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Date : 20090521

Dossier : IMM-3939-08

Référence : 2009 CF 513

Ottawa (Ontario), le 21 mai 2009

En présence de l'honorable Orville Frenette

ENTRE :

Kaladevi BAGEERATHAN

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée en application de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d'une décision rendue par un agent d'immigration du Haut-Commissariat du Canada à Colombo, au Sri Lanka (le bureau des visas), laquelle a rejeté la demande de la demanderesse sollicitant l'octroi de la résidence permanente à son mari.

 

Les faits

[2]               La demanderesse est une jeune femme tamoule du Nord du Sri Lanka, qui a quitté la guerre qui y sévissait pour venir au Canada en 2003, accompagnée de son fils. Ils ont tous deux demandé l'asile et ont été déclarés réfugiés au sens de la Convention au cours de la même année. En novembre 2003, elle a présenté une demande de résidence permanente pour elle-même, son enfant et pour son mari, M. Pageerathan Subramaniam, qui était resté au Sri Lanka.

 

[3]               Même si la Loi prévoit le traitement simultané de demandes de résidence permanente présentées par des réfugiés reconnus et leur conjoint, pour faciliter la réunification des familles, la demanderesse et son enfant ont obtenu la résidence permanente en septembre 2005, mais celle de son mari n'a pas été accordée.

 

[4]               Le traitement de la demande de son mari a été retardé jusqu'à ce qu'elle présente une demande sollicitant une ordonnance de mandamus à la Cour.

 

[5]               L'autorisation a été accordée et la Cour devait entendre la demande de mandamus. Toutefois, avant l'audience, le défendeur a avisé la Cour de ce qui suit : [traduction] « Il existe un autre recours en la forme d'un visa de résident temporaire (VRT). Un VRT permettrait au requérant d'être réuni (quoique non sur une base permanente) avec sa famille ici au Canada. » Cet argument a été présenté pour dissuader la Cour de prononcer une ordonnance de mandamus.

 

[6]               Le juge Michael L. Phelan a entendu les observations orales et a décidé, compte tenu de la déclaration du défendeur selon laquelle [traduction] « il peut exister une autre solution dans la présente affaire », que l'audience devait être ajournée jusqu'à ce que le défendeur puisse informer la Cour [traduction] « concernant la délivrance d'un visa de résident temporaire et le traitement au Canada de la demande de parrainage afin de permettre la réunification du père parrainé avec son fils de six ans et son épouse. » La Cour a accordé au défendeur un délai d'une semaine pour confirmer ce qui précède.

 

[7]               L'argument du défendeur selon lequel le mari de la demanderesse aurait pu demander un visa temporaire s'est révélé peu fiable. Pressé de donner une réponse ferme, le défendeur a déclaré ce qui suit : [traduction] « Le ministre ne peut assurer la Cour que le requérant serait admissible à la délivrance d'un visa de résident temporaire. »

 

[8]               La Cour a entendu la demande de mandamus et l'a accueillie. Le défendeur disposait d'un délai de 90 jours (jusqu'au 5 août 2008) pour se prononcer sur la demande de résidence permanente que la demanderesse a présentée pour son mari.

 

[9]               Dans sa décision datée du 13 mai 2008, le juge Phelan a décrit la conduite du bureau des visas comme étant un exemple de « paralysie bureaucratique ». La Cour a souligné que les dispositions réglementaires applicables contenaient un « libellé obligatoire », citant l'article 141 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). La Cour a déclaré qu’il « s’agi[ssait] d’un cas troublant d’inaction, rendu accablant par la prolongation du délai pendant le processus de contrôle judiciaire » et a conclu comme suit :

[25]     La Cour a rendu une ordonnance exigeant que le défendeur se prononce sur la demande dans les 90 jours. La Cour a conservé la compétence de se prononcer sur toute question qui peut survenir et avoir une incidence sur l’ordonnance mandatoire.

 

[26]     La Cour s’attend à ce que, sauf en cas de circonstances inhabituelles, le défendeur accueille la demande avant l’échéance. Un autre retard injustifié pourrait constituer un outrage au tribunal et pourrait entraîner des pénalités et des frais.

 

 

[10]           Le 29 mai 2008, le mari de la demanderesse s'est enfui du Sri Lanka pour aller en Inde, car il alléguait qu'il craignait pour sa vie.

 

[11]           Le fonctionnaire responsable du dossier au bureau des visas, M. Robert Stevenson, qui était alors premier secrétaire (Immigration) du bureau des visas (le premier secrétaire), a rejeté la demande de la demanderesse de transférer le dossier de son mari du Sri Lanka à l’Inde en déclarant ce qui suit :

[traduction]

[...] selon l'article 11 du Règlement de la LIPR, M. Subramaniam ne répond pas aux critères pour que sa demande soit traitée à notre Haut-Commissariat à New Delhi. Je ne suis donc pas disposé à transférer sa demande là. Compte tenu de ce qui précède, je dois insister sur l'obligation de M. Subramaniam de se présenter pour une entrevue à Colombo. S'il choisit de ne pas le faire, je prendrai une décision concernant son admissibilité en fonction des renseignements dont je dispose.

 

 

[12]           M. Stevenson a par la suite refusé de mener une entrevue concernant l'admissibilité au moyen d'une téléconférence. Il a fourni à l'avocat de la demanderesse une lettre avertissant la demanderesse que si son époux omettait de se présenter en personne [traduction] « pour quelque raison que ce soit, votre demande peut être refusée sans avis ».

 

[13]           La demanderesse a présenté une requête au juge Phelan, demandant que soit ordonné au défendeur de transférer le dossier à son bureau en Inde et sollicitant une ordonnance interdisant à M. Stevenson de rendre une décision sans mener une entrevue avec le mari de la demanderesse.

 

[14]           Le 21 juillet 2008, la Cour a refusé d'intervenir concluant que [traduction] « toute erreur dans le traitement de la demande de résidence permanente peut être examinée à l'occasion d'un contrôle judiciaire du refus d'approuver, y compris les questions de mauvaise foi de la part de l'agent des visas et la possibilité d’obtenir une décision imposée ».

 

[15]           Par conséquent, en vertu de l'ordonnance de la Cour, il incombait au bureau des visas de prendre une décision au plus tard le 5 août 2008.

 

[16]           L'avocat de la demanderesse a demandé au premier secrétaire de changer d'avis, à la fois à l'égard de la mention selon laquelle il rejetterait le dossier [traduction] « sans avis » et à l'égard de son refus de mener une entrevue avec le mari de la demanderesse au téléphone ou par vidéoconférence. Il a également souligné ce qui suit : [traduction] « Puisque la Cour fédérale est toujours saisie de la présente affaire et que nous devons faire rapport à la cour, je propose que vous communiquiez votre décision au ministère de la Justice, ainsi qu’à moi. »

 

[17]           Le 4 août 2008, le premier secrétaire a rejeté la demande [traduction] « sans avis » au motif que le mari de la demanderesse [traduction] « a omis de se présenter pour l'entrevue ».

 

[18]           Bien que le premier secrétaire ait su que le mari de la demanderesse avait quitté le Sri Lanka et qu'il ait connu l'adresse qu'il avait à ce moment-là en Inde, il a adressé sa décision à une maison de chambres à Colombo où le mari de la demanderesse avait vécu. Il n'a pas prétendu adresser une copie à la demanderesse, à l'avocat de celle-ci, à l'avocate du défendeur ou à la Cour.

 

[19]           Une fois l'échéance du 5 août passée, l'avocat de la demanderesse a demandé une copie de la décision rendue. L'avocate du défendeur a déclaré qu'une décision avait été rendue et mise à la poste à l'intention de l'avocat de la demanderesse, mais que le bureau des visas ne divulguerait pas la teneur de la décision, même à l'avocate du défendeur. Trois semaines plus tard, après que l'avocat de la demanderesse eut menacé de présenter une demande sollicitant une ordonnance pour outrage au tribunal, l'avocate du défendeur a persuadé le bureau des visas d'envoyer une copie de la décision par télécopie.

 

La décision contestée

[20]           Dans une lettre datée du 4 août 2008, le premier secrétaire a rejeté la demande de visa de résident permanent du mari de la demanderesse au motif qu'il avait omis de se présenter à une entrevue, précisant ce qui suit : [traduction] « J'ai examiné les raisons que vous avez invoquées pour ne pas vous présenter et je ne trouve pas qu'elles justifient de vous offrir une entrevue à d'autres moments. »

 

[21]           Il a également souligné ce qui suit dans sa décision : [traduction] « Après avoir examiné les documents qui étaient disponibles, je ne suis pas convaincu que vous êtes admissible et que vous répondez aux exigences de la Loi. Je rejette donc votre demande en application du paragraphe 11(1). »

 

Les questions en litige

[22]           La demanderesse soulève deux questions dans la présente affaire :

1.  Le premier secrétaire a-t-il mal interprété le fondement légal de sa compétence ou a-t-il autrement commis une erreur de droit en rendant sa décision?

 

2.  Le premier secrétaire a-t-il manqué à la justice naturelle ou agi de mauvaise foi?

 

 

La norme de contrôle

 

[23]           La jurisprudence a établi que la norme de contrôle pour l'évaluation des conclusions de fait ou des conclusions mixtes de fait et de droit est la raisonnabilité. En ce qui a trait aux questions de droit, la norme de contrôle est la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190). Les décisions des tribunaux administratifs concernant des questions de fait commandent la retenue (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Khosa, 2009 CSC 12).

 

[24]           Dans l'arrêt Dunsmuir, précité, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit au paragraphe 47 :

[...] Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

[25]           La norme de contrôle qui s'applique aux manquements aux règles de justice naturelle ou à l'équité procédurale est la décision correcte (Juste c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 670, aux paragraphes 23 et 24; Bielecki c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 442, au paragraphe 28; Hasan c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 1069, au paragraphe 8).

 

Analyse

[26]           En ce qui a trait à la première question, la demanderesse soutient que même avant que le premier secrétaire ait rendu sa décision, il ne faisait aucun doute qu'il commettait une erreur de droit. Il avait décidé, en vertu de l'article 11 du Règlement, qu'il avait la compétence de conserver le dossier au Sri Lanka et qu'il existait une présomption légale interdisant au mari de la demanderesse de se présenter à tout autre bureau des visas.

 

[27]           La demanderesse prétend que le premier secrétaire a erronément présumé que la demande devait être traitée comme s'il s'agissait d'une demande ordinaire de visa d'immigrant. Il a erronément présumé que cela lui donnait la compétence d'appliquer la présomption légale interdisant le transfert du dossier à un autre bureau.

 

[28]           À mon avis, les motifs et les justifications fournis par le premier secrétaire concernant le refus de permettre le transfert du dossier et concernant le refus de mener une entrevue avec le mari de la demanderesse au téléphone ou par vidéoconférence étaient discutables. Le premier secrétaire a allégué avoir une expertise spéciale pour se prononcer sur l'admissibilité des Sri‑Lankais, rendant inacceptable qu'un agent d'immigration en Inde rende la décision. D'autres bureaux que le bureau des visas du Sri Lanka se prononcent régulièrement sur l'admissibilité des Sri‑Lankais au Canada. Tout Sri‑Lankais qui réside à l'extérieur du Sri Lanka peut présenter une demande au bureau de la région dans laquelle il réside. En outre, en vertu de l'alinéa 176(2)a) du Règlement, le conjoint d'un réfugié au sens de la Convention peut se présenter à n'importe quel bureau d'immigration dans le monde. Chaque Sri‑Lankais qui a présenté une demande de résidence permanente depuis le Canada (à titre de réfugié reconnu au sens de la Convention, pour des motifs d'ordre humanitaire ou dans le cadre d'une demande de parrainage à titre de conjoint présentée au Canada) est évalué par un agent au Canada.

 

[29]           Je conclus aussi que la détermination du premier secrétaire à retenir le pouvoir décisionnel est illogique, puisque rien ne l'empêchait de faire connaître les réserves légitimes qu'il pouvait avoir en matière d'admissibilité à ses homologues à New Delhi. De plus, son refus de mener une entrevue au téléphone ou par vidéoconférence avec le mari de la demanderesse était aussi déraisonnable et abusif. Le mari de la demanderesse aurait pu vraisemblablement avoir une entrevue avec le premier secrétaire au téléphone ou par vidéoconférence à l'ambassade en Inde. En se prononçant comme il l’a fait, le premier secrétaire a supposé qu'il n'existait pas de choix lorsqu’en réalité, il disposait d'autres solutions dans ces circonstances particulières.

 

[30]           La conclusion du premier secrétaire selon laquelle le mari de la demanderesse était simplement [traduction] « mal à l'aise avec la situation actuelle au Sri Lanka [...] comme le sont plusieurs citoyens » est, à mon avis, illogique et ne tient pas compte de la preuve dont il était saisi. Le mari de la demanderesse n'était pas simplement mal à l'aise avec une situation générale que vivaient tous les citoyens du Sri Lanka. Il appartient à un groupe social particulier dont les membres sont particulièrement exposés au risque d'être enlevés, torturés ou assassinés. Sa situation relève d'un contexte où les jeunes hommes tamouls, comme lui et ses amis, sont régulièrement enlevés et torturés ou assassinés à Colombo. Le meurtre de son ami a été mentionné dans les actualités et un reportage publié confirme qu'il a eu lieu à proximité de l'adresse résidentielle déjà au dossier de la demanderesse.

 

[31]           Reconnaissant les circonstances particulières en l'espèce et la longue période pendant laquelle cette famille a été séparée, j'estime que le refus du premier secrétaire soit de transférer le dossier, le lieu de l'entrevue, soit de modifier la manière de mener l'entrevue, n'a pas tenu compte de la nature et du poids des droits en jeu dans la demande. Il est difficile d'imaginer comment l'obligation du Canada en droit international envers les réfugiés au sens de la Convention ou les droits de la demanderesse garantis par l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés sont respectés par un officier qui insiste que le conjoint d'une réfugiée mette sa vie en danger pour prendre part à une entrevue concernant l'admissibilité qui pourrait être menée par d'autres moyens.

 

[32]           Concernant la deuxième question, la demanderesse fait valoir que le premier secrétaire a injustement refusé de communiquer ses réserves concernant l'admissibilité et qu'il a refusé à son avocat la possibilité de répondre à ces réserves.

 

[33]           Le juge Phelan a fait remarquer que la demanderesse peut présenter des observations sur la question de savoir si le premier secrétaire a agi de mauvaise foi. Le contexte dans lequel cette conclusion a été tirée est le suivant : les observations de la demanderesse dans le cadre de la requête concernant la menace du premier secrétaire sont présentées aux pages 166 à 177 du dossier de demande de la demanderesse. La mauvaise foi n'a pas été invoquée. Toutefois, après avoir examiné le dossier de requête, la Cour a jugé que même si elle n'estimait pas avoir la compétence d'accueillir la requête, elle pouvait mentionner que la [traduction] « mauvaise foi de la part de l'agent des visas et la possibilité d'une décision imposée » pouvaient être présentées à l'attention de la Cour à l'occasion d'une demande de contrôle judiciaire, si le premier secrétaire donnait suite à sa menace.

 

[34]           Dans la présente affaire, le défendeur a retardé le traitement de la demande de parrainage pendant plusieurs années. Les justifications fournies pour le retard étaient en règle générale fictives, et c'est ce qu'a conclu la Cour. La Cour a clairement fait savoir qu'elle s'attendait à ce que le mari de la demanderesse obtienne un visa, puisque le dossier ne soulevait aucune source de préoccupation en matière d'interdiction de territoire. Une fois que le premier secrétaire était tenu de rendre une décision, il se trouvait devant une demande qui était raisonnable, compte tenu de la situation concernant les droits de la personne au Sri Lanka et les préoccupations que la demanderesse avait sans cesse exprimées à propos de la sécurité de son mari tout au long du litige. Le premier secrétaire a non seulement mal compris les dispositions légales applicables, mais il n'a manifesté aucun souci à ce propos lorsque son erreur a été soulignée. L'erreur est fondamentale, puisqu'elle manifeste un mépris pour l'objet de la loi. Elle recoupe son refus de modifier son exigence que l’époux d'une réfugiée au sens de la Convention revienne dans son pays de nationalité pour être interviewé en personne.

 

Les réparations

          La décision imposée

[35]           La demanderesse soutient que si sa demande est accueillie, en raison de la « paralysie bureaucratique » ou de la mauvaise foi de la part du premier secrétaire, elle devrait avoir droit à une [traduction] « décision imposée » ou à tout le moins à une [traduction] « décision précise » pour pallier son traitement inéquitable. Elle fait valoir que le délai excessif de sept ans pour traiter la demande concernant un homme dont l'épouse et l'enfant ont déjà obtenu le statut de réfugiés et la résidence permanente au Canada depuis 2003, est éminemment injuste.

 

[36]           La demanderesse mentionne de plus que tout retard supplémentaire ajouterait à l'injustice et, par conséquent, elle affirme que cette situation injuste justifie que la Cour rende une [traduction] « décision imposée » ordonnant que le nouveau tribunal soit tenu de rendre sa décision dans un délai fixé ou, comme cela a été fait dans Tran c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 806, ordonne au nouvel agent d'accueillir la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire (voir aussi Turanskaya c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1997] A.C.F. no 254 (C.A.F.) (QL)).

 

[37]           Le défendeur ne conteste pas que le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, autorise ce genre d'ordonnance, mais soutient que la jurisprudence justifie la délivrance de directives précises uniquement dans des circonstances extraordinaires très limitées (Rafuse c. Commission d’appel des pensions, 2002 CAF 31; Johnson c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 1262; Ali c. Canada (M.C.I.), [1994] 3 C.F. 73 (1re inst.), au paragraphe 18).

 

[38]           L'analyse des faits de la présente affaire, les délais excessifs subis et l'absence de compréhension et de collaboration manifestée par le premier secrétaire, de même que son obstination, constituent, à mon avis, une situation extraordinaire telle qu’elle justifie la présente ordonnance.

 

Les dépens

[39]           La demanderesse soutient que la présente instance est une instance qui justifie que la Cour accorde les dépens contre le défendeur. Elle s'appuie sur la décision Manivannan c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 1392, dans laquelle la somme de 2 000 $ a été adjugée à titre de « dépens partie-partie » parce que « [l]e dossier a été traité par différents agents et il a fait l’objet de nombreux retards. Des erreurs n’ont tout simplement pas été expliquées. » Le juge Russell a déclaré qu'il n'avait pas vu de preuve de mauvaise foi dans ce dossier et a donc réduit le montant global de 4 000 $ à 2 000 $.

 

[40]           Le défendeur s'oppose à la demande en s'appuyant sur l'article 22 des Règles des cours fédérales en matière d'immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, qui exige des raisons spéciales pour adjuger des dépens. La prolongation inutile et déraisonnable des procédures figure parmi ces raisons spéciales (Singh c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 544; Johnson, précité, au paragraphe 26; Cortes c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 642).

 

[41]           En l'espèce, l'avocat de la demanderesse a affirmé qu'il a agi bénévolement dans le cadre du présent contrôle judiciaire parce que les parties n'ont pas la capacité financière de payer.

 

[42]           Dans une instance civile de la Cour d'appel de l'Ontario, des dépens de 4 500 $ ont été accordés à un avocat qui avait agi bénévolement (1465778 Ontario Inc. et al. c. 1122077 Canada Ltd. et al. (2006), 82 O.R. (3d) 757).

 

[43]           L'examen du dossier révèle un retard excessif dans le traitement de la présente affaire en raison du manque de sensibilité du premier secrétaire à Colombo à l'égard de la situation d’un Tamoul qui craignait de retourner au Sri Lanka et d'être tué dans une guerre. Un bref de mandamus a été délivré le 7 mai 2008 ordonnant au défendeur de traiter la présente affaire dans les 90 jours. Cela n'a pas été fait. Sept jours plus tard, l'agent a examiné le dossier et a exprimé des réserves qu'il avait auparavant refusé de communiquer à la demanderesse ou à son avocat, et a exigé une entrevue en personne plutôt qu'une entrevue au téléphone ou par vidéoconférence.

 

[44]           J'estime qu'il s'agit d'un cas spécial qui justifie l'adjudication de dépens. En effet, l'agent a contourné une ordonnance judiciaire directe, ce qui exige une sanction.

 

[45]           Dans Manivannan, précité, l'avocat de la demanderesse sollicitait l'adjudication d’un montant global de dépens de 4 000 $. Le juge Russell l’a fixé à 2 000 $. Dans la présente affaire, l'avocat sollicite un montant de 10 000 $. J'estime qu’un montant de 3 000 $ devrait être adjugé.

 

Conclusion

[46]           Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.


JUGEMENT

 

 

 

            LA COUR ORDONNE :

 

1.                          La demande de contrôle judiciaire de la décision de Robert Stevenson, premier secrétaire (Immigration) du Haut-Commissariat du Canada à Colombo, au Sri Lanka, datée du 4 août 2008, est accueillie.

2.                          Le dossier est transféré au bureau du Haut-Commissariat du Canada à New Delhi, en Inde, pour traitement.

3.                          La demande doit faire l'objet d'une nouvelle décision par un autre agent dans les quatre-vingt-dix (90) jours du présent jugement et il est ordonné à cet agent d'accorder au mari de la demanderesse la résidence permanente au Canada.

4.                          La somme de trois mille dollars (3 000 $) est accordée à la demanderesse à titre de dépens contre le défendeur.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3939-08

 

INTITULÉ :                                       Kaladevi BAGEERATHAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 28 AVRIL 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              L'HONORABLE Orville Frenette, JUGE                                                                                 SUPPLÉANT

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 21 MAI 2009

 

 

 

Comparutions :

 

Raoul Boulakia                         POUR LA DEMANDERESSE

 

Leanne Briscoe                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raoul Boulakia                                     POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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