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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20090430

Dossier : T-2190-07

Référence : 2009 CF 438

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2009

En présence de madame la juge Simpson

 

 

ENTRE :

Walter Kennedy

demandeur

 

 

et

 

 

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

 

[1]               Walter Kennedy (le demandeur) sollicite, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) le 20 novembre 2007. La Commission a rejeté, en application de l’alinéa 44(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R. 1985, ch. H-6 (la Loi), la plainte que le demandeur avait déposée contre son employeur, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN).

 

[2]               Dans la plainte qu’il avait déposée auprès de la Commission le 18 avril 2001, le demandeur alléguait que le CN n’avait pas pris de mesures d’adaptation qui lui auraient permis de retourner au travail comme commis/chauffeur avec des fonctions modifiées à la suite de la blessure qu’il avait subie au travail (la plainte). À la suite des difficultés procédurales ci-après relatées, une enquêteure de la Commission a ouvert une nouvelle enquête et rédigé un rapport en date du 2 février 2007 (le rapport). La Commission disposait de ce rapport lorsqu’elle a rendu sa décision, le 20 novembre 2007.

 

PROCÉDURES ANTÉRIEURES

 

[3]               En juin 2002, la Commission a reçu un rapport d’enquête qui lui recommandait d’instruire la plainte. La Commission a toutefois décidé, en décembre de la même année, de ne pas le faire parce que la plainte était fondée sur des actes survenus plus d’un an avant le dépôt de la plainte.

 

[4]               En janvier 2003, le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de 2002. Au cours de ce contrôle judiciaire, on a découvert un document qui n’avait pas encore été communiqué.

 

[5]               La découverte de ce document a conduit à un rapport d’enquête complémentaire, daté du 12 mai 2003, qui recommandait que la Commission rouvre le dossier du demandeur et examine la plainte. En novembre 2003, la Commission a décidé de statuer sur la plainte.

 

[6]               En septembre 2004, un second rapport d’enquête a été établi. Il recommandait le rejet de la plainte. Par la suite, en décembre 2004, la Commission a suivi la recommandation et a rejeté la plainte.

 

[7]               En janvier 2005, le demandeur a introduit une demande de contrôle judiciaire de la décision de 2004. Le 5 juin 2006, la juge Anne Mactavish a annulé la décision de la Commission de rejeter la plainte et a ordonné la tenue d’une nouvelle enquête après avoir conclu que « le rapport d’enquête sur lequel s’est fondée la Commission pour rendre sa décision est entaché d’un vice fondamental » (Kennedy c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2006 CF 697, au paragraphe 2). La juge Mactavish a conclu que l’enquêteure avait conclu à tort que le demandeur n’avait pas d’ancienneté.

 

[8]               Ainsi que nous l’avons déjà mentionné, en février 2007, la nouvelle enquête (l’enquête) s’est soldée par le rapport dans lequel une enquêteure (l’enquêteure) a recommandé le rejet de la plainte. Les deux parties se sont vues offrir la possibilité de faire valoir leur point de vue au sujet du rapport et elles ont toutes les deux soumis des observations écrites. La Commission a rejeté la plainte le 20 novembre 2007 (la décision).

 

FAITS

 

[9]               Le 3 novembre 1991, le demandeur s’est blessé au dos en glissant alors qu’il nettoyait un wagon de queue. Il est devenu inapte au travail.

 

[10]           En juin 1992, la Commission des accidents du travail a fait savoir au demandeur qu’elle estimait qu’il était apte à retourner au travail. Le demandeur et son médecin de famille (le médecin) n’étaient cependant pas de cet avis. Le demandeur a été dirigé vers des spécialistes et il a suivi des traitements pour soigner ses lésions de la moelle épinière. En mai 1994, le médecin était d’avis que le demandeur n’était pas encore apte au travail.

 

[11]           En septembre 1994, la Commission des accidents du travail a de nouveau informé le demandeur qu’elle estimait qu’il était apte au travail dans le cadre d’un emploi permanent modifié (l’évaluation). Le 21 novembre 1994, la Commission des accidents du travail a mis fin au versement des prestations d’invalidité du demandeur. Le lendemain, le 22 novembre 1994, son médecin s’est dit d’accord avec l’évaluation et, suivant le demandeur, lui a remis une lettre en ce sens (la lettre du médecin). Le demandeur affirme qu’il a ensuite demandé à un commis des transports du CN, Tulio Ricci (le commis), de le reprendre et qu’il lui a remis la lettre du médecin. Le demandeur explique que le commis l’a par la suite informé que la lettre du médecin avait été transmise à Brent Short, du CN, mais qu’aucun poste comportant les fonctions modifiées en question n’était disponible.

 

[12]           Le demandeur n’a jamais produit la lettre du médecin et le médecin, qui a écrit une autre lettre en date du 4 novembre 1997 résumant ses échanges avec le demandeur, n’a pas mentionné l’existence d’une telle lettre. En outre, lorsqu’il a été contre-interrogé au sujet de son affidavit du 21 janvier 2008, le demandeur a expliqué qu’il était retourné voir le médecin en question pour lui demander des copies de sa lettre. Malgré ce fait, la lettre du médecin n’a pas été versée au présent dossier et le CN n’en a pas d’accusé de réception.

 

[13]           Le commis qui a été interrogé au cours de l’enquête ne pouvait se souvenir si la lettre du médecin lui avait été remise. Le commis a également expliqué qu’il n’aurait pas donné son avis au demandeur au sujet de la disponibilité des postes. Dans son interrogatoire, Brent Short ne se souvenait pas du cas du demandeur. L’enquêteure a conclu, au paragraphe 25 de son rapport, qu’à l’exception de l’affirmation du demandeur, rien ne permettait de penser qu’il avait demandé de reprendre le travail en novembre 1994.

 

[14]           À la suite du refus de la Commission des accidents du travail, le 21 novembre 1994, de continuer à lui verser des prestations, le demandeur a fait appel au motif qu’il n’était pas apte au travail. Il a réclamé des prestations complètes d’invalidité temporaire pour la période allant du 28 novembre 1994 au 1er janvier 1995 et il a poursuivi son appel même après que son médecin l’eut autorisé, le 22 novembre 1994, à reprendre le travail en effectuant des fonctions modifiées.

 

[15]           Le 25 avril 1995, le demandeur a acheté un immeuble et a ouvert un dépanneur. Il a expliqué à l’enquêteur qu’il n’avait pas répondu à l’offre de règlement que le CN lui avait faite parce qu’il n’était pas disposé à divulguer les revenus qu’il tirait de son magasin. Il a adopté ce point de vue parce qu’il savait que les revenus qu’il tirait du magasin seraient retranchés du montant du règlement, conformément aux modalités de sa convention collective.

 

[16]           Le 21 septembre 1996, le CN a annoncé que dix des employés du service dont le demandeur faisait partie et qui venaient d’être récemment mis en disponibilité seraient admissibles à une indemnité pour mise en disponibilité permanente. L’enquêteure a fait observer, au paragraphe 8 de son rapport que [traduction] « la défenderesse affirme que l’indemnité de départ ne vaut que pour les employés qui sont présentement en service actif ».

 

[17]           Peu de temps après, dans une lettre datée du 26 septembre 1996, le demandeur a réclamé son retour au travail. Le CN affirme que c’était la première fois qu’il formulait cette demande.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[18]           Le demandeur affirme que la décision de la Commission est entachée d’erreurs pour les motifs suivants :

1.                  la Commission s’est fondée sur les conclusions du rapport sans tenir compte des critiques du rapport formulées par le demandeur dans sa réponse;

2.                  les conclusions du rapport comportaient une évaluation de la crédibilité du demandeur et l’enquêteure aurait dû tenir une audience avant de tirer des conclusions au sujet de la crédibilité;

3.                  le rapport n’était pas suffisamment motivé;

4.                  le rapport contenait des erreurs de fait fondamentales.

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[19]           Il est de jurisprudence constante que, normalement, une décision rejetant une plainte en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Tahmourpour c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 113, [2005] A.C.F. no 543 (C.A.F.) au paragraphe 6). C’est la norme qui s’appliquerait à la quatrième question en litige. Toutefois, dans le cas qui nous occupe, les trois premières questions portent sur des questions d’équité procédurale qui échappent à la norme de contrôle, et il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence envers l’auteur de la décision (Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392, aux paragraphes 52 à 54).

 

ANALYSE ET CONCLUSIONS

            Première question                   Réponse du demandeur

 

[20]           La réponse du demandeur au rapport en date du 22 février 2007 (la réponse). Dans sa réponse, le demandeur affirme que l’enquêteure a commis des erreurs de fait. Le demandeur se dit préoccupé par le fait que la décision ne fait aucune mention des erreurs reprochées. Le dossier certifié du tribunal indique que la Commission avait la réponse en main lorsqu’elle a rendu sa décision et que la décision mentionnait la réponse, du moins en termes généraux, dans le passage suivant : [traduction] « Avant de rendre leur décision, les commissaires ont examiné le rapport qui vous avait antérieurement été communiqué ainsi que toute observation formulée en réponse au rapport ».

 

[21]           Dans ces conditions, je conclus que la Commission a tenu compte de la réponse du demandeur avant de parvenir à sa décision. Par ailleurs, j’estime que rien n’obligeait la Commission à exposer des motifs en réponse aux préoccupations soulevées dans les observations formulées au sujet du rapport de l’enquêteure. À mon avis, imposer une telle condition compliquerait et prolongerait indûment l’« examen préalable » auquel la Commission doit procéder (voir, à cet égard, l’arrêt Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113 (C.A.), au paragraphe 38).

 

Deuxième question                  La crédibilité

 

[22]           Le demandeur affirme que l’enquêteure a fait fi de son affirmation qu’il avait demandé de retourner au travail en novembre 1994. Cette affirmation n’est cependant pas exacte. L’enquêteure a pris acte des éléments de preuve soumis par le demandeur lorsqu’elle a indiqué que [traduction] « à l’exception de l’affirmation du demandeur, rien ne permet de penser qu’il avait demandé de reprendre le travail en novembre 1994 ».

 

[23]           Le demandeur déclare également que l’enquêteure a tiré des conclusions au sujet de sa crédibilité. J’estime toutefois que l’enquêteure a tiré des conclusions de fait. Elle ne s’est pas prononcée sur la crédibilité. L’enquêteure a laissé à la Commission le soin de décider quelle valeur il convenait d’accorder aux éléments de preuve soumis par le demandeur lors de l’examen de l’ensemble de son dossier.

 

[24]           Le demandeur affirme enfin qu’avant de tirer des conclusions au sujet de la crédibilité, l’enquêteure devait tenir une audience. Le demandeur se fonde sur la décision Khan c. University of Ottawa, [1997] 34 O.R. (3d) 535, à l’appui de cet argument. Cette décision définit les règles d’équité procédurale applicables au travail des comités d’examen des universités qui sont appelés à se prononcer sur la crédibilité. Cette décision ne s’applique toutefois pas au cas qui nous occupe, étant donné que l’enquêteure ne s’est pas prononcée sur la crédibilité et que l’équité procédurale n’exige pas la tenue d’une audience compte tenu du rôle d’« examen préalable » de la Commission (Slattery c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1994] A.C.F. no 181, au paragraphe 69, conf. par [1996] A.C.F. no 385).

 

Troisième question                  La décision de l’enquêteure était-elle suffisamment motivée?

 

[25]           Le demandeur se plaint du fait que le rapport est incomplet parce que, bien qu’il signale que le demandeur a admis avoir saisi la Commission des accidents du travail d’un appel mal fondé, le rapport ne mentionne pas les explications que le demandeur a données. Il a expliqué qu’il avait dû s’assurer qu’il avait des revenus à la fin de 1994 après que le CN eut refusé sa demande de retour au travail (l’explication).

 

[26]           L’explication ne change cependant rien à un fait important, en l’occurrence le fait que, après avoir dit au CN qu’il était apte à reprendre le travail en effectuant des fonctions modifiées, le demandeur a poursuivi l’appel qu’il avait interjeté devant la Commission des accidents du travail en affirmant qu’il était frappé d’une invalidité totale. L’explication vise simplement à justifier l’appel frauduleux au moyen de motifs d’ordre économique. Elle n’est pas déterminante, en ce sens qu’elle ne pouvait amener la Commission à considérer le demandeur sous un jour plus favorable. Pour cette raison, l’enquêteure n’a pas commis d’erreur en n’incluant pas l’explication dans le rapport.

 

Quatrième question                 Erreurs de fait dans le rapport

 

[27]           Le demandeur affirme que l’enquêteure a commis une erreur de fait en concluant qu’il avait reçu une offre de règlement [traduction] « appropriée » et « légitime » (l’offre), en date du 26 mars 1999. Le demandeur n’a pas répondu à l’offre malgré la lettre de suivi que le CN lui a adressée en septembre 1999. Toutefois, dans sa réponse au rapport, qui a été rédigée par l’avocat des Travailleurs et travailleuses canadien(nes) de l’automobile (les TCA), le demandeur explique que l’offre est insatisfaisante parce que, s’il l’avait acceptée, il aurait perdu son ancienneté et aurait été privé de certaines prestations de raccordement qui lui auraient donné le droit de prendre une retraite anticipée avec une pension améliorée.

 

[28]           La thèse des TCA semble se fonder sur la prémisse que le demandeur a réclamé son retour au travail en novembre 1994 et que le CN a refusé d’accéder à sa demande. Ainsi, suivant les TCA, le droit du demandeur à une pension et à d’autres avantages devrait être calculé comme si le demandeur avait repris le service actif en novembre 1994. Il est évident que l’enquêteure n’a pas retenu cette prémisse et que les arguments des TCA ne l’ont pas convaincue.

 

[29]           Il vaut par ailleurs la peine de signaler que le demandeur n’a soulevé aucune des questions mentionnées par les TCA lorsqu’il a été interrogé par l’enquêteure. Au paragraphe 38 de son rapport, l’enquêteure signale ce qui suit :

[traduction] Le plaignant affirme qu’il a refusé l’offre de la défenderesse parce que celle-ci aurait retranché les revenus qu’il tirait de son dépanneur du montant total de l’offre. Le plaignant affirme que, lorsqu’il a fait part à la défenderesse de sa décision de refuser l’offre, la défenderesse a présumé que le plaignant avait démissionné.

 

[30]           L’enquêteure a conclu que l’offre était légitime ou, en d’autres termes, qu’elle avait été faite de bonne foi. Là n’est pas la question. Elle a toutefois également conclu que l’offre était « appropriée » parce qu’elle reposait sur le fait que le CN admettait que l’ancienneté du demandeur n’avait pas été reconnue et que le demandeur avait été rappelé au travail pour les 17 jours que l’enquêteure estimait qu’il aurait dû être rappelé. Aux paragraphes 48 et 49 de son rapport, l’enquêteure a également fait observer que, si le demandeur avait répondu à l’offre, un règlement [traduction] « aurait pu » porter sur les prestations et sur l’indemnité à verser au demandeur.

 

[31]            À mon avis, étant donné que le demandeur n’a pas daigné répondre à l’offre et n’a pas convaincu l’enquêteure qu’il avait demandé de reprendre le travail en novembre 1994, la réaction de l’enquêteure aux arguments des TCA et sa conclusion que l’offre était appropriée étaient raisonnables.

 

 

 

JUGEMENT

 

 

POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS, LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et que les dépens sont adjugés à la défenderesse. Avec le consentement des avocats des deux parties, les dépens sont fixés à 2 000 $.

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-2190-07

 

INTITULÉ :                                       WALTER KENNEDY c. COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 19 NOVEMBRE 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 30 AVRIL 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Shklanka

 

POUR LE DEMANDEUR

William G. McMurray

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Services juridiques TCA-Canada

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LE DEMANDEUR

William G. McMurray

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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