Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


 

Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20090827

Dossier : T-1309-09

Référence : 2009 CF 848

Ottawa (Ontario), le 27 août 2009

En présence de monsieur le juge Kelen

 

ENTRE :

LA LIVING OCEANS SOCIETY et

LA SOCIÉTÉ POUR LA NATURE ET LES PARCS DU CANADA

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS,

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES et

L’UNIVERSITÉ COLUMBIA DE LA VILLE DE NEW YORK

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une requête urgente présentée par les demanderesses visant à obtenir des mesures provisoires en vertu de l’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C.1990, ch. 8, art. 5 mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 28, et de l’article 373 des Règles de la Cour fédérale, suspendant le permis d’accès d’un navire étranger, datant du 21 août 2009, délivré par le défendeur, le ministre des Affaires étrangères, au Secrétariat d’État des États-Unis pour le compte du navire de recherche scientifique marine R V Marcus G. Langseth dans le but d’effectuer des essais sismiques dans une zone d’environ 250 kilomètres située au sud-ouest de l’île de Vancouver entre le 17 août et le 22 septembre 2009. Les essais sismiques seront menés par l’Université défenderesse Columbia grâce à des fonds versés par le gouvernement américain. Ces essais ont pour objet d’obtenir des données qui serviront à mieux comprendre et prévoir les tremblements de terre qui émanent de la zone d’étude, et de mener d’autres recherches scientifiques sur les espèces qui habitent dans la « zone de protection marine du champ hydrothermal Endeavour. »

 

[2]               La requête des demanderesses a initialement été déposée le 19 août en vue d’obtenir une injonction contre les deux ministres défendeurs leur interdisant de délivrer un permis d’accès au navire étranger en application de l’alinéa 3(2)c) de la Loi sur le cabotage, L.C. 1992, ch. 31. La preuve dont dispose la Cour actuellement révèle qu’à la suite du dépôt de la présente requête en injonction par les demanderesses, le ministère des Pêches et des Océans a exigé que l’Université défenderesse Columbia augmente substantiellement ses mesures d’atténuation pour protéger les mammifères marins qui se trouvent dans la zone de protection marine du champ hydrothermal Endeavour. Les mesures d’atténuation accrues comprenaient, entre autres, une réduction du niveau de décibels, de 180 à 160 dB, des canons à air; une augmentation du nombre d’observateurs des mammifères marins, notamment la présence d’observateurs sur le navire, désignés et autorisés par le MPO, chargés de maintenir une surveillance constante de ces mammifères; un élargissement important de la  « zone d’exclusion » de plus de 7 kilomètres, où tout essai est interdit si une baleine s’y trouve; ainsi qu’une augmentation du nombre de contrôles préalables aux activités pour s’assurer qu’aucun mammifère n’est observé dans la zone d’étude.

 

[3]               Le 24 août 2009, les ministres défendeurs ont déposé un affidavit de Rebecca Reid, directrice régionale de la Direction des océans, de l’habitat et de la mise en valeur pour la région du Pacifique du ministère des Pêches et des Océans (le MPO). Mme Reid a affirmé qu’il n’y avait pas lieu de croire, compte tenu des nouvelles mesures d’atténuation exigées par le MPO, que les recherches proposées iraient à l’encontre des lois et des règlements sur les activités marines. Elle a écrit aux paragraphes 17 à 22 de son affidavit :

[traduction]

 

17.       Le 14 août 2009, la région du Pacifique du MPO a reçu de Lamont une « demande de permis pour une espèce en péril ». Après que le MPO eut demandé à Lamont d’apporter quelques précisions, une demande révisée de permis pour une espèce en péril a été fournie le 20 août 2009 (la « demande de permis en vertu de la LEP »).  Vous trouverez joint comme pièces « B » et « C » du présent affidavit une copie des demandes de permis en vertu de la LEP des 14 et 20 août 2009.

 

18.       La demande de permis en vertu de la LEP du 20 août 2009 a été remise à l’unité des mammifères marins du MPO aux fins d’examen. L’unité a conclu que, vu les mesures d’atténuation proposées par Lamont, les recherches ne contreviendraient pas au Règlement sur les mammifères marins.

 

19.       La demande de permis en vertu de la LEP a été transmise à M. John Ford, chef du Programme de recherche sur les cétacés de la station biologique du Pacifique du MPO à Nanaimo.

 

20.       Afin de me mettre au courant, le 23 août 2009, j’ai parlé à M. Ford qui m’a donné les renseignements suivants sur le rôle du MPO, son expertise en matière de mammifères marins et sur la façon dont il a examiné la demande fondée sur la LEP :

 

            a.         Le Programme de recherche sur les cétacés entreprend des recherches afin d’aider au rétablissement des baleines, des dauphins et des marsouins considérés comme en voie de disparition ou menacées aux termes de la LEP du Canada.

 

            b.         M. Ford est spécialisé dans le comportement et l’acoustique des baleines; il a fait des études documentées dans cette discipline pendant plus de 30 années. Vous trouverez ci-joint comme pièce « D » du présent affidavit une copie du curriculum vitae de M. Ford qui décrit ses compétences et son expérience en ce qui a trait aux mammifères marins.

 

            c.         M. Ford a examiné la demande de permis fondée sur la LEP, ainsi que l’information fournie dans l’« évaluation environnementale concernant des essais géophysiques marins faits par le R/V Marcus G. Langseth dans le Nord-Est du Pacifique, en août et septembre 2009 » et dans la demande fondée sur la LEP du 14 août 2009.

 

21.       M. Ford m’a informée qu’il a procédé à une estimation des niveaux de pression sonore susceptibles d’être émis à partir d’un dispositif sismique de canons à air de 6600 in³ et de leur risque de perturbation acoustique à l’égard des mammifères marins. Selon lui, le projet, tel que proposé dans la demande de permis en vertu de la LEP du 20 août 2009, était peu susceptible de causer d’importantes blessures ou perturbations du comportement à l’égard des cétacés ou autres mammifères marins, pourvu que les mesures d’atténuation décrites dans la demande de permis fondée sur la LEP soient exécutées.

 

22.       Plus particulièrement, M. Ford a aussi indiqué que les mesures d’atténuation proposées dans la demande de permis fondée sur la LEP, présentée par Lamont, sont semblables à celles prévues dans les protocoles de protection de la plupart des États du monde entier et qu’elles sont, à plusieurs égards, davantage préventives.

 

[4]               Le 21 août 2009, Mme Reid, à titre de directrice régionale du MPO, a écrit à l’Université défenderesse Columbia en déclarant ce qui suit :

[traduction]

 

[…] Le MPO est d’avis que les mesures d’atténuation décrites dans la demande sont suffisantes pour éviter de blesser et de perturber les mammifères marins. Ainsi, un permis en vertu de la LEP n’est pas requis pour l’exercice des activités que vous proposez […]

 

 

[5]               Le même jour, après avoir été informé de cette décision, le ministre des Affaires étrangères, défendeur en l’espèce, a délivré le permis d’accès du navire qui a alors levé l’ancre le lendemain matin en vue de commencer les essais sismiques.

 

[6]               La Cour estime que ces incidents se sont produits après le dépôt de la requête en injonction, mais avant que celle-ci soit entendue. Les parties qui ont comparu sont donc parvenues tant bien que mal à s’ajuster à la nouvelle situation de fait, et les demanderesses ont déposé une requête modifiée en vue d’obtenir une ordonnance suspendant le permis d’accès du navire, au lieu d’en interdire la délivrance.

 

[7]               La Cour reconnaît que l’expert du MPO, M. John Ford, Ph.D, a donné son avis, lequel indiquait que, compte tenu des mesures d’atténuation proposées par l’Université défenderesse Columbia, les essais sismiques envisagés [traduction] « étaient peu susceptibles de causer d’importantes blessures ou perturbations du comportement à l’égard des cétacés ou autres mammifères marins, pourvu que les mesures d’atténuation proposées par l’Université Columbia soient exécutées ». La Cour a examiné le curriculum vitae de 12 pages de M. Ford qui est joint en tant que pièce « D » à l’affidavit de Mme Reid. M. Ford occupe le poste de chercheur scientifique et de chef du Programme de recherche sur les cétacés pour la région du Pacifique du MPO depuis 2001. Il possède de nombreuses années d’expérience en ce qui concerne les mammifères marins, qui remontent à 1973. La Cour a dit regretter que M. Ford n’ait pas lui‑même signé un affidavit quant à la requête. L’avocat a expliqué que cela avait été impossible en raison du court délai entre le dépôt de la requête et l’audition de celle-ci. La Cour accepte l’explication de l’avocat et refuse de tirer une conclusion défavorable malgré l’absence de témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels (voir : le paragraphe 81(2) des Règles de la Cour fédérale). La Cour accepte effectivement les affidavits sur les renseignements et les croyances sur les questions interlocutoires et acceptera l’affidavit de Mme Reid concernant l’opinion fournie par le DFord. Mme Reid est la directrice régionale du MPO responsable de ce dossier (voir : le paragraphe 81(1) des Règles de la Cour fédérale).

 

[8]               Les demanderesses soutiennent que la preuve fournie par les États-Unis sur les conséquences liées aux essais sismiques envisagés appuie l’argument selon lequel les mammifères marins pourraient être victimes d’un harcèlement incident résultant de tels essais. La Cour ne peut considérer cette preuve comme suffisante pour établir la probabilité d’un préjudice irréparable à l’égard des mammifères marins pour deux motifs. Premièrement, cette conclusion était fondée sur différents niveaux acoustiques et autres conditions dont les risques ont été atténués par l’Université Columbia à la demande du Ministère des Pêches et des Océans. Deuxièmement, le témoignage du Dr Ford,  dont les renseignements sont à jour et émanent d’un expert canadien qui traite précisément de la question, démontre sans équivoque que, le projet tel qu’on le décrit actuellement, est peu susceptible de causer des blessures ou des perturbations du comportement à l’égard des baleines et autres mammifères marins, compte tenu des mesures d’atténuation proposées par l’Université Columbia.

 

[9]               L’octroi d’un redressement interlocutoire constitue un recours exceptionnel. Le demandeur doit démontrer le caractère urgent, l’existence d’une question sérieuse et d’un préjudice irréparable et établir que la prépondérance des inconvénients favorise le demandeur (Voir : RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311). Dans la présente affaire, sur le fondement de la preuve, la Cour conclut que les demanderesses n’ont pas réussi à établir que les mammifères marins risquent de subir un préjudice irréparable pour les motifs exposés plus haut.

 

[10]           Vu la conclusion de la Cour sur la question du préjudice irréparable, il n’est pas nécessaire, ni dans l’intérêt de statuer rapidement sur cette requête urgente, que la Cour examine le reste du critère à trois volets applicable à une suspension provisoire. Il est également inutile que le tribunal statue sur un certain nombre d’autres questions soulevées par les parties, notamment celles de savoir si on devrait permettre aux demanderesses de modifier leur avis de requête en vue d’obtenir une suspension provisoire au lieu d’une injonction; si on devrait accepter de donner suite à la requête parce que plusieurs parties susceptibles d’être concernées n’ont pas été désignées comme défenderesses; si les demanderesses devraient être tenues de déposer un engagement relatif aux dommages-intérêts; si les essais sismiques proposés contreviendront à la Loi sur les espèces en péril, L.C. 2002, ch. 39 et au Règlement sur les mammifères marins, DORS/93-56; quelle est la norme de contrôle applicable en l’espèce; et si les demanderesses ont qualité pour intenter une action visant à empêcher une partie privée de contrevenir à une loi.

 

[11]           Pour ces motifs, la requête en vue d’obtenir une suspension du permis sera rejetée.

 

[12]           Quant aux dépens, la Cour reconnaît qu’après le dépôt de la présente requête, le MPO a exigé que l’Université défenderesse Columbia augmente substantiellement ses mesures d’atténuation pour protéger les mammifères marins, et ce n’est qu’après cette intervention que le permis d’accès du navire a été délivré. Lorsque les demanderesses ont comparu devant la Cour au moment de présenter la requête, ces faits avaient changé à leur insu. En outre, la demande du Département d’État des États-Unis pour l’obtention d’un permis d’accès de navire a été déposée auprès du ministère des Affaires étrangères le 26 février 2009. La preuve démontrait que la demande avait été égarée par le ministère des Affaires étrangères jusqu’au 14 juillet 2009. Cette erreur a causé un préjudice aux parties en réduisant de manière importante le délai qui leur était accordé pour répondre aux points litigieux soulevés en l’espèce. Dans ces circonstances, l’opinion préliminaire de la Cour est qu’il ne convient pas de condamner les demanderesses à des dépens puisqu’elles n’ont pas pu avoir connaissance des mesures modifiées visant à réduire les effets possibles des essais sismiques sur les mammifères marins et, en fait, leur action juridique imminente pourrait avoir précipité la nécessité de prendre des mesures d’atténuation accrues.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

            La présente requête contre les ministres défendeurs visant à obtenir des mesures provisoires prévoyant la suspension du permis d’accès du navire, datée du 21 août 2009, est rejetée.

 

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-1309-09

 

INTITULÉ:                                        LIVING OCEANS SOCIETY ET AL. c.

                                                            MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS ET AL.

*

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 août 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Kelen

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 27 août 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Lara Tessaro

 

POUR LES DEMANDERESSES

Lorne Lachance

Ryan Gellings

 

 

Charles F. Willms

 

POUR LES DÉFENDEURS

Ministre des Pêches et des Océans

et Ministre des Affaires étrangères

 

POUR LA DÉFENDERESSE

Université Columbia, ville de New York

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lara Tessaro

Avocate

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LES DEMANDERESSES

John H. Sims, Q.C.

Sous-procureur général du Canada

 

Charles F. Willms

Avocat

Fasken Martineau DuMoulin, LLP

Vancouver (C.-B.)

POUR LES DÉFENDEURS

Ministre des Pêches et des Océans

et Ministre des Affaires étrangères

 

POUR LA DÉFENDERESSE

Université Columbia, ville de New York

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.