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Date : 20090824

Dossier : IMM-585-08

Référence : 2009 CF 841

Ottawa (Ontario), le 24 août 2009

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MANDAMIN

 

ENTRE 

HONG LIAN LI

demanderesse

 

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande présentée suivant le paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) en vue d’autoriser l’introduction d’une instance en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7. La demanderesse demande le contrôle judiciaire d’une décision rendue par un tribunal de la Section de la protection des réfugiés (la Commission) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR), qui rejetait sa demande de statut de réfugié.

 

[2]               La demanderesse, Mme Hong Lian Li, est une citoyenne chinoise qui avait obtenu le statut de résident permanent en Argentine. Elle a demandé le statut de réfugié parce qu’elle craignait d’être agressée par son conjoint divorcé en Argentine et aussi parce qu'elle craignait d'être recherchée par les autorités chinoises du fait qu’elle aurait abrité des membres du Falun Gong dans une résidence dont elle était propriétaire en Chine.

 

[3]               La Commission a conclu que Mme Li n’avait pas prouvé à sa satisfaction qu'elle avait perdu son statut de résident permanent en Argentine. Elle a conclu que Mme Li, à titre de résidente permanente, pouvait retourner en Argentine et pouvait bénéficier de la protection de l'État argentin contre la violence conjugale. La Commission a refusé sa demande de statut de réfugié, parce qu’elle était susceptible d’être exclue en vertu de la section E de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés et en raison de la disponibilité de la protection de l'État en Argentine.

 

FAITS

[4]               Mme Li est une citoyenne chinoise, âgée de 38 ans. Elle s’est mariée en 1992 et a donné naissance à son premier enfant, une fille, en 1993. En 1994, la demanderesse et son époux ont décidé qu'ils voulaient avoir un fils; toutefois, la politique de l'enfant unique de la Chine les empêchait d'avoir d’autres enfants, aussi ont-ils décidé de déménager en Argentine. Ils ont laissé leur fille aux soins de sa grand-mère paternelle. Ils ont eu un fils en Argentine en 1995. En 1996, ils ont demandé le statut de résident permanent en Argentine, lequel leur a été finalement accordé en 2003.

 

[5]               Le couple exploitait un supermarché à Buenos Aires. Mme Li accuse son époux de s’être soûlé et de l’avoir battue à plusieurs occasions. La demanderesse affirme qu’elle n’a pas demandé l’aide de la police. Elle n’a pas signalé non plus à la police les voies de fait dont elle a fait l’objet dans le passé parce qu’elle ne parlait pas l’espagnol. En août 2004, les deux époux ont décidé de mettre fin à leur relation. Comme ils s'étaient mariés en Chine, ils ont décidé de demander le divorce là-bas. Deux ans plus tard, l’ex-époux voulait vendre le supermarché. Mme Li, qui était restée en Chine après le divorce, est retournée en Argentine parce que la vente exigeait son consentement.

 

[6]               La demanderesse a reçu de son époux 20 000 $ en argent provenant du produit de la vente. Mme Li affirme que deux Chinois lui ont volé son argent, ce soir-là, dans sa chambre d’hôtel. Ils ont braqué un revolver sur sa tête et l’ont forcée à leur remettre la somme de 20 000 $ qu'elle avait reçue plus tôt dans la journée. Elle ajoute que les hommes lui ont dit que son époux lui demandait de quitter l’Argentine, sinon il la tuerait. Elle a signalé ce fait à la police avec l’aide du directeur de l’hôtel, qui était Chinois et parlait l’espagnol. La demanderesse affirme que la police a traité sa plainte à la légère et lui a recommandé d’essayer de régler ce litige avec son époux. Elle ajoute que, après avoir insisté, la police lui a répondu qu'elle examinerait l’affaire. La demanderesse croit que rien n'a été fait, parce qu'elle a parlé à un ami de son ex-époux et lui a demandé si la police l'avait questionné et il a répondu par la négative. La demanderesse soutient qu’elle n’a pas donné suite à la déclaration qu’elle a faite à la police parce qu’elle ne faisait pas confiance à celle-ci. 

 

[7]               Mme Li était pressée de retourner en Chine. Elle affirme que sa seule option possible pour se rendre en Chine était via Toronto. La demanderesse a demandé un visa de transit, qui lui a été accordé. Elle a quitté Buenos Aires pour la Chine en faisant escale à Toronto. Au moment où elle était à Toronto, elle a appelé sa mère en Chine qui l’a avertie que les forces de sécurité étaient à sa recherche, soutient-elle. La demanderesse est propriétaire d’un bien locatif en Chine. Les autorités ont arrêté des adeptes du Falun Gong dans son logement. La demanderesse craignait que les autorités chinoises ne concluent à sa culpabilité par association. Elle soutient qu’elle sera persécutée comme l’ont été les membres du culte religieux si elle retourne en Chine. La demanderesse a présenté des éléments de preuve montrant que sa fille a été expulsée de l’école à cause des locataires membres du Falun Gong.

 

[8]               La demanderesse ne veut pas retourner en Argentine parce que, selon elle, elle vivra dans la peur constante que son ex-époux ne mette sa menace de la tuer à exécution; en outre, elle ne peut se fier à la police pour être protégée.

 

LA DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

[9]               La Commission a conclu que la demanderesse est exclue du statut de réfugié en raison de la section E de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés. Elle a ensuite déterminé que la demanderesse n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve prouvant que l’État n’est pas en mesure ou refuse de la protéger contre la violence conjugale si elle retournait en Argentine.

 

[10]           La Commission a jugé que la demanderesse était exclue du statut de réfugié parce que la section E de l’article premier énonce ce qui suit :

Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.

 

 

[11]           La Commission a appliqué le critère établi dans Shamlou c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1537, par. 35, qui pose quatre questions relativement aux droits de résidence dans un pays, à savoir :  

a) le droit de retourner dans son pays de résidence;

b) le droit de travailler sans restriction aucune;

c) le droit d’étudier;

d) le droit d'utiliser sans restriction les services sociaux du pays de résidence.

 

 

[12]           La Commission a trouvé dans le témoignage de Mme Li des éléments qui satisfont aux critères ci-dessus. Elle a constaté que cette dernière avait le statut de résident permanent en Argentine, sans date d’expiration, au moment où elle revendiquait le statut de réfugié. La Commission a jugé qu'il n'était pas nécessaire d'analyser la possibilité que la demanderesse retourne en Chine, parce qu’il a conclu que cette dernière pouvait retourner en Argentine. 

 

[13]           La Commission a fait référence à la présomption que les États peuvent protéger leurs citoyens et à sa conclusion secondaire que les demandeurs du statut de réfugié doivent fournir des éléments de preuve établissant qu’un État refuse ou n’est pas en mesure d'assurer cette protection.

 

[14]           La Commission a remis en cause la qualité de la preuve que Mme Li a présentée en ce qui concerne la question de la protection dont elle peut bénéficier de l’État argentin. Elle a constaté que la demanderesse n’avait pas examiné toutes les options possibles pour réclamer la protection de l’État contre son conjoint divorcé. En conséquence, la Commission a conclu que la demanderesse n’a pas épuisé toutes les options de protection offertes par l’État dont elle pouvait bénéficier et n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

 

QUESTIONS

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur en évaluant la preuve quant au droit de la demanderesse de retourner en Argentine?
  2. La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de considérer les éléments de preuve documentaires défavorables relatifs à l’existence d’une protection de l’État en Argentine à l’égard des victimes de violence conjugale?

 

NORME DE CONTRÔLE

[15]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême a reconnu deux normes de contrôle : celle de la décision correcte et celle de la raisonnabilité.

 

[16]           Dans Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l Immigration), 2009 CF 65, j'ai constaté que, depuis Dunsmuir, la norme de contrôle applicable en ce qui a trait au traitement de la preuve était celle de la raisonnabilité.

 

[17]           Dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, par. 59, le juge Binnie a affirmé : « Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable ».

 

ANALYSE

La Commission a-t-elle  commis une erreur en évaluant la preuve quant au droit de la demanderesse de retourner en Argentine?

 

[18]           Mme Li affirme qu’elle n’était pas retournée en Argentine depuis plus de deux ans, au moment de la décision de la Commission, et que son statut de résident permanent en Argentine avait expiré. Elle se fonde sur le rapport de KPMG de 2008 à l'intention des dirigeants d'entreprise dans lequel on signale qu’une [traduction] « personne ayant un statut de résident permanent en Argentine perdra son statut si elle obtient la résidence permanente dans un autre pays ou si elle séjourne dans un autre pays pendant 12 mois ou plus ».

 

[19]           Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Choovak, [2002] A.C.F. no 767, le juge Rouleau a suivi le raisonnement adopté par la Cour d’appel fédérale dans Mahdi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1995] A.C.F. n1623, à savoir que « la question véritable que la Commission devait trancher dans cette affaire était la suivante : l'intimée était-elle, lorsqu'elle a demandé son admission au Canada, une personne qui était encore reconnue par les autorités compétentes des États-Unis comme un résident permanent de ce pays »?

 

[20]           La Commission a conclu, d’après la preuve présentée, que Mme Li avait obtenu le statut de résident permanent en 2003, sans date d'expiration. La Commission a également conclu qu'elle était en mesure de retourner en Argentine après son divorce, nonobstant le fait qu’elle s’est absentée de l’Argentine et a séjourné en Chine durant presque deux ans. La Commission a également fait remarquer que la demanderesse n’a fait aucun effort pour communiquer avec les autorités argentines pour savoir si elle pouvait revenir en Argentine après avoir été au Canada. 

 

[21]           J'estime qu’il était raisonnablement loisible à la Commission, selon la preuve dont elle disposait, de conclure que la demanderesse avait le droit de retourner en Argentine et que la section E de l'article premier s'appliquait à son cas.

 

La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de considérer les éléments de preuve documentaires défavorables relatifs à la disponibilité d’une protection de l’État en Argentine à l’égard des victimes de violence conjugale?

 

[22]           Dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême du Canada donnent des indications pour les cas où la protection de l’État est un enjeu : « […] le demandeur ne sera pas visé par la définition de l'expression " réfugié au sens de la Convention " s'il est objectivement déraisonnable qu'il n'ait pas sollicité la protection de son pays d'origine; autrement, le demandeur n'a pas vraiment à s'adresser à l'État ».

 

[23]           La demanderesse fait mention d’un rapport produit par le United States Department of State (Département d’État des États-Unis) qui présente une évaluation récente (2007) de la protection des femmes contre la violence conjugale en Argentine. Le rapport conclut que, de façon générale, malgré l'action gouvernementale, la violence perpétrée contre les femmes demeure un problème grave en Argentine. La demanderesse allègue que la Commission a fait une interprétation sélective des éléments de preuve et a tiré des conclusions exclusivement à partir de la preuve relative aux mesures législatives adoptées en Argentine.

 

[24]           La Cour d’appel fédérale a considéré dans Mahanandan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. n1228, paragraphe 7, que la Commission devait tenir compte de la preuve documentaire étayant les craintes d’un demandeur d’asile.

 

[25]           La Commission a reconnu que « certains » documents démontrent que la violence conjugale reste un problème en Argentine et « que les lois et la réglementation à ce chapitre ne sont pas aussi efficaces qu’elles devraient l’être lois et les règlements ne sont pas aussi efficaces qu’ils devraient l’être […] ». Selon la Commission, « la prépondérance de la preuve documentaire objective et fiable remise au tribunal […] montre clairement que, bien que les problèmes de violence conjugale ne soient pas éliminés complètement, les autorités cherchent de façon sérieuse à régler ces difficultés ».

 

[26]           Le peu d’efforts déployés par Mme Li pour s’assurer de la protection policière ne justifie pas un examen critique plus approfondi de l'efficacité de la protection de l'État offerte à la demanderesse. Cette dernière s’appuie nécessairement sur la preuve documentaire. Par conséquent, la Commission a le droit de tirer sa conclusion de l’ensemble de la preuve documentaire mise à sa disposition.

 

[27]           Je conclus que la Commission a bien tenu compte de la preuve documentaire défavorable signalant les problèmes soulevés par la protection de l’État contre la violence conjugale envers les femmes. La conclusion de la Commission est raisonnable eu égard à l'ensemble de la preuve qui lui a été présentée.

 

CONCLUSION

[28]           La demanderesse n’a pas établi que la décision de la Commission sur l’exclusion ou sur la protection de l’État n’était pas raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

                        1.         Que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

                        2.         Qu’aucune question de portée générale ne soit certifiée.

 

 

 Leonard S. Mandamin 

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-585-09

 

 

INTITULÉ :                                       HONG LIAN LI c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 19 AOÛT 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT               LE JUGE MANDAMIN

ET JUGEMENT :

                                                           

 

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :                             LE 24 AOÛT 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marvin Moses

 

POUR LA DEMANDERESSE

David Cranton

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Marvin Moses Law Office

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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