement, le juge Nadon de la présente Cour a reconnu aussi qu'il est possible de rouvrir une affaire s'il le faut pour respecter les principes de justice naturelle : Zelzle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] 3 C.F. 20 (1re inst.). Le principe n'autorise pas expressément un tribunal à réviser une décision. La Cour tient compte des propos suivants du juge Sopinka :

 

En règle générale, lorsqu'un tel tribunal a statué définitivement sur une question dont il était saisi conformément à sa loi habilitante, il ne peut revenir sur sa décision simplement parce qu'il a changé d'avis, parce qu'il a commis une erreur dans le cadre de sa compétence, ou parce que les circonstances ont changé. Il ne peut le faire que si la loi le lui permet ou s'il y a eu un lapsus ou une erreur au sens des exceptions énoncées dans l'arrêt Paper Machinery Ltd. v. J.O. Ross Engineering Corp., précité.

 

[17]     Dans la présente affaire, rien ne prouve que la seconde décision a été rendue pour rectifier une erreur administrative ou exprimer l'intention manifeste du décisionnaire. Les intentions du décisionnaire étaient claires lorsqu'il a rendu sa première décision : le demandeur satisfaisait aux critères d'admissibilité à l'obtention du droit d'établissement en vertu des dispositions réglementaires régissant le MREF. Le simple fait qu'un changement soit survenu ne veut pas dire que le décisionnaire peut revenir sur sa décision. Si le décisionnaire a commis une erreur, cette erreur était certainement « dans le cadre de sa compétence », comme l'a dit le juge Sopinka, et vu l'amnistie et toutes les autres circonstances applicables, il n'est pas sûr que cela était illégal comme l'a soutenu le défendeur.

 

[18]     Ainsi qu'a déclaré le juge Nadon dans l'arrêt Zelzle :

 

[...] En d'autres termes, la Commission peut-elle remettre en question une décision qui semble, à première vue, valide ou enquêter sur les circonstances dans lesquelles cette décision a été prononcée? Ainsi qu'il a déjà été précisé, la décision était régulièrement signée et précisait que l'affaire était réglée « sans audience ». La loi applicable autorise la SSR à rendre des décisions sans tenir d'audience. Il semble que, dans le cas du requérant, une décision a été rendue sans qu'une audience ne soit tenue. Un avis de décision a été dûment signé par le greffier, qui y précisait qu'une décision avait été rendue sans audience au sujet de la revendication le 10 mai 1993 et que le statut de réfugié au sens de la Convention avait été reconnu au requérant. La décision du 10 mai semble être régulière et avoir été rendue en conformité avec les dispositions de la Loi. La formation du 29 mai a excédé sa compétence en allant au-delà de cette décision et en jugeant qu'elle constituait une erreur administrative. La Commission n'avait pas compétence pour remettre en question une décision rendue régulièrement et en conformité avec la Loi. Une fois que la décision a été rendue « peu importe la façon dont elle l'a été » les formations du 15 novembre et du 29 mai étaient toutes les deux functus officio, étant donné que la revendication du statut de réfugié du requérant avait été tranchée. Si le ministre avait des réserves au sujet de la légitimité de la décision du 10 mai, la bonne façon de s'y prendre pour dissiper ses doutes consistait à demander le contrôle judiciaire de cette décision. Une fois qu'est rendue une décision qui paraît à première vue régulière, la façon de la contester consiste à présenter une demande de contrôle judiciaire.

 

[19]     Ces propos sont clairs. Si le ministre avait des doutes quant à la validité de la première décision, la bonne façon de la contester aurait été de recourir à une demande de contrôle judiciaire. Comme cela n'a pas été fait, il n'appartient pas au décisionnaire de revenir sur la décision initiale afin de mettre en doute sa validité.

 

[20]     Par conséquent, je suis d'avis de faire droit à la demande de contrôle judiciaire et d'annuler la décision datée du 10 janvier 1997. À l'évidence, au vu des motifs qui précèdent, la demande d'admissibilité en vertu des dispositions réglementaires régissant la MREF de la famille Jimenez, demande qui a déjà été tranchée une fois, n'a pas à être renvoyée à qui que ce soit pour obtenir une autre décision, ce qui serait illégal à la lumière du principe du functus officio. Ce dernier a été illustré de manière efficace par la présente Cour dans l'arrêt Bains c. Commission nationale des libérations conditionnelles, [1989] 3 C.F. 450, 27 F.T.R. 316. Le défendeur est légalement tenu d'exécuter la demande qu'a faite le demandeur en vertu du MREF, et qui a été accueillie le 11 avril 1996.

 

[21]     Il est toujours gênant pour des fonctionnaires de considérer qu'ils ont commis une erreur dans l'administration du droit public. Cependant, à moins qu'il existe un moyen légitime d'effacer une telle erreur, on commet un cas de mauvaise administration en tentant simplement d'annuler l'erreur en question de manière très autoritaire et unilatérale. Quoi qu'il en soit, compte tenu du raisonnement lacunaire de la SSR et de son rabâchage, la première décision n'est manifestement pas erronée.

 

 

Voir aussi Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Xu, 228 F.T.R. 212, 2002 CFPI 1026, au paragraphe 34.

 

[30]           Selon la jurisprudence, si de nouveaux renseignements sont mis au jour, une décision peut être réexaminée. Dans la présente affaire, le défendeur n'a déposé aucun affidavit confirmant ou niant les allégations des demandeurs selon lesquelles ils auraient mentionné à l'agent que le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration avait obtenu le contrôle judiciaire, avant que l'agent leur accorde le statut de résident permanent et leur délivre les cartes de résident permanent (voir Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] 3 C.F. 349).

 

          L'erreur administrative

[31]           Le défendeur a affirmé que l'agent n'était pas functus officio en l'espèce parce qu'il y avait une « erreur administrative ». Il soutient que l’agent n'aurait pas dû accorder la résidence permanente aux demandeurs parce que ceux-ci n'avaient pas le statut sous-jacent exigé de personnes protégées pour obtenir la résidence permanente puisque la Cour avait accueilli le contrôle judiciaire de la décision favorable de la SPR et que l’affaire avait été par conséquent renvoyée pour nouvelle décision.

 

[32]           En ce qui a trait à ce que constitue une « erreur administrative », on peut se référer à la décision de la Cour dans Nozem c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2003 CF 1449, 244 F.T.R. 135. Dans Nozem, le demandeur a tout d’abord obtenu une décision favorable à sa demande d'asile et a par la suite reçue une décision défavorable. Il a sollicité le contrôle judiciaire de la deuxième décision au motif que le tribunal était functus officio au moment où il a rendu sa deuxième décision. La cour a conclu, selon la prépondérance de la preuve, que la première décision était un document authentique. Toutefois, le principe du functus officio ne s'appliquait pas parce que ce premier avis avait été envoyé par suite d'une erreur administrative puisque le tribunal n'avait rendu aucune décision favorable. La Cour a souligné que même si une décision favorable avait apparemment été rendue, cette décision n'avait jamais été inscrite dans les dossiers informatiques de la Section de la protection des réfugiés, que rien n’indiquait que le tribunal avait eu l'intention de rendre une décision favorable et qu'il n'avait jamais rendu une décision favorable dont il pouvait aviser le demandeur. La Cour a par conséquent conclu que la première décision n'avait jamais été réellement prise et le contrôle judiciaire a été rejeté. À cet égard, le juge François J. Lemieux a déclaré ce qui suit :

[37]     Or, on ne trouve dans le dossier aucun élément de preuve qui permette d'affirmer que le tribunal a signé et daté une décision favorable; suivant la preuve, le tribunal a signé et daté seulement les motifs d'une décision défavorable.

 

[38]     Comme je l'ai déjà signalé, le demandeur invoque le jugement Zelzle, précité, dans lequel le juge Nadon a estimé que le principe du functus officio s'appliquait au cas qui lui était soumis. Je suis d'accord avec sa décision mais j'estime qu'elle ne s'applique pas en l'espèce. La raison pour laquelle le principe du functus officio s'appliquait dans l'affaire Zelzle était qu'une décision valide avait déjà été rendue sans audition le 10 mai 1993. Aucune erreur administrative n'avait été commise lors de l'envoi de l'avis de décision.

 

[39]     Ce n'est pas le cas en l'espèce. En effet, aucune décision n'avait été rendue au sujet de l'avis de décision du 20 août 2002. Cet avis a été envoyé par suite d'une erreur administrative puisque le tribunal n'avait rendu aucune décision favorable.

 

 

[33]           Comme le juge Nadon l’a expliqué dans Zelzle, précité, aux pages 34 à 37 :

[...] L'« exception du manquement à la justice naturelle » au principe du dessaisissement a été établie pour permettre à un tribunal administratif de rouvrir une audience lorsque, dans le cas où il a été jugé que l'audition de la demande ne s'est pas déroulée conformément aux règles de justice naturelle, le tribunal administratif peut considérer sa décision comme nulle et réexaminer l'affaire. [...]

 

     [...]

 

Bien que le principe du dessaisissement (appelé aussi principe du functus officio) favorise le caractère définitif des décisions, son application est souple dans le cas des tribunaux administratifs. Une affaire peut être rouverte si la justice l'exige. Je suis d'avis qu'en l'espèce, la SSR s'est acquittée des fonctions qui lui étaient confiées par sa loi habilitante lorsqu'elle a rendu sa décision du 10 mai et que cette décision est, à première vue, régulière.

 

     Dans le cas qui nous occupe, la véritable question à analyser, selon moi, est celle de savoir si la formation du 29 mai a commis ou non une erreur de droit en considérant la décision du 10 mai comme une « erreur administrative ». En d'autres termes, la Commission peut-elle remettre en question une décision qui semble, à première vue, valide ou enquêter sur les circonstances dans lesquelles cette décision a été prononcée? Ainsi qu'il a déjà été précisé, la décision était régulièrement signée et précisait que l'affaire était réglée « sans audience ». La loi applicable autorise la SSR à rendre des décisions sans tenir d'audience. Il semble que, dans le cas du requérant, une décision a été rendue sans qu'une audience ne soit tenue. Un avis de décision a été dûment signé par le greffier, qui y précisait qu'une décision avait été rendue sans audience au sujet de la revendication le 10 mai 1993 et que le statut de réfugié au sens de la Convention avait été reconnu au requérant. La décision du 10 mai semble être régulière et avoir été rendue en conformité avec les dispositions de la Loi. La formation du 29 mai a excédé sa compétence en allant au-delà de cette décision et en jugeant qu'elle constituait une erreur administrative. La Commission n'avait pas compétence pour remettre en question une décision rendue régulièrement et en conformité avec la Loi. Une fois que la décision a été rendue « peu importe la façon dont elle l'a été » les formations du 15 novembre et du 29 mai étaient toutes les deux functus officio, étant donné que la revendication du statut de réfugié du requérant avait été tranchée. Si le ministre avait des réserves au sujet de la légitimité de la décision du 10 mai, la bonne façon de s'y prendre pour dissiper ses doutes consistait à demander le contrôle judiciaire de cette décision. Une fois qu'une décision qui semble à première vue régulière est rendue, la façon de la contester consiste à présenter une demande de contrôle judiciaire.

 

 

[34]           Dans la présente affaire, une note du SSOBL, datée du 30 janvier 2008, est rédigée comme suit : [traduction] « lettre de confirmation de résidence permanente envoyée ». Il y aussi confirmation dans le dossier que le 4 avril 2008 un document intitulé [traduction] confirmation de résidence permanente a été rédigé pour les demandeurs Kemel Mena Narvaez, Ileana Aglae Castillo de Mena et Shahafadi Emir Mena Castillo. En ce qui concerne Kemel Adalio Mena Castillo, le SSOBL donne la date du 3 mars 2008 pour le document intitulé [traduction] CONFIRMATION DE RÉSIDENCE PERMANENTE et le document intitulé [traduction] CONFIRMATION DE RÉSIDENCE PERMANENTE pour Defina Saleh Mena Castillo est daté du 9 novembre 2007 dans la note du SSOBL. Ces notes font état également du numéro d'identification des cartes, de la date à laquelle elles ont été délivrées et de leur date d'expiration.

 

[35]           La correspondance qui se trouve dans le dossier du tribunal entre un agent d'audience de l'Agence des services frontaliers du Canada et une superviseure par intérim de CIC jette un peu de lumière en l'espèce. L'agent d'audience a écrit ce qui suit alors qu'il cherchait des conseils sur la manière de traiter ce dossier :

[traduction] Je note que rien n'apparaît dans le SNGC concernant le litige. J'ai fait l'inscription pour le père, la mère et la fille, puisque ces dossiers connexes « sont apparus » lorsque j’ai saisi l'information pour l'intéressé. Je note aussi que le litige est consigné dans le SSOBL à l'égard des trois mêmes personnes, mais non à l'égard des deux fils.

 

J’ai les trois dossiers, mais je viens tout juste de demander les deux dossiers séparés des fils [...] Je ne suis pas mesure de [...] ou de [...] saisir l'historique du litige parce qu’ils sont fermés.

 

 

 

[36]           La dernière réponse à cette correspondance provient d'une superviseure par intérim de CIC qui souligne que [traduction] « les CR5 ont accès aux ENI lorsqu'ils travaillent à l'écran, mais ils n'ont pas accès à l'écran LITIGE, ils ne sont pas des agents. Cela dit, l'établissement aurait dû être reporté dans ce cas, car l'autorisation avait été accordée. » Dans une deuxième lettre, elle ajoute ce qui suit : [traduction] « nous ne savons pas à quel moment l'écran Litige a été mis à jour avec les renseignements concernant les dates [...] habituellement, l'écran Litige est mis à jour […] quelques mois plus tard […] et plus tard encore. »

 

 

 

Conclusion

[37]           Je souscris à l'argument des demandeurs selon lequel même si la décision de l'agent d'accorder la résidence permanente aux demandeurs a été en rétrospective faite par erreur, cela n’est pas un fondement pour la réouverture administrative de la décision. Une décision rendue en l'espèce, même si elle a été rendue par erreur, est quand même une décision exécutoire. Bien qu'il puisse exister des recours pour infirmer une décision rendue par erreur, en l'absence d’un pouvoir prévu par la loi, une décision une fois rendue ne peut être réexaminée de manière administrative simplement parce qu'elle peut contenir une erreur (voir Chandler, précité).

 

[38]           Compte tenu de ce qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.


 

JUGEMENT

 

 

 

            LA COUR ORDONNE :

 

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La nouvelle décision rendue en 2008 pour infirmer l'octroi de la résidence permanente au Canada aux demandeurs, contenue dans une lettre non datée d'un agent prétendant annuler le statut de résident permanent des demandeurs, est nulle et inopérante.

 

Aucune question n'est certifiée.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3938-08

 

Intitulé :                                       MENA NARVAEZ, Kemel et al. c. Ministre de la citoyenneté et de l'immigration

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               le 28 avril 2009

 

Motifs du jugement

et jugement :                              l'honorable Orville Frenette, juge                                                                                 suppléant

 

DATE DES MOTIFS :                      le 21 mai 2009

 

 

 

Comparutions :

 

Matthew Jeffery                                    pour les demandeurs

 

Ned Djordjevic                                    pour le défendeur

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Matthew Jeffery                                                pour les demandeurs

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                             pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

 

 

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