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Cour fédérale

Federal Court

Date : 20090512

Dossier : T-1168-01

Référence : 2009 CF 494

ENTRE :

APOTEX INC.

demanderesse

et

 

SYNTEX PHARMACEUTICALS INTERNATIONAL LTD.

et HOFFMANN‑LAROCHE LIMITÉE

défenderesses

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE HUGHES

 

[1]               Il s’agit d’une action intentée par Apotex Inc. afin d’obtenir des dommages‑intérêts et d’autres réparations en vertu des dispositions du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement). Cette action soulève plusieurs questions complexes. Le règlement de certaines d’entre elles a été reporté jusqu’à ce que l’issue d’autres instances se déroulant maintenant devant la Cour d’appel fédérale soit connue. Toutes les questions, y compris celles dont le règlement a été reporté, découlent de la très grande complexité du Règlement, des défauts de rédaction qu’il comporte et qui ont souvent été signalés par les tribunaux et des sommes d’argent vraisemblablement importantes qui sont en jeu. Tous ces facteurs incitent les parties et leurs avocats à aller au fond des choses. Pour les motifs qui suivent, je rejette l’action et j’ordonne que les dépens soient versés à la défenderesse Hoffmann‑LaRoche Limitée.

 

LE BREVET ET LA DROGUE EN CAUSE

[2]               La demanderesse, Apotex Inc., une société de l’Ontario qui a participé à de nombreux litiges en qualité de fabricant de médicaments génériques, peut être une « seconde personne » au sens du Règlement. Syntex Pharmaceuticals International Limited est le propriétaire (le titulaire) du brevet en cause en l’espèce, lettres patentes canadiennes no 1,204,671 (le brevet 671). Apotex s’est cependant désistée de l’action en ce qui concerne cette partie par un avis déposé le 31 janvier 2007. L’intitulé de la cause n’a jamais été modifié. La défenderesse Hoffman‑LaRoche Limitée a succédé à une autre société, Syntex Inc. (les deux sociétés étant appelées collectivement Roche), qui a inscrit le brevet 671 auprès du ministre de la Santé sous le régime des dispositions du Règlement. Roche est une « première personne » au sens du Règlement.

 

[3]               La défenderesse Syntex Pharmaceuticals a obtenu le brevet 671 le 20 mai 1986 (pièce 2‑2). Ce brevet est assujetti à la version de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, qui s’applique aux brevets découlant de demandes déposées avant le 1er octobre 1989 et qu’il est convenu d’appeler l’« ancienne » loi sur les brevets. Il devrait normalement avoir une durée de 17 ans à compter de la date de sa délivrance, soit jusqu’au 20 mai 2003. Ses aspects techniques et les revendications qu’il renferme ne sont pas particulièrement pertinents en l’espèce. Ce brevet a trait à la formulation à libération contrôlée d’un comprimé dont le principe actif est le naproxène ou le naproxène sodique. Selon le brevet 671, cette drogue est un anti‑inflammatoire. La défenderesse Roche vend un produit similaire sous le nom de marque NAPROSYN SR, à l’égard duquel elle a inscrit le brevet 671 sous le régime des dispositions du Règlement le 7 avril 1993 ou vers cette date (pièce 2‑3).

 

APOTEX SE PRÉVAUT DU RÈGLEMENT

[4]               Le Règlement est entré en vigueur le 12 mars 1993. Il remplaçait l’ancien régime de licences obligatoires accordées par le commissaire aux brevets relativement aux brevets concernant des médicaments. Roche n’a pas perdu de temps à inscrire différents brevets en vertu du Règlement, notamment le brevet 671. Apotex s’est également rapidement prévalue du Règlement en signifiant un avis d’allégation concernant notamment le brevet 671 le 15 juin 1993 ou vers cette date (pièce 2‑4). Apotex a fait deux allégations concernant le brevet 671. La première allégation, de nature technique, visait la question de savoir si les revendications portaient réellement sur un médicament ou une drogue en soi et, en conséquence, si le brevet était visé par le Règlement. La deuxième allégation avait trait à la non‑contrefaçon et indiquait simplement ce qui suit :

[traduction] En outre, Apotex Inc. promet par la présente que les comprimés qu’elle produira et vendra ne seront pas visés par la portée des revendications du brevet no 1,204,671, de sorte qu’aucune revendication ne sera contrefaite.

 

 

[5]               Il importe de mentionner qu’Apotex ne prétendait pas, à l’époque, que le brevet 671 était invalide.

 

[6]               Ayant reçu l’avis d’allégation, Roche et Syntex Pharmaceuticals ont présenté à la Cour une demande d’interdiction en vertu du Règlement le 3 août 1993 (pièce 2‑5). La Cour a rendu une ordonnance d’interdiction en conséquence.

 

L’ORDONNANCE D’INTERDICTION ET SES MOTIFS

[7]               Saisie de la demande présentée à la Cour par Roche et Syntex Pharmaceuticals, la juge Reed a rendu une ordonnance d’interdiction visant le ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social, en vertu du paragraphe 6(2) du Règlement, le 20 mars 1996 (pièce 2‑6). Le dispositif de l’ordonnance indiquait :

LA PRÉSENTE COUR STATUE QUE :

Il est interdit au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex, relativement à sa présentation de drogue nouvelle portant sur les comprimés à libération progressive à 750 mg et 1000 mg du médicament naproxène et auxquels l’avis d’allégation en date du 15 juin 1993 se rapporte, avant l’expiration du brevet canadien no 1,204,671.

 

 

[8]               Dans ses motifs (aussi pièce 2‑6; publiés à 67 C.P.R. (3d) 484), la juge Reed traitait des deux allégations particulières formulées par Apotex. En ce qui concerne la première, qui avait trait à la question de savoir si le brevet était visé par le Règlement, elle a statué qu’un brevet de ce genre était visé par le Règlement selon la jurisprudence récente. Elle a écrit aux pages 486 et 487 :

Les présentes demandes se rapportent une fois de plus aux procédures et au fardeau de preuve qui s’appliquent aux demandes présentées en application du paragraphe 6.(1) du Règlement sur les produits brevetés (avis de conformité). De nombreux aspects des questions initialement soulevées dans les présentes demandes ont été réglés, du moins en ce qui concerne la Section de première instance. C’est le résultat de décisions comme celles‑ci : Deprenyl Research Ltd. c. Apotex Inc. (1994), 55 C.P.R. (3d) 171 (C.F. 1re inst.), confirmée par (1995), 60 C.P.R. (3d) 501 (C.A.F.) (des revendications de procédé ne sont pas des revendications qui comportent une revendication pour le médicament en soi); Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc. (1995), 63 C.P.R. (3d) 245 (C.F. 1re inst.) (des revendications de procédé pour des substances intermédiaires ne sont pas des revendications pour le médicament en soi); Hoffmann-La Roche Ltée c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 62 C.P.R. (3d) 58, confirmée par A-389-95, 5 décembre 1995 [publiée à 67 C.P.R. (3d) 25] (des revendications de composition ou de formulation sont des revendications pour le médicament en soi).

 

 

[9]               En ce qui concerne l’allégation de non‑contrefaçon, la juge Reed a conclu que les faits allégués n’étaient pas suffisants et que l’allégation n’était pas justifiée. Elle a écrit à la page 503 :

S’agissant du brevet 1,204,671 (dossier T-1898-93), toutefois, il n’y a aucune allégation de fait qui pourrait m’amener à conclure que l’allégation de non-contrefaçon est fondée. Même si je souscris à l’interprétation de l’allégation proposée par l’avocat de la partie intimée et que je conclus que cette allégation renferme implicitement l’allégation de fait suggérée, il reste que la revendication est formulée en termes imprécis. L’affirmation implicite selon laquelle le produit de la partie intimée ne se situe pas dans la fourchette spécifique des pourcentages pondéraux énumérés n’appuierait pas l’allégation de non-contrefaçon. De plus, la promesse faite par la partie intimée de ne pas contrefaire le brevet des parties requérantes n’est pas une allégation de fait. Elle ne saurait appuyer la conclusion que l’allégation de non‑contrefaçon est fondée.

 

 

[10]           Apotex a demandé la permission de produire des éléments de preuve additionnels relativement à la non‑contrefaçon, permission qui lui a été refusée. La juge Reed a écrit à la page 504 de ses motifs :

L’avocat des parties intimées fait valoir que si je prononce contre ses clientes, je devrais autoriser ces dernières à produire de nouveaux affidavits plus complets au soutien de leur allégation. La règle 303 prévoit que la Cour peut, à tout stade d’une procédure, ordonner qu’un document soit rectifié afin de déterminer quel est réellement le point en litige. À titre subsidiaire, l’avocat des parties intimées demande que l’ordonnance qui sera rendue soit formulée sans préjudice du droit des parties intimées de déposer un autre avis d’allégation auprès du ministre.

Je ne suis pas convaincue que les règles 6 et 302b) s’appliquent. Ce que l’on me demande de faire, ce n’est pas de dispenser de l’observation des règles, mais de substituer à la procédure réglementaire (obtenir le dossier du ministre) une autre procédure (demander des renseignements à la partie intimée). L’application des règles a déjà été largement suspendue puisque je n’ai pas insisté pour que les règles 1602 et 1603, par exemple, soient observées.

 

[11]           Apotex a aussi demandé que toute ordonnance d’interdiction qui serait rendue soit libellée de manière à permettre la signification d’un nouvel avis d’allégation. La juge Reed a rejeté cette demande. Elle a écrit à aux pages 504 et 505 :

En ce qui concerne la deuxième suggestion, à savoir que l’ordonnance d’interdiction prononcée contre le ministre devrait être formulée sans préjudice du droit de la partie intimée de déposer de nouveaux avis d’allégation, je ne pense pas qu’il me soit loisible d’y donner suite. Le paragraphe 6.(2) du Règlement rend le prononcé d’une ordonnance d’interdiction obligatoire s’il s’avère que les allégations ne sont pas fondées :

 

                                Le tribunal rend une ordonnance en vertu du paragraphe (1) [ordonnance interdisant au ministre de délivrer un  avis de conformité avant l’expiration de un ou plusieurs des brevets visés par une allégation ou des allégations] si elle [sic] conclut qu’aucune des allégations n’est fondée. (sans italiques dans l’original)

 

Le paragraphe 55.2(5) de la Loi sur les brevets dispose que l’article 55.2 de la Loi sur les brevets ainsi que son règlement d’application prévalent sur toute autre disposition législative ou réglementaire fédérale. Par conséquent, le caractère impératif du paragraphe 6.(2) du Règlement ne semble pas me permettre d’exercer l’option qui se présenterait à moi, comme on l’a laissé entendre. En outre, l’avis d’allégation fait partie de la présentation de drogue nouvelle qui a été soumise au ministre. Il ne relève pas de l’autorité de la présente Cour. C’est au ministre qu’il appartient de décider si ce document peut être modifié ou retiré, conformément aux règles normalement appliquées aux documents produits dans le cadre d’une présentation de drogue nouvelle, ainsi qu’aux règles normalement appliquées au retrait ou au remplacement de la présentation dans son ensemble.

 

[12]           La décision de la juge Reed a fait l’objet d’un appel et d’un appel incident à la Cour d’appel fédérale. Le 21 octobre 1996, celle‑ci a rejeté l’affaire et a confirmé la décision de la juge Reed concernant le brevet 671, y compris son refus de permettre la production d’éléments de preuve additionnels (pièce 2‑7; publiée à 70 C.P.R. (3d) 1). Les avocats m’informent qu’aucune autorisation de pourvoi n’a été demandée à la Cour suprême du Canada ou, si une telle autorisation a été demandée, rien n’en a découlé

 

LES AUTRES INSTANCES CONCERNANT LE BREVET 671

[13]           Deux jours après que la juge Reed a rendu l’ordonnance d’interdiction, Apotex a signifié un nouvel avis d’allégation à Roche. Celle‑ci a déposé un nouvel avis de demande à la Cour le 2 mai 1996. Cette affaire, ainsi que les affaires connexes portant les numéros de dossier de la Cour T‑1712‑95, T‑421‑96 et T‑998‑96, ont été entendues par le juge MacKay. Le 8 janvier 1997, ce dernier a rendu une ordonnance suspendant de manière permanente les procédures. Le juge MacKay a écrit aux paragraphes 49 à 54 de ses motifs (publiés à (1997), 71 C.P.R. (3d) 129) :

49     Dans le dernier avis d’allégation, en date du 22 mars 1996, soit deux jours après le prononcé de l’ordonnance du juge Reed, Apotex précise davantage les revendications contenues dans les brevets en litige, s’engage à ce que tout comprimé préparé par elle ne soit pas visé par la portée des revendications des brevets et indique qu’elle se limitera à utiliser la formule qu’elle a fournie précédemment aux procureurs des requérantes dans une lettre datée du 29 janvier 1996, dans le dossier T‑1898‑93, c’est‑à‑dire avant le prononcé de la décision de Madame le juge Reed, et qui doit faire partie intégrante de l’avis d’allégation. Dans l’affaire en question (T‑1898‑93), Madame le juge Reed a refusé d’accorder à Apotex l’autorisation de produire une preuve de sa formule, qui, lorsqu’elle a été offerte aux procureurs des requérantes en janvier 1996, a été refusée, et sa décision a été confirmée par la Cour d’appel dans son arrêt du 21 octobre 1996.

50     Enfin, après avoir comparé les avis d’allégation, celui du 15 juin 1993, que le juge Reed a jugé non fondé, et celui du 22 mars 1996, qui a donné lieu à la deuxième demande en vue d’obtenir une ordonnance d’interdiction adressée au ministre, la Cour les trouve essentiellement identiques à ce stade‑ci. De plus, compte tenu des observations formulées par le juge Stone de la Cour d’appel lorsqu’il a examiné le refus du juge Reed de permettre à Apotex de produire de nouveaux éléments de preuve, il serait impossible, selon la Cour, d’accorder une autorisation à la même fin dans la présente instance (T‑998‑96), si elle était demandée.

51     Ainsi, la demande d’Hoffmann-La Roche et Syntex, en l’espèce, soulève des considérations différentes de celles des deux autres dossiers parce que le deuxième avis d’allégation, dans cette demande, est essentiellement le même que celui que le juge Reed a jugé non fondé, conclusion confirmée par la Cour d’appel. La Cour estime que permettre une deuxième série d’instances pour trancher une question ayant fait l’objet d’une décision rendue par un juge de notre Cour et confirmée par la Cour d’appel, constituerait un emploi abusif de la procédure. Néanmoins, la présente procédure a été engagée par les requérantes, conformément au Règlement, pour protéger leurs droits face à ce qui peut être considéré comme une action futile d’Apotex, à savoir le dépôt d’un deuxième avis d’allégation analogue à un premier avis qui a déjà été jugé non fondé.

52     Dans ces circonstances, comme les questions en litige ont déjà été tranchées et, donc, que le principe de la chose jugée s’applique, la Cour estime que l’intérêt de la justice exige d’ordonner une suspension d’instance permanente dans l’affaire qui porte le numéro de greffe T-998-96, à moins que, au moyen d’une autre ordonnance, elle ne permette à l’affaire de suivre son cours advenant le cas où, à titre d’exemple, la Cour suprême du Canada devait finalement faire droit à la requête en autorisation de pourvoi présentée par Apotex relativement à l’ordonnance de la Cour d’appel. Tant que la suspension reste en vigueur, l’ordonnance existante de Madame le juge Reed continue de s’appliquer et empêche la délivrance d’un avis de conformité à Apotex relativement à sa présentation de drogue nouvelle portant sur les comprimés à libération progressive dosés à 750 mg et 1 000 mg de naproxène, avant l’expiration du brevet no 671.

53     Un dernier argument des requérantes mérite qu’on s’y arrête brièvement. Elles allèguent que le principe de la chose jugée, dans son application large, empêche Apotex de soulever, dans une deuxième instance, des questions ou des moyens qu’elle aurait pu soulever dans la première instance qui a donné lieu à des ordonnances interdisant la délivrance d’avis de conformité dans les affaires concernant les trois médicaments en litige. La Cour n’est pas disposée à appliquer ce principe en l’espèce, parce que les avis d’allégation d’Apotex ne sont pas des actes de procédure présentés à la Cour, mais plutôt des déclarations soumises au ministre et au détenteur d’un avis de conformité. Comme la Cour l’a déjà fait remarquer ailleurs, ces avis ne sont pas dépourvus d’importance sur le plan juridique, mais ils sont présentés à la Cour en tant qu’éléments de preuve qu’elle doit apprécier conformément au Règlement lors de l’audition de la demande de contrôle judiciaire concluant à une ordonnance d’interdiction.

54      La Cour tient à faire remarquer que, bien qu’elle ne puisse décider de la forme ou de la teneur d’un avis d’allégation, elle peut sanctionner un emploi abusif de la procédure prévue par le Règlement en évaluant ces avis et en attribuant des dépens, lorsqu’elle considère que la procédure a été utilisée de manière abusive ou qu’elle juge futile l’action d’une partie à l’origine de l’instance.

 

[14]           Les avocats m’informent que l’appel qui avait été interjeté à l’encontre de cette décision a été abandonné.

 

[15]           Curieusement cependant, le ministre de la Santé a délivré un avis de conformité à Apotex le 2 novembre 1998, soit 30 mois après que le deuxième avis de demande a été déposé et alors qu’aucune décision sur le fond n’avait été rendue. Roche a immédiatement présenté une demande à la Cour afin que celle‑ci annule cet avis de conformité. Le juge Evans (alors juge de la Cour fédérale), qui a entendu la demande, a annulé l’avis de conformité avec réticence, après avoir mûrement réfléchi à la question. Il a écrit aux paragraphes 30 à 33, 36 et 37 de ses motifs, publiés à (1999), 1 C.P.R. (4th) 1 :

30     Il importe de se rappeler qu’à la suite de la décision Eli Lilly, précitée, les ordonnances d’interdiction touchant ce domaine ne sont pas rendues en matière réelle. C’est-à-dire qu’elles ne visent pas à empêcher à jamais le Ministre de délivrer un avis de conformité à l’égard d’un produit donné. Leur portée se restreint au genre d’allégations que la Cour a jugé non étayées par la preuve présentée par l’intimé au moment où elle a rendu l’ordonnance d’interdiction. En conséquence, lorsqu’une différente sorte d’allégation est formulée relativement au même brevet, le titulaire de ce brevet doit tenter d’obtenir une autre ordonnance d’interdiction afin d’empêcher que le Ministre ne soit tenu de délivrer un avis de conformité. Il s’agit également de la conclusion à laquelle le juge MacKay est arrivé dans l’affaire AB Hassle, précitée, lorsqu’il s’est penché sur le second avis d’allégation déposé par Apotex.

 

31     L’interdiction prononcée par le juge Reed pouvait uniquement s’appliquer à l’allégation de non-contrefaçon dont elle était saisie, de même qu’à toute autre allégation jugée essentiellement similaire. Par conséquent, en l’absence d’une ordonnance d’interdiction délivrée par le juge MacKay relativement à l’allégation d’invalidité, ou d’une ordonnance prorogeant le sursis légal de trente mois, Apotex avait le droit d’obtenir un avis de conformité fondé sur son allégation voulant que le brevet de Hoffmann-La Roche ayant trait au naproxen à libération prolongée en comprimés de 750 mg soit invalide.

 

32     Si je devais trancher en faveur de Hoffmann-La Roche et donc, compte tenu des faits en l’espèce, accorder la priorité aux avantages offerts par le principe de la chose jugée, à savoir la certitude et, dans une certaine mesure, le règlement définitif du différend, je donnerais ainsi au jugement de la présente Cour un effet que cette dernière ne pouvait avoir eu l’intention de lui donner, et j’accorderais la préférence à la forme plutôt qu’au fond. À l’inverse, adhérer à l’argument avancé au nom d’Apotex aurait inévitablement pour effet de sacrifier l’important principe selon lequel, à moins d’être infirmées en appel, les ordonnances de la présente Cour sont définitives et doivent être appliquées conformément aux conditions claires dont elles sont assorties.

 

33           Ce choix n’a rien d’attrayant. Toutefois, j’ai décidé, à la lumière des faits de l’espèce, que le moindre mal consiste à conclure en faveur de la demanderesse, et donc de confirmer les valeurs qui sous-tendent la doctrine de la chose jugée. Voici mon raisonnement.

 

[…]

 

36     Naturellement, il est difficile de ne pas être troublé par le fait que ma décision aura notamment pour conséquence de priver Apotex de la possibilité de faire valoir son allégation d’invalidité en application du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) et d’empêcher la Cour de décider si cette allégation est suffisamment étayée par la preuve pour empêcher le tribunal d’interdire au Ministre de délivrer un avis de conformité. En outre, je suis évidemment conscient du fait que mon ordonnance pourrait très bien avoir pour effet de reporter l’introduction de la concurrence bien après l’expiration du brevet de Hoffmann‑La Roche ayant trait au naproxen à libération prolongée en comprimés de 750 mg. Toutefois, la protection des droits en matière de brevet se fonde également sur des considérations relevant de l’intérêt public, et rien ne m’autorise en l’occurrence à décider comment les intérêts publics opposés devraient être conciliés dans la présente affaire.

 

37     Je sais par contre que le fait de m’appuyer fermement sur la doctrine de la chose jugée permettra de retarder, en regard d’une décision en faveur d’Apotex, le moment où il sera nécessaire de consacrer du temps et des ressources supplémentaires, tant publics que privés. Cependant, je doute fort que mes motifs et l’ordonnance tranchant la présente demande de contrôle judiciaire règlent la question de manière définitive.

 

[16]           Dans l’intervalle, Apotex a intenté une action en vertu non pas du Règlement, mais de la Loi sur les brevets dans le but d’obtenir notamment un jugement déclarant que le brevet 671 était invalide, nul et sans effet. La déclaration (pièce 2‑8) a été déposée à la Cour le 21 janvier 1997. L’affaire a été entendue par la juge Reed, qui avait rendu l’ordonnance d’interdiction. Dans un jugement daté du 19 avril 1999, qui a été prononcé en même temps que les motifs le 23 avril 1999 (pièce 2‑9), la juge Reed a déclaré notamment que le brevet 671 était invalide, nul et sans effet. Elle a statué en outre que la formulation particulière d’Apotex produite en preuve ne contreferait pas le brevet si celui‑ci était valide. Dans ses motifs, publiés à (1999), 1 C.P.R. (4th) 22, elle a écrit, au sujet des procédures antérieures relatives à l’avis de conformité, que celles‑ci étaient séparées et distinctes de l’action et qu’elles n’avaient aucune incidence sur les conclusions qu’elle allait tirer dans l’affaire dont elle était saisie. Elle a écrit aux paragraphes 25, 26 et 29 :

25     En ce qui concerne la question plus large de l’occasion qui a déjà été donnée à la demanderesse de faire trancher la question de la contrefaçon sur le fondement de la formulation en litige en l’espèce, il importe d’examiner la jurisprudence portant sur les différences entre une demande d’ordonnance d’interdiction présentée en vertu du Règlement sur les avis de conformité et une action en contrefaçon de brevet. La Cour d’appel fédérale et la Cour suprême du Canada ont déclaré dans les termes les plus nets que la décision portant sur la question de savoir si un avis d’allégation est justifié ou non est entièrement différente d’une conclusion de contrefaçon ou d’invalidité dans le cadre d’une action en brevet. Ainsi, dans l’arrêt Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1994), 55 C.P.R. (3d) 302, à la page 320, la Cour d’appel fédérale a déclaré :

 

Cette procédure est après tout engagée par le breveté pour demander une interdiction contre le ministre; puisqu’elle revêt la forme d’un recours sommaire en contrôle judiciaire, il est impossible de concevoir qu’elle puisse donner lieu à une demande reconventionnelle de la part de l’intimé en vue de pareil jugement déclaratoire. L’invalidité de brevet, tout comme la contrefaçon de brevet, n’est pas une question relevant d’une procédure de ce genre. La seule explication est, à mon avis, que le rédacteur avait à l’esprit la possibilité de procédures parallèles intentées par la seconde personne et qui donneraient lieu à pareil jugement déclaratoire, exécutoire pour les parties. [Non souligné dans l’original.]

 

26           Dans l’arrêt Pharmacia Inc. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1994), 58 C.P.R. (3d) 209, à la page 217, la Cour d’appel fédérale a déclaré, sous la plume du juge Strayer :

 

Soulignons qu’aucune des dispositions du Règlement ne crée ni n’abolit les droits d’action des parties; elles confèrent plutôt au breveté le droit de présenter une demande d’interdiction contre le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social. Le Règlement ressortit donc au droit public et ne vise pas les droits d’action privés [...] Si, en prenant ce règlement, le gouverneur en conseil avait eu l’intention de prévoir le prononcé d’une décision définitive sur la validité et la contrefaçon d’un brevet, qui lierait toutes les parties privées et empêcherait tout litige ultérieur visant les mêmes question, il l’aurait sûrement exprimé. Le tribunal n’est pas disposé à accepter l’hypothèse voulant que les brevetés et les sociétés génériques soient forcés de faire valoir leur droits privés uniquement au moyen de la procédure sommaire de demande de contrôle judiciaire. Étant donné que le Règlement dispose que les questions qui peuvent être tranchées à cette étape seront examinées dans le cadre d’une telle procédure, il est donc assez clair que ces questions sont obligatoirement de nature limitée ou préliminaire. Si l’instruction complète des questions de validité et de contrefaçon est nécessaire, on peut procéder de la façon habituelle en intentant une action. [Non souligné dans l’original.]

 

[…]

 

29     Si j’ai bien compris la jurisprudence, une des raisons pour lesquelles la Cour d’appel fédérale a jugé que les deux instances sont séparées et distinctes est qu’une demande d’interdiction présentée en vertu du Règlement constitue une procédure sommaire. De plus, la question en litige dans les deux instances est différente sur le bien-fondé de l’allégation faite au ministre qui fait l’objet de l’instance, et que, dans l’autre cas, elle concerne les droits privés des parties. Je ne considère pas les propos qui ont été tenus dans les décisions précitées comme de simples remarques incidentes, et je constate que la loi ne respecte pas toujours le principe interdisant les doubles instances. En effet, dans bien des cas, la tenue d’un nouveau procès ou d’une nouvelle audition est permise. C’est également le cas lorsqu’une procédure décisionnelle administrative et un litige entre particuliers portent sur la même situation factuelle de base sans que la décision rendue dans le premier cas empêche le prononcé d’une décision distincte dans le second.

 

[17]           Cette décision n’a pas été portée en appel.

 

APOTEX CONTESTE L’ORDONNANCE D’INTERDICTION

[18]           Quatre jours après le jugement de la juge Reed invalidant le brevet 671, Apotex a déposé une requête dans le cadre de la procédure antérieure relative à la demande afin que l’ordonnance d’interdiction soit annulée et que la demande soit rejetée (pièce 2‑10).

 

[19]           Le 30 avril 1999, la juge Reed, qui a entendu la requête, a rendu une ordonnance annulant son ordonnance d’interdiction et rejetant la demande. L’ordonnance indiquait :

ORDONNANCE

 

Sur requête déposée au nom de l’intimée, Apotex Inc., en vue d’obtenir :

1. Une ordonnance annulant l’ordonnance rendue par Madame le juge Reed le 20 mars 1996;

2. Une ordonnance rejetant la demande introductive de la présente instance;

3. Toute autre ordonnance que cette Cour jugera équitable.

ET pour les motifs de l’ordonnance rendus ce jour;

LA COUR ORDONNE :

 

Les ordonnances demandées aux paragraphes 1 et 2 ci-dessus sont accordées.

 

 

[20]           Dans le cadre de l’instance tenue devant le juge Evans, l’avocat du ministre de la Justice, qui représentait le ministre de la Santé, a écrit une lettre à la Cour datée du 20 avril 1999 (pièce 3), dans laquelle il faisait valoir que la façon de procéder consistait, pour Apotex, à demander à la Cour d’annuler l’ordonnance d’interdiction.

 

[21]           Cette lettre se lisait en partie comme suit :

[traduction] En conséquence, le ministre soutient respectueusement que le recours dont Apotex Inc. peut se prévaloir ne consiste pas à faire exécuter le jugement du 19 avril dans la requête en sursis, mais plutôt à demander l’annulation de l’ordonnance d’interdiction du 20 mars 1996 et la modification de l’ordonnance du 8 janvier 1997, conformément à la Règle 399. Si cette requête était accueillie, le jugement visé par la requête en sursis n’aurait plus de raison d’être. Étant donné l’effet du jugement du 19 avril 1999, le ministre consentirait à une requête en annulation de l’ordonnance d’interdiction.

 

 

[22]           La juge Reed a rédigé les motifs de son ordonnance (pièce 2‑11), lesquels ont été publiés à (1999), 167 F.T.R. 111. Elle a déclaré que l’ordonnance d’interdiction avait, d’après ses propres termes, perdu sa force exécutoire une fois qu’un jugement déclarant le brevet invalide avait été rendu. Elle a toutefois ajouté qu’elle allait accorder l’ordonnance demandée. Elle a écrit aux paragraphes 14 à 16 de ses motifs :

14     J’en viens à l’analyse. Je ne suis pas convaincue que l’ordonnance demandée soit nécessaire pour autoriser le ministre à délivrer un avis de conformité. L’ordonnance qui a été rendue dans l’affaire T‑2870‑96 a déclaré le brevet ’671 [traduction] « invalide, nul et sans effet ». Selon moi, cette déclaration permet au ministre de traiter le brevet comme étant nul aux fins de l’article 4. Il peut également agir comme si le brevet n’avait jamais été inscrit sur la liste. De plus, l’ordonnance d’interdiction du 20 mars 1996 qui a été rendue en l’espèce indiquait qu’elle resterait en vigueur « jusqu’à l’expiration du brevet canadien 1,204,671 ». Comme le brevet a été déclaré invalide, il a, en fin de compte, expiré. J’estime donc que l’ordonnance a, d’après ses propres termes, perdu sa force exécutoire en raison du prononcé, dans l’affaire T-2870-96, d’une ordonnance déclarant le brevet invalide.

 

15     Je peux cependant comprendre pourquoi les conseillers juridiques du ministre sont si prudents : ils ne voudraient pas voir ce dernier se faire accuser de ne pas respecter une ordonnance judiciaire. En conséquence, je suis prête à accorder l’ordonnance demandée.

 

16     On m’a convaincue que la Cour est compétente pour annuler l’ordonnance du 20 mars 1996 dans un cas comme celui-ci, non pas parce qu’elle était nulle lors de son prononcé, mais en raison des nouvelles circonstances. En d’autres termes, je conviens que la Cour a une compétence qui se prolonge dans le temps, comme dans le cas d’une injonction, pour modifier l’ordonnance d’interdiction. Je ne suis pas persuadée que la présente requête soit une contestation indirecte des décisions du juge Evans. Comme le fondement juridique de l’ordonnance du 20 mars 1996 n’existe plus, les ordonnances demandées doivent être accordées.

 

[23]           Cette décision n’a pas été portée en appel. Apotex a obtenu un avis de conformité le 4 mai 1999 (pièce 2‑12).

 

[24]           C’est cette ordonnance de la juge Reed qui constitue le fondement de la demande présentée par Apotex en vertu de l’article 8 du Règlement. Cette demande soulève de nombreuses questions.

 

RÉPARATIONS RÉCLAMÉES, ABANDONNÉES, REPORTÉES

[25]           La demanderesse, Apotex, a demandé les réparations suivantes dans sa déclaration modifiée (pièce 1‑1) :

[traduction]

1. La demanderesse, Apotex Inc. (Apotex), réclame :

 

a) une indemnité pour les dommages qu’elle a subis relativement aux comprimés de naproxène à libération lente du fait de l’introduction d’une procédure par les défenderesses en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement), en ce qui concerne :

 

(i) les ventes perdues de ses comprimés de naproxène à libération lente;

(ii) les frais juridiques et autres dépenses engagés pour se défendre contre la procédure introduite en vertu du Règlement ainsi que contre une deuxième procédure introduite en vertu du Règlement;

 

le tout de la façon exposée plus en détail ci‑dessous :

 

b) une remise des profits réalisés par les défenderesses relativement aux ventes de comprimés de naproxène à libération lente qu’Apotex aurait faites et qui sont visées au sous‑alinéa a)(i), si elle préfère cette réparation à celle prévue au sous‑alinéa a)(i);

 

c) la restitution des recettes des comprimés de naproxène à libération lente des défenderesses qui sont attribuables au prix supérieur facturé par celles‑ci et qui ont été réalisées injustement par les défenderesses relativement aux ventes qui auraient été faites par Apotex et qui sont visées au sous‑alinéa a)(i), du fait de l’introduction d’une procédure par les défenderesses en vertu du Règlement, le tout de la façon exposée plus en détail ci‑dessous;

 

d) les intérêts avant jugement et après jugement;

 

e) les dépens de la présente action selon l’échelle établie par la Cour;

 

f) toute autre réparation que la Cour estime juste.

 

 

[26]           Au début du procès, l’avocat d’Apotex a fait savoir à la Cour que la demanderesse avait décidé de laisser tomber la réclamation fondée sur l’enrichissement injustifié (alinéa 1c)) ainsi que celle concernant les frais juridiques et les autres dépenses (sous‑alinéa 1a)(ii)). Aucune autre réparation n’a été réclamée en application de l’alinéa 1f).

 

[27]           La Cour a décidé, par une ordonnance datée du 19 juillet 2004 (pièce 1‑4), que le montant des dommages‑intérêts ou des profits accordés et le montant des recettes tirées des ventes du médicament en cause en l’espèce allaient être déterminés ultérieurement, au besoin, dans le cadre d’un autre procès ou d’un renvoi.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE – REPORTÉES OU RÉGLÉES

[28]           En vertu d’une entente conclue entre les parties (pièce 5), les questions suivantes qui auraient dû être tranchées dans le cadre de la présente instance seront réglées conformément à la décision rendue dans l’affaire T‑1144‑05, sous réserve d’une décision différente ou d’un appel. Ces questions sont exposées dans les termes suivants au paragraphe 1 de l’entente :

[traduction]

1.                  Sous réserve des paragraphes 3 et 4 ci‑dessous, les questions suivantes et la question mentionnée au paragraphe 2 (Questions en litige) seront réglées conformément à la décision rendue dans l’affaire T‑1144‑05, comme il est prévu ci‑dessous :

 

(i)                  l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, modifié par DORS/98‑166, qui était en vigueur jusqu’en 2006 :

a.                   relève de la compétence de la Cour fédérale, de sorte que celle‑ci peut instruire une action intentée en vertu de cette disposition et la trancher,

b.                  est permis par la Loi sur les brevets, L.R.C., ch. P‑4. modifiée par L.C. 1993, ch. 2, art. 4,

c.                   relève du pouvoir constitutionnel du Parlement du Canada;

 

(ii)        Apotex Inc. n’a pas le droit de choisir de se faire remettre les profits d’Hoffmann‑LaRoche Limitée (comme elle prétendait le faire à l’alinéa 1b) de la déclaration modifiée).

 

[29]           Il n’est pas nécessaire que j’expose le reste de l’entente intervenue entre les parties, qui prévoit notamment que celles‑ci se réservent leurs droits d’appel.

 

[30]           Les parties s’entendaient en grande partie sur les questions qu’il restait à trancher dans le cadre de la présente instance. Je reformulerai légèrement les questions énoncées par Apotex au paragraphe 10 de son mémoire et par Roche au paragraphe 31 de son premier mémoire. Les trois premières questions sont, pour l’essentiel, soulevées par toutes les parties, alors que les deux dernières sont soulevées par Roche :

1.      Quelle version du Règlement – celle de 1993 ou de 1998 – s’applique aux réclamations faites par Apotex en l’espèce?

2.      Si c’est la version du Règlement de 1998 qui s’applique, les faits concernant la procédure relative à l’ordonnance d’interdiction font‑ils entrer en jeu l’article 8 du Règlement?

3.      Si c’est la version du Règlement de 1993 qui s’applique, les faits concernant l’ordonnance d’interdiction font‑ils entrer en jeu l’article 8 du Règlement?

4.      Si l’une ou l’autre des versions s’applique, Apotex a‑t‑elle droit à une réparation malgré sa conduite dans le cadre de la procédure relative à l’ordonnance d’interdiction?

5.      Si Apotex a droit à une réparation en vertu de la version du Règlement de 1993 ou de 1998, à quelle date la période de responsabilité devrait‑elle commencer?

 

Question no 1 : Quelle version du Règlement – celle de 1993 ou de 1998 – s’applique aux réclamations faites par Apotex en l’espèce?

[31]           Le Règlement est entré en vigueur le 12 mars 1993. Les premières modifications qui y ont été apportées (DORS/98‑166) sont entrées en vigueur le 11 mars 1998. J’emploierai « la version du Règlement de 1993 » et « la version du Règlement de 1998 » pour les désigner. La version du Règlement de 1993 contenait certaines dispositions sur les réparations qui peuvent être demandées par une seconde personne comme Apotex dans certaines circonstances décrites en particulier à l’article 8. La version du Règlement de 1998 a apporté un certain nombre de modifications au Règlement, notamment à l’article 8. L’article 9 de ces modifications renfermait des dispositions transitoires. Le paragraphe 9(6) est particulièrement intéressant. Je reproduis en entier l’article 9 :

DISPOSITIONS TRANSITOIRES

9. (1) Le paragraphe 4(4) ne s’applique pas aux allégations si, avant l’entrée en vigueur du présent règlement, elles ont été signifiées à la première personne, si la preuve de leur signification a été signifiée au ministre et si la première personne a présenté une demande aux termes du paragraphe 6(1).

(2) Les paragraphes 6(5) et (9) et les alinéas 6(10)a) et b) du même règlement, édictés par l’article 5, s’appliquent aux demandes qui sont pendantes à la date d’entrée en vigueur du présent règlement.

(3) Les paragraphes 6(6) à (8) et l’alinéa 6(10)c) du même règlement, édictés par l’article 5, s’appliquent aux demandes présentées à la date d’entrée en vigueur du présent règlement ou après cette date.

(4) L’alinéa 7(1)e) du même règlement, édicté par le paragraphe 6(2), s’applique aux demandes présentées à la date d’entrée en vigueur du présent règlement ou après cette date. L’alinéa 7(1)e) du même règlement, dans sa version antérieure à la date d’entrée en vigueur du présent règlement, continue de s’appliquer aux demandes qui sont pendantes à cette date.

(5) Le paragraphe 7(5) du même règlement, édicté par le paragraphe 6(3), s’applique aux demandes qui sont pendantes à la date d’entrée en vigueur du présent règlement.

(6) L’article 8 du même règlement, édicté par l’article 8, s’applique aux demandes qui sont pendantes à la date d’entrée en vigueur du présent règlement.

 

TRANSITIONAL PROVISIONS

9. (1) Subsection 4(4) does not apply to an allegation if, before the coming into force of these Regulations, it was served on the first person, if proof of that service was served on the Minister and if the first person has commenced a proceeding under subsection 6(1).

(2) Subsections 6(5) and (9) and paragraphs 6(10)(a) and (b) of the Regulations, as enacted by section 5, apply to an application pending on the coming into force of these Regulations.

(3) Subsections 6(6) to (8) and paragraph 6(10)(c) of the Regulations, as enacted by section 5, apply to an application commenced on or after the coming into force of these Regulations.

(4) Paragraph 7(1)(e) of the Regulations, as enacted by subsection 6(2), applies to an application made on or after the coming into force of these Regulations. Paragraph 7(1)(e) of the Regulations as it read before the coming into force of these Regulations, continues to apply to an application pending at the time of that coming into force.

(5) Subsection 7(5) of the Regulations, as enacted by subsection 6(3), applies to an application pending on the coming into force of these Regulations.

(6) Section 8 of the Regulations, as enacted by section 8, applies to an application pending on the coming into force of these Regulations.

 

 

[32]           Les dates et faits suivants sont pertinents au regard de cette question :

·        12 mars 1993 – Le Règlement entre en vigueur

·        3 août 1993 – Roche dépose son avis de demande à la Cour

·        20 mars 1996 – La juge Reed accorde l’ordonnance d’interdiction

·        21 octobre 1996 – La Cour d’appel fédérale confirme l’ordonnance d’interdiction

·        11 mars 1998 – Les modifications apportées au Règlement entrent en vigueur

·        23 avril 1999 – Apotex dépose une requête concernant l’ordonnance d’interdiction

·        30 avril 1999 – La juge Reed annule l’ordonnance d’interdiction et rejette la demande.

 

[33]           Pour trancher la question, il faut déterminer si l’instance dans laquelle l’ordonnance d’interdiction a été accordée puis annulée et la demande a été rejetée était « pendante » – « pending » en anglais – au sens du paragraphe 9(6) de la version du Règlement de 1998 le 11 mars 1998. Si c’est le cas, alors c’est la version du Règlement de 1998 qui s’applique; dans le cas contraire, c’est celle de 1993.

 

[34]           Le terme « pendante » (ou « pending ») n’est pas défini dans le Règlement ou dans la Loi sur les brevets, et les tribunaux n’ont jamais examiné l’article 9 ou ces expressions dans le contexte du Règlement. The Canadian Law Dictionary, Law and Business Publication (Canada) Inc., 1980, définit le terme « pending » de la façon suivante :

[traduction]

Pendant : Une action ou une instance judiciaire est pendante si elle a débuté mais qu’elle n’a pas encore fait l’objet d’une décision finale.

Le terme « pendant » peut aussi signifier « en attente », par exemple « en attente d’une demande ». Re North Huron Election (1926), 1 D.L.R. 590, 58 O.L.R. 197.

 

 

[35]           Dans le Black’s Law Dictionary, 8e éd., Thomson West, le terme est défini de la manière suivante :

[traduction]

Pendant, adj. 1. Qui n’a pas encore été tranché, n’a pas encore fait l’objet d’une décision <une affaire pendante>. 2. Droit parlementaire. (Au sujet d’une motion) qui fait l’objet d’un examen; présentée par un membre et formulée comme une question soumise à l’examen des membres présents à la réunion. Voir examen (2); En séance plénière. Une motion peut être immédiatement pendante, c’est‑à‑dire qu’elle fait directement l’objet d’un examen, car elle est la dernière motion énoncée par le président et qu’elle est la prochaine à faire l’objet d’un vote; elle peut aussi être pendante en raison d’autres motions qui passent avant elle. Voir « motion immédiatement pendante » et « motion pendante » sous la rubrique motion (2).

 

 

[36]           Le Dictionnaire du droit québécois et canadien, 3e éd., Wilson & Lafleur, définit « pendant, ante » dans les termes suivants :

Pendant, ante adj.

·     1. Se dit d’une affaire portée devant une juridiction mais n’ayant pas encore fait l’objet d’une décision. Ex. Une cause pendante.

 

Angl. pending, undecided

 

·     2. Se dit d’une condition suspensive ou résolutoire qui n’est pas encore accomplie.

 

Comp. condition pendante, pendente conditione

 

Angl. pending

 

 

[37]           Le dictionnaire en ligne JuriTravail.com définit « pendante » de la façon suivante :

On dit qu’une affaire est pendante lorsqu’un tribunal a été saisi et que la cause n’a pas encore été jugée. Elle est « pendante » jusqu’à ce que (selon le cas) le jugement ou l’arrêt soit prononcé.

 

On retrouve cette expression dans sa forme latine dans les écrits de la doctrine, plus rarement dans les jugements, pour exprimer qu’un fait dont l’arrivée subordonne la naissance ou l’exigibilité d’une prestation, ne s’est pas encore produit. On dit alors que l’obligation est « pendente conditione » ou encore « sous condition ».

 

 

[38]           Ainsi, les termes « pending » et « pendant » appliqués à une procédure judiciaire signifient que celle‑ci n’est pas encore terminée, qu’elle n’a fait l’objet d’aucune décision finale.

 

[39]           Dans la plupart des tribunaux, dont la Cour, une décision est finale lorsqu’elle a été rendue par le juge ou le tribunal qui a instruit l’affaire. Cette décision est souvent susceptible d’appel et, si un appel est interjeté, elle ne peut être considérée comme définitive que lorsque tous les appels ont été tranchés. Une décision peut parfois être modifiée lorsqu’elle contient des erreurs de rédaction ou que des éléments ont été omis. Elle peut aussi être réexaminée dans les cas de fraude ou si un fait matériel qui ne pouvait pas être découvert précédemment apparaît. Une fois rendue cependant, une telle décision est réputée être finale.

 

[40]           Dans certaines circonstances exceptionnelles, comme en l’espèce, une décision finale peut être modifiée ou annulée. La juge Sharlow de la Cour d’appel fédérale a récemment indiqué, dans Apotex Inc. c. AB Hassle et al., 22 décembre 2008, 2008 CAF 416, qu’il y a des circonstances dans lesquelles un jugement ayant entraîné une ordonnance d’interdiction peut être annulé : par exemple, lorsqu’une conclusion d’invalidité ou de non‑contrefaçon a été tirée dans une autre action. Elle a écrit au paragraphe 30 :

[30]           Comme susmentionné, il a été établi que la décision définitive par laquelle la Cour fédérale déclare un brevet invalide aura préséance sur une ordonnance d’interdiction relative à ce brevet, justifiant ainsi l’annulation de cette ordonnance (Hoffmann‑La Roche, précité). Suivant le même raisonnement, les ordonnances d’interdiction dans le dossier 1 ou dans le dossier 2 pourraient être annulées dans l’éventualité où il serait statué dans le cadre d’une action que le produit d’Apotex ne contrefait aucun brevet en cause dans ces décisions. Je crois comprendre, d’après les arguments d’Astrazeneca dans le présent appel, que la question de la contrefaçon doit être tranchée dans une action devant la Cour fédérale (T-1409-04). Rien dans les présents motifs ne portera atteinte au droit d’Apotex de demander l’annulation des ordonnances d’interdiction dans le dossier 1 ou le dossier 2, si elle a gain de cause dans cette action.

 

[41]           Les tribunaux anglais ont examiné, dans plusieurs affaires, le cas d’une partie réputée avoir contrefait un brevet qui était déclaré invalide par la suite dans une autre instance : Poulton c. Adjustable Cover and Boiler Block Company (1908), 25 R.P.C. 661 (CA); Coflexip SA c. Stolt Offshore MS Ltd. (No. 2), [2004] F.S.R. 708 (CA); Unilin Beheer BV c. Beerry Floor NV, [2007] EWCA Civ. 364 (CA). Dans ces affaires, ils ont maintenu les dommages‑intérêts et les dépens accordés, mais ont mis fin à l’injonction. La position de la Cour d’appel anglaise a été bien exposée récemment par le lord juge Jacob dans Unilin, aux paragraphes 44 à 46 :

[traduction]

44. Un puriste pourrait cependant dire : c’est absurde et, de surcroît, injuste qu’un homme ait à payer pour faire ce que nous savons, avec du recul, avoir été légitime. Je suppose que le puriste pourrait dire également qu’un titulaire de licence qui a versé des redevances en vertu d’un brevet qui est ensuite annulé rétroactivement devrait ravoir son argent. Il pourrait même dire qu’un homme qui a perdu des profits en s’abstenant de mener une activité commerciale par crainte de contrefaire le brevet – une crainte que l’on sait maintenant être sans fondement – devrait avoir droit à une forme de réparation.

 

45. Je pense cependant qu’il existe des raisons valables et pragmatiques pour lesquelles l’approche puriste traduit un mauvais sens des affaires. Vous ne pouvez pas tout réduire à néant sans créer de l’incertitude. Et lorsqu’une décision finale a été rendue dans une affaire opposant équitablement les parties, elle devrait être considérée comme la réponse finale à leur litige.

 

46. Un brevet est toujours potentiellement menacé. Une personne peut se présenter avec une antériorité tout à fait pertinente, mais qui est peu connue (mon exemple favori est une antériorité écrite en sanskrit se trouvant par erreur dans la section pour enfants de la bibliothèque publique d’Alice Springs) ou simplement avec une meilleure preuve concernant des antériorités connues. Il n’y a aucune raison de défaire ce qui a été fait ou de considérer une décision finale comme une décision simplement provisoire. Une fois qu’une décision finale est rendue, les gens d’affaires devraient être en mesure de poursuivre leurs activités, sachant quelle est la position.

 

[42]           Il ressort de ces affaires que même un jugement « final » peut être annulé ou modifié dans certaines circonstances. Cela ne signifie pas que le jugement n’est pas « final ».

 

[43]           En l’espèce, l’ordonnance d’interdiction de la juge Reed, qui est décrite dans le jugement qu’elle a rendu le 20 mars 1996 et qui a été confirmée par la Cour d’appel fédérale le 21 octobre 1996, était « finale » avant que le Règlement soit modifié le 11 mars 1998. Il n’y avait donc, le 11 mars 1998, aucune demande « pendante » au sens du paragraphe 9(6) des modifications apportées à ce Règlement en 1998. Le fait que le jugement a ensuite été modifié et annulé ne signifie pas que l’affaire était « pendante » le 11 mars 1998.

 

[44]           En conséquence, je conclus que la version du Règlement de 1993 s’applique à la présente action.

 

Question no 2 : Si c’est la version du Règlement de 1998 qui s’applique, les faits concernant la procédure relative à l’ordonnance d’interdiction font‑ils entrer en jeu l’article 8 du Règlement?

[45]           Ayant conclu que c’est la version du Règlement de 1993 et non celle de 1998 qui s’applique à la présente action, il n’est pas nécessaire que j’aborde cette question. Cependant, étant donné qu’il est presque inévitable qu’un appel soit interjeté dans une affaire de ce genre, j’exposerai mon point de vue sur cette question.

 

[46]           La version de l’article 8 du Règlement de 1998 est libellée comme suit :

8. (1) Si la demande présentée aux termes du paragraphe 6(1) est retirée ou fait l’objet d’un désistement par la première personne ou est rejetée par le tribunal qui en est saisi, ou si l’ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité, rendue aux termes de ce paragraphe, est annulée lors d’un appel, la première personne est responsable envers la seconde personne de toute perte subie au cours de la période :

a) débutant à la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l’absence du présent règlement, sauf si le tribunal conclut :

(i) soit que la date attestée est devancée en raison de l’application de la Loi modifiant la Loi sur les brevets et la Loi sur les aliments et drogues (engagement de Jean Chrétien envers l’Afrique), chapitre 23 des Lois du Canada (2004), et qu’en conséquence une date postérieure à celle-ci est plus appropriée,

(ii) soit qu’une date autre que la date attestée est plus appropriée;

b) se terminant à la date du retrait, du désistement ou du rejet de la demande ou de l’annulation de l’ordonnance.

(2) La seconde personne peut, par voie d’action contre la première personne, demander au tribunal de rendre une ordonnance enjoignant à cette dernière de lui verser une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1).

(3) Le tribunal peut rendre une ordonnance aux termes du présent article sans tenir compte du fait que la première personne a institué ou non une action pour contrefaçon du brevet visé par la demande.

(4) Le tribunal peut rendre l’ordonnance qu’il juge indiquée pour accorder réparation par recouvrement de dommages-intérêts ou de profits à l’égard de la perte visée au paragraphe (1).

(5) Pour déterminer le montant de l’indemnité à accorder, le tribunal tient compte des facteurs qu’il juge pertinents à cette fin, y compris, le cas échéant, la conduite de la première personne ou de la seconde personne qui a contribué à retarder le règlement de la demande visée au paragraphe 6(1).

 

8. (1) If an application made under subsection 6(1) is withdrawn or discontinued by the first person or is dismissed by the court hearing the application or if an order preventing the Minister from issuing a notice of compliance, made pursuant to that subsection, is reversed on appeal, the first person is liable to the second person for any loss suffered during the period

(a) beginning on the date, as certified by the Minister, on which a notice of compliance would have been issued in the absence of these Regulations, unless the court concludes that

(i) the certified date was, by the operation of An Act to amend the Patent Act and the Food and Drugs Act (The Jean Chrétien Pledge to Africa), chapter 23 of the Statutes of Canada, 2004, earlier than it would otherwise have been and therefore a date later than the certified date is more appropriate, or

(ii) a date other than the certified date is more appropriate; and

(b) ending on the date of the withdrawal, the discontinuance, the dismissal or the reversal.

(2) A second person may, by action against a first person, apply to the court for an order requiring the first person to compensate the second person for the loss referred to in subsection (1).

(3) The court may make an order under this section without regard to whether the first person has commenced an action for the infringement of a patent that is the subject matter of the application.

(4) The court may make such order for relief by way of damages or profit as the circumstances require in respect of any loss referred to in subsection (1).

(5) In assessing the amount of compensation the court shall take into account all matters that it considers relevant to the assessment of the amount, including any conduct of the first or second person which contributed to delay the disposition of the application under subsection 6(1).

 

 

[47]           Pour que la version de l’article 8 du Règlement de 1998 s’applique, il faut que la demande « [soit] retirée ou [fasse] l’objet d’un désistement […] ou [soit] rejetée par le tribunal qui en est saisi, ou […] lors d’un appel »

 

[48]           En l’espèce, le tribunal qui était saisi de la demande – la juge Reed – l’a rejetée par l’ordonnance datée du 30 avril 1999. La juge Reed a fait deux choses dans cette ordonnance : elle a modifié l’ordonnance originale afin de supprimer l’interdiction et elle a rejeté la demande. Il n’était peut‑être pas nécessaire de rejeter la demande, mais elle l’a fait. Roche n’a pas porté cette ordonnance en appel.

 

[49]           En termes simples et concrets, c’est le fait survenu dans la présente action en raison du rejet de la demande qui ferait entrer en jeu le Règlement de 1998, dont le paragraphe 8(1), si ce règlement était applicable.

Question no 3 : Si c’est la version du Règlement de 1993 qui s’applique, les faits concernant l’ordonnance d’interdiction font‑ils entrer en jeu l’article 8 du Règlement?

[50]           L’article 8 de la version du Règlement de 1993 prévoit ce qui suit :

Conclusions

 

8. (1) La première personne est responsable envers la seconde personne de tout préjudice subi par cette dernière lorsque, en application de l’alinéa 7(1)e), le ministre reporte la délivrance de l’avis de conformité au-delà de la date d’expiration de tous les brevets visés par une ordonnance rendue aux termes du paragraphe 6(1).

 

(2) Le tribunal peut rendre toute ordonnance de redressement par voie de dommages-intérêts ou de profits que les circonstances exigent à l’égard de tout préjudice subi du fait de l’application du paragraphe (1).

Remedies

 

8. (1) The first person is liable to the second person for all damage suffered by the second person where, because of the application of paragraph 7(1)(e), the Minister delays issuing a notice of compliance beyond expiration of all patents that are the subject of an order pursuant to subsection 6(1).

 

(2) The court may make such order for relief by way of damages or profits as the circumstances require in respect of any damage referred to in subsection (1).

 

[51]           Le terme « expiré » ou « expire » est défini à l’article 2 du Règlement :

« expiré » Se dit du brevet qui est expiré, qui est périmé ou qui a pris fin par l’effet d’une loi. (expire)

 

“expire” means, in relation to a patent, expire, lapse or terminate by operation of law; (expiré)

 

 

[52]           Ainsi, un brevet expirera à la fin de sa durée, soit, en l’espèce, 17 ans après avoir été délivré, s’il est périmé, par exemple si les taxes périodiques réglementaires ne sont pas payées, ou s’il a pris fin par l’effet d’une loi, par exemple si un tribunal le déclare invalide en application de l’article 60 de la Loi sur les brevets.

 

[53]           Le juge Richard (maintenant juge en chef de la Cour d’appel fédérale) a traité de la question des brevets « périmés » dans Zeneca Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (1996), 66 C.P.R. (3d) 169. Dans cette affaire, une ordonnance d’interdiction avait été accordée jusqu’à l’« expiration » de deux brevets. Or, les avocats ignoraient que l’un de ces brevets était périmé en raison du non‑paiement des taxes périodiques réglementaires avant que l’ordonnance soit rendue. Les parties ont communiqué ce fait au tribunal et le fabricant de médicaments génériques (Apotex) a demandé que la demande soit rejetée au regard du brevet périmé. Le juge Richard a refusé de le faire au motif qu’il n’était pas nécessaire de modifier l’ordonnance puisque le brevet était expiré. Il a écrit à la page 174 :

De plus, la modification de l’ordonnance à l’heure actuelle et dans les présentes circonstances ne sert aucune fin. Dans mon ordonnance datée du 26 mai 1995, j’ai interdit au ministre de délivrer à Apotex un avis de conformité pour le médicament lisinopril avant l’expiration du brevet 351. Ce brevet est périmé depuis mars 1995. Le terme « expiré » est précisément défini dans le Règlement pour s’appliquer aussi à un brevet qui est périmé. Le brevet 351 est donc expiré. Par conséquent, le ministre ne fait plus l’objet d’une interdiction à l’égard du brevet 351 périmé, de sorte qu’aucune modification de mon ordonnance n’est nécessaire. L’ordonnance est sans équivoque et n’a pas besoin d’être modifiée.

 

[54]           La juge Reed a exprimé la même opinion dans les motifs de son ordonnance modifiant l’ordonnance d’interdiction et rejetant la demande, comme il a été mentionné précédemment dans les présents motifs. Elle a toutefois rendu l’ordonnance selon laquelle, non seulement elle annulait l’ordonnance d’interdiction, mais elle rejetait aussi la demande.

 

[55]           La portée d’une ordonnance que le tribunal peut rendre en vertu de la version du Règlement de 1993 est définie aux paragraphes 6(1) et (2). S’il accueille la demande, le tribunal rend une ordonnance « interdisant au ministre de délivrer [à la seconde personne] un avis de conformité avant l’expiration de un ou plusieurs des brevets […] ». Les paragraphes 6(1) et (2) sont libellés ainsi :

Droits d’action

 

6. (1) La première personne peut, dans les 45 jours suivant la signification d’un avis d’allégation aux termes de l’alinéa 5(3)b), demander au tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité avant l’expiration de un ou plusieurs des brevets visés par une allégation.

 

(2) Le tribunal rend une ordonnance en vertu du paragraphe (1) à l’égard du brevet visé par une ou plusieurs allégations si elle conclut qu’aucune des allégations n’est fondée.

Rights of Action

 

6. (1) A first person may, within 45 days after being served with a notice of an allegation pursuant to paragraph 5(3)(b), apply to a court for an order prohibiting the Minister from issuing a notice of compliance until after the expiration of one or more of the patents that are the subject of an allegation.

 

(2) The court shall make an order pursuant to subsection (1) in respect of a patent that is the subject of one or more allegations if it finds that none of those allegations is justified.

 

 

[56]           J’ai déjà indiqué que, compte tenu de la définition contenue à l’article 2, un brevet est expiré non seulement parce que sa durée est expirée, mais aussi parce qu’il est périmé ou qu’il a pris fin par l’effet d’une loi. Je conviens avec le juge Richard que, si un brevet est périmé, par exemple en raison du non‑paiement des taxes périodiques réglementaires, et avec la juge Reed que, si un brevet est déclaré invalide par l’effet d’une loi, il n’est pas nécessaire de modifier une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité « avant l’expiration » de ce brevet. En fait, cela se fait automatiquement.

 

[57]           L’article 7 de la version du Règlement de 1993 décrit ce que le ministre doit faire. L’alinéa 7(1)e) oblige le ministre à attendre 30 mois avant de délivrer un avis de conformité à un fabricant de médicaments génériques si une demande a été présentée au tribunal par la première personne. Les alinéas 7(1)f) et 7(2)a) indiquent que cette règle ne s’applique pas si le brevet est « expiré ». L’alinéa 7(2)b) prévoit qu’elle ne s’applique pas non plus si le tribunal a déclaré que le brevet n’est pas valide ou n’a pas été contrefait. Les paragraphes 7(1) et (2) sont libellés comme suit :

AVIS DE CONFORMITÉ

7. (1) Le ministre ne peut délivrer un avis de conformité à la seconde personne avant la plus tardive des dates suivantes :

a) la date qui suit de 30 jours la date d’entrée en vigueur du présent règlement;

b) la date à laquelle la seconde personne se conforme à l’article 5;

c) sous réserve du paragraphe (3), la date d’expiration de tout brevet inscrit au registre qui ne fait pas l’objet d’une allégation;

d) sous réserve du paragraphe (3), la date qui suit de quarante-cinq jours la date de réception de la preuve de signification de l’avis d’allégation visé à l’alinéa 5(3)a) à l’égard de tout brevet ajouté au registre;

e) sous réserve des paragraphes (2), (3) et (4), la date qui suit de 24 mois la date de réception de la preuve de présentation de la demande visée au paragraphe 6(1);

f) la date d’expiration de tout brevet faisant l’objet d’une ordonnance rendue aux termes du paragraphe 6(1).

(2) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si, à l’égard de chaque brevet visé par une demande au tribunal aux termes du paragraphe 6(1) :

a) soit le brevet est expiré;

b) soit le tribunal a déclaré que le brevet n’est pas valide ou qu’aucune revendication pour le médicament en soi, ni aucune revendication pour l’utilisation du médicament ne seraient contrefaites.

Notice of Compliance

7. (1) The Minister shall not issue a notice of compliance to a second person before the latest of

(a) the expiration of 30 days after the coming into force of these Regulations

(b) the day on which the second person complies with section 5,

(c) subject to subsection (3), the expiration of any patent on the register that is not the subject of an allegation,

(d) subject to subsection (3), the expiration of 45 days after the receipt of proof of service of a notice of allegation under paragraph 5(3)(a) in respect of any patent on the register,

(e) subject to subsections (2), (3) and (4), the expiration of 24 months after the receipt of proof of the making of any application under subsection 6(1), and

(f) the expiration of any patent that is the subject of an order pursuant to subsection 6(1).

(2) Paragraph (1)(e) does not apply if at any time, in respect of each patent that is the subject of an application pursuant to subsection 6(1),

(a) the patent has expired; or

(b) the court has declared that the patent is not valid or that no claim for the medicine itself and no claim for the use of the medicine would be infringed.

 

 

[58]           Ainsi, le ministre n’est pas tenu d’attendre avant de délivrer un avis de conformité à un fabricant de médicaments génériques si le brevet en cause est expiré, s’il est périmé, par exemple si les taxes périodiques réglementaires ne sont pas payées, ou si le tribunal le déclare invalide à l’égard des parties dans le cadre d’une instance régie par le Règlement ou par l’effet d’une loi, par exemple l’article 60 de la Loi sur les brevets.

 

[59]           En ce qui concerne l’article 8 de la version du Règlement de 1993, je sais que les tribunaux ont eu la chance dans le passé de ne pas avoir à interpréter cette disposition. Le juge Hugessen (alors juge de la Cour d’appel fédérale) a dit à la page 316 de Merck & Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302 (CAF) :

L’article 8 est particulièrement obscur. Il paraît rendre la première personne responsable en dommages si le ministre se conformait à la période d’interdiction de 30 mois dans les cas où le paragraphe 7(2) prévoit expressément que l’interdiction aura pris fin. Heureusement, la Cour n’est pas appelée à l’interpréter dans cet appel.

 

 

[60]           L’avocat d’Apotex prétend que toute interprétation de l’article 8 peut seulement donner lieu à des résultats absurdes. C’est pourquoi il propose plusieurs façons de reformuler cette disposition afin de lui donner un sens qui, selon Apotex, serait conforme à la volonté du législateur.

 

[61]           L’avocat de Roche propose aussi de reformuler l’article 8, mais dans une mesure beaucoup moindre afin que le sens de cette disposition corresponde davantage à ce que Roche prétend être son véritable objet.

 

[62]           Les tribunaux ont parfois tenu compte du Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR) qui accompagne souvent des règlements comme celui en cause en l’espèce lorsqu’ils sont publiés dans la Gazette du Canada. Le REIR de 1993 ne nous éclaire pas beaucoup. Tout au plus pouvons‑nous en tirer les indications peu importantes qui suivent :

Parmi les coûts que devra assumer le secteur privé pour se conformer aux dispositions du règlement, il y a notamment ceux qui sont engagés pour obtenir et vérifier les renseignements sur les brevets qui doivent être fournis à la Direction générale de la protection de la santé. Les exigences du règlement relatives au classement et à la certification des documents déposés imposeront certaines obligations aux brevetés et aux demandeurs d’avis de conformité. Cependant, ces exigences sont nécessaires à l’application de la Loi. En outre, la mise en marché de certains produits génériques qui, au bout du compte, ne sont pas des contrefaçons d’un brevet original (produit ou utilisation d’un produit) pourrait avoir été retardée indûment si les brevets énumérés dans la demande d’avis de conformité du titulaire d’un brevet se révèlent être nuls ou si le médicament générique n’est pas une contrefaçon. Toutefois, le nombre de ces retards et les coûts qui s’y rattachent devraient être peu élevés parce que le breveté sera conscient qu’il est responsable des dommages causés par ce délai.

 

 

[63]           Le REIR de 1998 reconnaissait que « [d]e plus grandes précisions » étaient nécessaires en ce qui concerne les circonstances dans lesquelles des dommages‑intérêts pourraient être accordés à un fabricant de médicaments génériques. L’article 8 a donc été modifié en 1998, comme il a été mentionné précédemment. Le REIR de 1998 indiquait notamment :

Préciser les circonstances où des dommages-intérêts peuvent être accordés : De plus grandes précisions sont données aux tribunaux en ce qui concerne les circonstances où des dommages‑intérêts pourront être accordés à un fabricant afin de le dédommager des pertes subies à cause du report de la mise en marché de son médicament générique; par ailleurs, des précisions sont aussi données sur les facteurs dont on peut tenir compte pour calculer les dommages‑intérêts. Les tribunaux peuvent également accorder les dépens à l’une ou l’autre des parties (fabricant de médicaments génériques ou titulaire de brevet), y compris les honoraires professionnels, le cas échéant, conformément aux Règles de la Cour fédérale.

 

 

[64]           Les avocats des parties invoquent différentes « règles » d’interprétation tirées de diverses décisions et de l’ouvrage de la professeure Sullivan (auparavant Driedger), Construction of Statutes, LexisNexis, 5e éd. La plupart des tribunaux ont considéré que cet ouvrage fait autorité.

 

[65]           La règle fondamentale d’interprétation est maintenant bien établie. Je cite le passage d’introduction figurant à la page 1 de l’ouvrage de la professeure Sullivan, qui renvoie à l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27 :

[traduction]

ANALYSE DU PRINCIPE MODERNE

 

Introduction. Il y a plus de 30 ans, dans la première édition de Construction of Statutes, Elmer Driedger a décrit une méthode d’interprétation des lois qu’il a appelée le principe moderne :

 

Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

 

Le principe moderne a été cité et appliqué dans d’innombrables décisions des tribunaux canadiens et, dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), la Cour suprême du Canada a dit que c’était la solution qu’elle privilégiait. Le principe a aussi été utilisé pour interpréter le Code civil du Québec.

 

 

[66]           Il faut examiner l’arrêt Rizzo à la lumière de l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, où le juge Iacobucci a écrit aux paragraphes 27 à 30 :

27     Cette méthode reconnaît le rôle important que joue inévitablement le contexte dans l’interprétation par les tribunaux du texte d’une loi. Comme l’a fait remarquer avec perspicacité le professeur John Willis dans son influent article intitulé « Statute Interpretation in a Nutshell » (1938), 16 R. du B. can. 1, p. 6, [traduction] « les mots, comme les gens, prennent la couleur de leur environnement ». Cela étant, lorsque la disposition litigieuse fait partie d’une loi qui est elle‑même un élément d’un cadre législatif plus large, l’environnement qui colore les mots employés dans la loi et le cadre dans lequel celle-ci s’inscrit sont plus vastes. En pareil cas, l’application du principe énoncé par Driedger fait naître ce que notre Cour a qualifié, dans R. c. Ulybel Enterprises Ltd., [2001] 2 S.C.R. 867, 2001 SCC 56, par. 52, de « principe d’interprétation qui présume l’harmonie, la cohérence et l’uniformité entre les lois traitant du même sujet ».  (Voir également Stoddard c. Watson, [1993] 2 S.C.R. 1069, p. 1079; Pointe-Claire (Ville) c. Québec (Tribunal du travail), [1997] 1 S.C.R. 1015, par. 61, le juge en chef Lamer.)

 

28     D’autres principes d’interprétation – telles l’interprétation stricte des lois pénales et la présomption de respect des « valeurs de la Charte » – ne s’appliquent que si le sens d’une disposition est ambigu. (Voir, relativement à l’interprétation stricte : Marcotte c. Sous‑procureur général du Canada, [1976] 1 S.C.R. 108, p. 115, le juge Dickson (plus tard Juge en chef du Canada); R. c. Goulis (1981), 33 O.R. (2d) 55 (C.A.), p. 59-60; R. c. Hasselwander, [1993] 2 S.C.R. 398, p. 413, et R. c. Russell, [2001] 2 S.C.R. 804, 2001 SCC 53, par. 46. Je vais examiner plus loin le principe du respect des « valeurs de la Charte ».)

 

29     Qu’est‑ce donc qu’une ambiguïté en droit? Une ambiguïté doit être « réelle » (Marcotte, précité, p. 115). Le texte de la disposition doit être [traduction] « raisonnablement susceptible de donner lieu à plus d’une interprétation » (Westminster Bank Ltd. c. Zang, [1966] A.C. 182 (H.L.), p. 222, lord Reid). Il est cependant nécessaire de tenir compte du « contexte global » de la disposition pour pouvoir déterminer si elle est raisonnablement susceptible de multiples interprétations. Sont pertinents à cet égard les propos suivants, prononcés par le juge Major dans l’arrêt CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), [1999] 1 S.C.R. 743, par. 14 : « C’est uniquement lorsque deux ou plusieurs interprétations plausibles, qui s’harmonisent chacune également avec l’intention du législateur, créent une ambiguïté véritable que les tribunaux doivent recourir à des moyens d’interprétation externes » (je souligne), propos auxquels j’ajouterais ce qui suit : « y compris d’autres principes d’interprétation ».

 

30     Voilà pourquoi on ne saurait conclure à l’existence d’une ambiguïté du seul fait que plusieurs tribunaux – et d’ailleurs plusieurs auteurs – ont interprété différemment une même disposition. Autant il serait inapproprié de faire le décompte des décisions appuyant les diverses interprétations divergentes et d’appliquer celle qui recueille le « plus haut total », autant il est inapproprié de partir du principe que l’existence d’interprétations divergentes révèle la présence d’une ambiguïté. Il est donc nécessaire, dans chaque cas, que le tribunal appelé à interpréter une disposition législative se livre à l’analyse contextuelle et téléologique énoncée par Driedger, puis se demande si [traduction] « le texte est suffisamment ambigu pour inciter deux personnes à dépenser des sommes considérables pour faire valoir deux interprétations divergentes » (Willis, loc. cit., p. 4‑5).

 

[67]           La professeure Sullivan définit trois principes directeurs à la page 9 de son ouvrage :

[traduction]

LE PRINCIPE MODERNE

ET LA RÈGLE DU SENS ORDINAIRE

 

La règle du sens ordinaire. Au cours des dernières années, l’interprétation des lois au Canada a donné lieu à un débat animé concernant la règle du sens ordinaire – ce qu’elle signifie, si elle est légitime et comment elle est liée au principe moderne de Driedger. La règle du sens ordinaire a différentes significations pour différentes personnes, mais ses partisans s’entendent généralement sur les propositions suivantes :

 

1.                  À la lecture d’un texte de loi, il est possible d’en déterminer le sens et de savoir s’il est clair ou ambigu.

 

2.                  Si un texte a un sens ordinaire, une preuve externe de l’intention du législateur (comme l’historique ou l’objet présumé du texte) ne peut être présentée pour contredire ce sens. Le sens ordinaire constitue la preuve définitive de l’intention du législateur, et on ne peut utiliser d’autres facteurs pour le contredire, ni pour « créer » une ambiguïté, c’est‑à‑dire pour jeter des doutes sur un texte qui est clair pour le reste.

 

3.                  Si un texte est ambigu, il faut l’interpréter. On peut alors se servir de facteurs externes comme l’historique ou l’objet présumé du texte pour dissiper l’ambiguïté.

 

 

[68]           Je déduis de tout ce qui précède qu’il incombe au tribunal de donner un sens à une disposition législative ou réglementaire en l’interprétant dans son contexte. Le tribunal ne devrait pas être distrait de cette tâche par le simple fait qu’un avocat laisse entendre que la disposition est ambigüe ou absurde. Il devrait faire de son mieux pour donner un sens à la disposition.

 

[69]           Je reproduis à nouveau l’article 8 de la version du Règlement de 1993 :

Conclusions

 

8. (1) La première personne est responsable envers la seconde personne de tout préjudice subi par cette dernière lorsque, en application de l’alinéa 7(1)e), le ministre reporte la délivrance de l’avis de conformité au-delà de la date d’expiration de tous les brevets visés par une ordonnance rendue aux termes du paragraphe 6(1).

 

(2) Le tribunal peut rendre toute ordonnance de redressement par voie de dommages-intérêts ou de profits que les circonstances exigent à l’égard de tout préjudice subi du fait de l’application du paragraphe (1).

Remedies

 

8. (1) The first person is liable to the second person for all damage suffered by the second person where, because of the application of paragraph 7(1)(e), the Minister delays issuing a notice of compliance beyond expiration of all patents that are the subject of an order pursuant to subsection 6(1).

 

(2) The court may make such order for relief by way of damages or profits as the circumstances require in respect of any damage referred to in subsection (1).

 

[70]           Le ministre a l’obligation de délivrer rapidement un avis de conformité. Il ne conviendrait pas d’interpréter l’article 8 comme s’il imposait une responsabilité à la première personne simplement parce que le ministre a peut‑être, de manière déraisonnable, retardé la délivrance d’un avis de conformité à la seconde personne ou a négligé de délivrer un tel avis.

 

[71]           Une interprétation raisonnable de l’article 8 consisterait à imposer une responsabilité à la première personne si la délivrance d’un avis de conformité à la seconde personne a été retardée parce que le brevet en cause était « expiré », c’est‑à‑dire que sa durée était terminée, qu’il était périmé en raison, par exemple, du non‑paiement des taxes périodiques réglementaires, ou qu’il avait pris fin par l’effet d’une loi, par exemple s’il avait été déclaré invalide. Si, par exemple, le brevet a été déclaré invalide dans le contexte de la demande d’avis de conformité elle‑même, on peut dire que le ministre a retardé la délivrance de cet avis parce que le brevet est réputé être « expiré ». On pourrait raisonnablement considérer que le retard s’étend de la date à laquelle le ministre dit que l’avis de conformité aurait été délivré n’eût été de la demande présentée au tribunal ou la date à laquelle cette demande est présentée au tribunal, selon la plus tardive de ces ces deux dates, à la date de la délivrance de l’avis de conformité. En l’espèce, le ministre a produit une lettre (pièce 2‑13) indiquant que l’avis de conformité aurait été délivré le 21 juillet 1995 si la demande n’avait pas été présentée au tribunal le 3 août 1993 (pièce 2‑5). L’avis de conformité a été délivré le 4 mai 1999 (pièce 2‑12). Le retard aurait donc duré du 21 juillet 1995 au 4 mai 1999.

 

[72]           En l’espèce cependant, le jugement invalidant le brevet 671 n’a pas été rendu dans le contexte d’une demande fondée sur le Règlement, mais dans le cadre d’une action distincte. Il a été rendu le 23 avril 1999, soit quelques jours seulement avant le 4 mai 1999. L’ordonnance modifiant l’ordonnance d’interdiction et rejetant la demande présentée en vertu du Règlement a été prononcée le 30 avril 1999. La preuve ne permet pas de savoir à quelle date le ministre a été informé du jugement ou de l’ordonnance. J’estime que le ministre n’a pas retardé de manière déraisonnable la délivrance d’un avis de conformité à Apotex.

 

[73]           Dans les circonstances, Apotex était libre de vendre le médicament en question à compter du 4 mai 1999. L’entreprise peut‑elle maintenant revenir en arrière et demander que le brevet 671 soit déclaré invalide dans le cadre de l’action au motif qu’il était « expiré » au sens de l’article 8 de la version du Règlement de 1993, afin de pouvoir faire une réclamation en vertu de cette disposition? J’estime que non.

 

[74]           Je m’appuie à cet égard sur les observations formulées par le lord juge Jacob dans Unilin, précité. Les prétentions concernant les questions soulevées dans la demande présentée en vertu du Règlement ont été pleinement exposées, mais l’invalidité du brevet 671 n’a été alléguée ni en première instance ni en appel.

 

[75]           Apotex a été déboutée et une ordonnance d’interdiction a été rendue. Ce n’est que plusieurs années plus tard, dans une action distincte, qu’Apotex a obtenu un jugement déclarant que le brevet 671 était invalide. Je renvoie à nouveau aux paragraphes 44 à 46 du raisonnement du lord juge Jacob dans Unilin, sans toutefois les répéter. Je renvoie aussi à la décision rendue par les juges de la majorité, Peter Gibson et Martin Nourse, dans Coflexip, précité. Dans cette affaire, une injonction a été annulée après qu’un brevet a été déclaré invalide; l’octroi des dommages‑intérêts a toutefois été maintenu. Les juges ont écrit au paragraphe 137 de leurs motifs :

[traduction]

137.          En tout état de cause, nous n’avons aucune raison de penser que l’arrêt rendu dans Poulton est erroné, malgré l’opinion contraire de M. Henderson. Le fait que le lord juge Fletcher Moulton a eu tort, ainsi que le juge Jacob l’a souligné au paragraphe 16 de son jugement, lorsqu’il a dit qu’une ordonnance d’annulation ne prend effet qu’à compter du moment où elle est rendue, n’a aucune incidence sur le fondement de la décision de la Cour, et la même erreur n’a pas été commise par les autres membres du tribunal. M. Henderson a cherché à s’appuyer sur ce qui, selon lui, constitue une anomalie, à savoir le fait que l’annulation du brevet met fin à une injonction accordée précédemment, mais ne compromet pas la demande de dommages‑intérêts présentée dans le cadre d’une enquête tenue après l’annulation. La distinction nous semble pourtant défendable : la décision finale rendue dans le cadre de l’instance antérieure établissait, d’une façon que la défenderesse ne pourrait être autorisée à contester ultérieurement, la contrefaçon d’un brevet valide antérieure à la décision et la perte qui s’en est suivie pour le propriétaire du brevet, l’enquête ne visant qu’à quantifier les dommages qui avaient été subis jusqu’à la date du jugement. Comme le lord juge Fletcher Moulton l’a dit ([1908] 2 Ch. 430, à la page 439) :

 

Dans les faits, une telle enquête prend du temps, mais, en ce qui concerne toutes les conséquences juridiques, on peut supposer qu’elle a lieu au moment où les autres questions sont tranchées.

 

Une injonction, bien qu’accordée en raison des conclusions concernant les contrefaçons survenues dans le passé que la défenderesse ne peut pas contester ultérieurement, a pour but d’interdire à la partie qu’elle vise de contrefaire à nouveau le brevet. Lorsque celui‑ci est ensuite annulé, le tribunal mettra fin à l’injonction étant donné qu’il n’y a plus de brevet susceptible de contrefaçon. Cette mesure ne porte pas atteinte au bien‑fondé de la décision.

 

[76]           En aucun temps pendant la période au cours de laquelle l’ordonnance d’interdiction a été rendue, y compris la période au cours de laquelle elle a été confirmée en appel, le brevet 671 n’‑a-t‑il été déclaré invalide par le tribunal dans cette instance ou dans une autre instance. Le brevet n’était pas « expiré » lorsque l’ordonnance a été rendue ou confirmée en appel. Dès que le brevet a « expiré » par suite de la décision l’invalidant qui a été rendue dans une autre affaire, le ministre a délivré un avis de conformité. Il n’y a pas eu de retard. En conséquence, je conclus que l’article 8 de la version du Règlement de 1993 ne s’applique pas dans les circonstances de la présente action.

 

Question no 4 : Si l’une ou l’autre des versions du Règlement s’applique, Apotex a‑t‑elle droit à une réparation malgré sa conduite dans le cadre de la procédure relative à l’ordonnance d’interdiction?

[77]           Roche a signalé plusieurs démarches procédurales entreprises par Apotex dans les différentes instances dont il a été question précédemment et demandé au tribunal de conclure que ces démarches empêchent Apotex de réclamer une réparation dans la présente action. Compte tenu de mes conclusions, il n’est pas nécessaire non plus que je tranche cette question, mais, comme un appel est possible, je vais le faire.

 

[78]           Apotex n’a été réprimandée ou critiquée par aucun tribunal dans les instances antérieures pour une démarche, procédurale ou autre, qu’elle a entreprise. Il ne conviendrait pas que la Cour critique maintenant ce qui a été fait et conclue qu’Apotex a agi de manière tellement répréhensible ou inacceptable qu’elle n’a plus droit à une réparation. La preuve dont je dispose ne me permet pas de tirer une telle conclusion.

 

[79]           Quoi qu’il en soit, les instances en question se sont déroulées peu de temps après l’entrée en vigueur du Règlement, un texte qui était certes obscur et difficile à comprendre. Même aujourd’hui, malgré plusieurs modifications, le Règlement est toujours rempli d’embûches, même pour les parties les plus expérimentées.

 

[80]           J’estime que les prétentions de Roche à cet égard ne sont pas fondées.

 

Question no 5 : Si Apotex a droit à une réparation en vertu de la version du Règlement de 1993 ou de 1998, à quelle date la période de responsabilité devrait‑elle commencer?

[81]           Il n’est pas nécessaire non plus, compte tenu de mes conclusions précédentes, que je me prononce sur cette question. Je le ferai tout même pour les raisons que j’ai données précédemment.

 

[82]           J’ai déjà exposé mon avis sur cette question en ce qui a trait au Règlement de 1993.

 

[83]           En ce qui concerne la version du Règlement de 1998, l’alinéa 8(1)a) confère au tribunal le pouvoir de fixer une autre date que celle attestée par le ministre comme étant la date à laquelle l’avis de conformité aurait été délivré. Comme je l’ai écrit le 21 octobre 2008 dans Apotex Inc. c. Merck & Co. Inc. et al., 2008 CF 1185, la preuve doit me convaincre qu’une autre date serait plus appropriée. J’ai écrit ce qui suit aux paragraphes 106 à 109 :

106     S’agissant de l’alinéa 8(1)a), il n’y a aucune disposition portant sur l’« attestation » en tant que telle du ministre, ni aucune définition, dans le Règlement ou ailleurs, de ce que peut signifier une telle « attestation ». Les parties s’accordent cependant pour dire, et je crois qu’il est raisonnable de conclure, que la date « attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré », est la date de la lettre envoyée au fabricant de produits génériques, c’est‑à‑dire à Apotex, par le ministre, lettre où l’on peut lire que sa demande PADN a été examinée, mais qu’un avis de conformité ne sera délivré que lorsque seront remplies les conditions du Règlement, c’est‑à‑dire lorsque la demande pendante, n° du greffe T‑844‑03, aura été jugée ou retirée. En l’espèce, cette lettre (pièce 1, onglet 7) porte la date du 3 février 2004. Ainsi, selon l’alinéa 8(4)a), la date à partir de laquelle Apotex peut demander une indemnisation, « sauf si le tribunal estime d’après la preuve qu’une autre date est plus appropriée », est le 3 février 2004.

 

107     L’alinéa 8(4)b) dispose que la période visée par l’indemnité se terminera, dans le cas présent, à la date du rejet de la demande. En l’occurrence, cette date est le 26 mai 2005, la date à laquelle la Cour, dans le dossier T‑844‑03, a rejeté la demande de Merck. Il n’y a pas eu d’appel. Cet alinéa 8(4)b) ne renferme aucune disposition donnant à la Cour le pouvoir discrétionnaire de choisir une autre date.

 

108     La période présumée pour laquelle une indemnité peut être demandée par Apotex va donc du 3 février 2004 au 26 mai 2005.

 

109     Le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré au regard de cette période ne concerne que la première date, le 3 février 2004, c’est‑à‑dire la date à laquelle le ministre a écrit au fabricant de produits génériques pour lui dire que sa demande d’avis de conformité était approuvée, mais qu’elle serait laissée en suspens durant l’existence du brevet. Je ne puis exercer mon pouvoir discrétionnaire selon l’alinéa 8(4)a) que si je suis d’avis, d’après la preuve, qu’une autre date est plus indiquée.

 

[84]           En l’espèce, je ne dispose d’aucune preuve qui me convainc qu’une autre date que celle attestée par le ministre – le 21 juillet 1995 (pièce 2‑13) – serait plus appropriée.

 

RÉSUMÉ DES CONCLUSIONS

[85]           Je suis parvenu aux conclusions suivantes relativement aux questions soumises à la Cour :

1.      la version du Règlement de 1993 s’applique en l’espèce;

2.      la version du Règlement de 1998 ne s’applique pas, mais, dans le cas contraire, les faits concernant le rejet de la demande à l’égard de laquelle l’ordonnance d’interdiction a été rendue entraîneraient l’application de l’article 8 de ce règlement;

3.      la version du Règlement de 1993 s’applique, mais les faits en l’espèce ne donnent pas lieu à l’application de son article 8;

4.      si Apotex avait droit à une réparation d’une autre façon, sa conduite ne l’empêcherait pas d’en obtenir une;

5.      si la version du Règlement de 1998 s’appliquait, la date à partir de laquelle la responsabilité devrait être reconnue est celle qui est attestée par le ministre.

 

[86]           Par conséquent, je rejette la présente action et adjuge les dépens aux défenderesses.

 

[87]           Je dois féliciter tous les avocats pour s’être entendus sur les faits et les documents qui ont été présentés à la Cour et pour avoir exposé leurs arguments de manière professionnelle et concise. Ils m’ont grandement aidé.

 

 

 

 

LES DÉPENS

[88]           Les avocats des parties n’ont présenté aucune observation particulière concernant les dépens et ont convenu que cette question devait suivre l’issue de la cause. Les défenderesses ont droit à ce que leurs dépens soient taxés selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne IV. Elles ont droit à la taxation des frais relatifs à la présence d’un avocat principal et d’un avocat moins expérimenté à l’audience. Au besoin, je pourrai leur donner des indications concernant la taxation des autres frais et dépens.

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-1168-01

 

INTITULÉ :                                                   APOTEX INC. c.

                                                SYNTEX PHARMACEUTICALS

                                                INTERNATIONAL LTD. et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Les 4 et 5 mai 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 12 mai 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

A. Brodkin

J. Topolski

 

      POUR LA DEMANDERESSE,

      APOTEX INC.

 

G. A. Gaikis

Nancy Pei

Lyn I. Ng.

      POUR LES DÉFENDERESSES,

      HOFFMAN-LAROCHE LIMITÉE et al.

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Télécopieur : 416-597-5907

 

      POUR LA DEMANDERESSE,

      APOTEX INC.

 

Télécopieur : 416-953-5514

      POUR LES DÉFENDERESSES,

      HOFFMAN-LAROCHE LIMITÉE et al.

 

 

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