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Date : 20080923

Dossier : T‑1528‑07

Référence : 2008 CF 1073

Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2008

En présence de madame la juge Simpson

 

 

ENTRE :

LINDSAY KERR

demanderesse

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL (AGENCE DU REVENU DU CANADA)

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Lindsay Kerr, la demanderesse qui se représente elle‑même (la demanderesse), sollicite en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, le contrôle judiciaire de la décision du 25 juillet 2007 (la décision) par laquelle a été rejetée sa demande de renonciation, présentée en vertu du paragraphe 204.1(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (la Loi), à un montant d’impôt établi conformément à la partie X.1 de la Loi (l’impôt de la partie X.1).

 

L’ERREUR DE L’ARC, LES COTISATIONS EXCÉDENTAIRES ET LEUR RETRAIT

 

[2]               Le 8 septembre 1997, la demanderesse a reçu son avis de cotisation pour l’année d’imposition 1996. On l’y informait que son plafond de cotisation au REER pour 1997 était de 8 121 $ (le plafond). Ce montant était erroné et aurait dû être de 794 $ (l’erreur). L’erreur découlait de l’inscription par l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) d’un facteur d’équivalence erroné pour la demanderesse en 1996; on avait inscrit un montant de 814 $ sur l’avis de cotisation, alors que le montant exact était de 8 141 $.

 

[3]               Le plafond était environ quatre fois plus élevé qu’il n’avait été les années précédentes, et aucun changement important n’était survenu quant à l’emploi ou au revenu de la demanderesse qui aurait pu expliquer cette hausse du plafond. La demanderesse a pensé qu’une erreur avait pu être commise, et elle en a discuté de façon informelle avec des collègues au travail de même qu’avec son banquier. Tous lui ont dit qu’elle pouvait se fier sur l’avis de cotisation.

 

[4]               Le 27 février 1998, sur la foi de ce qu’on lui avait ainsi dit, la demanderesse a versé une cotisation de 8 121 $ dans son REER pour l’année d’imposition 1997 (la seconde cotisation excédentaire). La demanderesse avait déjà versé une cotisation de 2 000 $ dans son REER, croyant savoir que les contribuables avaient droit à une cotisation excédentaire d’un tel montant dans leur REER, sans pénalité (la première cotisation excédentaire). Les cotisations excédentaires de la demanderesse s’élevaient donc à 9 327 $, soit le total de la première et de la seconde cotisations excédentaires, 10 121 $, moins le montant de 794 $, le véritable plafond de cotisation au REER pour l’année d’imposition 1997 de la demanderesse.

 

[5]               L’ARC a aggravé l’erreur au début de 1998 lorsqu’elle a envoyé à la demanderesse le formulaire T1028. On y énonçait le maximum déductible au titre des REER de la demanderesse, en précisant erronément que ce maximum pour 1998 était de 7 754 $ (calculé en soustrayant du plafond inexact de 8 121 $ la somme de 367 $ correspondant au facteur d’équivalence pour services passés de la demanderesse pour 1998). Le montant exact du maximum déductible pour 1998 était en fait de 427 $.

 

[6]               La demanderesse déclare, ce dont l’avocate de l’ARC a convenu à l’audience, que, selon le dossier de la Cour, elle avait appris quel était le montant véritable de son maximum déductible au titre des REER pour l’année d’imposition 1997 uniquement lorsqu’elle avait reçu une lettre en faisant état datée du 29 avril 2004. On a laissé entendre que la demanderesse connaissait avant cette date le montant exact de ce maximum du fait qu’elle aurait indiqué ce montant en novembre 2003, lorsqu’elle a produit sa déclaration de revenus pour 1997. Cette déclaration, toutefois, n’a pas été produite en preuve. Par conséquent, je considérerai que c’est le 29 avril 2004 que la demanderesse a été avisée de son véritable maximum déductible au titre des REER pour 1997.

 

[7]               Le 29 avril 2004, l’ARC a envoyé à la demanderesse une lettre (la lettre de retrait) l’informant que son véritable maximum déductible au titre des REER pour 1997 était de 794$. L’ARC avait également joint deux exemplaires déjà remplis du formulaire T3012A (les formulaires), de manière à ce que la demanderesse puisse retirer, en franchise d’impôt, les sommes de 8 121 $ et de 1 206 $ de son REER. La première somme de 8 121 $ était inexacte. On aurait plutôt dû demander à la demanderesse dans le formulaire de retirer la somme de 7 327 $, soit la seconde cotisation excédentaire moins le maximum déductible véritable de 794 $. En outre, on n’aurait pas dû joindre un deuxième formulaire visant quelque somme que ce soit.

 

[8]               La demanderesse ne comprenait pas bien, à juste titre, pourquoi elle semblait devoir retirer quelque somme que ce soit relativement à la première cotisation excédentaire. Le défendeur admet maintenant qu’il s’agissait là d’une erreur et que la demanderesse aurait pu laisser dans son REER, sans pénalité, la totalité de sa première cotisation excédentaire. Toutefois, les formulaires rendaient impossible pour la demanderesse de retirer la seconde cotisation excédentaire et de ne laisser dans le REER que le montant admissible, et l’obligeaient en fait à retirer la totalité de la première cotisation excédentaire.

 

[9]               On a envoyé les formulaires à la demanderesse pour qu’elle puisse retirer les cotisations excédentaires en franchise d’impôt. Selon le paragraphe 146(8.2) de la Loi, le contribuable qui n’a pas utilisé un montant déductible de cotisations au titre des REER peut être en mesure de retirer les cotisations inutilisées en franchise d’impôt. La partie pertinente de ce paragraphe est reproduite ci‑après :

Montant déductible

(8.2) Dans le cas où, à la fois :

le contribuable peut déduire ce [trop‑perçu] […] dans le calcul de son revenu pour l’année donnée, sauf s’il est raisonnable de considérer que :

Amount deductible

(8.2) Where

…[the overpayment] may be deducted in computing the taxpayer’s income for the particular year unless it is reasonable to consider that

e) d’une part, le contribuable ne s’attendait vraisemblablement pas à ce que le plein montant des primes soit déductible au cours de l’année d’imposition de leur versement ou de l’année d’imposition précédente;

(e) the taxpayer did not reasonably expect that the full amount of the premiums would be deductible in the taxation year in which the premiums were paid or in the immediately preceding taxation year, and

f) d’autre part, le contribuable a versé tout ou partie des primes dans l’intention de recevoir un paiement qui, compte non tenu du présent alinéa et de l’alinéa e), serait déductible en application du présent paragraphe.

 

 

 

(f) the taxpayer paid all or any portion of the premiums with the intent of receiving a payment that, but for this paragraph and paragraph 146(8.2)(e), would be deductible under this subsection

 

 

[10]           La demanderesse avait pour habitude de maximiser ses cotisations et aucun élément de preuve ne laisse croire qu’elle avait utilisé le plafond en comptant se servir de droits de cotisation subséquents pour éliminer les cotisations excédentaires. En outre, le fait que la demanderesse a versé la première cotisation excédentaire démontre qu’elle n’avait pas l’intention de verser davantage que le montant admissible des cotisations (soit 2 000 $). Comme elle avait décidé d’offrir à la demanderesse l’occasion de retirer en franchise d’impôt ses cotisations excédentaires en application du paragraphe 146(8.2) de la Loi (la décision antérieure), l’ARC avait dû conclure que dans cette affaire la demanderesse croyait le montant du plafond exact lorsqu’elle a versé la seconde cotisation excédentaire.

 

LES DÉCLARATIONS DE REVENUS DE LA DEMANDERESSE

 

[11]           La demanderesse n’a produit de déclarations de revenus pour les années d’imposition 1997 à 2002 que le 17 novembre 2003. L’ARC reconnaît toutefois que le contribuable qui n’a pas d’impôt à payer n’a habituellement pas à produire de déclaration, à moins qu’elle ne l’en mette en demeure de le faire en vertu du paragraphe 150(2) de la Loi. La demanderesse n’a jamais été mise en demeure de la sorte. On lui a plutôt envoyé une lettre datée du 19 février 1999, mentionnant qu’elle n’avait pas produit de déclaration pour l’année 1997 et lui demandant de le faire. On précisait dans la lettre que les contribuables avaient [traduction] « l’obligation de produire une déclaration de revenus » dans certaines situations précises, dont aucune toutefois ne s’appliquait à la demanderesse, comme tout particulièrement elle n’avait pas d’impôt à payer.

 

[12]           La demanderesse a donné suite à cette demande et à d’autres faites pour qu’elle produise des déclarations en communiquant par téléphone avec l’ARC. Dans nombre des cas, elle a demandé qu’on lui accorde un délai pour pouvoir produire ses déclarations de revenus, et l’ARC a accédé à ces demandes.

 

[13]           Le 17 novembre 2003, par suite de cotisations arbitraires établies pour les années d’imposition 1999 et 2000, la demanderesse a produit des déclarations de revenus pour les années 1997 à 2002. Aucun impôt n’était exigible et des remboursements d’impôt ont été versés pour toutes ces années.

 

L’IMPÔT DE LA PARTIE X.1

 

[14]           Les contribuables peuvent être assujettis à l’impôt de la partie X.1 tant qu’une cotisation excédentaire se trouve versée dans un REER. En vertu du paragraphe 204.1(2.1), l’impôt à payer est égal à 1 % par mois de l’excédent cumulatif des cotisations. L’excédent cumulatif, défini au paragraphe 204.2(1.1), correspond au montant des cotisations excédentaires moins 2 000 $. En ce qui concerne la demanderesse, puisqu’elle avait versé 9 327 $ de cotisations excédentaires, l’excédent cumulatif à l’égard duquel on a établi le montant de son impôt de la partie X.1 était de 7 327 $.

 

[15]           Le contribuable qui compte un excédent cumulatif doit remplir un formulaire T1‑OVP, Déclaration des particuliers – Cotisations excédentaires versées à un REER (T1‑OVP) pour chaque année d’imposition pendant laquelle existe l’excédent cumulatif.

 

[16]           Des pénalités et des intérêts peuvent s’accumuler à l’égard de l’impôt de la partie X.1 si le contribuable ne produit pas de formulaire T1‑OVP en temps opportun ou ne verse pas l’impôt de la partie X.1 lorsqu’il est exigible. À ce jour, on a établi à 11 270 $ le montant d’impôt de la partie X.1 et des pénalités et intérêts connexes à payer par la demanderesse relativement à la première et à la seconde cotisations excédentaires, et la demanderesse a versé cette somme.

 

[17]           En vertu du paragraphe 204.1(4), reproduit ci‑après, le ministre du Revenu national (le ministre) peut renoncer à l’impôt de la partie X.1 si le versement de cotisations excédentaires a fait suite à une erreur acceptable et que les mesures indiquées pour éliminer l’excédent ont été prises :

(4) Le ministre peut renoncer à l’impôt dont un particulier serait, compte non tenu du présent paragraphe, redevable pour un mois selon le paragraphe (1) ou (2.1), si l’excédent ou l’excédent cumulatif qui est frappé de l’impôt fait suite à une erreur acceptable et que les mesures indiquées pour éliminer l’excédent ont été prises.

(4) Where an individual would, but for this subsection, be required to pay a tax under subsection 204.1(1) or 204.1(2.1) in respect of a month and the individual establishes to the satisfaction of the Minister that

 

(a) the excess amount or cumulative excess amount on which the tax is based arose as a consequence of reasonable error, and

 

(b) reasonable steps are being taken to eliminate the excess,

 

the Minister may waive the tax.

 

LES DÉCISIONS ANTÉRIEURES CONCERNANT L’IMPÔT DE LA PARTIE X.1

 

La première demande

 

[18]           Le 3 septembre 2004, le ministre a rejeté la première demande de renonciation à l’impôt de la partie X.1 présentée par la demanderesse. Le dossier ne permet pas de savoir clairement la date de cette demande.

 

[19]           On déclarait ce qui suit dans la lettre de décision :

[traduction]

En vertu du régime canadien d’autocotisation, il incombe à chaque particulier de s’assurer qu’il ne verse pas dans son REER davantage que le montant admissible de cotisations, en fonction de son maximum déductible. Ce maximum est précisé chaque année dans l’avis de cotisation. On peut également savoir quel est ce maximum en communiquant avec l’Agence des douanes et du revenu du Canada

 

[…]

 

Nous avons pris sérieusement en considération l’information communiquée par vous lors de notre entretien. Je comprends très bien votre situation, de même que le caractère involontaire de votre versement de cotisations excédentaires. Toutefois, on vous avait fourni les renseignements requis pour le versement du montant approprié dans votre REER. Le fait que vous n’ayez pas été au courant de la situation n’est pas considéré constituer une erreur acceptable.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[20]           Cependant, dans un rapport interne sur la situation de la demanderesse rédigé par Michael Young le 16 juillet 2007 (le rapport de M. Young), l’ARC reconnaissait ce qui suit :

[traduction]

Cette réponse donnée peut être source de préoccupation. L’Agence avait fait part à l’origine d’un montant erroné et (à ce qu’il semble) nous n’avons jamais informé la demanderesse par écrit que son maximum déductible révisé au titre des REER pour 1997 était de 794 $. Nous savons qu’elle avait connaissance du montant révisé, comme il figurait avec exactitude dans sa déclaration pour 1997 produite en novembre 2003. Comment elle a appris quel était ce montant, cela n’est toutefois pas bien clair. Ce montant a pu lui être divulgué lors d’une conversation, mais nous ne disposons en ce moment d’aucune note qui le confirme.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

            La seconde demande

 

[21]           Le 20 septembre 2005, on a procédé à un examen administratif de la décision antérieure, par suite duquel on a confirmé le rejet de la demande de renonciation. La lettre de décision en cause renfermait le passage suivant :

[traduction]

[V]ous auriez dû savoir que le montant inscrit à la case 52 de votre feuillet T4 devait être indiqué dans votre déclaration. En vertu du régime d’autocotisation, il incombe à chaque particulier de s’assurer que sa déclaration est exacte.

 

Je peux vous assurer que nous avons pris sérieusement votre situation en considération. Je dois toutefois vous informer que nous ne semblons pas être dans une situation où soit justifiée la renonciation à l’impôt de la partie X.1.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[22]           Dans le rapport de M. Young, l’ARC a toutefois reconnu ce qui suit :

[traduction]

Cette déclaration est préoccupante parce que, d’après la copie de la déclaration pour 1996 que nous a transmise la demanderesse, celle‑ci a bien indiqué le montant approprié à la case 206.

 

Il y a lieu de noter, en outre, qu’on n’a pas informé la demanderesse dans la lettre de son droit de présenter une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales advenant qu’elle ne soit pas d’accord avec la décision. (Elle n’en a été informée qu’en mai 2006.)

 

[Mis en relief dans l’original.]

 

La troisième demande

 

[23]           Le 8 juin 2006, la demanderesse a rencontré un fonctionnaire de l’ARC, qui l’a informée que l’ARC procéderait volontairement à un troisième examen administratif même si elle avait pour coutume de n’en faire que deux. On devait se pencher lors du troisième examen sur la question des intérêts et des pénalités (une question habituellement abordée sous le régime des dispositions d’équité de la Loi) ainsi que de l’allègement de l’impôt de la partie X.1.

 

[24]           La demanderesse a demandé en bonne et due forme la tenue du troisième examen administratif dans une lettre datée du 27 juin 2006. Dans cette lettre, elle a écrit : [traduction] « Je vous prierais de faire en sorte que le troisième examen se déroule dans un autre bureau des services fiscaux qui soit à distance raisonnable de ma résidence. » Ce sont des fonctionnaires du Bureau des services fiscaux de Toronto‑Est qui avaient procédé aux examens précédents.

 

[25]           On a accusé réception de la demande de la demanderesse dans une lettre datée du 7 juillet 2006, où l’on déclarait ce qui suit : [traduction] « [L]e Bureau des services fiscaux de Toronto‑Nord traitera votre demande. » On a toutefois procédé en fait à l’examen au Bureau des services fiscaux de Toronto‑Centre, ce qui, comme on le verra plus loin, a porté préjudice à la demanderesse du fait de l’existence d’une crainte raisonnable de partialité de la part du décideur dans ce dernier bureau.

 

[26]           Le 22 février 2007, la demanderesse a présenté des observations par écrit. Elle demandait également une rencontre [traduction] « en personne pour corriger des idées fausses qui reviennent sans cesse et vu la complexité de mon dossier et l’abondante correspondance échangée au cours de ce long différend et en raison de mes nombreuses tentatives pour le régler ».

 

[27]           La demanderesse a présenté d’autres observations écrites dans une lettre datée du 13 mars 2007.

 

[28]           La demanderesse a rencontré des fonctionnaires de l’ARC le 18 avril 2007. L’ARC avait pour objectif dans cette rencontre [traduction] « d’informer [la demanderesse] de la décision [défavorable] ». L’ARC a toutefois en fait convenu que la demanderesse pourrait présenter d’autres renseignements.

 

[29]           La demanderesse a présenté d’autres renseignements le 27 mai 2007. L’ARC a donné sa réponse dans une lettre datée du 31 mai où elle déclarait ce qui suit : [traduction] « [Nous] vous prions de nous laisser jusqu’au 29 juin 2007 pour examiner les renseignements, après quoi nous communiquerons avec vous pour fixer une autre rencontre. » [Non souligné dans l’original.]

 

[30]           Aucune autre rencontre n’a toutefois eu lieu avant que la décision ne soit rendue le 25 juillet 2007.

 

[31]           L’ARC a affirmé qu’une rencontre n’avait pu être fixée en raison de conflits d’horaires pendant les mois d’été. Elle a également déclaré ce qui suit :

[traduction]

Cette nouvelle rencontre visait à informer la demanderesse en personne de la décision de l’ARC et à lui remettre la lettre énonçant les motifs de cette décision. Le but visé n’était pas de permettre la présentation d’autres documents, puisque la demanderesse avait déjà eu trois occasions de fournir des renseignements et des documents pour étayer ses demandes (soit la lettre datée du 23 février 2007, celle du 14 mars 2007 et celle, la plus récente, du 27 mai 2007).

 

LES AUTRES EXAMENS

 

[32]           Il convient de noter que l’ARC a également rejeté deux demandes présentées par la demanderesse en vertu des dispositions d’équité de la Loi.

 

LA DÉCISION

 

[33]           La décision à l’égard de la troisième demande a été rendue sous la forme d’une lettre du 25 juillet 2007 adressée à la demanderesse par Bruce Allen, le directeur du Bureau des services fiscaux de Toronto‑Centre. La décision se fondait sur le rapport de M. Young, approuvé par Bruce Allen le 24 juillet 2007.

 

[34]           Malgré la décision antérieure décrite au paragraphe 18 ci‑dessus, l’ARC a rejeté l’argument de la demanderesse selon lequel le versement de cotisations excédentaires avait fait suite à une erreur acceptable. L’ARC a déclaré ce qui suit à ce sujet :

[traduction]

L’Agence reconnaît avoir commis une erreur en indiquant un plafond de cotisation inexact pour l’année 1997; nous estimons toutefois que la somme due n’est pas le fruit de cette erreur seule. Lors de conversations avec des membres de notre personnel, vous avez reconnu avoir trouvé étrange le plafond de cotisation indiqué, par comparaison avec les montants moindres des années précédentes, et avoir même demandé conseil à ce sujet à des collègues de travail et à votre banquier. Il est regrettable que vous ayez suivi leur conseil et ayez versé la cotisation maximale indiquée sans avoir confirmé l’exactitude de ce montant auprès de l’Agence. Bien que vous ayez eu des doutes quant au montant indiqué, vous avez choisi malgré tout de verser la cotisation maximale, de sorte qu’il ne s’est plus agi d’une « erreur acceptable ».

                                                            [Non souligné dans l’original.]

 

[35]           L’ARC a en outre statué que la demanderesse n’avait pas pris les mesures indiquées.

[traduction]

Le 11 août 1997, vous avez produit votre déclaration de revenus pour l’année d’imposition 1996. Vous n’avez ensuite pas produit de déclaration avant le 17 novembre 2003, date à laquelle vous avez produit toutes les déclarations arriérées. La non‑production, en soi, a porté préjudice, en permettant que l’erreur commise ne soit pas détectée; la production tardive a toutefois également porté préjudice du fait que les pénalités sont calculées en fonction de la durée du retard et que les intérêts sont imputés sur tout solde impayé, à compter de la date d’exigibilité jusqu’à la date d’acquittement total de la dette. Nous devons donc conclure que si vous vous étiez conformée à vos obligations de production en temps opportun, l’erreur aurait été décelée beaucoup plus tôt, ce qui vous aurait permis de prendre les mesures indiquées nécessaires pour justifier qu’on envisage la renonciation à l’impôt ou, subsidiairement, pour faire valoir de manière convaincante la nécessité d’annuler les pénalités et les intérêts.

 

[…]

 

Parmi les mesures indiquées à prendre, vous auriez pu faire confirmer l’existence d’un montant excédentaire et, dans un délai raisonnable, rapporter ce montant en produisant toutes les déclarations et demandes requises. Votre décision de ne pas produire de déclarations de revenus dans les délais prescrits, et ce, pendant six ans, empêche de faire valoir d’une manière ou d’une autre la prise de mesures indiquées.

 

                                                            [Non souligné dans l’original.]

 

[36]           Bruce Allen a déclaré dans la décision, en ce qui concerne la période antérieure au 29 avril 2004 : [traduction] « Je suis peu disposé à concéder que pendant cette période aucun des représentants de l’Agence avec lesquels vous avez communiqué n’a été en mesure de vous orienter convenablement. » On contredit toutefois cette conclusion dans le rapport de M. Young, comme suit : [traduction] « Il est très improbable qu’un agent pour non‑déclarants et non‑inscrits ait pu ou voulu donner des conseils au sujet des cotisations excédentaires versées à un REER. »

 

ANALYSE

Le caractère acceptable ou non de l’erreur

 

[37]           La Loi ne définit pas l’« erreur acceptable » et l’examen de la jurisprudence n’a guère aidé à dégager une définition. Suivant toutefois l’argumentation de l’ARC, le critère de l’« erreur acceptable » devrait être interprété comme imposant les mêmes exigences que la défense fondée sur la diligence raisonnable.

 

[38]           Dans Corporation de l’École Polytechnique c. Canada, 2004 CAF 127, 325 N.R. 64, la Cour d’appel fédérale a décrit comme suit le critère applicable en matière de diligence raisonnable :

30     La personne qui invoque une erreur de fait raisonnable doit satisfaire un double test : subjectif et objectif. Il ne lui suffit pas d’invoquer qu’une personne raisonnable aurait commis la même erreur dans les circonstances. Elle doit d’abord établir qu’elle s’est elle‑même méprise quant à la situation factuelle : il s’agit là du test subjectif. Évidemment, la défense échoue en l’absence d’une preuve que la personne qui l’invoque a, de fait, été induite en erreur et que cette erreur a mené au geste posé. Elle doit ensuite établir que son erreur était raisonnable dans les circonstances : il s’agit là du test objectif.

 

[39]           L’ARC soutient que la demanderesse n’a pas fait montre de diligence raisonnable. La demanderesse était au fait des maximums déductibles au titre des REER et elle s’est demandé comment il se faisait que son maximum avait considérablement augmenté sans motif apparent. Pour faire montre de diligence raisonnable en de telles circonstances, affirme l’ARC, la demanderesse aurait dû communiquer avec elle pour faire confirmer le montant du maximum déductible. Si cela seul était pris en considération, cette conclusion pourrait être raisonnable. Toutefois, en rendant la décision antérieure et en autorisant le retrait des cotisations en franchise d’impôt en vertu du paragraphe 146(8.2), l’ARC, en fait, avait déjà concédé que la demanderesse croyait en l’exactitude du maximum indiqué et avait versé la seconde cotisation excédentaire sur le fondement de cette croyance erronée. Ayant rendu cette décision antérieure, il n’était pas raisonnable pour l’ARC de changer d’avis et de conclure par la suite qu’il n’y avait pas eu d’erreur acceptable.

 

[40]           En outre, on est constamment venu étayer dans des publications de l’ARC le caractère raisonnable de la croyance de la demanderesse en affirmant qu’un contribuable peut se fier sur le montant du maximum déductible au titre des REER indiqué dans son avis de cotisation. Le guide T4040 – REER et autres régimes enregistrés pour la retraite prévoit à cet égard ce qui suit :

Quel montant pouvez‑vous déduire?

 

Le montant que vous pouvez déduire en [l’année d’imposition] pour les cotisations que vous avez versées à votre REER dépend de votre maximum déductible au titre des REER pour […], qui figure sur votre plus récent avis de cotisation, de nouvelle cotisation ou sur un T1028, Renseignements sur vos REER pour [l’année en cause].

 

Vous pouvez aussi déduire les cotisations équivalant au transfert de certains revenus dans vos REER. Le maximum déductible au titre des REER ne comprend pas ces montants.

 

[41]           Également, on laissait même entendre dans la lettre de retrait que si la demanderesse était [traduction] « incertaine quant à l’actuel maximum déductible au titre des REER », elle pouvait « consulter le plus récent avis de cotisation ».

 

La question de savoir si les mesures indiquées ont été prises pour éliminer les cotisations excédentaires

 

[42]           L’ARC a conclu que la demanderesse n’avait pas pris les mesures indiquées principalement parce qu’elle ne s’était pas [traduction] « conformée à [ses] obligations de production en temps opportun ». Toutefois, comme on l’a déjà signalé et comme l’a concédé l’ARC à l’audience, on n’avait pas mis la demanderesse en demeure de produire ses déclarations. Celle‑ci s’était donc conformée à toutes ses obligations de production et cet élément de la décision est ainsi sans fondement factuel.

 

[43]           Le 30 mars 2005, la demanderesse a retiré la totalité de la seconde cotisation excédentaire et une partie de la première cotisation excédentaire, soit la somme de 1 206 $. Elle n’a pas retiré les montants excédentaires rapidement après avoir reçu la lettre de retrait parce qu’elle craignait qu’on lui ait enjoint de retirer trop d’argent. L’ARC convient maintenant que la préoccupation de la demanderesse était légitime et que, malgré les appels téléphoniques que celle‑ci lui avait faits à plusieurs reprises, cette préoccupation n’avait jamais été écartée. La demanderesse avait également mal compris la teneur de la lettre, pensant qu’il lui était possible de procéder aux retraits jusqu’au 30 mars 2005.

 

[44]           Contrairement à ce que pensait la demanderesse, toutefois, rien n’était mentionné dans la lettre de retrait quant au moment du retrait. On n’y communiquait en outre aucun sentiment d’urgence. Il n’y était ainsi jamais dit que le retrait des cotisations excédentaires devait être effectué « immédiatement » ni même « dès que possible ». Tout ce qu’on disait dans la lettre, c’était que les cotisations excédentaires demeureraient [traduction] « soumises à l’impôt jusqu’à ce que le montant excédentaire ait été retiré de votre régime ».

 

[45]           Vu son omission de faire part d’un moment opportun pour le retrait ou de communiquer le moindre sentiment d’urgence à cet égard, et comme elle avait indiqué à la demanderesse un montant inexact à retirer, il n’était pas raisonnable selon moi pour l’ARC de conclure que la demanderesse n’avait pas pris toutes les mesures indiquées pour éliminer l’excédent parce qu’elle avait attendu onze mois avant de retirer les cotisations excédentaires.

 

[46]           La demanderesse a été contrevenante pendant la période s’étendant du 29 avril 2004 au 30 mars 2005, parce qu’elle n’a pas produit les formulaires T1‑OVP en temps opportun. Toutefois, ces formulaires avaient trait à l’impôt de la partie X.1 et non au retrait de contributions excédentaires. Pour cette raison, la production tardive de ces formulaires n’aurait pas dû avoir une incidence négative sur la décision. Cela, toutefois, semble bien avoir influé sur le traitement par l’ARC de la demande d’allègement à l’égard de l’impôt de la partie X.1 de la demanderesse.

 

Le troisième examen et l’équité procédurale

 

[47]           L’ARC était tenue de procéder au troisième examen dans le respect de l’équité procédurale. Le paragraphe 104 de la Circulaire d’information IC‑07‑1, intitulée Dispositions d’allègement pour les contribuables, prévoit à cet égard ce qui suit :

Les fonctionnaires de l’ARC qui n’ont pas pris part au premier processus d’examen et de prise de décision mèneraient le second examen administratif. Ils rédigeraient un rapport de décision qui serait soumis à l’examen du directeur ou d’un autre fonctionnaire délégué. Ce rapport comportera une recommandation portant sur la question de savoir s’il est justifié ou non d’accorder un allègement. La décision finale et sa notification au contribuable relèvent du directeur ou d’un autre fonctionnaire délégué, tel qu’un directeur adjoint.

                                                [Non souligné dans l’original.]

 

[48]           L’ARC reconnaît que, bien que le rapport de M. Young ait été rédigé au Bureau des services fiscaux de Toronto‑Centre, Cynthia Cox, une fonctionnaire du Bureau des services fiscaux de Toronto‑Est qui avait pris part aux processus d’examen antérieurs, a examiné et approuvé le rapport de M. Young. Et cela s’était produit malgré le fait que la demanderesse avait demandé et que l’ARC avait assuré que le troisième examen administratif serait mené par un bureau n’ayant pas pris part aux examens antérieurs.

 

[49]           Bruce Allen, en outre, n’était pas totalement indépendant. La demanderesse affirme avoir obtenu, après l’avoir demandé conformément au paragraphe 12(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, une note de service de Bruce Allen adressée à Larry Hillier, sous‑commissaire de l’ARC. Bruce Allen y faisait le point sur le dossier de la demanderesse, en y dépeignant selon moi la situation de celle‑ci de manière si inexacte qu’il soit justifié de conclure en une crainte raisonnable de partialité. Bien que la note ne soit pas datée, les renseignements qui y figurent permettent de constater qu’elle a été rédigée soit avant le début du troisième examen administratif, soit aux premiers stades de ce processus d’examen.

 

[50]           La note de service renfermait le passage suivant :

[traduction]

Un solde était dû par la contribuable par suite de cotisations relatives à des cotisations excédentaires dans le REER de 1996 à 2005.

 

On ne s’était jamais occupé [des cotisations excédentaires] parce que la contribuable avait cessé de produire des déclarations après [l’année d’imposition 1996] et n’en avait pas produit de nouveau avant 2003, et cela uniquement après qu’il a été question d’établir des cotisations arbitraires pour les années à combler.

 

[…]

 

[E]n 1999, on lui avait accordé un délai pour retirer les cotisations excédentaires de manière à éviter qu’elles soient incluses dans son revenu imposable. Elle n’a pas procédé à un tel retrait.

 

[…]

 

[51]           Ce passage laisse croire que la demanderesse a versé dix fois des cotisations excédentaires dans son REER. On omet aussi d’y mentionner que la demanderesse n’a jamais été mise en demeure en bonne et due forme et que, par conséquent, elle n’était pas tenue de produire de déclaration avant que ne soient établies les cotisations arbitraires. En outre, aucune preuve versée au dossier de la Cour n’étaye l’allégation selon laquelle la demanderesse n’a rien fait lorsqu’on lui a accordé un délai pour retirer ses cotisations excédentaires.

 

[52]           En outre, l’ARC avait déclaré à la demanderesse qu’une autre rencontre aurait lieu avant la prise de la décision, mais cette rencontre n’a pas eu lieu.

 

[53]           Il s’agit là de manquements à l’obligation d’équité procédurale de l’ARC envers la demanderesse.

 

LES CONCLUSIONS

 

[54]           La décision est déraisonnable et le processus qui l’a sous‑tendue était inéquitable.

 

[55]           Comme le dossier traîne depuis longtemps et vu les nombreuses erreurs entachant la décision et les examens antérieurs, j’en suis venue à la conclusion que la présente affaire est de nature exceptionnelle et que l’arrêt Wihksne c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 356, 299 N.R. 211, y est applicable. Le juge Robert Décary de la Cour d’appel fédérale avait déclaré (paragraphe 10) que dans cette affaire « l’intérêt de la justice exige[ait] qu’on délivre une directive de mettre fin à la procédure ». À mon avis, comme la demanderesse n’a pas eu connaissance avant le 29 avril 2004 de l’erreur concernant le plafond et comme on lui a demandé de retirer des montants inexacts de cotisations, un nouvel examen lui sera inévitablement favorable. L’impôt de la partie X.1 ainsi que les pénalités et les intérêts connexes seraient alors certainement annulés.

 

[56]           J’ordonne par conséquent, en conformité avec l’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, que la décision soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un autre représentant du ministre du Bureau des services fiscaux de Toronto‑Ouest pour qu’il rende une nouvelle décision qui soit conforme aux instructions énoncées dans mon jugement.

 

JUGEMENT

 

VU les documents déposés et les observations de la demanderesse et de l’avocate du défendeur que j’ai entendues à Toronto, le jeudi 15 mai 2008,

 

ET VU les observations consécutives à l’audience datées du 4 septembre 2008 et présentées par le défendeur conformément à la directive de la Cour du 30 juillet 2008 que j’ai examinées,

 

ET VU la conclusion selon laquelle il n’était pas nécessaire de recevoir des observations de la demanderesse en réponse aux observations du 4 septembre 2008 du défendeur,

 

LA COUR ORDONNE PAR CONSÉQUENT, pour les motifs énoncés précédemment, que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et qu’un autre représentant du ministre du Bureau des services fiscaux de Toronto‑Ouest statue à nouveau sur la demande d’allégement à l’égard de l’impôt de la partie X.1. Il est par la présente ordonné à ce représentant de conclure :

 

  1. que la première contribution excédentaire était une contribution excédentaire légitime;

 

  1. que la seconde cotisation excédentaire a fait suite à une erreur acceptable;

 

  1. que les mesures indiquées ont été prises pour éliminer l’excédent;

 

  1. que la totalité de l’impôt de la partie X.1 découlant des cotisations excédentaires ainsi que des pénalités et intérêts connexes soit annulée, la somme de 11 270 $ devant être remboursée à la demanderesse sans délai.

 

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑1528‑07

                                                           

INTITULÉ :                                       LINDSAY KERR c. PGC (ARC)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 15 MAI 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE SIMPSON

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 23 SEPTEMBRE 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

LINDSAY KERR                                                                    POUR LA DEMANDERESSE

(S’EST REPRÉSENTÉE ELLE‑MÊME)

 

MARIA VUJNOVIC                                                               POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LINDSAY KERR

(S’EST REPRÉSENTÉE ELLE‑MÊME)                                 POUR LA DEMANDERESSE

 

JOHN H. SIMS, c.r.                                                                POUR LE DÉFENDEUR

TORONTO (ONTARIO)

 

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