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Federal Court

 

Cour fédérale

 

 


Date : 20090708

Dossier : T-1712-07

Référence : 2009 CF 711

ENTRE :

RATIOPHARM INC.

demanderesse

et

 

PFIZER LIMITED

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

(version publique des motifs confidentiels

du jugement rendu le 8 juillet 2009)

 

 

Le juge HUGHES

 

[1]               La présente action porte sur la validité du brevet canadien 1321393 (le brevet 393). La demanderesse Ratiopharm Inc. sollicite un jugement déclaratoire à l’encontre du brevet 393 portant que ce dernier est invalide en vertu du paragraphe 60(1) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, et demande qu’une inscription soit faite à cet effet dans les registres du Bureau des brevets du Canada en vertu de l’article 62 de la Loi sur les brevets. Pour les motifs qui suivent, je conclus que le brevet 393 est invalide et que le jugement déclaratoire sera accordé. Les dépens sont adjugés à Ratiopharm.

 

INDEX

 

[2]               Afin d’assister le lecteur, la table des matières suivante renvoie aux paragraphes de chaque section :

LES PARTIES............................................................................................. [3] à [4]

LE BREVET 393....................................................................................... [5] à [10]

EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS ET DES DOCUMENTS............... [11] à [12]

DÉCISION ANTÉRIEURE.................................................................... [13] à [18]

LES TÉMOINS....................................................................................... [19] à [26]

LES QUESTIONS EN LITIGE.............................................................. [27] à [28]

PERSONNE VERSÉE DANS L’ART................................................... [29] à [31]

DATE DE L’INVENTION...................................................................... [32] à [34]

INTERPRÉTATION DU BREVET – REVENDICATION 11............ [35] à [44]

DÉVELOPPEMENT D’UN PRODUIT PHARMACEUTIQUE
DANS LE MILIEU DES ANNÉES 1980
............................................... [45] à [51]

MISE AU POINT ET BREVETAGE DU BÉSYLATE
D’AMLODIPINE
.................................................................................. [52] à [107]

L’ « INVENTION » TELLE QUE PROMISE PAR
LE BREVET 393
................................................................................ [108] à [112]

COMPARAISON ENTRE CE QUE LE BREVET 393 INDIQUE
ET LA RÉALITÉ
................................................................................. [113] à [152]

CONCLUSIONS CONCERNANT CE QU’ONT FAIT LES
INVENTEURS ET CE QU’INDIQUE LE BREVET
.................................... [153]

LES QUESTIONS JURIDIQUES...................................................... [154] à [204]

A.                 Généralités.................................................................................. [154]

B.                 Évidence..................................................................................... [158]

C.                 Brevet de sélection...................................................................... [174]

D.                 Utilité.......................................................................................... [181]

E.                  Caractère suffisant....................................................................... [187]

F.                  Article 53.................................................................................... [195]

CONCLUSION.................................................................................... [205] à [207]

DÉPENS............................................................................................... [208] à [209]

 

 

LES PARTIES

 

[3]               La demanderesse Ratiopharm Inc. (parfois orthographié ratiopharm inc.) est une société canadienne située à Montréal. Elle était partie à une instance devant la présente Cour en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, modifié (Règlement AC), en tant que fournisseur de produits pharmaceutiques génériques ou de « seconde personne » au sens du Règlement AC concernant le brevet 393. Il n’est pas contesté que Ratiopharm est une « intéressée » au sens du paragraphe 60(1) de la Loi sur les brevets en ce qui concerne les réparations désirées.

 

[4]               La défenderesse Pfizer Limited est une société du Royaume‑Uni dont le siège social est situé en Angleterre. À première vue, le brevet 393 indique qu’il a été délivré à Pfizer Limited. La propriété du brevet par Pfizer Limited n’a pas été contestée. Dans la Loi sur les brevets, le propriétaire du brevet, en l’espèce Pfizer Limited, est appelé titulaire du brevet.

 

LE BREVET 393

 

[5]               Le brevet en cause est le brevet canadien no 1321393. Il a été délivré à Pfizer Limited le 17 août 1993. La demande concernant ce brevet a été déposée auprès du Bureau canadien des brevets le 2 avril 1987 et les dispositions de l’« ancienne » Loi sur les brevets, applicable aux brevets accordés au titre de demandes déposées avant le 1er octobre 1989, s’appliquent donc au brevet 393. Ainsi, à moins que la validité de ce brevet soit contestée avec succès, ce dernier expirera 17 ans après la date de sa délivrance, c’est-à-dire le 17 août 2010.

 

[6]               Le brevet 393 revendique la priorité fondée sur une demande de brevet déposée auprès du United Kingdom Patent Office (Bureau des brevets du Royaume‑Uni), la demande n° 8608335, le 4 avril 1986. Une copie de cette demande a été déposée comme pièce 1, document 126.

 

[7]               Edward Davison et James I. Wells sont les inventeurs désignés dans le brevet. Ces deux personnes ont témoigné à l’instruction de l’action.

 

[8]               Le brevet 393 a pour titre « Bésylate de l’amlodipine » et selon le libellé du premier paragraphe du mémoire descriptif, à la page 1 :

[traduction] « La présente invention porte sur les sels pharmaceutiques d’amlodipine améliorés et les compositions pharmaceutiques correspondantes. »

 

[9]               Les parties ont convenu que la validité du brevet dans sa totalité sera déterminée en fonction de la validité de la revendication 11. Cette revendication est la suivante :

[traduction] « 11.           Le bésylate de l’amlodipine. »   

 

 

[10]           J’examinerai ce brevet plus en détail.

 

EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS ET DES DOCUMENTS

 

[11]           Ma tâche a été grandement facilitée par les avocats des parties qui ont convenu de certains faits aux fins de la présente action et plus particulièrement, d’un accord sur quelque 168 documents qui peuvent s’avérer pertinents et qui ont été déposés en preuve en tant que pièce 1. Les différents documents du tableau 1 sont identifiés par des numéros d’onglets. Il a été convenu que la validité de ces documents n’a pas à être démontrée, qu’ils sont des copies conformes des originaux envoyés et reçus par les parties à la date, ou aux environs de la date, indiquée sur les documents et qu’ils ont été publiés à la date mentionnée. Après discussion avec les avocats des parties au cours de l’argumentation, il a également été convenu que la Cour n’est pas tenue de prendre en compte les documents de la pièce 1 auxquels se sont spécifiquement référés les témoins dans leur témoignage ou en contre‑interrogatoire ou qui ont été cités dans le cadre d’un rapport d’expert ou dans les parties de l’interrogatoire préalable déposées en preuve à l’audience.

 

[12]           Pour plus de commodité, je reproduis ci-dessous les faits sur lesquels les parties se sont entendues et qui ont été inscrits en tant que pièce 2 :

1.                  La demanderesse, ratiopharm inc., est une société constituée sous le régime des lois du Canada et ayant son siège social au 17800, rue Lapointe, Mirabel (Québec) J7J 1P3.

 

2.                  La défenderesse, Pfizer Limited, est une société constituée sous le régime des lois du Royaume-Uni et a son siège social à Ramsgate Road, Sandwich, Kent, CT13 9NJ, en Angleterre.

 

3.                  La défenderesse est la propriétaire désignée du brevet canadien 1321393 (le brevet 393).

 

4.                  Le brevet 393 est fondé sur une demande déposée au Canada le 2 avril 1987.

 

5.                  Le brevet 393 revendique la priorité au Royaume-Uni pour la demande de brevet 8608335 déposée le 4 avril 1986.

 

6.                  Le brevet 393 a été délivré le 17 août 1993.

 

7.                  Le brevet 393 expire le 17 août 2010.

 

DÉCISIONS ANTÉRIEURES

 

[13]           Il y a déjà eu litige à l’égard du brevet 393 devant notre Cour et en Cour d’appel fédérale sur la base du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-134, tel que périodiquement modifié – Règlements AC.

 

[14]           Dans la décision Pfizer Canada Inc. et Pfizer Limited c. Canada (Ministre de la Santé) et Ratiopharm Inc., 17 février 2006, 2006 CF 220, 46 CPR (4th) 281, le juge von Finckenstein de la Cour fédérale (tel qu’il était alors) a rejeté une demande d’interdiction en statuant que Pfizer n’avait pas réussi à prouver que les allégations relatives à la nullité du brevet 393 n’étaient pas justifiées. Il a estimé, au paragraphe 58 de ses motifs, qu’il n’avait pas besoin de traiter de la question de l’évidence. La Cour d’appel fédérale, dans une décision rendue le 9 juin 2006, 2006 CAF 214, 52 CPR (4th) 241, a accueilli l’appel et a prononcé une ordonnance d’interdiction, concluant que les allégations relatives à la nullité du brevet 393 n’étaient pas justifiées. Dans une décision connexe basée sur ce que la Cour d’appel fédérale a estimé être des nouvelles questions spéculatives, la demande de Ratiopharm visant à infirmer cette décision de la Cour d’appel fédérale a été rejetée le 18 décembre 2007, 2007 CAF 407.

 

[15]           J’ai statué sur le brevet 393 dans Pfizer Canada Inc., Pfizer Inc. et Pfizer Limited c. Canada (Ministre de la Santé) et Pharmascience Inc. J’ai accueilli la demande d’interdiction le 17 avril 2008, 2008 CF 500, 326 FTR 88. J’ai conclu, au paragraphe 117 :

[117]      En conclusion, j’ai décidé que la décision Ratiopharm antérieure empêche Pharmascience de contester le brevet 393 pour des questions d’évidence. Compte tenu de la décision que la Cour d’appel fédérale a récemment rendue dans Pfizer c. Canada (ministre de la Santé), 2008 CAF 108 (CanLII), 2008 CAF 108, la contestation de la validité pour cause de caractère suffisant est rejetée. Selon la prépondérance de la preuve, la contestation de la validité, fondée sur l’absence d’utilité, est rejetée. De ce fait, l’allégation de Pharmascience selon laquelle le brevet 393 est invalide n’est pas justifiée. Pfizer a droit à une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Pharmascience à l’égard de sa demande concernant les comprimés de 5 et de 10 mg contenant du bésylate d’amlodipine qui sont en litige en l’espèce.

 

[16]           Un brevet connexe, le brevet états-unien 4879303 (le brevet 303), déposé en preuve comme pièce 60, a fait l’objet d’un litige aux États-Unis. Dans Pfizer Inc. c. Synthon Holdings BV et al, 1:05CV39, la District Court des États‑Unis du Middle District de Caroline du Nord a statué que le brevet 303 était valide et qu’il avait été contrefait. La Cour d’appel des États‑Unis pour le circuit fédéral (US CAFC) a infirmé cette décision, statuant que le brevet 303 était invalide pour cause d’évidence : 480 F.3d 1348, US App. Lexis 6623, 82 U.S.P.Q. 2D (BNA) 1321.

 

[17]           Les décisions rendues par les tribunaux des États-Unis ne lient pas la Cour fédérale et sont fondées sur un droit qui peut être différent du nôtre à certains égards. Néanmoins, ces décisions peuvent présenter un intérêt.

 

[18]           Les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale ont été rendues sous le régime du Règlement AC et ne sont pas res judicata en l’espèce. Cependant, elles peuvent encore une fois présenter un intérêt.

 

LES TÉMOINS

 

[19]           La demanderesse, Ratiopharm Inc., a convoqué 5 témoins à l’audience, tous à titre de témoins experts. Pfizer Limited, la défenderesse, a convoqué 8 témoins dont 5 étaient des témoins de fait et 3 étaient des témoins experts. Chaque partie a également déposé des extraits de la transcription des interrogatoires préalables de la partie adverse. La pièce 4 est constituée d’extraits des transcriptions et des pièces de l’interrogatoire préalable de la défenderesse Pfizer Limited. La pièce 5 est constituée d’extraits de la transcription de l’interrogatoire préalable de la demanderesse Ratiopharm Inc.

 

[20]           Conformément à ce qu’ont convenu les avocats des parties, la défenderesse Pfizer Limited a appelé certains de ses témoins de fait en premier. Ces derniers ont subi un interrogatoire principal et un contre-interrogatoire. Les témoins ont été appelés dans l’ordre suivant :

(1)               M. James I. Wells, l’un des deux inventeurs désignés dans le brevet 393. Il a travaillé avec Pfizer Limited de 1981 à 1989. Il a ensuite travaillé avec d’autres organisations pharmaceutiques, a été professeur d’université et a écrit un article dans ce domaine. Il a témoigné quant à son rôle dans le développement de ce qui est devenu l’objet du brevet 393. J’estime qu’il s’est efforcé de fournir un témoignage honnête et direct, même s’il était parfois un peu brusque. Il a indiqué clairement dans ses réponses lorsqu’il ne savait pas ou qu’il n’arrivait pas à se rappeler et lorsqu’il se fondait sur des spéculations et des conjectures. Toutefois, on aurait dit qu’il récitait ses réponses lorsqu’elles portaient sur l’évidence, sur ce qui valait la peine d’être tenté ou sur la recherche empirique. Il est apparu clairement en contre‑interrogatoire qu’une déclaration sous serment qu’il a faite devant le United States Patent Office contenait un certain nombre d’incohérences et d’inexactitudes. J’accorde crédit à l’ensemble de son témoignage, à l’exception des endroits où il est contredit par des preuves documentaires, notamment le document 111 de la pièce 1.

 

(2)               M. Edward Davison, le deuxième des deux inventeurs désignés dans le brevet 393. Il a obtenu un B.Sc. en chimie et s’est joint à Pfizer Limited en 1969 où il a travaillé jusqu’à sa retraite en 2000. Du milieu des années 1970 à 1989, il a travaillé en recherche et développement dans le domaine pharmaceutique. Il a travaillé sur ce qui deviendra l’objet du brevet 393. Il a témoigné quant à son rôle à cet égard. De toute évidence, M. Davison a cherché à fournir un témoignage honnête, mais ses réponses étaient assez souvent prolixes et remplies de détails inutiles. Souvent, il ne répondait pas aux vraies questions. Par conséquent, son témoignage est sujet à caution.

 

(3)               M. Alan M. Pettman, chargé de recherches principal employé par Pfizer Limited. Il a témoigné à titre de représentant de Pfizer Limited en interrogatoire préalable. M. Pettman s’est joint à Pfizer Limited en 1977 et a obtenu son baccalauréat en chimie en cours d’emploi. Il travaille toujours pour l’entreprise. Au début des années 80, il participait aux activités du service de recherche et développement et a fabriqué la plupart des sels d’amlodipine qui faisaient l’objet des études menées par Wells et Davison ou menées en leur nom. J’accorde crédit à son témoignage, car il était honnête et direct.

 

(4)               M. Robin Platt, docteur en chimie organique actuellement employé par une société pharmaceutique indépendante œuvrant dans l’élaboration de formules. Il a travaillé pour Pfizer Limited de 1978 à 1993, période pendant laquelle il a occupé différents postes tout en cumulant les responsabilités et au cours de laquelle il s’est occupé de chimie analytique, notamment des évaluations de la pureté et de qualité. Il a confirmé sa participation à l’évaluation d’échantillons d’amlodipine et de sels d’amlodipine, en particulier l’évaluation de leur stabilité. Dans l’ensemble, son témoignage était direct et honnête. Cependant, au fur et à mesure que le contre-interrogatoire progressait, il est devenu quelque peu déraisonnable et maladroit, répondant « pas nécessairement » à de nombreuses questions avant de se lancer dans des explications sur des différences imperceptibles, dans le but notamment de déterminer si un échantillon avaient fondu comme indiqué dans un rapport particulier ou s’il y avait seulement eu apparence de fusion. Pour cette raison, son témoignage est sujet à caution.

 

[21]           À ce stade, la preuve factuelle de la défenderesse a été interrompue en raison de la disponibilité des témoins. La demanderesse Ratiopharm Inc. a ensuite appelé les témoins experts suivants, qui ont été entendus en interrogatoire principal et en contre-interrogatoire. Comme convenu entre les avocats, l’expertise des témoins des deux parties appelés à titre d’experts n’a pas été contestée, mais reste à déterminer, le cas échéant, dans la plaidoirie finale. En outre, tel que convenu par les avocats des deux parties, tous les rapports d’experts des parties ont été réputés avoir été versés en preuve sous réserve de toutes corrections apportées au moment de leur dépôt. Les experts de la demanderesse ont été appelés dans l’ordre suivant :

 

(1)               M. Ian M. Cunningham, des îles Orkney en Écosse, consultant indépendant pour l’industrie pharmaceutique. Il a étudié la chimie des médicaments, a obtenu un doctorat et a entrepris des études postdoctorales. Il a occupé plusieurs postes au sein de grandes sociétés pharmaceutiques innovatrices au Royaume‑Uni depuis 1977. Il a entre autres travaillé pour ICI, une importante société pharmaceutique innovatrice au Royaume-Uni, dans les années 1980. Il a fourni un rapport initial ainsi que des pièces à l’appui de ce rapport et il a déposé un rapport de réfutation correspondant aux pièces 17, 18 et 19 respectivement. J’accepte son témoignage, il n’a pas été ébranlé lors du contre-interrogatoire et il ne s’est pas contredit. Il parlait d’une voix basse et il était difficile à comprendre par moments, mais ce problème a été corrigé par l’utilisation de microphones. Il a été franc et honnête. Je suis particulièrement impressionné par sa grande expérience acquise dans l’industrie pharmaceutique au cours de la période concernée.

 

(2)               M. Jerry L. Atwood de Columbia, Missouri. Il est professeur et doyen de la faculté de chimie de l’Université du Missouri - Columbia. Depuis 1968, il a enseigné et a écrit de nombreux articles, publié des revues et on lui a accordé des brevets dans le domaine de la chimie de l’état solide, de la chimie de la cristallisation et de la chimie organique. Il a travaillé comme consultant dans le domaine de la chimie pharmaceutique. Son premier rapport correspond à la pièce 22 et les documents auxquels se réfère ce rapport sont les pièces 23 et 24. Son rapport de réfutation correspond à la pièce 25. Son témoignage était minutieux, clair et convaincant. Il a répondu aux questions telles que posées avec soin et de manière convaincante. J’accepte son témoignage.

 

(3)               M. Gilbert S. Banker de Carmel, en Indiana. Il est doyen émérite et professeur distingué émérite en libération de médicaments à l’Université de l’Iowa, College of Pharmacy. Il a obtenu un doctorat en pharmacie industrielle et chimie pharmaceutique. Depuis le début des années 1960, il a donné plusieurs cours, écrit de nombreux livres et articles et a reçu de nombreuses récompenses pour son travail dans la conception chimique et physique de la nourriture, des médicaments et des applications cosmétiques. Il figure dans plusieurs publications traitant des personnalités en vue. Il a travaillé comme consultant auprès de sociétés pharmaceutiques innovatrices et de sociétés pharmaceutiques fabriquant des génériques. Il est très compétent et expérimenté dans le domaine de la préparation pharmaceutique et des appareils utilisés à cet effet. Son rapport correspond à la pièce 27 et les documents mentionnés dans ce rapport correspondent aux pièces 28, 29, et 30. Il a fourni un témoignage honnête et franc. J’accepte son témoignage.

 

(4)               M. Gordon Amidon de Ann Arbor, Michigan. Il est professeur de pharmacie et des sciences pharmaceutiques à l’École de pharmacie de l’Université du Michigan. Il a obtenu son doctorat de chimie pharmaceutique de cette université. Il a enseigné, écrit et occupé des postes de direction dans des domaines connexes depuis plus de 30 ans. Son rapport correspond à la pièce 35 et les documents mentionnés dans ce rapport correspondent à la pièce 36. Il a fourni un témoignage honnête et direct. J’accepte son témoignage.

 

(5)               M. Nicholas F. Cappucino de Lambertville, New Jersey. Il est le conseiller scientifique en chef de Eagle pharmaceutical, une société pharmaceutique de spécialités oeuvrant dans la préparation des formes posologiques et difficiles des produits génériques. Il a obtenu son doctorat en chimie organique au Stevens Institute of Technology, à Hoboken, au New Jersey. Il compte plus de 30 ans d’expérience dans l’industrie pharmaceutique. Son rapport correspond à la pièce 40 et les documents auxquels se réfère ce rapport correspondent à la pièce 41. Bien que M. Cappucino ait témoigné d’une manière claire et directe, il est évident qu’il est étroitement associé à l’industrie des produits pharmaceutiques génériques de plusieurs façons, y compris en tant que représentant de l’industrie en diverses qualités auprès d’associations de relations commerciales et gouvernementales. Pour cette raison, son témoignage est sujet à caution.

[22]           La défenderesse Pfizer Limited a ensuite appelé ses témoins experts qui ont été interrogés et contre‑interrogés dans l’ordre suivant :

1.                  M. Trevor Laird de l’East Sussex, en Angleterre. Il a obtenu un Ph. D. en chimie organique et a entrepris des recherches au niveau postdoctorat dans ce domaine. Il a été engagé comme chercheur en chimie pharmaceutique et a assumé un niveau croissant de responsabilités chez Smith-Kline-French au cours des années 1980 pendant la période pertinente en l’espèce. Actuellement, il travaille comme directeur de Scientific Update, une organisation qui publie des articles et qui forme des scientifiques et d’autres travailleurs des industries chimiques et pharmaceutiques. Son rapport correspond à la pièce 44 et les documents auxquels il se réfère correspondent à la pièce 45. Son témoignage était présenté de manière franche, hormis dans le cas de l’utilisation de benzène et d’acide chlorhydrique, car lorsqu’il a été confronté à des éléments de preuve qui contredisaient son rapport, il a adopté une attitude excessivement défensive. Ainsi, son témoignage est sujet à caution à cet égard seulement, puisque le reste donne un aperçu utile.

 

2.                  M. Gerald S. Brenner de Plymouth Meeting, en Pennsylvanie. Chimiste spécialisé dans les produits pharmaceutiques, il a travaillé dans l’industrie pendant plus de 40 ans, notamment à l’élaboration de formules pour Merck, une importante société pharmaceutique, dans les années 1980. Il a obtenu un Ph. D. en chimie organique de l’Université du Wisconsin. Son rapport correspond à la pièce 48 et les documents auxquels il se réfère correspondent à la pièce 49. M. Brenner a fréquemment comparu comme témoin devant la Cour et a entre autres déjà témoigné concernant le brevet 393 dans une autre instance. En contre‑interrogatoire, il avait tendance à éviter ou à éluder les questions qu’il trouvait difficiles. J’aborderai son témoignage avec beaucoup de prudence. Cependant, il a fourni des réponses qui étaient défavorables à Pfizer et je leur accorde de l’importance.

 

3.                  M. James McGinity d’Austin, au Texas. Il est professeur titulaire au College of Pharmacy de l’Université du Texas, où il a enseigné et a donné un certain nombre de cours dans le domaine pharmaceutique. Il a obtenu son doctorat en pharmacie physique à l’Université de l’Iowa en 1972. Il a écrit et a travaillé comme consultant à propos d’un éventail de questions de formulation pharmaceutique. Son rapport correspond à la pièce 57 et les quatre volumes de documents auxquels il se réfère correspondent à la pièce 58. Comme M. Brenner, M. McGinity a témoigné auparavant devant notre Cour et devant la justice états-unienne à l’égard du brevet 393 et du brevet états‑unien 303. Il a été confronté en contre‑interrogatoire à plusieurs contradictions entre le témoignage qu’il a donné dans le cadre d’un litige instruit aux États‑Unis et son témoignage en l’espèce. J’estime que les efforts qu’il a faits pour établir des distinctions entre le témoignage qu’il a fourni en l’espèce et celui qu’il a fourni aux États‑Unis sont insatisfaisants. J’ai trouvé qu’au départ ses réponses au contre‑interrogatoire étaient succinctes et précises, mais lorsque des questions difficiles ont été posées, il avait tendance à éviter de donner des réponses directes ou à esquiver les questions. J’hésite à accorder crédit à son témoignage. En outre, son témoignage principal sous forme de rapport (pièce 57) est rédigé d’une manière qui, à plusieurs reprises, donne l’impression qu’il dispose de preuves factuelles directes quant à ce que les inventeurs ou autres chez Pfizer ont dit, fait ou pensé, ce qui n’est pas le cas. Il n’était pas là et n’a pas participé aux travaux de conception. À titre d’exemple, il dit au paragraphe 37 : [traduction] « Toutefois, en raison de leurs propriétés hygroscopiques, ces sels n’ont pas été développés davantage » et au paragraphe 38 : [traduction] « Les inventeurs ne cherchaient pas un sel satisfaisant à un seuil numérique particulier ». Il existe d’autres exemples. Son rapport mentionne au paragraphe 14g) qu’il a examiné [traduction] « divers autres documents qui, selon les informations fournies par les avocats de Pfizer, ont été déposés en l’espèce ». Au paragraphe 45, il dit que [traduction] « selon les informations des avocats de Pfizer les données disponibles sont limitées... ». M. McGinity a affirmé en contre‑interrogatoire qu’il n’avait pas parlé aux inventeurs. Si je tiens compte de l’ensemble de son témoignage, je considère qu’il contient beaucoup de ouï‑dire, qu’il a été préparé avec les avocats de Pfizer et présenté comme un témoignage d’expert, alors qu’en réalité il rendait compte du point de vue biaisé de Pfizer concernant la mise au point du bésylate. Ce faisant, M. McGinity a outrepassé le rôle d’un expert et est devenu un avocat. Je traite son témoignage avec une grande prudence.

 

[23]           La défenderesse Pfizer Limited a conclu sa preuve en appelant un témoin des faits supplémentaire, qui a été interrogé et contre interrogé. Les avocats de Pfizer avaient indiqué au début du procès que M. Davison, haut responsable de Pfizer Limited ayant joué un rôle important dans le travail de conception précité, serait également appelé comme témoin pour Pfizer, mais M. Davison n’a jamais comparu. Dans leur argumentation, les avocats de Pfizer ont fait référence à des extraits de l’interrogatoire préalable de Pfizer que Ratiopharm a versés en preuve à l’audience et dans lesquels il a été indiqué que M. Davison n’avait aucun souvenir de certaines questions. Cependant, cela ne signifie pas qu’il n’avait pas à être appelé. M. Davison aurait pu se souvenir de divers détails se rapportant aux questions et aurait pu être contre‑interrogé. Il ne l’a pas été. Aucune raison n’a été donnée pour expliquer qu’il n’a pas témoigné à l’audience, d’autant plus que dans les premiers jours du procès, la Cour a été amenée à croire par les avocats de Pfizer que M. Davison comparaîtrait. Pfizer a conclu sa preuve par le dépôt d’un affidavit qui n’a pas fait l’objet d’un contre‑interrogatoire. La preuve, telle qu’elle a été présentée, est la suivante :

1.                  M. James W. Moore, de Sandwich, Kent, Angleterre. M. Moore est un ancien agent de brevets agréé. Il a travaillé à la division des brevets de Pfizer Limited, de 1975 jusqu’à sa retraite en 2000. Pendant cette période, il a rédigé et présenté des demandes de brevet tout en encadrant le travail d’autres employés, dont celui de Jenny Bowery, la stagiaire qui a travaillé brièvement pour Pfizer au milieu des années 1980 et qui a quitté son poste, apparemment parce que le domaine de la chimie était trop exigeant. Il a témoigné au sujet de la préparation et du dépôt de la demande britannique initiale concernant le brevet 393. Son témoignage était clair et direct, mais un peu sibyllin. J’accepte son témoignage pour ce qu’il est, mais j’estime nécessaire de le mettre en relation avec les documents produits à l’époque pour dresser un portrait plus complet.

 

2.                  Un affidavit de David Chametzky (Pièce 56). Cet affidavit du directeur de Pfizer Inc., société mère de Pfizer Limited atteste des efforts infructueux déployés pour localiser Jenny Bowery qui à une époque était stagiaire à la division des brevets de Pfizer Limited. M. Wells a parlé d’elle dans son témoignage, tout comme M. Moore. Certains documents présentés en preuve mentionnent son nom. 

 

[24]           Dans les cas comme celui en l’espèce, la Cour doit accepter les témoins des faits tels qu’ils sont, apprécier leur témoignage en s’appuyant sur ses conclusions quant à leur crédibilité et, lorsque les témoignages se contredisent, apprécier la preuve en fonction de la prépondérance des probabilités. En l’espèce, les éléments de preuve ne se contredisent pas au niveau des faits, bien qu’il existe de nombreuses lacunes. Par exemple, les notes personnelles de M. Davison, qui comprennent des données sur l’adhérence et les calculs de la pente, n’ont pas été retrouvées. Une grande partie du dialogue ayant eu lieu entre les inventeurs et le personnel du service des brevets de Pfizer a été oublié ou perdu.

 

[25]           Quant aux experts, les opinions divergent. J’ai déjà exprimé mes réserves concernant certains éléments de preuve présentés par certains de ces experts. Je préfère le témoignage de M. Cunningham, là où il contredit le témoignage des autres. Il possède une grande expérience dans la conception de produits pharmaceutiques, y compris du point de vue pratique, car il travaillait au pour une société pharmaceutique innovatrice au Royaume-Uni pendant la période pertinente. Son témoignage en contre-interrogatoire était direct et sans détour. J’accorde moins d’importance aux témoignages de M. Brenner et de M. McGinity, sauf sur les points où ils ont fait des aveux allant à l’encontre de ce qu’ils auraient dit en preuve. Leurs témoignages ont été sérieusement mis en doute lors du contre‑interrogatoire. J’accorde crédit au témoignage de M. Laird, car j’estime qu’il donne un bon aperçu de la manière dont les médicaments sont conçus, mais j’accorde moins d’importance à ses opinions portant sur l’acide benzènesulfonique. M. Banker, M. Atwood et M. Amidon sont tous des universitaires hautement qualifiés qui ont travaillé comme consultants dans le domaine pharmaceutique. Leur témoignage est valable d’un point de vue académique, mais il a moins de valeur du point de vue d’une personne « engagée à fond dans le projet ». J’accorde crédit à leurs témoignages, notamment à l’égard des questions académiques. Malheureusement, je n’accorde que peu d’importance au témoignage de M. Cappucino. Ses liens étroits avec l’industrie des produits pharmaceutiques génériques m’empêchent d’avoir pleinement confiance dans son témoignage, quand bien même il aurait témoigné avec les meilleures intentions.

 

[26]           Il existe une nette différence entre les témoignages rendus dans une instance telle que la présente action, au cours de laquelle les témoins se font entendre de vive voix à la barre, et la simple lecture d’affidavits et de transcriptions de contre-interrogatoires comme dans les affaires d’avis de conformité. Les témoignages de vive voix sont bien plus utiles pour établir la vérité dans une affaire et pour se faire une opinion bien fondée. Cependant, je regrette de n’avoir pu entendre tous les témoins experts sur des questions similaires au même moment à la barre, de manière à ce que les avocats et la Cour puissent déterminer clairement les questions pour lesquelles il y a consensus, quelles controverses subsistent et pourquoi.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[27]           Les parties se sont entendues sur les questions à trancher en l’espèce et l’entente a été déposée comme pièce 3. L’entente prévoit ce qui suit :

 

[traduction]

1.         Les parties conviennent que les questions ci-dessous sont les questions devant être tranchées à l’audience :

 

a)         le brevet 393 est-il invalide pour absence de nouveauté par rapport au EP 167?

 

b)         le brevet 393 est-il invalide pour défaut de satisfaire aux exigences de validité d’un brevet de sélection?

 

c)         le brevet 393 est-il invalide pour cause d’évidence à l’égard du EP 167 et de l’état de la technique?

 

d)         le brevet 393 est-il invalide pour insuffisance du mémoire descriptif?

 

e)         le brevet 393 est-il invalide par manque d’utilité?

 

f)          le brevet 393 est-il invalide en vertu du paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets?

 

2.         Les parties conviennent en outre que la validité du brevet 393 dans son ensemble sera déterminée sur la base de la validité de la revendication 11.

 

 

[28]           Dans sa plaidoirie finale, l’avocat de la demanderesse a informé la Cour que la question de la nouveauté (1(a)) serait abandonnée. Aucune question touchant la contrefaçon du brevet 393 n’a été soulevée en l’espèce.

 

PERSONNE VERSÉE DANS L’ART

 

[29]           Le brevet, en particulier la revendication 11, concerne une forme saline particulière d’un produit pharmaceutique, le bésylate d’amlodipine. J’accepte la description de la personne fictive versée dans l’art à qui le brevet s’adresse, que fait M. Cunningham au paragraphe 158 de son premier rapport, pièce 17, ci‑dessous. Cette description s’accorde essentiellement avec celle que font les experts de Pfizer, M. McGinity, au paragraphe 16 de son rapport (pièce 57), et M. Brenner au paragraphe 17a) de son rapport (pièce 48) :

[traduction]

158.     Le brevet traite de la sélection d’un sel aux fins d’utilisation dans des préparations pharmaceutiques. La personne versée dans l’art serait en fait une équipe chargée de la recherche pharmaceutique, constituée de chimistes (chimie synthétique et analytique) et de scientifiques spécialisés dans la formulation. Les leaders au sein de cette équipe peuvent avoir un doctorat, et un grand nombre des membres de l’équipe ont au moins un baccalauréat en chimie ou en pharmacie ou au moins cinq ans d’expérience pratique en chimie synthétique ou analytique ou en formulation pharmaceutique.

 

[30]           Cette « personne versée dans l’art » joue un rôle à différentes dates. Aux fins d’interprétation du brevet, cette personne joue un rôle à compter de la date de délivrance du brevet, en l’espèce le 17 août 1993, puisque le brevet 393 est un brevet délivré en vertu de « l’ancienne » Loi sur les brevets (Whirlpool Inc. c. Camco Inc., [2002] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 55).

 

[31]           Afin de trancher la question de « l’évidence », puisqu’il s’agit d’un brevet délivré en vertu de « l’ancienne » Loi sur les brevets, la date pertinente est la « date de l’invention » (Windsurfing International Inc. c. Bic Sports Inc. (1985), 8 C.P.R. (3d) 241, p. 256 (CAF), Johnson & Johnson Inc. c. Boston Scientifique Ltd., 2008 CF 552, paragraphe 330).

 

DATE DE L’INVENTION

 

[32]           La « date de l’invention » pour un brevet délivré en vertu de « l’ancienne » Loi sur les brevets, tel que le brevet 393 en litige, est généralement considérée comme étant la date du dépôt de la demande de brevet auprès du Bureau des brevets du Canada, en l’espèce le 2 avril 1987. Toutefois, lorsque la priorité est revendiquée sur la base d’une demande déposée ailleurs, en l’espèce en Grande‑Bretagne, la date de dépôt est présumée être celle de cette demande, en l’espèce le 4 avril 1986. Une date antérieure peut être établie si la preuve démontre que les inventeurs ont formulé oralement ou par écrit une description permettant de fabriquer ce qui a été inventé (Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd, 2002 CSC 77, [2002] 4 R.C.S. 153, aux pages 170-171; Johnson & Johnson Inc. c. Boston Scientifique Ltd., précité, au par. 339).

 

[33]           Habituellement, si une date antérieure à la date de priorité est pertinente, elle doit être plaidée. Cette question n’a pas été soulevée en l’espèce. Cependant, j’ai pris connaissance des témoignages des inventeurs Wells et Davison, en plus de ceux de certains de leurs collègues. Sur la base de ces témoignages, j’estime qu’il est raisonnable d’affirmer que la « date de l’invention » est le 25 novembre 1985, date à laquelle le document intitulé « patent memorandum » (note de synthèse aux fins de brevet) a été rédigé par M. Wells en vue de la préparation d’une demande de brevet par la division des brevets de Pfizer (pièce 1, document 111). Je me référerai au travail d’élaboration plus loin dans les présents motifs.

 

[34]           L’amlodipine bésylate avait été fabriqué et testé auparavant par MM. Wells et Davison. Cependant, c’est le premier document dans lequel ils se sont efforcés de rassembler leurs travaux pour les décrire à d’autres.

 

INTERPRÉTATION DU BREVET – REVENDICATION 11

 

[35]           La jurisprudence enseigne qu’un tribunal doit d’abord interpréter la ou les revendications en litige avant d’aborder des questions touchant la validité d’un brevet ou la contrefaçon. Pour faire une telle interprétation dans le cas d’un brevet délivré en vertu de « l’ancienne » Loi sur les brevets, tel que celui en cause en l’espèce, la Cour doit se placer à la date de délivrance du brevet, en l’espèce le 17 août 1993, et considérer le brevet à travers les yeux d’une personne versée dans l’art à laquelle il s’adresse. La Cour doit examiner les revendications dans le contexte de l’ensemble du mémoire descriptif et adopter une approche ni indulgente ni dure afin de donner un sens à la revendication, non sur la base de tel ou tel élément, mais en considérant le document comme un tout. Des experts peuvent apporter leur aide quant à la signification des termes techniques et de l’état de la technique à l’époque des faits, mais l’interprétation relève de la Cour, non des experts [voir Whirlpool Inc. c. Camco Inc., précité, par. 43 à 45 et 57, Johnson & Johnson Inc. c. Boston Scientifique Ltd, précité, par. 88 à 93; Janssen-Ortho Inc. c. Novopharm Inc. (2007), 59 C.P.R. (4th) 116 (CAF), par. 4].

 


[36]           En l’espèce, les parties ont convenu que la validité du brevet 393 pouvait être déterminée en tenant compte d’une seule revendication, la revendication 11, dont la teneur est la suivante :

[traduction] « 11.           Le bésylate de l’amlodipine. »

 

[37]           Cette revendication est plutôt directe. Le terme « bésylate » est une forme abrégée du terme « benzène sulfonate »; il s’agit d’un produit reconnu depuis de nombreuses années comme l’un des sels approuvés par la Food and Drug Agency (FDA) des États‑Unis aux fins d’utilisation pharmaceutique. Il figure, ainsi que plusieurs autres sels, sur une liste dans un document reconnu par toutes les parties comme représentant sans contredit une antériorité dans le domaine (Berge et coll., « Pharmaceutical Salts », Journal of Pharmaceutical Sciences, vol. 66, no 1, janvier 1977, p. 1‑19) en tant que sel offrant des possibilités pour la fabrication de produits pharmaceutiques.

 

[38]           L’amlodipine est reconnu comme étant un composé pharmaceutique déjà connu. Selon la description apparaissant à la page 1 du brevet 393 :

[traduction] Le composé appelé (3-éthyl 5-méthyl 2-(2-aminoéthoxyméthyl)-4-(2‑chlorophényl)-1,4-dihydro-6-méthylpyridine-3,5‑dicarboxylate) d’amlodipine est un puissant inhibiteur des canaux calciques à action prolongée qui peut servir d’agent anti‑ischémique et d’agent anti‑hypertensif.

 

[39]           Plus loin, à la page 1 du brevet 393, on indique qu’il est déjà reconnu que plusieurs formes différentes de sel d’amlodipine pharmaceutiquement acceptables avaient déjà fait l’objet d’une divulgation dans une demande de brevet européen antérieure, publiée sous le numéro 89167 (parfois appelé « brevet 167 » dans la présente affaire). Le maléate d’amlodipine (lequel, selon la preuve présentée au procès, constitue une forme « abrégée » du composé de type méthanesulfonate) était, en particulier, un sel connu privilégié, comme l’indique le texte de la page 1 du brevet 393 :

[traduction] La demande de brevet européen, publiée sous le numéro 89167, contient la divulgation de plusieurs formes différentes de sel d’amlodipine pharmaceutiquement acceptables. On y indique en particulier que les sels d’addition acides pharmaceutiquement acceptables sont ceux formés à partir d’acides qui forment des sels d’addition non toxiques contenant des anions pharmaceutiquement acceptables comme les sels à base de chlorhydrate, de bromhydrate, de sulfate, de phosphate ou de phosphate acide, d’acétate, de maléate, de fumarate, de lactate, de tartrate, de citrate ou de gluconate. La divulgation indique aussi que parmi ces sels, le maléate est particulièrement privilégié.

 

[40]           La revendication 11 peut être interprétée comme concernant une forme saline particulière, le bésylate, d’un composé pharmaceutique connu, soit l’amlodipine. Ainsi, pour les besoins de la présente action, la caractéristique essentielle de la revendication 11 et, selon l’entente conclue entre les parties, de toutes les revendications du brevet 393 est la suivante : une forme saline particulière, le bésylate, d’un composé pharmaceutique connu, l’amlodipine, constitue l’invention revendiquée.

 

[41]           L’avant-dernier paragraphe de la page 6 du brevet 393 explique pourquoi le bésylate a été choisi comme forme saline :

[traduction] Ainsi, le bésylate de l’amlodipine constitue une combinaison unique de bonne solubilité, de bonne stabilité, de non­hygroscopicité et de bonne transformabilité, ce qui fait qu’il convient exceptionnellement bien à la mise au point de préparations pharmaceutiques d’amlodipine.

 

[42]           La revendication 11 ne prévoit aucune utilisation particulière de la forme saline, soit le bésylate de l’amlodipine. Le brevet 393 mentionne trois types de préparations pharmaceutiques dans lesquelles ce sel serait utilisé, du dernier paragraphe de la page 1 au deuxième paragraphe de la page 2. Il s’agit des types de préparations suivantes : une formulation de comprimé, une formulation de capsule et une solution aqueuse stérile aux fins d’administration parentérale (par voie intraveineuse).

 

[43]           Le brevet 393 ne précise pas la forme particulière du bésylate d’amlodipine, c’est-à-dire s’il est solide, liquide ou huileux ou, s’il est solide, s’il est amorphe ou cristallin ou, s’il est hydraté ou non et, s’il est hydraté, dans quelle mesure il l’est. En ce qui concerne l’exemple 1 du brevet 393, M. Brenner était d’avis que le bésylate de l’amlodipine, si préparé selon ce procédé, était probablement cristallin (contre-interrogatoire, volume 11, p. 99-101). M. McGinity était d’avis que le bésylate pourrait être une matière anhydre ou un hydrate (contre­interrogatoire, volume 12, p. 48-75).

 

[44]           Je conclus que la revendication 11 doit être lue simplement telle quelle, sans restriction quant à une utilisation particulière et sans restriction quant à la forme précise du composé.

 

DÉVELOPPEMENT D’UN PRODUIT PHARMACEUTIQUE DANS LE MILIEU DES ANNÉES 1980

 

[45]           Le brevet 393 découle de travaux réalisés durant la phase de préformulation de l’élaboration d’un produit pharmaceutique destiné au commerce, mais plus particulièrement d’un processus de sélection d’un sel ou de sélection préliminaire d’un sel.

 

[46]           M. Laird a discuté du processus de sélection préliminaire d’un sel dans son rapport (pièce 14); voici les paragraphes 17, 22, 23, 24, 25 et 26 dudit rapport :

[traduction]

17.       Une nouvelle substance pharmaceutique est souvent fabriquée sous forme de base libre, mais les propriétés qu’elle présente sous cette forme peuvent en faire une substance inadéquate comme préparation pharmaceutique ou comme produit destiné à être administré à un patient. Les bases libres peuvent parfois se présenter sous forme d’huiles ou de solides à bas point de fusion, ou de solides amorphes non cristallins, et leur cristallisation peut être difficile à réaliser (par exemple, dans le cas de la Stelazine, de la paroxétine et du citalopram). Comme je l’explique un peu plus loin, les sels ont tendance à être plus cristallins que les bases libres et à présenter un point de fusion plus élevé et d’autres propriétés qui facilitent leur fabrication et leur préparation.

 

. . .

 

22.       Il existe de nombreux autres avantages possibles associés à la formation d’un sel. Le sel formé l’est habituellement sous forme solide, laquelle est plus stable qu’une base libre et présente un point de fusion plus élevé. Selon la nature de l’acide utilisé pour former le sel, ce dernier peut aussi présenter une solubilité aqueuse plus élevée que la base libre. En outre, il est généralement plus facile d’éliminer les impuretés présentes dans les sels cristallins que celles présentes dans les bases libres correspondantes. Par conséquent, l’étape de formation d’un sel se traduit souvent par un accroissement important de la qualité de la substance pharmaceutique. Les sels sont donc synthétisés, dans bien des cas, afin de purifier la substance pharmaceutique et, parallèlement, d’obtenir un produit préparé présentant des propriétés optimales.

 

 

F.        Méthodes de synthèse de sels

 

23.       Au cours des années 1980, les sociétés œuvrant dans l’industrie pharmaceutique avaient tendance à effectuer une sélection préliminaire des sels (et à exécuter d’autres méthodes comme celle de sélection préliminaire des polymorphes) en employant une approche partiellement systématique plutôt qu’une marche à suivre normalisée et rigoureuse. Chaque chercheur scientifique pouvait choisir les acides à utiliser et les conditions (par exemple, le solvant, la température et la concentration) dans lesquelles on essayait d’obtenir des sels cristallins de la substance pharmaceutique. Étant donné la surabondance de solvants, de réactifs pouvant donner des sels et de conditions de synthèse possibles, cela pourrait conduire à l’exécution possible de milliers d’expériences réalisées concurremment, alors que les stocks de substance pharmaceutique (base libre) pourraient être au minimum. Un chimiste devant faire face à cette situation tenterait alors de réduire au minimum le nombre d’expériences à effectuer.

 

24.       Au cours des premières étapes de l’élaboration, les stocks de substance pharmaceutique (base libre) sont faibles et de plus, celle-ci pourrait être de qualité variable, car les détails du processus de synthèse n’auront pas encore été établis. Puisque la sélection préliminaire de sels était alors effectuée manuellement et que les résultats devaient être obtenus au cours d’une courte période, le nombre d’expériences pouvant être réalisées était restreint. Par conséquent, il n’était pas possible, en pratique, d’effectuer une sélection préliminaire parmi la gamme complète d’acides disponibles. Selon mon expérience personnelle, un chimiste confronté à cette situation aurait essayé de faire une sélection préliminaire parmi 10 à 12 sels, au maximum, en utilisant une gamme restreinte de solvants. Il faut toutefois préciser qu’il n’existait pas de normes particulières sur lesquelles un chimiste pouvait se baser pour faire des choix adéquats.

 

25.       Les publications scientifiques ne fournissent que peu d’information au sujet de lignes directrices connexes. L’article de synthèse fondamental publié en 1977 dans le J. Pharm. Sci. par S. M. Berge et ses collaborateurs (désigné ci-après par l’expression « article de Berge » et présenté en annexe comme pièce 3) indique, à la page 1, que le choix des sels était souvent effectué de manière empirique, et de plus, on y cite plus de 270 ouvrages scientifiques comprenant des discussions sur divers sels et leurs propriétés. L’article en question ne contient cependant aucune mention d’une méthode pratique qui serait recommandée pour effectuer la sélection préliminaire de sels. L’article de synthèse de P. L. Gould publié ultérieurement dans l’Int. J. Pharm., en 1986 (désigné ci-après par l’expression « article de Gould » et présenté en annexe comme pièce 4), indique que la sélection préliminaire « constitue toujours un choix difficile, de nature semi‑empirique » et on n’y fournit pas beaucoup plus de lignes directrices que dans l’article de Berge en matière de sélection préliminaire d’un sel.

 

26.              Au cours des années 1980, lorsque l’on effectuait une sélection préliminaire de sels, on avait tendance à exécuter un minimum de travaux expérimentaux visant à synthétiser des sels et, lors de l’étape de sélection préliminaire, à n’examiner de manière plus détaillée que les sels dont la synthèse et la cristallisation étaient faciles lors des expériences initiales. Cette situation s’est poursuivie au cours des années 1990 dans certaines sociétés; toutefois, des méthodes automatisées particulières ont été par la suite mises au point afin de rendre le processus de sélection préliminaire de sels plus efficace.

 

[47]           M. Cunningham a fourni essentiellement les mêmes renseignements dans son rapport (pièce 17); voici les paragraphes 14 à 23 dudit rapport :

14.              Lorsque des composés ont été identifiés comme pouvant servir à l’élaboration de nouveaux ingrédients actifs, des chimistes spécialisés en processus de synthèse et en méthodes de préparation se joindront bien souvent à l’équipe de projet. À cette étape, les propriétés physiques du nouvel ingrédient actif possible seront examinées avec soin afin de s’assurer que son élaboration permettra de respecter les conditions suivantes :

 

a)                  sa synthèse et sa purification peuvent être facilement réalisées, de manière répétitive, conformément à des normes de qualité très élevées;

 

b)                  il est suffisamment stable, dans des conditions de chaleur et d’humidité données, pour ne pas subir une transformation de son état ou une dégradation significative lors du traitement (préparation) ou lors de son stockage en vrac, ou encore sous forme de médicament préparé;

 

c)                  il présente une solubilité adéquate permettant son absorption lorsqu’il est administré sous forme pharmaceutique solide ou sa préparation sous forme pharmaceutique injectable;

 

d)                  il est compatible avec le matériel de traitement (par exemple, il s’écoule librement et n’adhère pas trop aux surfaces).

 

15.              Il faut évidemment tenir compte d’autres facteurs comme les coûts et la toxicologie.

 

16.              Le composé d’origine peut parfois respecter ces critères, mais dans le cas contraire et si ce composé permet d’obtenir des sels, il faut effectuer une sélection préliminaire des sels afin d’identifier un sel adéquat du nouvel ingrédient actif, qui possède un ensemble de propriétés physiques plus avantageuses.

 

17.              De même, de nombreuses molécules de substance pharmaceutique présentent du polymorphisme, c’est‑à‑dire qu’elles peuvent exister sous un nombre donné de formes cristallines distinctes, certaines de ces dernières étant plus stables que d’autres. Une sélection préliminaire des polymorphes sera alors effectuée afin de déterminer si ce phénomène pourrait constituer un problème et, si c’est le cas, afin d’identifier un polymorphe stable pouvant faire l’objet de travaux d’élaboration ultérieurs.

 

Les sels et le processus de sélection de sels

 

18.              Un sel est le produit de réaction d’un acide et d’une base. Les sels sont des composés ioniques, c’est‑à‑dire qu’aucune liaison covalente n’est formée.

 

19.              Dans de nombreux cas, les propriétés physiques du composé d’origine (qui est parfois désigné par l’expression « base libre ») ne permettent pas de l’utiliser pour préparer une substance pharmaceutique. Les sels peuvent servir à modifier ces propriétés, afin d’accroître la biodisponibilité ou de résoudre des problèmes de fabrication. Les propriétés physiques qui peuvent être modifiées en formant un sel comprennent la stabilité, la solubilité, la vitesse de dissolution et l’hygroscopicité. Ces facteurs et certains autres comme la forme cristalline du sel déterminent le degré de facilité, ou de difficulté, avec lequel la forme pharmaceutique finale pourra être préparée et administrée.

 

20.              Dans certains cas, l’ingrédient actif peut ne pas être assez soluble pour assurer une bonne absorption et, conséquemment, une biodisponibilité acceptable. Sa conversion en sel adéquat fait souvent l’objet d’études portant sur ce problème particulier, car des sels distincts présentent à la fois une vitesse de dissolution et une solubilité différentes, en comparaison de la base libre correspondante.

 

21.              Les propriétés d’un sel dépendent de la structure de sa forme solide, laquelle ne peut être prévue. Il n’est donc pas possible de prévoir les diverses propriétés d’un sel donné d’un nouvel ingrédient actif. La sélection d’un sel de substance pharmaceutique constitue un processus empirique et il faut synthétiser des sels et en déterminer les propriétés afin d’établir s’ils peuvent être employés efficacement comme nouveaux ingrédients actifs sous forme de produit pharmaceutique préparé.

 

22.              Comme on l’a déjà mentionné, lorsqu’on considère qu’une base libre ne possède pas un ensemble de propriétés adéquates, on peut envisager d’employer un sel. Un chimiste peut alors effectuer une sélection préliminaire des sels possibles, acides ou basiques, selon le cas, en se basant sur ses connaissances générales et la disponibilité des acides et des bases. Lors d’un tel exercice, le chimiste ne cherche pas nécessairement à identifier le « meilleur » sel, mais plutôt un sel adéquat, en fonction des critères susmentionnés. Dans presque tous les cas, le chimiste synthétiserait et évaluerait ensuite l’efficacité d’un sel particulier, soit le chlorhydrate d’une base ou le sel de sodium d’un acide.

 

23.              Selon mon expérience personnelle, un chimiste synthétiserait habituellement cinq ou six sels, dans le premier de ces cas. Pour ce faire, il se baserait sur des listes de sels pour lesquels des données prouvent qu’ils sont pharmaceutiquement acceptables aux yeux d’organismes de réglementation comme la FDA et l’EMEA. L’article de Berge (« Pharmaceutical Salts », dans J. Pharm. Sci., vol. 66, nº 1, p. 1-19; pièce 2) contient une liste de sels dont la vente dans le commerce est approuvée. Le processus de sélection comporterait habituellement un certain nombre de contre‑ions inorganiques et de contre‑ions organiques, ainsi que des composés monobasiques et dibasiques. Les sels acides étudiés comprendraient normalement des sels inorganiques tels que des chlorhydrates et des sulfates, et des sels organiques comportant des fonctions d’acide carboxylique ou d’acide sulfonique. Il n’existe pas d’approche imposée pour réaliser cette étape initiale de la sélection préliminaire et la décision de synthétiser un composé avant les autres dépend de l’expérience que possède le chimiste en matière de synthèses générales ayant été exécutées avec succès et des résultats concluants obtenus pour une série de composés particulière.

 

 

[48]           Une approche de ce type a été décrite dans un article de Gould intitulé « Salt selection for basic drugs », publié dans l’International Journal of Pharmaceuticals (vol. 33, 1986, p. 201‑217). Voici les deux premiers paragraphes de l’introduction de l’article en question :

[traduction]

Introduction

 

La formation de sels constitue un moyen de modifier les propriétés physicochimiques et les caractéristiques biologiques résultantes d’un médicament sans altérer sa structure chimique. L’importance de sélectionner la forme « juste » d’un sel de médicament est clairement établie dans un article de synthèse (Berge et coll., 1977), mais bien que la nature du sel puisse sérieusement influer sur les propriétés générales du médicament, la sélection du sel qui présente la combinaison de propriétés recherchée constitue encore un processus semi‑empirique complexe.

 

Dans le cadre du processus de sélection d’une gamme de sels qui pourraient être utilisés à ces fins, les membres d’un groupe de recherche sur les processus chimiques doivent tenir compte de diverses questions en se basant sur la vitesse et le rendement du processus de cristallisation ainsi que sur la qualité du produit cristallin obtenu, et sur les coûts et la disponibilité de l’acide conjugué. D’autre part, l’intérêt des membres des groupes de recherche sur la préparation du produit et sur les méthodes d’analyse se concentre plutôt sur les problèmes possibles liés à l’hygroscopicité, la stabilité, la solubilité et l’aptitude au traitement du sel, tandis que celui des membres du groupe de recherche sur le métabolisme des médicaments porte principalement sur les aspects de la pharmacocinétique, et celui du groupe de recherche sur l’évaluation de la sûreté des médicaments, sur les effets toxiques de doses chroniques et de doses aiguës du médicament et de son acide conjugué. Il faut donc viser à atteindre un équilibre des propriétés du sel en se basant sur un compromis clair qui tienne compte de tous ces éléments. Toutefois, il reste toujours un obstacle à surmonter, soit l’évaluation permettant de déterminer quels sels il convient d’intégrer au processus de sélection préliminaire visant à préparer un produit pharmaceutique particulier.

 

 

[49]           Même M. Brenner – et j’aborde son témoignage avec beaucoup de prudence parce qu’il insiste trop sur ce qui ferait l’affaire de Pfizer – a décrit, aux paragraphes 49 à 65 de son rapport (pièce 48), le processus de sélection du sel comme un procédé pouvant être appliqué par une personne versée dans l’art au milieu des années 80. On sélectionnait habituellement de cinq à dix sels et on les évaluait dans le cadre d’une série d’essais portant, entre autres, sur la stabilité, la solubilité, l’hygroscopicité et la transformabilité. La réaction à divers excipients était examinée. Comme le dit M. Brenner au paragraphe 136 de son rapport, une personne versée dans l’art sans compétence particulière qui ferait face à un problème de stabilité chercherait presque certainement une autre forme saline. Comme l’indique le brevet 393 au bas de la page 3, les maléates qui étaient connus avaient tendance à se dissoudre en solution après quelques semaines. Autrement dit, ils manquaient de stabilité.

 

[50]           Comme on le verra, la procédure suivie par MM. Wells et Davison était essentiellement un procédé de sélection de sels typique du milieu des années 80 en vue de découvrir un produit pharmaceutique candidat; elle s’apparente à la procédure décrite dans le rapport de MM. Laird et Cunningham et dans l’article de Gould. Elle était effectuée un peu à la va-vite. Le temps était une contrainte cruciale; seuls certains sels étaient sélectionnés, pas de façon totalement aléatoire, aux fins de mise à l’essai. Une fois qu’un, deux ou trois produits suffisamment utiles étaient repérés, on ne se donnait pas la peine de procéder à des essais sur tous les sels possibles. On s’entendait sur les produits sélectionnés, puis on passait à l’étape suivante, celle de la formulation finale aux fins d’approbation réglementaire.

 

[51]           Parmi les personnes ayant participé à la mise au point, on compte M. Wells, qui a dirigé le projet, et M. Davidson, dont le bureau était près de celui du M. Wells et qui a mené et dirigé une bonne part des mises à l’essai. M. Platt était en grande partie responsable des essais de stabilité. M. Pettman fabriquait les sels. Il semble que M. Wells communiquait avec un grand nombre de personnes, mais que, principalement, il rendait des comptes à M. Davidson. À la fin du processus, quand on a envisagé de demander un brevet, M. Moore, agent de brevets agréé, était apparemment responsable; toutefois, il semble que ce soit une stagiaire, Jenny Bowery, qui se soit occupée de la plus grande partie de la rédaction et des discussions avec les inventeurs et les autres participants. Toutes ces personnes ont témoigné à l’audience, sauf M. Davidson, qui pour des raisons inexplicables ne s’est pas présenté, et Jenny Bowery, qui semble être introuvable.

 

MISE AU POINT ET BREVETAGE DU BÉSYLATE D’AMLODIPINE

 

[52]           La mise au point du bésylate d’amlodipine par les deux inventeurs désignés, M. Wells et M. Davison, a commencé quand on a présenté à M. Wells une forme particulière de sel d’amlodipine, le maléate d’amlodipine, et qu’on lui a demandé de le formuler en un médicament pour usage commercial. Voici les questions que Me Laskin, avocat de M. Wells, a posées à ce dernier au cours de l’interrogatoire principal, et les réponses de ce dernier, qui figurent aux pages 121 à 123 de la transcription et relatent le début du projet :

[traduction]

LE TÉMOIN : Nous menions des études depuis un certain temps, avant la découverte de l’amlodipine; nous étudiions un produit concurrent existant qui s’appelait « nifédipine ». Le problème avec la nifédipine — et c’est ce que nous, à Pfizer, tentions de régler — était que, en fait, nous devions travailler sur la nifédipine dans l’équivalent d’une chambre noire photographique parce que la nifédipine se dissout complètement à la lumière du jour. Il s’agissait donc d’un composé très instable en présence de lumière, et il était à action rapide.

 

                  La société Pfizer avait pour principe qu’il valait mieux mettre au point des médicaments qu’on prend une fois par jour, peut-être deux fois par jour, mais pas plus que cela. Le but était de trouver une nouvelle dihydropyridine qui n’était pas sensible à la lumière et qui avait ce qu’on appelle une « demi-vie » beaucoup plus longue. Le patient ne serait tenu d’en prendre qu’une fois par jour.

 

                             

                              PAR Me LASKIN :

 

Q.              La classe étant?

 

R.               Celle des dihydropyridines, dont l’amlodipine fait partie. Nifédipine, amlodipine.

 

Q.              Et à quelle étape de la mise au point de l’amlodipine en était-on rendu au moment où vous avez commencé à participer?

 

R.               Les analyses et essais avaient permis de synthétiser l’amlodipine et de déclarer les maléates.

 

Q.              De les déclarer —?

R.               De déclarer que ce que nous obtenions était du maléate d’amlodipine.

 

Q.              Avez-vous pris part au processus de sélection du maléate d’amlodipine comme étant le sel à mettre au point?

 

R.               Non, Monsieur.

 

Q.              Connaissez-vous — ou avez-vous appris quel était le fondement de la sélection du maléate?

 

R.               Non.

 

Q.              À votre connaissance, votre groupe, le groupe de R et D pharmaceutiques (groupe de recherche et développement) a-t-il participé à la sélection de l’amlodipine aux fins de développement ou à la sélection des maléates?

 

R.               Non.

 

Q.              Connaissez-vous, Monsieur, d’autres sels de l’amlodipine qui ont été mis à l’essai avant que vous receviez le maléate d’amlodipine?

 

R.               À ce moment-là, non.

 

 

[53]           Le bureau de M. Davison était voisin de celui de M. Wells, qui a affecté M. Davidson au projet. Voici ce que M. Davidson a répondu aux questions posées par Me Laskin au cours de l’interrogatoire principal, pages 11 à 15 du volume 3 de la transcription :

[traduction]

Q.        Merci.

 

                        Je veux aborder votre travail concernant l’amlodipine. Quand avez-vous commencé à travailler sur l’amlodipine chez Pfizer?

 

R.         Au début de 1982.

 

Q.        C’était donc pendant la période où vous êtes passé à la recherche et au développement pharmaceutiques?

 

R.         C’est exact.

 

Q.        Quel était votre rôle dans le cadre du projet, à ce moment­là?

 

R.         Mon superviseur, M. Jim Wells, attribuait des tâches à ses employés en fonction de l’état de leurs travaux. À ce moment-là, j’étais disponible pour accepter de nouveaux projets, et Jim m’a affecté à l’amlodipine.

 

Q.        Y avait-il d’autres membres du service qui travaillaient avec vous sur ce projet?

 

R.         Eh bien, il s’agissait, bien sûr, du moment de la préformulation; mon technicien, M. David Smith, et moi-même étions donc en mesure de mener seuls toutes les études de préfomulation.

 

            En même temps, en raison de la structure parallèle du processus de mise au point, certains des employés de l’aire de mise à l’essai au sein du service de R et D pharmaceutiques ont également pris part aux travaux sur l’amlodipine. Leur rôle consistait à utiliser leurs formulations par défaut pour acquérir une expérience relative aux difficultés — ou, devrais-je dire, sur la façon la plus facile de fabriquer des capsules en premier lieu, puis, plus tard, des comprimés.

 

            Ces employés n’ont travaillé sur des comprimés que beaucoup plus tard, mais les capsules constituent la forme galénique la plus courante parce qu’elles peuvent être fabriquées à partir de petites quantités de substances actives en vrac. Pour faire des comprimés, il faut de beaucoup plus grandes quantités de substances actives en vrac, puisqu’il faut générer suffisamment de poudre pour utiliser les machines.

 

            Ils travaillaient donc simultanément, et nous communiquions. Si je trouvais quelque chose, un problème, j’allais faire un tour dans l’aire de mise à l’essai pour leur en parler.

 

Q.        Au moment où vous avez commencé votre travail, avait-on repéré un composé d’amlodipine prometteur?

 

R.         Eh bien, l’amlodipine était le composé prometteur, et il était sous forme de sel; il s’agissait d’un sel appelé maléate d’amlodipine.

 

Q.        Avez-vous participé à la découverte du maléate d’amlodipine?

 

R.         Non, je n’y ai pas participé.

 

Q.        Vous avez mentionné que vous aviez pris part au travail de préformulation. Quel était l’objectif du travail auquel vous participiez? Où espériez-vous que cela vous mènerait?

 

R.         L’objectif est de cerner les problèmes potentiels qui pourraient faire obstacle à l’atteinte de nos objectifs à court terme, qui concernent la toxicologie, la mise au point de préparations convenables sur le plan toxicologique et l’amorce rapide des essais cliniques.

 

Q.        Donc, s’il s’agit là d’objectifs à court terme, il y avait également des objectifs à long terme? 

 

R.         Oui, il y en avait.

 

Q.        Quels étaient‑ils?

 

R.         Eh bien, quand la mise au point du maléate d’amlodipine a commencé, les experts du secteur des découvertes, les médecins et les biologistes, et cetera, avaient une idée de la posologie humaine probable. Et pour l’amlodipine, on a proposé entre 10 et 20 milligrammes. Cela voulait dire que nous évaluions l’amlodipine à titre d’entité chimique très puissante.  

 

            Et les gens de la commercialisation, du marketing, s’en mêlaient aussi, et ils ont indiqué qu’ils souhaitaient que ce soit sous forme de comprimés. Et, du fait qu’il s’agissait d’un composé extrêmement puissant et qu’il ne fallait en mettre que quelques milligrammes dans le comprimé, un mélange par compression directe constituait manifestement la meilleure formulation commerciale. Ce que je veux dire, c’est qu’il n’y avait aucun procédé de granulation ni quoi que ce soit du genre. On combinait un mélange approprié d’excipients de qualité de compression directe aux substances actives en vrac, et on mettait ce mélange de poudre directement dans la machine à comprimés.

 

 

[54]           Je me pencherai sur les détails de cette étape; mais, d’abord, je vais passer directement à la fin, à la sélection du bésylate d’amlodipine comme composé préféré. M. Wells a formulé une bonne conclusion dans une réponse fournie par Me Aitken dans son contre‑interrogatoire, aux pages 165 et 166 du volume 2 de la transcription : 

[traduction]

. . . J’ai pris une décision, avec des collègues. Nous considérions que nous avions mis au point un sel qui était convenable et qui permettait d’aller plus loin. 

 

            Si nous avions procédé à d’autres essais et à d’autres essais encore, nous serions peut‑être encore en train de le faire. Nous avons donc pris la décision de poursuivre avec le bésylate, et je crois que l’histoire prouve que nous avons eu raison. 

 

            Nous aurions pu étudier d’autres sels. Nous aurions pu en mettre à l’essai un nombre beaucoup plus grand, mais nous en avions trouvé un qui fonctionnait et qui constituait pour nous une solution convenable et sensée au problème auquel nous faisions face.

 

 

[55]           La difficulté n’est pas liée à la solution commerciale, mais au brevet. M. Wells a vu juste dans sa réponse en contre‑interrogatoire, au volume 2, page 161, de la transcription. Un brevet doit être clair, honnête et précis :

[traduction]

            R. Eh bien, je ne peux pas répondre à cette question parce que je ne suis pas un agent de brevets. À mon avis, nous divulguons suffisamment d’informations pour permettre à une personne versée dans l’art de répéter mon expérience.

 

            Je ne savais pas qu’il devait inclure chaque aspect du travail que nous avons fait. Il doit être clair, il doit être honnête, et il doit être précis et c’est ce que nous avons fait…

 

[56]           Cela est conforme au paragraphe 34(1) de « l’ancienne » Loi sur les brevets, dont le libellé est essentiellement le même que celui du paragraphe 27(3) de la « nouvelle » Loi :

34. (1) Dans le mémoire descriptif, le demandeur :

 

 

a)         décrit d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur ;

 

b)         expose clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’objet de l’invention;

34. (1) An applicant shall in the specification of his invention

 

(a)        correctly and fully describe the invention and its operation or use as contemplated by the inventor;

 

 

(b)        set out clearly the various steps in a process, or the method of constructing, making, compounding or using a machine, manufacture or composition of matter, in such full, clear, concise and exact terms as to enable any person skilled in the art or science to which it appertains, or with which it is most closely connected, to make, construct, compound or use it;

 

 

 

[57]           Cependant, il reste à répondre à la question de savoir si c’est ce que Pfizer a fait.

 

[58]           Il semble que M. Wells ait très peu collaboré avec les membres de la division des brevets et il n’a aucun souvenir des échanges ayant eu lieu. Je me réfère aux réponses qu’il a fournies en interrogatoire principal, volume 1, pages 215 à 222. Également en interrogatoire principal, volume 3, pages 132 à 135, M. Davison a témoigné qu’il n’avait jamais communiqué avec la division des brevets de Pfizer. Il a probablement vu des ébauches du mémoire descriptif du brevet, mais il n’a pas entendu parler de divergences entre ce que la demande de brevet indique et la recherche sur laquelle portait son rapport. M. Moore, un agent des brevets de Pfizer, a pris part à la rédaction du brevet, principalement en ce qui concerne l’encadrement des travaux de Jenny Bowery, la stagiaire qui semble avoir été la personne la plus directement impliquée dans la rédaction de la demande de brevet. Cette dernière n’a pas été retrouvée et n’a pas témoigné.

 

[59]           Il semble que le superviseur de M. Wells, M. Davison (qui devait témoigner, mais qui ne l’a pas fait), a informé M. Wells qu’une demande de brevet devait être présentée (contre‑interrogatoire de M. Wells, volume 2, page 259). En conséquence, M. Wells a préparé une synthèse (pièce 111) datée du 25 novembre 1985, dans le but de fournir à la division des brevets [traduction] « … des détails techniques leur permettant de la convertir aisément en brevet » (interrogatoire principal de M. Wells, volume 1, pages 185 à 187). Cette synthèse reflète ce qui était apparemment une décision « majoritaire » qui comprenait l’opinion de M. Wells et d’autres personnes non nommées. Cependant, une fois la synthèse remise à la division des brevets, la participation de M. Wells a été, selon ses mots, « pratiquement inexistante » (interrogatoire principal de M. Wells, volume 1, page 215).

 

[60]           Après avoir évoqué le début et la fin du processus du point de vue des inventeurs, je vais retracer l’histoire de la mise au point du bésylate de l’amlodipine. Il est plutôt rare que l’élaboration d’un brevet relatif à une formule médicamenteuse soit expliquée à la Cour, de telle sorte que ce qui est divulgué dans le brevet puisse être comparé à ce que les inventeurs désignés ont réellement dit et fait. C’est le cas aujourd’hui.

 

[61]           En août 1982, M. Wells a reçu du maléate d’amlodipine comme produit pharmaceutique candidat mis au point par d’autres, tel que l’établit une note datée du 11 août 1982, envoyée par J. R. Davison à M. G. W. McLay avec copie conforme à M. Wells (pièce 1, document 28). D’après le plan de numérotation interne de Pfizer, l’amlodipine s’est vu attribuer le numéro UK‑48,340, et ses sels ont été désignés par des extensions numériques, comme ‑11 pour le maléate. Le maléate d’amlodipine porte donc le code UK‑48,340‑11. Une liste plus complète de descriptions de formes salines dressée par Pfizer figure à la pièce 1, document 43.

 

[62]           Pour examiner la preuve, il peut être utile de noter certains des codes numériques ou alphabétiques utilisés par la société Pfizer pour désigner les sels de l’amlodipine. L’amlodipine qui ne se présente pas sous forme de sel est désigné par l’expression « base libre » ou le terme « base » et le code alphanumérique « UK‑48,304 », et ses différents sels sont désignés par les lettres ou nombres suivants qui servent de suffixes au code « UK‑48,304 » :

 

– 01 : chlorhydrate

– 11 : maléate

– 14 : acétate

– 15 : toluènesulfonate (tosylate)

– 24 : succinate

– 26 : benzènesulfonate (bésylate)

– 27 : méthanesulfonate (mésylate) 

– AB ou – 94 : salicylate

– AN : 1‑naphtalènesulfonate (naphtalate) (ce sel n’apparaît pas dans le document 43)

 

[63]           Dans une note du 11 août 1982 envoyée par M. Davidson à M. McLay avec copie conforme à M. Wells (pièce 1, document 28) M. Wells a été informé du fait que des indications préliminaires donnaient à penser que le maléate d’amlodipine était sensible aux attaques photolytiques et acides ainsi qu’à l’oxydation et qu’il se dégradait assez rapidement dans un milieu aqueux. Par ailleurs, selon le rapport trimestriel faisant également partie du document 27, des études analytiques donnaient à penser que les incompatibilités chimiques et l’instabilité aqueuse seraient des préoccupations majeures. Ainsi, on a fait parvenir à M. Wells et à M. Davison un composé pharmaceutique, le maléate d’amlodipine, en les mettant au fait des problèmes possibles relatifs à ce composé, présenté comme un produit mis au point par d’autres, et non par eux.

[64]           On a dit à M. Wells que la section du marketing voulait vendre le produit sous forme de comprimés, c’est-à-dire que le médicament ainsi que d’autres ingrédients appelés excipients doivent être mélangés et mis en poudre et, enfin, compressés en comprimés selon des méthodes de granulation par voie humide ou par voie sèche. Il aurait également été possible de créer des capsules remplies d’un mélange de poudre et des formulations parentérales (liquide administrable par voie intraveineuse) (interrogatoire principal de M. Wells, volume 1, pages 127 à 135).

 

[65]           Selon M. Wells (interrogatoire principal, volume 1, pages 137 à 139), le premier problème que présentait le maléate d’amlodipine était un problème d’adhérence, quand ils ont tenté de le moudre en une fine poudre. M. Davison a dit que, quand ils ont utilisé un mortier et un pilon (volume 3, page 37), la matière est restée collée à la surface des instruments. La première solution proposée consistait à ajouter un excipient appelé mannitol, mais il collait, lui aussi (Wells, volume 1, pages 139 et 140). On a utilisé Emcompress à la place du mannitol. Le médicament a réagi, et il y a eu formation d’un composé non désiré par suite de ce qu’on appelle la « réaction d’addition de Michael (RAM) » (Wells, volume 1, pages 139 et 140). Ce composé s’est vu attribuer par Pfizer le numéro d’identification UK‑57,259.

 

[66]           Il semble que les problèmes d’adhérence et de formation de composés non désirés aient fini par être réglés, non seulement par l’utilisation d’un autre sel, le bésylate, en remplacement, mais également grâce à une formulation qui est décrite au tableau III du brevet. Cette


formulation fonctionne aussi bien pour le maléate que pour le bésylate (Wells, contre‑interrogatoire, volume 2, pages 195 à 198) : 

[traduction]

Q.        Et il s’agit de la formulation FID 0650?

 

R.         Oui.

 

Q.        Et la formulation 0650 est essentiellement la même que celle utilisée dans Norvasc aujourd’hui, n’est‑ce pas?

 

R.         Oui.

 

Q.        Et, en fait, il s’agit essentiellement de la même formulation que celle que nous avons vue dans le tableau III du brevet; exact?

 

R.         C’est le brevet canadien.

 

Q.        Page huit du brevet canadien, tableau III.

 

R.         Désolé, pouvez‑vous répéter la page?

 

Q.        Page huit.

 

R.         Merci. Oui, c’est exact.

 

Q.        Vous avez donc été en mesure de faire en sorte que le maléate fonctionne dans la formulation appelée FID 0650, et, quand vous avez adopté le bésylate, vous pouviez laisser tomber le maléate, le remplacer par le bésylate, et cela a fonctionné avec le bésylate, c’est exact?

 

R.         Oui.

 

Q.        Donc, quel qu’ait été le problème d’adhérence lié au maléate et celui lié au bésylate, tous deux ont été réglés grâce à l’utilisation de la FID 0650?

 

R.         Oui.

 

[67]           Étant donné les problèmes, en particulier ceux ayant trait à la stabilité, liés à la formation de composés non désirés, M. Wells faisait deux propositions, dans une note datée du 24 avril 1984 (pièce 1, document 48). Premièrement, il proposait de passer à une forme anhydre de l’un des excipients, Emcompress, et deuxièmement, de laisser tomber le maléate de l’amlodipine pour adopter la « base libre », c’est-à-dire l’amlodipine seule, ou le sel acétique. M. Wells proposait certains sels d’amlodipine possibles ainsi que la « base », comme le montre le tableau 3 de cette note :

 

[68]           M. Wells a fourni les réponses suivantes pendant son interrogatoire principal, qui se trouve aux pages 154 à 157 du volume 1, concernant les raisons pour lesquelles il a sélectionné les divers sels :

[traduction]

Q.              Maintenant, examinons les diverses entrées de la liste qui figure au tableau III; pouvez-vous simplement passer en revue chacun des sels et expliquer pourquoi ils s’y trouvent?

 

R.               Bien sûr. Retournons à l’étape précédente. J’avais soumis l’hypothèse selon laquelle nous devrions passer à la base libre pour la raison que j’ai donnée, c’est-à-dire parce que cette substance en vrac était disponible et qu’elle l’était avant la conversion en sel. La base libre est donc sur cette liste parce qu’elle était disponible. Je sais, grâce à l’enseignement et à ma propre expérience, que les médicaments sont plus efficaces sous forme de sels.

 

Q.              Pourquoi sont-ils plus efficaces sous forme de sels?

 

R.               Parce que A) ils sont plus solubles. Il est reconnu que les médicaments sont insolubles avant d’être convertis en sel. Deuxièmement, et curieusement, et cela s’est produit dans le cas de l’amlodipine, le fait de transformer le médicament en sel le rend en fait plus pur. Lorsqu’on le convertit en sel, l’acide le nettoie.

 

                  Plus tard, nous avons découvert qu’en fait, c’était le contraire avec l’amlodipine, mais nous avons évidemment étudié la base. Si nous allons à la fin de la liste, j’avais proposé l’acétate. J’avais une hypothèse.

                  Si vous connaissez les enseignements de Karl Popper, on parle d’une hypothèse de laboratoire. Mon hypothèse était que ce médicament n’aimait pas l’acide; j’allais donc tenter de réduire l’acidité. Par conséquent, j’ai soumis l’hypothèse selon laquelle nous devrions fabriquer l’acétate.

 

                  Qu’avons-nous découvert? Que mon hypothèse était complètement fausse.

 

Q.              En quoi était-elle fausse?

 

A.               Parce que l’acétate était incroyablement instable. Je devais donc poursuivre et réfléchir à d’autres possibilités, tenter de trouver une explication et de résoudre le problème.

 

                  Donc, si nous allons ensuite au haut de la liste, le chlorhydrate ne correspond absolument pas à mon hypothèse, parce que je disais que nous ne voulions pas d’acides forts.

 

                  Cependant, puisque l’acétate n’avait pas permis de confirmer mon hypothèse initiale, il était inutile de poursuivre avec le chlorhydrate pour une autre raison solide. Il s’agit du sel médicamenteux le plus populaire et le plus commun. Soixante-trois pour cent des médicaments actuellement sur le marché — si ma mémoire est bonne — 63 % des médicaments sont des chlorhydrates.

 

                  Le méthane sulfonate est lui aussi un acide fort. Le benzène sulfonate, en parcourant la liste du haut vers le bas; moins 6,1 pour le chlorhydrate en fait un acide très fort. Ce que j’ai cherché à faire, c’était de fabriquer des sels avec un éventail de pKa. Nous avons donc, en consultant des textes standard, sélectionné divers sels afin d’utiliser des sels de moins en moins  acides. C’est un des aspects. Donc, si on regarde, il y a moins 6,1, moins 1,2, puis plus 0,69 et ainsi de suite. Et également, j’essayais d’inclure — nous appelons ça des groupes de grappe — la notion selon laquelle nous devrions également étudier un produit candidat satisfaisant provenant de chaque groupe.

 

                  Donc, par exemple, le chlorhydrate est un acide inorganique. Le méthane sulfonate et le benzène sulfonate sont des acides sulfoniques. Les maléates, que nous avions déjà étudiés, sont des acides dicarboxyliques. Le lactate est un acide trihydroxie. Nous ne pouvions en fabriquer; il s’agit donc d’une liste de formes possibles de sels. Nous n’avons jamais été capables de fabriquer du lactate.

 

                  Le succinate est un acide dicarboxylique. L’acétate est un acide monocarboxylique. On choisit donc des exemples des diverses structures chimiques qui présentent divers pKa parce qu’ils déterminent — les pKa décident du pH de la solution qui se forme à la surface des cristaux, s’il y a un problème d’hygroscopicité. S’il y a de l’eau sur la surface du cristal, c’est comme la condensation sur une fenêtre un jour d’hiver. Cette pellicule d’humidité sera une solution saturée du médicament, et c’est pourquoi la saturation du pH a été mesurée.

 

                  Tout ceci est donc censé être rationnel, c’est-à-dire que j’utilise un éventail d’acidités et de structures.

 

Q.              Aviez-vous des attentes concernant le comportement de l’un ou l’autre de ces sels comme solution de remplacement aux maléates?

 

R.               Je pense que la meilleure façon de le dire est que j’« espérais » qu’ils produiraient des sels. Et j’espérais que l’un d’entre eux serait acceptable, mais — mais, si nous avions découvert qu’aucun d’entre eux ne produisait quelque chose d’utilisable d’un point de vue commercial, j’aurais dit : D’accord, supposons — simplement pour donner un exemple précis — supposons que le chlorhydrate s’était avéré être le meilleur de ce groupe, mais n’était pas assez bon pour nous permettre d’atteindre notre but, du fait qu’il s’agit d’un acide inorganique, j’aurais demandé au service de recherche et développement de me fabriquer d’autres acides inorganiques, comme de l’acide sulfurique, de l’acide nitrique et du solvant.

 

 

[69]           M. Wells a eu une discussion avec un scientifique chevronné, au service de recherche et de développement de Pfizer, qui l’a informé du fait que l’acide benzène-sulfonique disponible dans le commerce n’était pas de très bonne qualité. En conséquence, cette personne a fabriqué un autre composé formant un sel, le tosylate. Finalement, Pfizer a fabriqué l’acide benzène-sulfonique au lieu d’acheter le produit commercial (Wells, interrogatoire principal, volume 1, p. 158 et 159).

 

[70]           Peu après que M. Wells eut présenté sa note du 24 avril 1984, des cadres supérieurs de Pfizer ont déterminé qu’il fallait donner pour consigne à M. Wells de trouver un autre sel pour remplacer le maléate (Wells, interrogatoire principal, volume 1, p. 161 et 162).

 

[71]           Comme on lui avait donné la directive de trouver d’autres sels, M. Wells a établi quatre critères, notamment la solubilité, la stabilité, l’hygroscopicité et la transformabilité. Au cours de son interrogatoire principal (volume 1, p. 166), il a affirmé ce qui suit :

[traduction]

Q.              Après que M. Davidson vous a fait savoir qu’il acceptait votre recommandation visant à étudier d’autres solutions, êtes‑vous parvenu à établir des critères en fonction desquels vous évalueriez les solutions de remplacement possibles du maléate?

 

R.         Oui, de par ma formation, je savais qu’il y avait certains problèmes liés à la qualité des produits pharmaceutiques en vrac. Le problème, c’est ce qui se passe après – en fait, j’ai présenté plusieurs fois un exposé sur ce que j’appelle « les trois S », qui sont la solubilité, la stabilité et les sels. Et c’est le principe essentiel de ce que nous tentons de faire. 

 

            Bien sûr, il y a d’autres propriétés, et ce sont celles que nous avons signalées.

 

Q.        Quelles étaient‑elles?

 

R.         Eh bien, nous avons examiné la solubilité. Nous avons analysé l’hygroscopicité. Dans une large mesure, l’hygroscopicité détermine la stabilité du médicament. Et l’étape finale consiste à pouvoir faire en sorte que le médicament fonctionne dans un milieu de production selon une forme galénique établie. Il faut pouvoir transformer le matériau.

 

[72]           M. Wells a expliqué l’importance que la solubilité avait pour lui dans l’interrogatoire principal, à la page 167 du volume 1 : 

[traduction]

Q.              Donc, pourquoi la solubilité est‑elle importante?

 

R.         Parce que tous les médicaments doivent être absorbés dans une solution, et il y a une règle de base simple qui a été décrite il y a longtemps par un dénommé Caplan, qui, essentiellement, après avoir examiné la littérature à ce sujet, a établi que tant que la solubilité d’un médicament est supérieure à environ un milligramme par ml dans les limites physiologiques, et que son pH est de un à sept, le médicament sera bien absorbé. Nous en sommes revenus à l’idée de biodisponibilité dont nous avons parlé en même temps que de l’injection parentérale.

 

[73]           Des mesures de solubilité étaient effectuées dans les laboratoires de la Pfizer et, de plus, les résultats de la mesure de la solubilité aqueuse de divers sels ont été fournis dans un rapport daté du 11 octobre 1984 (pièce 1, document 64); voici le tableau contenant ces données :

Tableau 1 : Solubilité aqueuse, à 37 ºC, de certains sels du composé « UK‑48,340 

 

 

 

SEL

 

SOLUBILITÉ

(mg/mL)

 

pH

 

Maléate

4,5

4,8

Benzènesulfonate

3,6

4,5

Toluènesulfonate

 

 

Méthanesulfonate

> 25

3,1

Succinate

4,4

4,9

Salicylate

1,0

7

Acétate

> 50

6,6

Chlorhydrate

 

 

 

 

[74]           Ce tableau correspond au tableau 1 du brevet 393, hormis l’absence des données sur le chlorhydrate et, ce qui est plus important, hormis le fait que le résultat relatif au benzène sulfonate dans le tableau ci‑dessus (3,6) diffère de celui divulgué dans le brevet (4,6) à un pH de 6,6, ce qui est plus favorable au benzène sulfonate. Ni M. Wells ni M. Davison n’ont pu expliquer clairement cette différence. Au mieux, on a mentionné une note du 18 septembre 1985 adressée à M. Davidson par M. Davison (pièce 1, document 103) qui contient un graphique (figure 1) montrant la solubilité du bésylate d’amlodipine dans une solution saline à 0,9 %, qui peut être interprétée comme donnant un résultat de 4,6 à un pH de 6,6. Rien ne prouve clairement que c’est vraiment de là que provient ce chiffre; c’est simplement le seul endroit dans la preuve où on le retrouve. On a fait beaucoup de cas des différences de solubilité des sels dans l’eau et dans une solution saline, tant dans les témoignages que dans l’argumentation.

 

[75]           En ce qui concerne le critère suivant de M. Well, l’hygroscopicité, celui-ci a affirmé ce qui suit, au cours de son interrogatoire principal (volume 1, pages 167 et 168) :

[traduction]

Q.              Vous avez mentionné l’hygroscopicité; en quoi est‑ce important?

 

R.               Je pense avoir mentionné l’idée de la condensation sur de la vitre froide, cette pellicule de liquide. L’hygroscopicité, c’est l’idée que, selon le climat, l’eau s’associera ou se dissociera de la surface de certaines matières. Nous décrivions les matières qui font condenser l’eau (par analogie, la vitre) comme étant hygroscopiques. Cette eau sur la surface va dissoudre le médicament, et le médicament dans la solution va se dégrader.  

 

                  Si on revient sur certains éléments de preuve que nous avons déjà examinés, le maléate d’amlodipine sous forme de médicament en vrac était stable. Pourquoi? Parce qu’il est non  hygroscopique et qu’il n’y avait aucune humidité agissant comme un vecteur pour favoriser la dégradation; mais, dès que nous avons commencé à ajouter des excipients, qui eux‑mêmes contenaient de l’humidité, les problèmes ont commencé. 

 

Q.              Comment le problème se manifeste‑t‑il?

 

R.               Nous observons une dégradation parce que l’humidité associée à la surface du cristal permet au procédé de générer cette dégradation.

 

[76]           Dans les témoignages, on a fait beaucoup de cas de ce que signifiait le terme « hygroscopicité » ou ce qu’il signifiait au milieu des années 60, et on a tenté d’établir si ce phénomène posait réellement un problème. On s’entend généralement pour dire que la présence d’eau « libre » ou « non liée » peut poser problème. Le débat tourne autour de la question qui consiste à déterminer si l’eau « liée », c’est‑à‑dire l’eau qui est combinée à l’intérieur de la structure maillée en cristaux d’un composé de manière à devenir un « hydrate », constitue un problème.

 

[77]           Lorsqu’il s’agit d’examiner ce que les inventeurs pensaient ou ont fait, le débat scientifique n’a pas d’importance. À ce point de l’examen des éléments de preuve, nous nous préoccupons uniquement de ce que les inventeurs pensaient et ont fait. Ils pensaient que l’eau (y compris les hydrates) constituait un problème et que les sels qui étaient des hydrates ou qui pourraient former des hydrates devaient être évités. Ils croyaient, du moins au début, que le bésylate n’était pas un hydrate.

 

[78]           Ainsi, le mésylate a finalement été rejeté par M. Wells parce qu’il formait un hydrate. Dans la note qu’il a adressée le 25 novembre à M. Wood (pièce 1, document 111), il a affirmé ce qui suit :

[traduction]

Le mésylate mérite probablement également d’être protégé puisque ses propriétés au chapitre de la stabilité et de la transformabilité sont excellentes. Toutefois, il est isolé sous forme anhydre et, exposé à l’humidité, il se transforme rapidement en monohydrate. En revanche, le bésylate et le tosylate sont non hygroscopiques et anhydres.

 

[79]           Quand on lui a posé des questions à ce sujet au cours de son interrogatoire principal, M. Wells a affirmé ce qui suit (volume 1, pages 190 et 191) :

[traduction]

R.               J’ai un préjugé inhérent contre les hydrates parce qu’ils ont toujours la capacité de se déshydrater dans les conditions de fabrication et ainsi de suite. 

 

                  Nous avions récemment éprouvé certains problèmes relativement au fluconazole, qui était mis au point en parallèle, et les capsules avaient vraiment de la difficulté à libérer le médicament. Et c’était en raison de la variabilité des concentrations d’hydrate. 

 

                  J’étais donc d’avis que nous devions éviter les hydrates, et j’étais parfaitement bien placé à cet égard parce que le bésylate ne formait pas un hydrate à l’état sec et était complètement insensible à l’humidité, de sorte qu’il était complètement non hygroscopique. J’ai donc fait ressortir que, puisque nous cherchions le meilleur équilibre sur le plan des propriétés, le bésylate se démarquait parce qu’il était insensible à l’eau.  

 

Q.              Et vous avez mentionné que – vous avez mentionné que l’eau pouvait être libérée dans les conditions de la fabrication. Quelles sont ces conditions?

 

R.               Parce qu’on expose – on expose le médicament à d’autres matières. Autrement dit, les excipients qui donnent la forme galénique à proprement parler; il est vrai que, par exemple, si nous revenons au phosphate de calcium, dont nous avons déjà parlé, le phosphate de calcium dihydraté est un hydrate stable, mais, voilà, à 37 ºC, de l’eau est sécrétée et cause de gros problèmes.  

                  Donc, vous comprenez, nous devons reconnaître que cela n’est pas prévisible non plus, mais que, même si on parle de monohydrates stables, de dihydrates stables, d’heptahydrates stables, de décahydrates et ainsi de suite, ils sont capables de former des efflorescences et de modifier leur état. Il m’a semblé que la façon la plus sûre d’aller de l’avant était de choisir une forme du médicament qui ne présentait pas cette possibilité.

 

 

[80]           En ce qui concerne le critère suivant, celui de la stabilité, M. Wells a affirmé ce qui suit (interrogatoire principal, volume 1, page 168) : 

[traduction]

Q.              Et vous avez mentionné la stabilité?

 

R.               Nous devons fournir des médicaments de qualité dont l’apparence de la dégradation ne devrait pas excéder cinq pour cent sur une période habituellement de trois ans.

 

Q.              Pourquoi?

 

R.               Parce que nous voulons que le patient obtienne un médicament qui est de bonne qualité tout au long de sa durée de conservation. Étant donné la chaîne d’approvisionnement que suppose la distribution de médicaments à partir de la fabrication jusqu’au patient, il faut que le médicament ait une durée habituelle de conservation de trois ans.

 

[81]           M. Platt, dont le travail à l’époque pour Pfizer consistait à analyser les produits médicamenteux possibles, notamment leur stabilité, a envoyé à son superviseur, M. Wadsworth, une note datée du 3 mai 1984 présentant l’état actuel des études de stabilité portant sur le maléate d’amlodipine (UK‑48,340‑11), ainsi que sur la « base libre ». Il a indiqué que des « sels de remplacement » seraient étudiés à mesure qu’ils seraient disponibles (pièce 1, document 50). Il a ajouté que des études de stabilité menées à une température élevée (75 ºC) pendant une courte période (11 jours) pourraient fournir de l’information utile; toutefois, une étude plus réaliste à 50 ºC et 37 ºC, avec des points de contrôle à 6 semaines et à 12 semaines, devait être menée avant que l’on puisse parvenir à des conclusions fermes. Le but ultime était de produire des comprimés dont la stabilité serait satisfaisante pendant au moins deux ans à 30 ºC, préférablement à 37 ºC (la température du corps). Dans cette note, il mentionne un composé appelé UK‑57,259, qu’on retrouve dans le maléate d’amlodipine comme le composé formé par RAM au moment de la dégradation pendant les études de stabilité.

 

[82]           M. Pettman avait pour tâche de préparer un certain nombre de sels d’amlodipine de remplacement. La description de ces sels fait partie d’une note rédigée, entre autres, par M. Pettman et adressée à M. Edinberry, laquelle se retrouve dans  un rapport trimestriel daté d’août 1984 (pièce 1, document 57). Voici la liste des sels en question :

UK-48,340                  (Acétate)

UK-48,340-24             (Succinate)

UK-340-27                  (Méthanesulfonate)

UK-340-26                  (Benzènesulfonate)

UK-48-340-AB            (Salicylate)     

UK-48-340-01             (Chlorhydrate)

UK-49[sic];340-15     (p. toluènesulfonate tosylate)

 

[83]           La préparation de ces sels a eu lieu entre avril et octobre 1984 et semble s’être déroulée rapidement et selon les procédés habituels, sauf dans le cas du chlorhydrate, qu’il a fallu purifier davantage; il a été en mesure de fabriquer la plupart des sels en un jour ou deux (Pettman, interrogatoire principal, volume 4, pages 154 à 163). L’acide benzène-sulfonique utilisé s’est révélé trop foncé et adhérent, mais comme il s’agissait du seul lot disponible, il a été utilisé. Par la suite, un lot commercial d’acide benzène-sulfonique provenant d’un fournisseur (Aldrich), qui était pur à 90 %, a été utilisé pour fabriquer un autre lot de sels de bésylate (Pettman, interrogatoire principal, volume 4, pages 163 à 169). M. Pettman n’a pas été en mesure de fabriquer un benzoate; seule une chose décrite comme une « huile » a été obtenue (Pettman, interrogatoire principal, volume 4, pages 169‑171). Plus tard, M. Pettman a rédigé à l’intention de M. Wells une note datée du 26 février 1986 (pièce 1, document 124) qui résume son travail, apparemment aux fins de brevetage. Il s’agit de l’unique participation de M. Pettman au processus de brevetage (Pettman, interrogatoire principal, volume 4, page 176).

 

[84]           Certains documents ultérieurs mentionnent un napsylate qui a fait l’objet de quelques essais (pièce 1, document 75, page 8 et pièce 6). Le 29 novembre 1985, M. Davison a fait des essais sur quatre sels (le bésylate, le mésylate, le tosylate et le napsylate); il tentait, semble‑t‑il, de valider la sélection du bésylate (contre‑interrogatoire, volume 4, pages 59 et 60). Le brevet 393 ne fait aucune mention du napsylate, omission qui n’aurait pas été recommandée par l’agent de brevets, M. Moore, s’il avait été mis au courant (contre‑interrogatoire, volume 12, page 113).

 

[85]           M. Platt a procédé à la mise à l’essai de plusieurs de ces sels de l’amlodipine au cours de la période allant d’avril à octobre 1984 environ. Ces essais ont pris la forme d’études de stabilité dans le cadre desquelles les sels de l’amlodipine ont été formulés avec quatre mélanges de solutions différents, puis comprimés sous forme de cachets, appelés « compacts », ou réduits en poudre comme celle qu’on utiliserait dans des capsules. Les compacts ont été formulés de la façon suivante :

1.                  Mannitol          /           Amidon de maïs séché

2.                  Avicel              /           Amidon 1500

3.                  Avicel              /           Emcompress

4.                  Avicel              /           Phosphate dicalcique anhydre

 

[86]           Au départ, cinq formes salines ont été mises à l’essai pendant cinq jours, à 75 ºC. M. Platt a formulé la conclusion suivante dans une note manuscrite adressée à M. Davison et datée du 15 juin 1984 (pièce 1, document 53) : 

[traduction]

Dans toutes les formulations, le benzène sulfonate était clairement supérieur au maléate en ce qui a trait à l’absence de l’UK‑57,265 et à la réduction des produits de dégradation inconnus au‑desssus de la bande principale. 

 

Par contre, le sel acétique est bien pire que le maléate en ce qui a trait à l’intensité des produits de dégradation inconnus.

 

Le succinate et le mésylate ont certains avantages par rapport au maléate dans les formulations A, B et D, mais ils sont inférieurs dans la formulation C.  

 

Recommandation

 

On devrait aller de l’avant avec le benzène sulfonate dans une nouvelle étude où il serait comparé au maléate sous forme de compacts dans les quatre formulations susmentionnées. L’étude devrait se dérouler sur au moins 12 semaines, et les compacts devraient être entreposés à 4 ºC, 37 ºC et 50 ºC.

 

Le sel acétique comporte des inconvénients évidents et devrait être abandonné.

 

. . .

 

 

[87]           Plus tard en 1984, M. Platt a mené d’autres essais. Dans une note manuscrite datée du 1er août 1984 (pièce 1, document 58) adressée à M. Wells, il a écrit notamment ce qui suit :

[traduction]

Conclusions

 

Le benzène sulfonate est supérieur au maléate dans les quatre formulations. La seule dégradation significative du benzène sulfonate s’est produite dans la formulation C.  

 

Le succinate et le mésylate sont équivalents et supérieurs au maléate dans les formulations A, B et D. Le mésylate est toujours supérieur dans la formation C, mais le succinate est seulement un peu inférieur au maléate dans cette formulation. Il s’agit de résultats contraires à ceux obtenus après cinq jours à 75 ºC, où le mésylate était la forme saline la plus instable dans la formulation C, quand tous les sels étaient utilisés sous forme de compacts. 

 

Une comparaison directe des maléates entreposés sous forme de mélanges et de compacts montre que, en général, les compacts présentent un problème de stabilité plus grave pour ce qui est de l’UK‑48,340. Aucun nouveau produit de dégradation ne s’est formé, mais l’intensité de ceux qui avaient été produits a augmenté. Toutefois, il y a un produit de dégradation précis qui est plus intense dans le mélange. Cela peut s’expliquer par le fait qu’il représente un produit de dégradation intermédiaire qui est concentré dans le mélange, mais qui subit d’autres réactions dans le compact. Par conséquent, je recommanderais que, si les ressources sont disponibles, d’autres études sur la compatibilité de ce composé soient effectuées en utilisant des compacts. 

 

Il est difficile de comparer directement le benzène sulfonate au succinate et au mysélate en raison des différences possibles entre les compacts et les mélanges. Cependant, en me fondant sur les profils de dégradation observés au point de contrôle de la troisième semaine, je m’attendrais à ce qu’ils soient généralement comparables.

 

Les échantillons du point de contrôle de la sixième semaine sont maintenant disponibles pour la mise à l’essai. Je donne la priorité aux lots d’essais de stabilité formelle sur les comprimés de phosphate dicalcique anhydre et ne prévois pas être en mesure de mettre les autres sels à l’essai avant la semaine du 13 août.

 

[88]           Dans une note manuscrite datée du 9 octobre 1994 (pièce 1, document 63), adressée à M. Wells, M. Platt a écrit ce qui suit : 

[traduction]

Études de compatibilité

 

Les premières expériences comparaient la stabilité du maléate UK‑48,340 à celle de la base libre UK‑48,340 sous forme de capsules et de comprimés. Les mélanges ont été préparés et comprimés en disques pour simuler le milieu propre aux comprimés. Les compacts qui avaient été entreposés à 50 ºC ont été évalués sur une période de 12 semaines, et il est devenu évident que, même si aucun UK‑57,269 ne pouvait être formé dans les formulations de base libre, la concentration des produits inconnus avait augmenté de façon significative. La base libre UK‑47,340 ne constitue donc pas un produit de remplacement convenable pour le maléate.

 

On a fabriqué de petits lots de sel acétique, de benzène sulfonate, de succinate et de mésylate, et on les a comparés au maléate de la manière décrite relativement à la base libre. Après cinq jours à 75 ºC, le sel acétique était inférieur au maléate dans toutes les formulations et a été éliminé de l’étude. Les sels restants ont été conservés jusqu’au point de contrôle de la 12e semaine, où le benzène sulfonate a affiché un profil de stabilité grandement amélioré par rapport au maléate dans tous les cas. Le mésylate n’était que légèrement inférieur au benzène sulfonate, alors que le succinate était supérieur au maléate dans trois formulations et lui était inférieur dans une seule. 

 

D’autres formes salines ont fait l’objet d’analyses poussées dans le cadre desquelles on a utilisé des lots beaucoup plus gros de médicament en vrac (de 100 à 200 g). Les sels suivants, soit le maléate, le benzène sulfonate, le tosylate, le chlorhydrate et le salicylate, ont été comparés dans trois mélanges de formulation. Après deux semaines à 75 ºC et trois semaines à 50 ºC, le benzène sulfonate a montré un avantage manifeste par rapport aux autres sels. Le tosylate était supérieur au maléate, alors que le salicylate n’était pas mieux et que le chlorhydrate était bien pire que le maléate. 

 

L’ordre des formes salines qui suivent a été déterminé après comparaison du comportement de chaque sel dans toutes les formulations.

 

Benzène sulfonate<mésylate/tosylate< succinate<salicylate/maléate <acétate<< chlorhydrate

 

Conclusions

 

Les sels de l’acide sulfonique UK‑48,340 sont clairement supérieurs à tous les autres sels examinés dans le cadre des études de compatibilité menées à ce jour. Parmi ces sels, c’est le benzène sulfonate qui a subi la dégradation la moins importante dans les formulations et sous forme de médicament en vrac. 

 

Il y a certaines indications selon lesquelles la qualité du médicament en vrac peut avoir une incidence sur la stabilité de la substance médicamenteuse et de ses formulations. Cependant, cet effet a été minime en ce qui concerne le benzène sulfonate.

 

Ce sel présente un avantage manifeste par rapport au maléate du fait que l’UK‑57,259 ne peut être formé.

 

[89]           M. Platt a mené d’autres études avec quatre sels, soit le benzène sulfonate, le tosylate, le salicylate et le chlorhydrate. Cela a produit trois mélanges différents désignés par les lettres A, C et D. Les essais ont été menés à 50 ºC et à 75 ºC et un échantillonnage à été effectué à six semaines. Les mélanges étaient les suivants :

Mélange A

Mélange B

Mélange D

Mannitol

Avical PH102

Avical PH102

Amidon de maïs séché

Emcompress

Phosphate dicalcique anhydre

Lubrifiant 9.1

Explotab

Explotab

 

Stéarate de magn.

Stéarate de magn.

 

[90]           Dans une note manuscrite datée du 20 octobre 1984 et adressée à M. Wells, M. Platt a rendu compte de ses observations (pièce 1, document 66). À 50 ºC, après six semaines, il n’y avait pour tous les sels qu’une dégradation mineure dans les formulations A et D; la formule C était la moins stable. À 75 ºC, après six semaines, le degré de dégradation de toutes les formulations avait augmenté. Il a présenté la performance relative des sels de la façon suivante : 

[traduction]

L’ordre des sels suivant a été déterminé en fonction de leur performance dans toutes les formulations :

 

Benzène sulphonate

↓          Augmentation de la dégradation           

 

Tosylate

Salicylate

Maléate

Chlorhydrate

 

[91]           J’estime que le graphique préparé par l’avocat de Pfizer concernant ces essais de stabilité est exact, et je fais remarquer que les sels mis à l’essai étaient tous mélangés à des excipients dans certaines formulations :

[omis]

 

[92]           Il convient de noter la nature des essais réalisés par M. Platt, lesquels reposent sur la technique de chromatographie sur couche mince (CCM). La technique consiste à utiliser une plaque de verre enduite d’une matière à base de silice. De petits échantillons de la substance à analyser sont déposés dans des « puits » situés le long du bord inférieur de la plaque et un courant électrique est ensuite appliqué. Les échantillons migrent dans le gel sous l’effet du courant électrique. Les composés de nature différente présents dans un échantillon se déplacent à différentes vitesses et sont, par conséquent, séparés et forment des taches particulières qui permettent de les distinguer visuellement. Après une période déterminée, le courant est interrompu et on effectue l’examen visuel des plaques. Une photographie Polaroid de la plaque est ensuite réalisée. Selon la description de M. Atwood, les résultats d’un tel essai sont, au mieux, semi‑quantitatifs. La technique ne peut fournir de résultats quantitatifs (parfois appelés résultats absolus); les résultats peuvent être utilisés, au mieux, aux fins de comparaison.


L’illustration suivante (tirée de la pièce 1 du document 131) constitue un exemple des résultats qu’une personne qui exécute les essais peut observer « à l’œil nu » :

 

 

[93]           En 1990, on a demandé à M. Platt de revoir le travail qu’il avait fait en 1984, apparemment pour une demande de brevet en instance au Japon. Son examen et ses conclusions sont présentés dans une note à M. Davidson datée du 23 mars 1990 (pièce 1, document 154). Dans le cadre de son examen, il a signalé que ses essais de 1984 avaient été menés sur diverses formulations de trois sels, soit le bésylate, le tosylate et le mésylate. En 1990, il a été en mesure de réexaminer certains lots du tosylate et du mésylate hydraté, alors que d’autres lots de ces sels étaient trop dégradés. Aucune dégradation significative des échantillons de bésylate n’a été observée. M. Platt a remarqué des variations des divers sels, d’un lot à un autre. Il a conclu que le bésylate et une des formulations du tosylate étaient à peu près équivalents, que, dans une des formulations, il n’y avait aucune différence significative entre le bésylate et le mésylate et que, dans une autre formulation, selon les points de contrôle, la place du bésylate et celle du tosylate étaient inversées au chapitre de la dégradation. Il a notamment dit ce qui suit :

[traduction]

J’ai examiné les photographies originales de la CCM (1984) accumulées durant le travail de sélection d’un sel de remplacement pour l’amlodipine. À ce moment‑là, le travail visait principalement à montrer des améliorations par rapport au maléate plutôt qu’à faire des comparaisons directes avec les sels d’acide sulfonique. Toutefois, les conclusions suivantes peuvent être tirées de la dégradation observée par CCM.

 

A)        Stabilité des sels en vrac

 

Le bésylate, le mésylate et le tosylate (entre autres) ont été examinés après avoir été entreposés pendant 16 heures à 105 ºC. Les lots examinés étaient les suivants :

 

            Bésylate :         R1 et 251PD356/1

            Tosylate :        R1 et 261PD67/1

            Mésylate :        251PD 357/1

 

Aucune dégradation significative n’a été observée dans l’un ou l’autre des échantillons de bésylate. Le lot R1 du tosylate n’affichait également aucune dégradation, mais l’échantillon de laboratoire, lui, s’est dégradé. L’échantillon de laboratoire du mésylate affichait une dégradation importante. Voici l’ordre de dégradation, de la plus faible à la plus importante :

 

bésylates = tosylate R1 < tosylate du labo < mésylate du labo

 

 

B)         Processus de sélection d’une formulation – 1

 

Le bésylate et le mésylate (entre autres) ont été examinés sous forme de mélanges de type compact dans quatre formulations différentes. Les compacts ont été examinés par CCM après cinq jours à 75 ºC et après trois, six et douze semaines à 50 ºC. Au premier point de contrôle, le mésylate était pire que le bésylate dans l’une des formulations, mais il était pareil dans les autres trois. À tous les points de contrôle suivants, il n’y a eu aucune différence significative entre les deux sels dans l’une ou l’autre des formulations.

 


C)        Processus de sélection d’une formulation – 2

 

Le bésylate et le tosylate ont été examinés sous forme de mélanges de type compact dans trois formulations différentes. Les formulations étaient les mêmes que celles utilisées au point B) ci‑dessus. Les compacts ont été examinés par CCM après six jours, 13 jours et six semaines à 75 ºC et après trois et six semaines à 50 ºC.

 

Après six jours à 75 ºC, il n’y avait aucune différence significative entre les deux sels dans deux des trois formulations. Le tosylate était plus stable que le bésylate dans la troisième formulation. Après 13 jours à 7 ºC, le tosylate était toujours meilleur dans une formulation mais, à ce moment, il était pire dans les deux autres formulations. À des points de contrôle ultérieurs, le tosylate affichait une dégradation plus importante que les bésylates dans les trois formulations.

 

[. . .]

 

Nous avons réexaminé les échantillons des sels de remplacement qui avaient été préparés pour l’exercice mentionné ci-dessus. Chaque sel a fait l’objet d’un examen par CCM par rapport au R32 du bésylate d’amlodipine. Les lots examinés étaient les suivants :

 

            Tosylate :        R1 et 261PD67/1

Mésylate :        261PD205/1, 251PD357/1 et 261PD217/M/1 (monohydrate)

 

De ces sels, seuls le lot R1 du tosylate et le mésylate hydraté sont convenables pour la suite des travaux. Dans les autres lots, il y a une quantité importante d’impuretés, ce qui peut indiquer que les échantillons se sont dégradés à l’entreposage. Même si les résultats obtenus sont encourageants, aux fins de nos études, la dégradation observée montre qu’il y a des variations entre les lots sur le plan de la stabilité pour la même forme saline.

 


[94]           Le dernier critère de M. Wells était la transformabilité, c’est‑à‑dire : pouvait‑on fabriquer des comprimés sans se heurter à des difficultés importantes, comme l’adhérence apparente du maléate? M. Wells a dit ce qui suit (interrogatoire principal, volume 1, p. 168 et 169) :

[traduction]

Q.              Et je crois que le critère final que vous avez mentionné était la transformabilité ou la transformation?

 

R.               Certainement. À un certain point pendant la synthèse du sel, le service de recherche et développement allait devoir le broyer. On avait toutes les raisons de croire que, s’il était collant, il adhérerait au broyeur. C’était donc le premier problème. Et nous avions déjà fait face à certains problèmes liés au broyage, même à la R et D pharmaceutique. Le fait que nous exposons les médicaments à un grand stress — et, pendant, le processus de compression, on expose la matière à une pression de deux tonnes généralement. Il s’agit d’un processus assez catastrophique. Nous obtenons ce qu’on désigne comme la « fusion responsable de la sphéricité ». Je veux dire que, même si le point de fusion du cristal est assez élevé, sous une pression extrême, ce point de fusion diminue. Et, en raison du processus de fusion, il est probable qu’il y ait de l’adhérence parce que la matière devient plastique et non cristalline et abrasive; il faut donc exclure cette possibilité.

 

[95]           Dans les témoignages, on a beaucoup parlé des analyses poussées portant sur l’adhérence de divers sels candidats. M. Wells et M. Davison ont discuté d’un essai effectué à l’aide d’une presse à comprimer alternative de laboratoire, dans le cadre duquel un certain nombre de comprimés ont été fabriqués à partir d’une poudre contenant divers sels et d’autres excipients. Ensuite, 10, 20, 30, 40 et 50 comprimés ont été faits à la fois à l’aide d’une machine à comprimer alternative. On a démonté la machine à comprimer et on a dissous et pesé la matière qui avait adhéré. Le résultat obtenu sert à mesurer l’adhérence. Plus le poids est grand, plus il y a de matière qui a collé. M. Wells a préparé un graphique pour présenter certains des sels et le poids de la matière adhérente, graphique qui figure dans son rapport du 11 octobre 1984 (pièce 1, document 64). À partir de ce graphique, M. Wells a dessiné une courbe, c’est‑à‑dire qu’il a obtenu un nombre à partir de la position du point de données aux axes horizontal et vertical; ce nombre peut servir à comparer les divers sels. D’après le contre‑interrogatoire de M. Wells, volume 2, pages 162 à 166, et ses réponses aux questions de la Cour figurant aux pages 186 à 189 du volume 2, il est clair qu’il a seulement dessiné une ligne approximative qui touche certains de ces points, mais pas tous, et qu’il a exclu les données correspondant aux 50 comprimés. Il est peu probable que ce graphique ait constitué le fondement des données présentées au tableau 2 du brevet 393 (Davison, contre‑interrogatoire, volume 4, pages 73‑77).

 

[96]            De plus, à la page 5 du brevet 393, on parle de la fabrication de 100, 150, 200, 250 et 300 comprimés à la fois. M. Wells a reconnu que ses données n’avaient pas été générées à partir de la fabrication d’un aussi grand nombre de comprimés. Il a dit que le brevet introduit une inexactitude en présentant ces chiffres (contre‑interrogatoire, volume 2, pages 181‑184). Voici le graphique de M. Wells :


[97]           M. Davison a procédé à un certain nombre d’expériences visant à déterminer l’adhérence. Elles sont décrites dans son rapport daté du 4 février 1985 (pièce 1, document 77). Un certain nombre de graphiques sont présentés, y compris la figure 1 ayant pour but de montrer si les essais sont fiables, c’est‑à‑dire reproductibles. Pour générer les données présentées à la figure 1, on a fabriqué le même jour plusieurs séries du même sel mélangé aux mêmes excipients, et les résultats ont été présentés sous forme de graphique. Dans son témoignage, M. Banker mentionne ces résultats à l’appui de son opinion selon laquelle les essais ne sont pas fiables. Voici ce que montre la figure 1 :

 

[98]           À la figure 7 du même rapport, M. Davison, avec les résultats des essais sur les séries de comprimés fabriqués à partir de divers sels mélangés aux mêmes excipients, a tracé un graphique. M. Davison dit avoir passé ces données dans un calculateur et avoir obtenu un nombre pour chaque sel, ce que représente la courbe (interrogatoire principal, volume 3, pages 116‑122). Dans son contre‑interrogatoire (volume 4, pages 73‑77), M. Davison était convaincu que les chiffres de la courbe figurant dans le brevet n’avaient pas été tirés du graphique de M. Wells. En ce qui concerne le fait que son propre graphique (figure 7) représente ou non les données utilisées pour ce qui est indiqué dans le brevet 393, la réponse de M. Davison est équivoque. Il ne peut dire si toutes les données ont été entrées dans l’ordinateur ou, si seulement quelques‑unes l’ont été, de quelles parties des données il s’agit (contre‑interrogatoire, volume 4, pages 85‑99). Il semble qu’il n’existe aucun cahier de notes ou autre dossier archivé concernant ce qui a été fait à cet égard (Davison, interrogatoire principal, volume 3, pages 22‑26). Dans son témoignage, M. Amidon a fait des calculs fondés sur la figure 7 et n’a pu obtenir les chiffres figurant dans le brevet 393. Voici la figure 7 :

 

[99]           En octobre 1984, il semble qu’on ait demandé que d’autres travaux portant sur le maléate (UK‑48,340‑11) soient effectués. Dans une note datée du 9 octobre 1984 et adressée à M. Wells (pièce 1, document 63), M. Platt a résumé le travail qu’il avait fait jusque‑là en déclarant, entre autres choses, ce qui suit :

[traduction]

En raison de la demande impromptue de nouveaux travaux sur l’homogénéité et la stabilité de l’UK‑48,340‑11 dans la diète des rongeurs et de la proximité du programme de stabilité commerciale de la doxazosine, il n’était plus possible de prévoir du temps pour travailler sur des sels de remplacement de l’UK‑48,340 dans ce groupe de formes galéniques. 

 

Il est donc pertinent de récapituler l’information que nous avons accumulée jusqu’ici et, pour cette raison, de recommander la poursuite de la mise au point du benzène sulfonate de l’UK‑48,340.

 

[. . .]

 

Conclusions

 

Les sels de l’acide sulfonique de l’UK‑48,340 sont clairement supérieurs à tous les autres sels examinés dans le cadre des études de comptabilité menées jusqu’ici. Parmi ces sels, le benzène sulfonate a affiché la dégradation la moins importante dans les formulations et sous forme de médicament en vrac.

 

Il y a des indications selon lesquelles la qualité du médicament en vrac peut influer sur la stabilité de la substance médicamenteuse et de ses formulations. Toutefois, cet effet a été minime dans le cas du benzène sulfonate.

 

Le benzène sulfonate présente un avantage clair par rapport au maléate, puisque de l’UK‑57,259 ne peut être formé.

 

[100]       Dans sa note du 11 octobre 1984 adressée à M. Davidson (pièce 1, document 64), M. Wells résume la question à la première page : 

 

[traduction]

Dans une note précédente (de J.I. Wells à J.R. Davidson, 17.7.84), les arguments en faveur du fait d’abandonner le maléate pour adopter un autre sel ont été abordés. Il s’agit d’obtenir une amélioration importante sur le plan de la stabilité du médicament et de la robustesse des comprimés (l’adhérence du médicament, en particulier). 

 

Plusieurs formulations de comprimés ont été proposées, et Teresa Cutt a optimisé ces systèmes. Ed Davison a évalué la propension à l’adhérence et l’hygroscopicité de tous les sels d’intérêt potentiel (01, 11, 15, 24, 26, AB), et Robin Platt a évalué leur stabilité chimique dans des formulations de comprimés existantes et projetées. 

 

D’APRÈS LES DONNÉES OBTENUES JUSQU’ICI :

 

  (i)       NOUS DEVRIONS ALLER DE L’AVANT AVEC LE BENZÈNE SULFONATE (‑26)1

(ii)        IL Y A QUATRE FORMULATIONS DE COMPRIMÉS ACCEPTABLES. NOUS DEVRIONS FAIRE DES ESSAIS SUR DEUX SEULEMENT (UN PAR MASSE HUMIDE ET L’AUTRE PAR COMPRESSION DIRECTE).

 

[101]       Même si, comme on l’a déjà indiqué, des rapports ont été rédigés en février 1985, rien n’a vraiment évolué jusqu’en novembre 1985. Une note du 14 novembre 1985 adressée à M. Wells par Cutt et Dunsbee (pièce 1, document 106) résume le travail effectué sur le bésylate d’amlodipine dans sa formulation la plus récente.

 

[102]       Une note datée du 25 novembre 1985, envoyée à M. Wood par M. Wells (pièce 1, document 111), dite « note de synthèse aux fins du brevet », a été rédigée à la demande de M. Davidson afin que le service des brevets puisse procéder à la rédaction d’une demande de brevet. M. Wells reconnaît que ce document concernait à la fois le bésylate et le tosylate, et il ajoute que le mésylate méritait d’être protégé par brevet. Dans son témoignage au procès, M. Wells a dit que, personnellement, il préférait le bésylate seul (interrogatoire principal, volume 1, pages 185‑188). Cette préférence n’est pas mentionnée dans la note ni dans aucun autre document rédigé à la même époque.

 

[103]       La note de synthèse du 25 novembre a été décrite par M. Moore, agent de brevets pour  Pfizer à l’époque, comme le document qui constituait le fondement de la demande de brevet (volume 12, pages 93‑95). M. Moore a dit qu’il était inhabituel d’obtenir une description si complète et claire de l’invention dès le départ. Cette note énonçait notamment ce qui suit : 

[traduction]

RÉSUMÉ

 

Nous recommandons une demande de brevet afin de protéger les sels de l’UK‑48,340 appelés bésylate et tosylate parce qu’ils présentent les avantages suivants :

 

a)         une augmentation de la durée de conservation des formes galéniques solides en raison d’une amélioration de la stabilité du bésylate et du tosylate à l’état solide;

 

b)         une amélioration de la transformation en comprimés et en capsules parce que l’adhérence est considérablement réduite dans le cas du bésylate et du tosylate. Cela permet la fabrication à coût moindre des comprimés par compression directe, puisque, même si la méthode par masse humide réduit l’adhérence, elle compromet la stabilité. 

 

Le mésylate mérite probablement également d’être protégé, puisque sa stabilité et ses propriétés relatives à la transformation sont excellentes. Cependant, il est isolé sous forme anhydre et, une fois exposé à l’humidité, il se transforme rapidement en monohydrate. En revanche, le bésylate et le tosylate sont non hygroscopiques et anhydres.  

 

Aucune de ces conclusions n’est évidente ou prévisible.

 

 

[104]       Un carnet de notes de laboratoire (pièce 6) montre que M. Davison a mené d’autres essais de stabilité sur quatre sels de l’amlodipine dans la période de novembre 1984 à mars 1985. Selon les notes qui figurent à la page 11 du carnet, le but des essais était : [traduction] « De clarifier le comportement du mésylate (‑27), du bésylate (‑26), du tosylate (‑15) et du napsylate de l’UK 48,340 sur le plan de l’hygroscopicité ». Dans son contre‑interrogatoire, M. Davison a convenu que le but était effectivement de consacrer le bésylate et de valider le choix de ce sel (volume 4, pages 58 et 59).

 

[105]       La page 15 du carnet de notes (pièce 6) présente les résultats d’un essai dans le cadre duquel des échantillons ont été exposés pendant 13 jours à 75 degrés et à 75 % d’humidité relative. On y dit que l’essai était [traduction] « […] insuffisant pour montrer une différence significative entre les formes salines ‑26, ‑15 et le napsylate ». Un autre essai a été effectué à 75 degrés et à 75 % d’humidité relative pendant six semaines; selon la conclusion qui figure à la page 18, le résultat [traduction] « […] donne à penser que le napsylate est le plus stable, suivi des sels ‑26 et ‑15 ». Un dosage de benzène sulfonate (bésylate), de mésylate, de tosylate et de napsylate de 48,340 (amlodipine) exposé pendant 15 semaines à 30 degrés et à 95 % d’humidité relative a mené à la conclusion suivante, qui figure à la page 22 : [traduction] « Aucune dégradation significative de l’un ou l’autre des échantillons ».

 

[106]       Selon M. Moore, une stagiaire du service des brevets, Jenny Bowery, et une autre personne, Colin Graham, ont rédigé une ébauche de demande de brevet aux fins d’examen par les inventeurs (pièce 1, document 125). M. Moore a formulé certains commentaires au sujet de l’ébauche (contre‑interrogatoire, volume 12, pages 132‑137). À la suite de cet examen, la demande de priorité sur laquelle était fondée la demande canadienne a été rédigée et déposée le 4 avril 1986 (pièce 1, document 126).

 

[107]       M. Davison ne se souvenait d’aucune discussion avec un représentant du service des brevets ni de l’examen des ébauches de demande de brevet. Dans son interrogatoire principal (volume 1, pages 220 et 221), M. Wells a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Q.              Docteur Wells, avant le présent litige, soit le litige concernant le bésylate d’amlodipine, aviez‑vous lu le brevet?

 

R.               Si j’avais quoi?

 

Q.              Aviez‑vous lu le brevet canadien relatif au bésylate d’amlodipine?

 

R.               Je l’avais eu sous les yeux, mais je ne pense pas l’avoir lu du début à la fin.

 

Q.              Savez‑vous, Monsieur, que des différences entre le contenu de votre note du 25 novembre (document 111) et ce qui est établi dans le brevet ont été soulignées?

 

R.               Vous parlez des distinctions concernant la solubilité?

 

Q.              Savez‑vous, de façon générale, qu’on a laissé entendre qu’il y a des différences entre l’information qui figure dans votre note de novembre — dans le document 111 — et une partie de ce que contient le brevet?

 

R.               Oui.

 

Q.              Savez‑vous ou avez‑vous de l’information pouvant expliquer d’où viennent de telles différences?

 

R.               C’est que la rédaction du brevet a été en grande partie effectuée par des personnes que je ne connais pas et que je n’ai pas été suffisamment diligent pour repérer les changements subtils qui s’étaient produits.

 

 

L’« INVENTION » PROMISE PAR LE BREVET 393

 

[108]       Le brevet 393 décrit par des superlatifs le bésylate de l’amlodipine, l’invention revendiquée. On y dit que la découverte de ses avantages était « inopinée », que le bésylate présentait une combinaison « unique » de propriétés qui le rendaient « exceptionnellement » bien adapté à la mise au point de préparations pharmaceutiques d’amlodipine.

 

[109]       À la page 1, après avoir reconnu que l’amodipine et au moins certains de ses sels, dont le maléate, étaient compris dans l’état de la technique, le brevet 393 indique ce qui suit (c’est moi qui souligne) :

[traduction] On a inopinément découvert que le benzène sulfonate (ci‑après désigné sous le nom de bésylate) comporte un certain nombre d’avantages par rapport aux sels connus de l’amlodipine et, de plus, on a inopinément découvert qu’il présentait une combinaison unique d’excellentes propriétés de formulation qui le rendent particulièrement bien adapté à la mise au point de préparations pharmaceutiques d’amlodipine.

 

Ainsi, la présente invention a trait à la création du bésylate de l’amlodipine.

 

[110]       À la page 2, le brevet 393 établit les quatre critères suivants auxquels, selon ce qui est affirmé, les sels précédemment décrits, même le maléate, ne pouvaient satisfaire :

[traduction] Même si l’amlodipine est efficace sous forme de base libre, en pratique, elle s’administre mieux sous la forme saline d’un acide pharmaceutiquement acceptable. Afin de convenir à cette fin, le sel pharmaceutiquement acceptable doit répondre aux quatre critères physio‑chimiques suivants : 1) bonne solubilité; 2) bonne stabilité; 3) non‑hygroscopicité; 4) transformabilité permettant la formulation en comprimés, etc.

 

On a découvert que, même si bon nombre des sels décrits ci‑dessus répondent à certains de ces critères, aucun d’entre eux ne les respecte tous, pas même le maléate, le sel qui était privilégié. . .

 

[111]       Le brevet 393 fournit ensuite certaines données concernant la performance de certains sels par rapport à ces critères, et la conclusion suivante figure à la page 6 (c’est moi qui souligne) :

[traduction] Ainsi, le bésylate de l’amlodipine constitue une combinaison unique de bonne solubilité, de bonne stabilité, de non­hygroscopicité et de bonne transformabilité, ce qui fait qu’il convient exceptionnellement bien à la mise au point de préparations pharmaceutiques d’amlodipine.

 

 

[112]       Ainsi, le brevet 393 ne se borne pas à promettre un bésylate de l’amlodipine, il promet également que le bésylate constitue une « combinaison unique » le rendant « particulièrement bien adapté » et convenant « exceptionnellement bien » à la mise au point de préparations pharmaceutiques d’amlodipine. Voilà la promesse pour l’invention.

 

COMPARAISON ENTRE CE QUE LE BREVET 393 INDIQUE ET LA RÉALITÉ

 

[113]       Il est rare d’avoir l’occasion d’analyser le contenu d’un brevet et de le comparer avec la réalité et avec ce qui était effectivement connu des inventeurs et des autres. La présente action nous offre la possibilité de le faire. Les poursuites en vertu du Règlement AC, par exemple, ne fournissent pas de telles occasions. Les parties prenant part à de telles instances n’ont accès qu’aux affidavits versés au dossier. Il n’est pas possible d’interroger au préalable les parties et les inventeurs avant l’audience.

 

[114]       La rédaction d’un brevet exige des compétences et ce travail est généralement confié à un agent des brevets qualifié. De grandes connaissances techniques sont nécessaires pour accomplir cette tâche correctement. Cependant, une obligation primordiale est imposée : le paragraphe 34(1) (maintenant 27(3)) de la Loi sur les brevets) prescrit de décrire de façon exacte et complète l’invention, et le paragraphe 53(1) prévoit que le mémoire descriptif ne doit pas fournir volontairement plus ou moins d’information que ce qui est nécessaire pour ne pas induire en erreur. Ce sont des prolongations légales d’obligations antérieures issues de la common law. Comme l’a écrit Fox dans The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4th ed. Toronto: Carswell, 1969, à la page 178, en se fondant en partie sur Minerals Separation North American Corpn v. Noranda Mines Ltd, [1947] R.C. de l’É. 306, à la page 317, [1950] R.C.S. 36 :

 

[traduction] Comme un brevet correspond à un pacte entre l’inventeur et le public et qu’il a la caractéristique synallagmatique de comporter des obligations réciproques, le demandeur doit faire preuve de la plus grande bonne foi au moment de divulguer son invention et dans l’élaboration de son mémoire descriptif, lequel ne doit contenir aucune fausse déclaration ni description volontairement fausse ou trompeuse de toutes parties importantes. Le brevet entier est nul si une allégation importante figurant dans la pétition est fausse ou si le mémoire descriptif et les dessins contiennent des omissions ou des additions volontairement faites pour induire en erreur. Si ces omissions ou ces additions sont le résultat d’une erreur involontaire, le tribunal peut déclarer que la partie du brevet qui n’est pas affectée par l’omission ou l’ajout est valide.

 

[115]       Lors des débats, l’avocat de Pfizer a soulevé plusieurs objections à l’encontre des arguments de Ratiopharm portant sur l’absence de bonne foi ou le non-respect des obligations de divulgation propres à la common law, en disant que ces arguments n’avaient pas été plaidés. Or, il n’est pas nécessaire d’invoquer ces arguments, les questions ayant été directement soumises à la Cour telles qu’énoncées dans l’exposé conjoint des questions en litige : 1b) sélection, 1c) évidence, 1d) insuffisance, 1e) utilité et 1f) validité en vertu du paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets.

 

[116]       Un examen du brevet 393 sera effectué essentiellement dans l’ordre où ces questions sont soulevées dans le mémoire descriptif. Tout d’abord, à la page 1, au troisième paragraphe, figure une liste des nombreuses formes solides de l’amlodipine décrites dans la publication de la demande de brevet européen antérieure :

[traduction] La publication no 89167 de la demande de brevet européen expose plusieurs formes salines d’amlodipine différentes et pharmaceutiquement acceptables. Plus particulièrement, on dit que les sels d’addition acide pharmaceutiquement acceptables sont ceux qui sont formés d’acides qui produisent des sels d’addition d’acide non toxiques contenant des anions pharmaceutiquement acceptables, comme le chlorhydrate, le bromodrate, le sulfate, le phosphate ou phosphate acide, l’acétate, le maléate, le fumarate, le lactate, le tartrate, le citrate et le gluconate. Parmi ces sels, le maléate est décrit comme étant particulièrement privilégié.

 

[117]       Au bas de la page 2 et au haut de la page 3 du brevet 393, on dit de ces sels qu’ils ne répondent pas à tous les critères obligatoires que devrait respecter un sel :

[traduction] Même si l’amlodipine est efficace sous forme de base libre, en pratique, elle s’administre mieux sous la forme saline d’un acide pharmaceutiquement acceptable. Afin de convenir à cette fin, le sel pharmaceutiquement acceptable doit répondre aux quatre critères physio‑chimiques suivants : 1) bonne solubilité; 2) bonne stabilité; 3) non‑hygroscopicité; 4) transformabilité permettant la formulation en comprimés, etc.

 

On a découvert que, même si bon nombre des sels décrits ci‑dessus répondent à certains de ces critères, aucun d’entre eux ne les respecte tous, pas même le maléate, le sel qui était privilégié. Le maléate, même s’il affiche une excellente solubilité, a tendance à se dégrader en solution après quelques semaines.

 

[118]       Rien ne prouve que l’un ou l’autre des sels mentionnés relativement à la demande de brevet européen, sauf le chlorhydrate, l’acétate, le maléate ou peut‑être le citrate, ait jamais été fabriqué ou qu’on ait tenté de les fabriquer. Ni M. Wells (contre‑interrogatoire, volume 2, pages 16‑22) ni M. Davison (contre‑interrogatoire, volume 3, pages 150‑154) n’a pu dire si les autres sels avaient déjà été fabriqués ou soumis à des essais. Il est raisonnable de conclure, par conséquent, que l’inclusion du bromhydrate, du sulfate, du phosphate, du phosphate acide, du fumarate et peut‑être du citrate et du gluconate était superflue. Il est également raisonnable de conclure qu’il était trompeur à cet égard d’affirmer, comme le fait le brevet 393 au bas de la page 3, que ces sels ne satisfaisaient pas à certains critères et n’auraient pu être connus des inventeurs. On donne au lecteur l’impression trompeuse que tous ces sels avaient été fabriqués et mis à l’essai et qu’il avait été constaté qu’ils étaient inadéquats.

 

[119]       Toujours à la page 1 du brevet 393, le paragraphe suivant énonce ce qui suit (le terme « inopinément » figure deux fois, et les termes « unique » et « particulièrement bien adapté », une fois; ils ont été soulignés) :

[traduction] On a inopinément découvert que le benzène sulfonate (ci‑après désigné sous le nom de bésylate) comporte un certain nombre d’avantages par rapport aux sels connus de l’amlodipine et, de plus, on a inopinément découvert qu’il présentait une combinaison unique d’excellentes propriétés de formulation qui le rendent particulièrement bien adapté à la mise au point de préparations pharmaceutiques d’amlodipine.

 

[120]       L’utilisation des termes « inopinément », « unique » et « particulièrement bien adapté » est intéressée. Ces termes dictent au Bureau des brevets et aux tribunaux ce qu’ils doivent conclure. Les propriétés du bésylate d’amlodipine sont‑elles si inopinées, si uniques ou si bien adaptées qu’elles rendent ce sel brevetable?

 

[121]       Un tribunal ne devrait pas présumer que, puisque de tels termes figurent dans le mémoire descriptif, la description est exacte.

 

[122]       Les pages 1 et 2 font un rappel du fait que l’invention peut être utilisée dans diverses formulations (notamment sous forme de comprimés et de capsules) et dans une solution aqueuse aux fins d’administration parentérale. Il faut tout particulièrement prendre note de cette dernière, puisque le sel doit être dans une solution et non sous forme solide.

 

[123]       Au dernier paragraphe complet de la page 2, les quatre critères relatifs à un sel pharmaceutiquement acceptable sont énoncés. Revoyons ce paragraphe :

[traduction] Même si l’amlodipine est efficace sous forme de base libre, en pratique, elle s’administre mieux sous la forme saline d’un acide pharmaceutiquement acceptable. Afin de convenir à cette fin, le sel pharmaceutiquement acceptable doit répondre aux quatre critères physio‑chimiques suivants : 1) bonne solubilité; 2) bonne stabilité; 3) non‑hygroscopicité; 4) transformabilité permettant la formulation en comprimés, etc.

 

 

[124]       La preuve démontre, par exemple, lors du contre-interrogatoire de M. Banker (volume 7, pages 117 à 121), qu’une nouvelle substance pharmaceutique peut aussi être mise à l’essai afin de déterminer d’autres propriétés physicochimiques, y compris le pH (afin d’établir si la substance est un acide ou une base), le point de fusion, le polymorphisme et la pression de vapeur (enthalpie). En interrogatoire principal (volume 1, page 166), M. Wells a témoigné qu’à sa connaissance, il existe de nombreuses propriétés dont on pourrait tenir compte dans ce contexte, mais que selon lui, les principes fondamentaux se résument souvent aux trois « s », soit la solubilité, la stabilité et la formation de sels.

 

[125]       Ainsi, la promesse selon laquelle le bésylate est exceptionnel, unique ou particulièrement adapté se trouve atténuée par la connaissance du fait que de tels superlatifs sont fondés sur quatre des nombreux critères dont on aurait pu tenir compte.

 

[126]       À la page 3 du brevet 393, on aborde le premier des quatre critères : la solubilité. Le voici : 

[traduction]

1.         En général, le fait qu’une bonne solubilité aqueuse est nécessaire à une bonne biodisponibilité est connu dans le métier. Habituellement, on cherche à obtenir une solubilité supérieure à 1  mg ml‑1 à un pH de 1 à 7,5, même s’il faut des solubilités plus élevées pour formuler des injections. De plus, les sels qui produisent des solutions ayant un pH près de celui du sang (7,4) sont privilégiés parce qu’ils sont plus biocompatibles et qu’on peut facilement les tamponner de manière à obtenir l’intervalle de pH requis sans modifier leur solubilité.  

 

 

Comme on peut le constater d’après les données comparatives suivantes, le bésylate de l’amlodipine affiche de bonnes caractéristiques de solubilité, en comparaison avec d’autres sels.

 

TABLEAU 1

 

Sel

 

solubilité

mg ml‑1

pH à la

saturation

Benzène sulfonate

(bésylate)

4,6

6,6

Toluène sulfonate

(tosylate)

0,9

5,9

Méthane sulfonate

(mésylate)

25

3,1

Succinate

 

4,4

4,9

Salicylate

 

1

7

Maléate

 

4,5

4,8

Acétate

 

50

6,6

Chlorhydrate

 

50

3,5

 

[127]       J’ai déjà examiné la preuve concernant les données relatives au bésylate. Ils proviennent d’une source différente de toutes les autres. Il se peut bien que les essais sur le bésylate n’aient pas été effectués au même moment que les essais sur tous les autres sels, qui ont été effectués dans une solution saline plutôt que dans une solution aqueuse. Par contre, quand le bésylate a été mis à l’essai dans une solution aqueuse, en même temps que les autres sels, on a obtenu une solubilité de 3,6 à un pH de 4,8. Cela aurait placé le bésylate en 6e position sur le graphique, plutôt qu’en 4e position. L’avocat de Pfizer fait valoir qu’il s’agit d’une erreur anodine, puisque tous les sels mis à l’essai ont une solubilité suffisante. Il semble que cela soit exact; cependant, on ne peut pas dire que le bésylate soit, d’une manière ou d’une autre, « exceptionnel » ou « unique », en ce qui a trait à la solubilité.

 

[128]        De plus, pour ce qui est de la solubilité, au paragraphe commençant par le numéro 1, dans les passages cités ci‑dessus, le brevet 393 parle d’un intervalle de variation du pH de 1 à 7,5 et d’un pH de prédilection se rapprochant de 7,4. Rien ne prouve que l’on a mis à l’essai les huit sels à un pH plus élevé. Le fait de présenter le bésylate à un pH de 6,6 le rapproche de 7,4 et le place en 2e  position derrière le salicylate, ce qui expliquerait peut‑être ce qui a motivé la substitution des données sur le bésylate. Toutefois, on ne peut que spéculer sur la raison pour laquelle la modification a été apportée. Elle sert bel et bien à rehausser l’apparente performance du bésylate relativement à la solubilité.

 


[129]       Le critère suivant, parmi les quatre critères énoncés dans le brevet, est celui de la stabilité, et il est décrit dans l’extrait suivant des pages 3 et 4 :

[traduction]

2.         Une bonne stabilité à l’état solide est très importante pour les comprimés et les capsules, alors qu’une bonne stabilité dans une solution est requise pour une injection aqueuse. 

 

            Afin d’évaluer la stabilité chimique, chacun des sels a été mélangé à une poudre et transformé en comprimés ou en capsules. Dans le cas des comprimés, les excipients comprenaient de la cellulose microcristalline mélangée à une quantité équivalente de phosphate bicalcique anhydre. Dans le cas des capsules, l’excipient comprenait du mannitol mélangé à 4:1 avec de l’amidon de maïs séché. Ces comprimés et capsules ont ensuite été entreposés dans des fioles scellées, à des températures de 50 et 75 °C, pendant une période allant jusqu’à trois semaines. Le médicament et tout produit de dégradation ont été extraits à l’aide d’un mélange de méthanol:chloroforme (50:50) et séparés sur des plaques pour CCM grâce à divers systèmes de solvants. 

 

            Les résultats ont été comparés, et les sels ont été classés dans un ordre déterminé en fonction du nombre et de la quantité de produits de dégradation formés.

 

            En comparant les résultats, on obtient une liste dans l’ordre suivant, où le bésylate est le sel le plus stable et où le chlorhydrate est le moins stable.

 

Sel

Stabilité

Bésylate

le plus stable

Mésylate

Tosylate

Succinate

Salicylate

Maléate

Acétate

Chlorhydrate

le moins stable

 

[130]       Selon la description, ces essais ont été effectués sur le produit sous forme de [traduction] « comprimés ou capsules ». La preuve indique qu’en fait les essais ont été réalisés sur ce qui est décrit comme un « compact », c’est-à-dire une poudre comprimée mais qui n’est pas un comprimé, et sur de la poudre qui n’a jamais été placée dans une capsule. Il semble que les compacts et la poudre ressemblent suffisamment aux comprimés et aux capsules pour affirmer qu’il ne s’agit pas d’une erreur grave.

 

[131]       Toujours selon cette description, les essais ont été menés à l’aide d’un mélange du sel en particulier et d’excipients de carbone de cellulose microcristalline combinés à 50:50 avec du phosphate bicalcique anhydre et, dans le cas des capsules (poudre), du mannitol combiné à 4:1 avec de l’amidon de maïs séché. M. Wells convient qu’en réalité les essais ont été menés à l’aide d’une variété de formulations désignées par A, B, C et D (pièce 1, document 131), mais que les mélanges n’avaient pas tous été précisés dans le brevet; en fait, le bésylate s’est dégradé dans le mélange C, comme M. Wells l’a reconnu à la page 213 du volume 2 de son contre‑interrogatoire (consulter les pages 207 à 221 du volume 2) :

[traduction] Dans mon milieu, nous ne sommes pas tenus d’exposer tout ce que nous avons fait. Ce que nous exposons, ce sont nos réussites.

 

[132]       M. Wells a également convenu, dans ce même passage du contre‑interrogatoire, que les préparations des excipients mentionnés dans le brevet étaient inexactes et qu’il n’avait jamais vérifié l’ébauche du brevet pour voir s’il était exact.

 

[133]       Dans le cadre d’une discussion portant sur le classement des sels en ce qui a trait à la stabilité, M. Wells a convenu dans son contre‑interrogatoire (volume 2, pages 221 et 222) que, même si on montre que le bésylate est le meilleur sel, rien n’indique si les autres s’en rapprochent. À la page 223, dans le cadre d’une discussion portant sur le « mémoire du brevet » (pièce 1, document 111), M. Wells a convenu qu’il avait écrit que le bésylate était [traduction] « légèrement plus stable dans les mélanges », mais qu’il ne l’avait pas indiqué dans le brevet. En somme, en ce qui concerne la stabilité, il semble que l’exposition des connaissances des inventeurs a été sélective et lacunaire.

 

[134]       Le troisième des quatre critères énoncés dans le brevet 393 est celui de l’hygroscopicité du sel. Ce sujet est abordé au bas de la page 4 et au haut de la page 5 :

[traduction]

3.         Pour l’obtention de formulations stables, il est souhaitable que le sel soit non hygroscopique. À l’état solide, lorsque le contenu médicamenteux est élevé, des films d’humidité absorbés peuvent agir comme vecteur pour l’hydrolyse et la décomposition chimique. C’est la nature hygroscopique d’un médicament ou de son sel qui contribue à libérer l’humidité, qui est habituellement responsable de l’instabilité. 

 

            Le maléate, le tosylate et le bésylate sont les seuls sels à ne pas retenir l’humidité lorsqu’ils sont exposés à 75 % d’humidité relative, à 37 °C, pendant 24 heures. Même lorsqu’ils sont exposés à 95 % d’humidité relative, à 30 °C, pendant trois jours, le bésylate et le maléate demeurent tous deux anhydres, alors que le tolysate a formé le dihydrate. Par conséquent, le bésylate peut être considéré comme non hygroscopique et, ainsi, permet d’obtenir des formulations stables tout en réduisant au minimum le risque de dégradation chimique intrinsèque.

 

[135]       Dans les témoignages, on a beaucoup débattu de ce que signifiait l’hygroscopicité pour les inventeurs et de ce qu’elle aurait signifié au moment pertinent pour une personne versée dans l’art. J’accepte l’observation de l’avocat de Pfizer figurant au paragraphe 20 du plaidoyer final du défendeur, selon laquelle il y avait un consensus raisonnable parmi les experts concernant la signification du terme « hygroscopicité » – il s’agit de la tendance d’une substance médicamenteuse à attirer et à retenir l’eau, qu’elle soit adsorbée sur la surface ou absorbée dans la structure même du cristal. Qu’elle soit adsorbée ou absorbée et libérée, par exemple par le broyage, l’eau représente un problème potentiel si elle réagit avec le médicament.

 

[136]       Dans cette partie du brevet 393, on nomme le maléate, le tosylate et le bésylate, et on laisse entendre par l’utilisation du mot « seuls » que d’autres sels ont également été soumis à des essais. Aucun document ne corrobore le fait que de tels essais ont été effectués. En contre‑interrogatoire (volume 2, pages 108 et 109), M. Wells affirme que l’on peut supposer que ces essais ont probablement été effectués.

 

[137]       Dans cette partie du brevet 393, on ajoute que deux essais ont été effectués, un à 75 % d’humidité relative, à 37 ºC, pendant 24 heures, et l’autre, au moins sur le bésylate, le tosylate et le mésylate, à 95 % d’humidité relative, à 30 ºC, pendant trois jours. Il n’y a aucune donnée sur ce dernier essai, mais il y en a pour un tel essai à 90 % d’humidité relative. En contre‑interrogatoire, M. Wells n’était pas certain si des essais avaient été menés à 95 % d’humidité relative. De plus, il semble que les divers sels aient été soumis à ces essais à des moments différents (volume 2, pages 105‑120). M. Wells a également admis, au cours de son contre‑interrogatoire, que le mésylate mis à l’essai était en fait du monohydrate (volume 2, pages 120 et 121). Ainsi, contrairement à ce que dit le brevet, il n’était pas anhydre.

 

[138]       L’aspect essentiel de l’ensemble de la preuve concernant l’hygroscopicité, c’est que le simple fait qu’un sel est ou devient un hydrate n’est pas suffisant pour le rejeter. Selon la preuve, même les bésylates forment un hydrate dans certaines conditions. M. McGinity a été contre‑interrogé au sujet des déclarations contradictoires faites dans son rapport versé au dossier de la présente affaire et dans le témoignage qu’il a livré lors du procès aux États‑Unis (volume 2, pages 58‑74). Il a fini par convenir que le bésylate pouvait exister sous forme d’hydrate et que le mésylate, même sous forme d’hydrate, pouvait s’équilibrer rapidement. Ainsi, aucun de ces deux sels ne poserait de problèmes du point de vue de l’hygroscopicité.

 

[139]       En ce qui concerne ce troisième critère énoncé aux pages 4 et 5 du brevet 393, la conclusion est la suivante : les essais effectués (si toutefois des essais ont été effectués) n’ont pas été déclarés avec exactitude et le rejet de certains sels en fonction de l’hygroscopicité n’était pas fondé.

 

[140]       Le dernier des quatre critères décrits dans le brevet 393 est celui de la transformabilité. Il consiste à déterminer, en particulier, si le produit a une tendance indésirable à adhérer au moment de la fabrication de comprimés. Aux pages 1 et 2 du brevet, on affirme que le bésylate peut être utilisé dans des formulations de comprimés, dans des capsules et dans des formulations parentérales. Ces dernières sont sous forme liquide, et les capsules contiennent de la poudre; ainsi, l’adhérence n’est importante que dans le cas des comprimés. Aux pages 5 et 6 du brevet 393, on décrit la transformabilité :  

[traduction]

4.         La dernière caractéristique d’un sel acceptable dont il faut tenir compte est la transformabilité, c’est‑à‑dire les propriétés relatives à la compression ainsi que le fait de ne pas coller ou adhérer aux appareils de fabrication de comprimés. 

 

            En ce qui concerne les formulations à forte dose, une bonne compressibilité est très importante pour fabriquer des comprimés de belle apparence. Dans le cas des comprimés à dose plus faible, il est possible d’éliminer, dans une certaine mesure, le besoin d’une bonne compressibilité en utilisant des excipients de dilution convenables appelés « agents de compression ». La cellulose microcristalline est un agent de compression couramment utilisé. Toutefois, peu importe la dose, il faut éviter que le médicament adhère aux presses de l’appareil de fabrication des comprimés. Quand le médicament s’accumule sur les surfaces des presses, la surface des comprimés devient piquetée et donc inacceptable. En outre, quand le médicament adhère de cette façon, il faut appliquer une force d’éjection élevée au moment de retirer le comprimé de la machine. En pratique, il est possible de réduire l’adhérence en utilisant la méthode par masse humide, en sélectionnant soigneusement les excipients et en utilisant beaucoup d’anti‑adhérents (p. ex. du stéarate de magnésium). Toutefois, la sélection d’un sel ayant de bonnes propriétés anti‑adhésives réduit ces problèmes.   

 

            Afin de comparer l’adhérence des divers sels de l’amlodipine, le procédé suivant a été utilisé pour les essais effectués à l’aide d’un appareil de fabrication de comprimés classique : 50 comprimés contenant du sulfate de calcium dihydraté, de la cellulose microcristalline et du bésylate d’amlodipine ont été fabriqués (47.5:47.5:5); la matière ayant adhéré à la presse à comprimés a ensuite été extraite à l’aide de méthanol, et la quantité a été mesurée par spectrométrie. Ce procédé a ensuite été répété pour les séries de 100, 150, 200, 250 et 300 comprimés. Pour chaque série, la quantité de matières adhérant à la presse à comprimés a été mesurée après avoir été extraite à l’aide de méthanol. Un graphique des valeurs a été établi, et une valeur moyenne a été calculée à partir de la courbe de la ligne produite. 

 

 

 

 

            Le même procédé a ensuite été répété pour chacun des sels de l’amlodipine. La quantité d’amlodipine mesurée qui avait adhéré à la presse à comprimés figure dans le tableau 2, pour chaque sel et comparativement au maléate.

 

 


TABLEAU 2

 

Sel

Adhérence

 

Comprimé µAmlodipine cm‑2

Relative au maléate

 

 

 

Mésylate

1,16

                 58 %

Bésylate

1,17

                    59

Tosylate

1,95

                    98

Maléate

1,98

                  100

Base libre

2,02

                  102

Succinate

2,39

                  121

Chlorhydrate

2,51

                  127

Salicylate

2,85

                  144

 

            Il est clair que le bésylate a des propriétés antiadhésives supérieures à celles du maléate. Bien que le mésylate affiche également une bonne transformabilité, il a tendance à être isolé sous forme d’anhydride, mais cela s’équilibre à l’état de monohydrate et mène à une composition variable après la fabrication, ce qui le rend inacceptable aux fins d’utilisation dans des comprimés.

 

[141]       Si on prend le troisième paragraphe susmentionné, qui commence avec les termes « Afin de comparer… », il est fait mention d’essais effectués à l’aide d’un « appareil de fabrication de comprimés classique ». Les essais menés dans le laboratoire de Pfizer l’ont été à l’aide d’un appareil à comprimer alternatif de laboratoire fabriqué par Manesty. Il y a eu un débat entre l’avocat de Pfizer et M. Banker concernant le fait qu’il s’agissait ou non d’un appareil « classique ». Le fait qu’il en soit un ou non, même si on peut en débattre, n’a pas beaucoup d’importance.

 

[142]       Le passage qui suit est beaucoup plus important; on y affirme que les comprimés mis à l’essai contenaient du sulfate de calcium dihydraté,  de la cellulose microcristalline et du bésylate d’amlodipine (47,5:47,5:5) et que les essais ont été répétés pour des séries de 100, 150, 200, 250 et 300 comprimés. Dans son contre‑interrogatoire, M. Wells a convenu que ces déclarations étaient tout simplement erronées. D’autres excipients importants ont été mélangés pour fabriquer les comprimés, et des séries de seulement 10, 20, 30, 40 et 50 comprimés ont été effectuées (volume 2, pages 182‑186). M. Wells a également admis, dans ce passage, que la déclaration qu’il avait présentée au bureau des brevets des États‑Unis selon laquelle les séries de comprimés avaient été fabriquées de la manière décrite dans le brevet 303 des États‑Unis, qui est la même que celle qui figure dans le brevet 393, était également inexacte. Il n’a pas été en mesure d’expliquer cette erreur.

 

[143]       J’ai déjà examiné les témoignages de M. Wells et de M. Davison concernant les essais portant sur l’adhérence et le calcul énigmatique des valeurs de la courbe qui, dit‑on, correspondent à l’adhérence. Je suis d’accord avec M. Amidon qui conclut, au paragraphe 41 de son rapport (pièce 35), que les données sur lesquelles se fondent les valeurs d’adhérence établies au tableau 2 du brevet 393 n’appuient pas l’ordre des sels présenté dans le brevet 393.

 

[144]       À la page 6 du brevet 393, tout de suite après le tableau 2, il y a un paragraphe où on affirme que le mésylate s’équilibre pour former un monohydrate, ce qui le rend inacceptable aux fins d’utilisation dans des comprimés. Dans sa « note de synthèse aux fins de brevet » (pièce 1, document 111), M. Wells a déclaré que le mésylate s’équilibrait à l’état de monohydrate « stable » (note en bas de page, page 3), et il n’a pas dit qu’il serait inacceptable aux fins d’utilisation dans des comprimés. M. Moore, agent de brevets, n’a pas été en mesure de justifier l’inclusion de ce libellé dans le brevet (interrogatoire principal, volume 12, pages 102‑104).

[145]       À la page 6 du brevet 393, on poursuit avec le paragraphe susmentionné, où on aborde le caractère unique du bésylate et son adaptation exceptionnelle à l’usage que l’on veut en faire. 

[traduction] Ainsi, le bésylate de l’amlodipine constitue une combinaison unique de bonne solubilité, de bonne stabilité, de non­hygroscopicité et de bonne transformabilité, ce qui fait qu’il convient exceptionnellement bien à la mise au point de préparations pharmaceutiques d’amlodipine.

 

[146]       Ce « caractère unique » et les « propriétés exceptionnelles » du bésylate ne correspondent pas à l’opinion exprimée par M. Wells dans sa « note de synthèse aux fins de brevet » (pièce 1, document 111) datée du 25 novembre 1985, dans laquelle il a recommandé la présentation d’une demande de brevet pour le « bésylate et le tosylate » de l’amlodipine et a affirmé que le « mésylate mérite probablement d’être protégé ». Dans le résumé de ce document, il a déclaré que [traduction] « seuls le bésylate et le tosylate répondent aux critères de base ».

 

[147]       Le 18 décembre 1985, Mme Bowery, stagiaire du service des brevets de Pfizer, a rédigé à l’intention de Pfizer New York une note (pièce 1, document 114) déclarant que Pfizer Limited voulait présenter une demande de brevet pour [Traduction] « le benzène sulfonate (bésylate) ainsi que le toluène sulfonate (tosylate) de l’amlodipine ».

 

[148]       Il semble que, au moment où ils ont rédigé la demande de brevet, M. Moore ou ses collègues ont limité le brevet au bésylate (interrogatoire principal, volume 12, pages 106 et 107). Dans son contre‑interrogatoire, M. Moore a affirmé ce qui suit : [Traduction] « Nous voulions faire ressortir les avantages du bésylate » (volume 12, page 129).

 

[149]       Ainsi, le caractère soi‑disant unique ou les propriétés exceptionnelles du bésylate prônés dans le brevet 393 étaient en fait communs à d’autres sels parmi les sulfonates, soit le tosylate et peut‑être le mésylate.

 

[150]       Prenons les exemples figurant dans le brevet 393 : peu de témoignages mentionnent les exemples 1 à 5 du brevet 393. Dans le témoignage qu’il a livré (susmentionné), M. Brenner est d’avis que le produit de l’exemple 1 est cristallin, et M. McGinity est d’avis que, dans l’exemple 1, on peut trouver certains monohydrates de bésylate.

 

[151]       Les revendications (il y en a 22) suivent. D’après une entente entre les parties, seule la revendication 11 est pertinente.

 

[152]       Dans le brevet 393, il y a une omission. Il s’agit de l’essai qui a été effectué sur un autre sel du groupe des sulfonates, le napsylate. Il a été soumis à des essais avec les autres produits faisant partie du groupe des sulfonates, comme l’indique la pièce 6. Ces produits étaient le bésylate, le tosylate, le mésylate et le napsylate. Seuls les résultats du tosylate ont été déclarés dans le brevet 393; il n’y a aucune mention des essais sur les autres sels, et le napsylate n’y est pas du tout mentionné, même si, à plusieurs égards, il était supérieur au bésylate (Wells, contre‑interrogatoire, volume 2, pages 150‑161). Je reprends ici une partie de ce contre‑interrogatoire (de la ligne 16 de la page 158 à la ligne 24 de la page 161) :

[traduction]

Q.  C’est ça. Donc, après avoir pris la décision d’utiliser le bésylate, et sachant qu’il y avait un autre sel qui était non hygroscopique et plus stable, du moins, d’après ce que vous aviez été en mesure d’observer, vous avez décidé de présenter une demande de brevet indiquant que, parmi tous les sels que vous aviez mis à l’essai, le « bésylate était exceptionnellement bien adapté »?

 

R.  Oui.

 

Q.  Et vous avez décidé de ne pas dire au bureau des brevets ni au public canadien que, en fait, vous disposiez d’un autre sel qui était plus stable et non hygroscopique, lui aussi?

 

R.  Je subissais beaucoup de pressions, et il s’agissait d’une décision commerciale. Ce n’était probablement pas le meilleur sel. Nous avons déjà abordé ces questions. J’ai pris une décision, avec des collègues. Nous considérions que nous avions mis au point un sel qui était convenable pour la poursuite des travaux. 

 

Si nous avions procédé à d’autres essais et à d’autres essais encore, nous serions peut‑être encore en train de le faire. Nous avons donc pris la décision d’aller de l’avant avec le bésylate, et je crois que l’histoire prouve que nous avons eu raison. 

 

Nous aurions pu étudier d’autres sels. Nous aurions pu en mettre à l’essai un nombre beaucoup plus grand, mais nous en avions trouvé un qui fonctionnait et qui constituait pour nous une solution convenable et sensée au problème auquel nous faisions face.

 

 

Q.  Mais, quand vous êtes arrivé, quelques mois après cela, c’était en novembre 1985, vous avez présenté la demande en avril 86, cinq mois plus tard, au moment où on vous a présenté des données selon lesquelles un napsylate est plus stable et est non hygroscopique, vous voilà à présenter une demande de brevet selon laquelle le bésylate est le meilleur des sels que vous avez mis à l’essai, y compris sur le plan de l’adhérence et de la solubilité; pourquoi n’avez‑vous pas fait d’essais relatifs à l’adhérence et à la solubilité? À ce point‑là, vous ne cherchiez pas un nouveau sel. Tout ce que vous aviez à faire, c’était un essai de solubilité, n’est­ce pas? Combien de temps est‑ce que cela prend? Vingt-quatre heures? C’est assez simple, exact? La solubilité est un essai simple, n’est‑ce pas?

 

R.  Oui, c’est vrai. Je veux dire, vous me demandez si — dans tout programme de travail, on arrive à un point où, que ce soit dans le domaine juridique ou scientifique ou autre, il faut dire « c’est assez » et passer à l’étape suivante. Et, de mon point de vue, nous avons pris la décision de poursuivre avec le bésylate.

 

Q.  Je comprends que c’est ce que vous avez fait du point de vue de la production et du produit commercial. Je parle de ce que vous avez décidé de dire au public et au bureau des brevets, dans la demande.

 

Vous avez décidé de supprimer les données que vous aviez déjà recueillies en lien avec le napsylate. Vous n’avez jamais dit au bureau des brevets : « À propos, nous avons également fait des essais sur le napsylate, et il était plus stable que le bésylate »? Vous ne leur avez jamais dit cela, n’est‑ce pas?

 

R.  Non.

 

Q.  Vous n’avez pas mis cela dans votre demande de brevet?

 

R.  Non.

 

Q.  Pourquoi?

 

R.  Eh bien, je ne peux répondre à cela parce que je ne suis pas agent de brevets. Je suis d’avis que nous divulguons suffisamment d’information pour permettre à des personnes versées dans l’art d’être en mesure de répéter mon expérience.

 

Je ne crois pas que la demande doit comprendre absolument tous les aspects du travail que nous avons fait. Elle doit être claire, elle doit être honnête et elle doit être exacte, et c’est ce que nous avons fait. Nous avons choisi de ne pas poursuivre avec le napsylate.

 

Q.  Vous avez choisi de ne pas poursuivre avec le napsylate parce que vous disposiez d’un sel qui, selon vous, était suffisamment adapté?

 

R.  Absolument.

 

Q.  Vous n’avez jamais été d’avis que le bésylate était mieux que le napsylate, n’est‑ce pas?

 

R.  Je n’ai jamais eu à me prononcer sur la question.

 

Q.  D’accord. Vous avez simplement continué avec le bésylate parce que c’est ce dont vous disposiez et qu’il était suffisamment adapté?

 

R.  Oui.

 

CONCLUSIONS CONCERNANT CE QU’ONT FAIT LES INVENTEURS ET CE QU’INDIQUE LE BREVET  

 

[153]       À la lumière de l’ensemble des témoignages et des éléments de preuve, y compris tous ceux qui ne figurent pas dans les présents Motifs (je me suis abstenu, pour épargner au lecteur des centaines d’autres pages, de tout étaler), je tire les conclusions suivantes concernant ce qu’ont fait les inventeurs, à la fois en ce qui a trait aux activités menées par M. Wells, M. Davison et d’autres personnes à Pfizer, et aux personnes qui ont rédigé la demande de brevet ayant mené à l’obtention du brevet 393 en litige :

 

1.                  L’amlodipine était un composé pharmaceutique connu.

 

2.                  Certains sels de l’amlodipine étaient connus et avaient probablement été mis à l’essai par Pfizer. Parmi ces sels, on compte le chlorhydrate, l’acétate, le maléate et probablement le citrate. Parmi ces derniers, le maléate était considéré comme le meilleur produit candidat pour la poursuite des études de préformulation.

 

3.                  Le brevet 393 est inexact quand il donne au lecteur l’impression que le bromhydrate, le sulfate, le phosphate, le phosphate acide, le fumérate, le lactate, le tartrate ou le gluconate n’avaient jamais été mis à l’essai.

 

4.                  M. Wells s’est vu remettre de l’amlodipine, y compris du maléate d’amlodipine, et M. Davidson lui a donné pour consigne de travailler à la mise au point du produit au moyen d’études de préformulation. M. Davison a aidé M. Wells, comme l’ont fait d’autres personnes, dont M. Pettmann et M. Platt.

 

5.                  Selon les premières analyses, le maléate d’amlodipine était adhérent, ce qui pose problème si l’on veut fabriquer des comprimés. Au début, on a tenté d’inclure divers excipients qui auraient pu aider à contrer ce problème.

 

6.                  Le brevet 393 ne mentionne pas précisément que l’adhérence est un problème en ce qui concerne le maléate.

 

7.                  Un autre problème a été détecté relativement au maléate, celui de la stabilité. Ce problème est mentionné dans le brevet 393.

8.                  Finalement, en choisissant des excipients et des proportions, on crée un produit de maléate réussi sur le plan commercial. Cette formulation, qui mentionne le bésylate, mais pas le maléate, est celle qui figure au tableau 3 du brevet 393.

 

9.                  Après avoir commencé par essayer divers excipients dans une préparation de maléate, M. Wells a cru qu’un changement de sels justifierait des analyses.

 

10.              M. Wells et d’autres dans son équipe ont mené une évaluation des sels, processus courant dans le cadre duquel on sélectionne une gamme de sels tirés d’un groupe de sels connus et pharmaceutiquement acceptables, en s’attardant tout particulièrement à leur activité par rapport à l’amlodipine, caractéristique mesurée par la pKa. Cette gamme comprenait des produits candidats comme le chlorhydrate et des sels sélectionnés à partir d’un groupe de sels connus sous le nom de sulfonates. Ce groupe incluait le mésylate, le bésylate, le tosylate et le napsylate, qui ont tous été mis à l’essai, à divers moments, par les inventeurs et leurs collègues. Il n’y avait rien de surprenant ou d’inhabituel dans la sélection d’un groupe de sels faisant partie des sulfonates.

 

11.              Le processus de sélection des sels mené par Pfizer était, au milieu des années 80, un processus usuel dans l’industrie. Les essais visant des sels pharmaceutiques et portant sur la solubilité, la stabilité et l’hygroscopicité faisaient appel à des techniques connues qui s’appliquaient à la sélection de sels. La mesure de l’adhérence ou de la transformabilité n’était pas une technique connue.

 

12.              Des essais de solubilité ont été menés sur un groupe de sels. Tous les sels mentionnés dans le tableau 1 du brevet 393 sont suffisamment solubles pour être utilisés aux fins prévues.

13.              Le brevet 393 est inexact quand il laisse entendre que la solubilité des sels candidats avait été mise à l’essai dans un intervalle de variation du pH de 1 à 7,5. Rien ne le prouve. Les données figurant au tableau 1 sont trompeuses du fait que le bésylate a été soumis, parallèlement à d’autres sels, à des essais par Pfizer dans l’eau, et a donné des résultats de 3,6 à un pH de 4,5. Les résultats relatifs au bésylate déclarés au tableau 1 du brevet 393 (solubilité de 4,6 à un pH de 6,6) étaient les résultats d’un essai différent mené à un autre moment, dans une solution saline à 0,9 %. Même si les résultats déclarés font augmenter la solubilité du bésylate de façon non significative, puisque tous les sels sont solubles, il place cette solubilité plus près du pH souhaitable, qui est de 7,4. Rien dans le brevet 393 n’indique au lecteur que des données ont été substituées par d’autres.

 

14.              En ce qui concerne la stabilité, Pfizer a mené des essais musclés, à des températures élevées, pendant une période relativement courte. Ces essais ne reflètent pas les conditions réelles d’utilisation ni les essais requis aux fins d’approbation réglementaire. Cependant, il arrive souvent, dans des organisations commerciales où il y a des contraintes de temps, qu’on ait recours à ce genre d’essais, dans l’espoir d’éliminer les produits plus faibles et de choisir les plus forts.

 

15.              Les données sur la stabilité en ce qui a trait aux excipients et aux proportions utilisées dans le cadre des essais de stabilité sont inexactes. Dans certaines formulations, dont les excipients et les proportions varient, plusieurs des sels candidats se sont dégradés, y compris le bésylate. Seuls les meilleurs résultats ont été sélectionnés. M. Wells a dit que les chercheurs ne déclarent pas leurs échecs.

 

16.              Le graphique sur la stabilité figurant dans le brevet 393 est un simple classement de la stabilité par ordre d’importance créé à partir de données sélectives. Dans le texte, on dit que le chlorhydrate est « le moins stable » et, dans le graphique, qu’il est « instable ». On ne peut facilement déterminer si tous les sels sont adéquats ou si uniquement certains d’entre eux le sont et, dans ce cas, lesquels le sont.

 

17.              En ce qui concerne l’hygroscopicité, on a de nouveau mené des essais musclés pour les mêmes raisons que dans le cas de la stabilité. Dans le brevet 393, l’affirmation selon laquelle les essais ont été menés à 95 % d’humidité relative est inexacte; les éléments de preuve montrent que l’humidité relative était en fait de 90 %. Il s’agit peut‑être d’une erreur anodine. Toutefois, les essais ont montré que même le bésylate peut devenir un hydrate et que d’autres sels, comme le tosylate et le maléate, peuvent former des sels hydratés stables qui sont satisfaisants. Le mieux qu’on puisse dire, c’est que les résultats mentionnés relativement à l’hygroscopicité sont peu soignés et incomplets. Si les résultats avaient été déclarés complètement et de façon appropriée, au moins le tosylate de même que le bésylate et, probablement, le maléate auraient tous été satisfaisants du point de vue de l’hygroscopicité.

 

18.              Ni l’adhérence ou ni la transformabilité n’ont été visées par des normes, des essais ou des critères bien compris de quelque nature que ce soit. Dans le témoignage de M. Wells, ces critères sont décrits comme offrant une mesure approximative. Il a conçu un essai dans le cadre duquel on fabriquait quelques comprimés au moyen d’une presse à comprimer alternative, et on pesait la matière qui était restée collée. Les résultats de la fabrication de différentes séries de comprimés ont été inscrits dans un graphique. Ces résultats sont très variables. Ils dépendent dans une grande mesure des excipients avec lesquels les comprimés ont été mélangés. Le même mélange du même sel, le même jour, a donné des résultats très variables. Il n’y a aucune preuve claire de la façon dont les chiffres du tableau 2 ont été obtenus ou de leur fiabilité; il n’est pas prouvé non plus qu’ils sont une indication de l’adhérence relative. Au mieux, on peut supposer que les sulfonates (y compris le napsylate, qui n’est pas mentionné dans le brevet 393) sont peut‑être moins adhérents que certains des autres sels soumis à des essais.

 

19.              Une décision a été prise, probablement par M. Davidson, qui n’a pas témoigné au procès, selon laquelle il fallait obtenir la protection d’un brevet pour au moins deux des sulfonates, soit le bésylate et le tosylate. M. Wells a rédigé une note de synthèse à l’intention du service des brevets, dans laquelle il recommandait qu’un brevet soit demandé pour le bésylate et le tosylate et probablement aussi pour le mésylate.

 

20.              La tâche de rédiger la demande de brevet a été attribuée à une stagiaire, Jenny Bowery, dont le mentor était M. Moore, agent de brevets agréé. Ce dernier l’a décrite comme n’étant pas à l’aise avec la terminologie du domaine de la chimie. Il semble qu’elle n’a fait l’objet que d’une supervision approximative. M. Wells se souvient à peine de l’avoir rencontrée ou d’avoir examiné une ébauche de la demande de brevet avec elle ou avec quiconque du service des brevets. M. Davison est encore plus convaincu de n’avoir jamais communiqué avec le service des brevets.

 

21.              D’après une première note de Mme Bowery, il semble qu’elle a tout d’abord voulu rédiger une demande de brevet concernant le bésylate et le tosylate. Ce n’est pas ce qui est arrivé. L’ébauche du brevet concernait uniquement le bésylate. Les termes comme « inopinément », « unique » et « exceptionnellement adapté » utilisés pour décrire le bésylate ne viennent ni de M. Wells ni de M. Davison, les deux inventeurs nommément désignés, ni de quiconque du secteur scientifique de Pfizer. Ils ne peuvent venir que du service des brevets de Pfizer, après qu’une personne (un cadre supérieur ou un agent de brevets) eut pris la décision de demander un brevet visant uniquement le bésylate.

 

LES QUESTIONS JURIDIQUES

 

A.        Généralités

 

[154]       Tel qu’indiqué beaucoup plus tôt, les parties, par l’entremise de leur avocat, ont grandement simplifié les questions juridiques, et une question, celle de la nouveauté, a été abandonnée. Ces questions peuvent être présentées comme suit :

[traduction ] Le brevet 393 est représenté par la revendication 11, « le bésylate de l’amlodipine », ce brevet est‑il valide ou non au regard de l’un ou l’autre des critères suivants :

 

a)                  il est évident;

b)                  il s’agit d’un brevet de sélection valide;

c)                  son utilité a été démontrée;

d)                  il est suffisant;

e)                  il contrevient à l’article 53.

 

[155]       Dans une grande mesure, ces questions s’entrecroisent. Les avocats sont prompts à étiqueter les choses, à citer de courts passages de la loi et à restreindre les questions aux étiquettes et aux courts passages qu’ils ont choisis. Cela n’est pas nouveau; il y a deux siècles, on perdait sa cause si on ne la plaidait pas de la bonne manière (appropriation licite au lieu d’action en replevin, et ainsi de suite). En l’espèce, les faits élémentaires sont les suivants : Pfizer a mis au point son médicament à base d’amlodipine au moyen d’un procédé de préformulation comportant une étape courante appelée « processus de sélection des sels ». À la suite de ce processus de sélection des sels mené sur les quelque sept sels soumis à des essais, le bésylate a été sélectionné comme sel de prédilection. Il n’était pas clairement supérieur aux trois ou quatre autres qui ont été mis à l’essai, en particulier ceux du groupe des sulfonates (le bésylate, le mésylate, le napsylate et le tosylate), mais il a été choisi comme compromis raisonnable. Des cadres supérieurs ont pris la décision de demander la protection conférée par un brevet. Les inventeurs ont recommandé le bésylate, le tosylate et, peut‑être, le mésylate à cette fin. Le service des brevets n’a retenu que le bésylate, a mêlé les données de certains essais avec celles d’autres essais, a inclus des données qu’on ne peut trouver nulle part ailleurs dans la preuve et a exclu des données favorables à d’autres sels, tout en utilisant des termes comme « unique », « exceptionnel » et « particulièrement adapté » pour parler du bésylate — des termes que les inventeurs n’ont jamais utilisés. Voici l’essence des faits en ce qui a trait à l’appréciation de la validité du brevet à partir de certains fondements juridiques.

 

[156]       Les tribunaux ont examiné dans plusieurs décisions les conditions auxquelles doit satisfaire la personne qui croit avoir réalisé une invention pour obtenir un brevet valide. Les critères suivants doivent être respectés :

 

1.                  une invention doit avoir été réalisée, c’est-à-dire quelque chose qui n’aurait pas été évident pour une personne versée dans l’art (évidence et invention);

2.                  l’invention doit être nouvelle. Si elle a déjà été divulguée de sorte qu’une personne versée dans l’art pourrait conclure que l’invention a déjà été divulguée, aucun brevet         valide ne peut être accordé (nouveauté);

3.                  l’invention, telle que promise dans le mémoire descriptif, doit correspondre à cette promesse. Elle doit avoir l’utilité promise (utilité);

4.                  l’invention doit être totalement et correctement divulguée, telle que conçue par les inventeurs, de sorte qu’une personne versée dans l’art pourrait lire le brevet et mettre l’invention en pratique (divulgation);

5.                  le mémoire descriptif ne doit pas induire en erreur une personne versée dans l’art (article 53).

 

[157]       Pour l’examen de l’évidence et de la nouveauté, la Cour doit examiner l’invention telle que revendiquée. Pour l’examen de l’utilité, la Cour doit examiner l’utilité de l’invention, telle que promise dans le mémoire descriptif. Pour l’examen du caractère suffisant de la divulgation, la Cour doit examiner l’ensemble du mémoire descriptif afin de déterminer si une personne versée dans l’art y trouverait les renseignements appropriés. Cependant, dans un cas comme en l’espèce où une bonne partie de la preuve provient des inventeurs eux-mêmes, de leurs collègues et des documents contemporains, la Cour ne peut présumer que le mémoire descriptif est un reflet exact de la pensée des inventeurs. Pour déterminer si le mémoire descriptif est trompeur, la Cour doit examiner le mémoire descriptif et la nature des documents qu’on dit trompeurs pour déterminer s’ils sont de nature à induire en erreur une personne versée dans l’art, et si, vu l’ensemble de la preuve, une intention d’induire en erreur peut être démontrée directement ou par déduction raisonnable.

 

B.         Évidence

 

[158]       La première des questions soulevées est celle de l’évidence. À cet égard, la Cour doit considérer que la revendication a été bien interprétée. En l’espèce, ce que revendique la revendication 11 est ce qui a été interprété comme étant le bésylate de l’amlodipine sans restriction particulière relative à l’utilisation ou à la forme.

 

[159]       Le juge Rothstein de la Cour suprême du Canada a examiné la question de l’évidence dans l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265. La Cour a commencé par reformuler la démarche préconisée dans l’arrêt Windsurfing par la Cour d’appel d’Angleterre, en disant ce qui suit au paragraphe 67 :

Lors de l’examen relatif à l’évidence, il y a lieu de suivre la démarche à quatre volets d’abord énoncée par le lord juge Oliver dans l’arrêt Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.).  La démarche devrait assurer davantage de rationalité, d’objectivité et de clarté.  Le lord juge Jacob l’a récemment reformulée dans l’arrêt Pozzoli SPA c. BDMO SA, [2007] F.S.R. 37 (p. 872), [2007] EWCA Civ 588, par. 23 :

 

Par conséquent, je reformulerais comme suit la démarche préconisée dans l’arrêt Windsurfing :

 

(1)      a)  Identifier la « personne versée dans l’art ».

 

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

 

(2)      Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

(3)      Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

 

(4)      Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?  [Je souligne.]

 

La question de l’« essai allant de soi » se pose à la quatrième étape de la démarche établie dans les arrêts Windsurfing et Pozzoli pour statuer sur l’évidence.

 

 

[160]       La Cour suprême a fourni d’autres éléments d’appréciation au paragraphe 69 pour le cas où l’application du critère de l’« essai allant de soi » est nécessaire :

Lorsque l’application du critère de l’« essai allant de soi » est justifiée, les éléments énumérés ci‑après doivent être pris en compte à la quatrième étape de l’examen de l’évidence.  Tout comme ceux pertinents pour l’antériorité, ils ne sont pas exhaustifs et s’appliquent selon la preuve offerte dans le cas considéré.

 

1.                  Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

 

2.                  Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l’invention?  Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est‑elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

 

3.                  L’antériorité fournit‑elle un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

 

[161]       Dans l’affaire Sanofi, la Cour suprême devait déterminer si la nature des propriétés relatives à l’énantiomérie d’un racémate (un composé contenant, sous forme solide, deux molécules de structure chimique identique mais de configurations distinctes) dont les énantiomères auraient été séparés, serait « plus ou moins évidente ». Ceci est évident, selon l’énoncé de la Cour suprême apparaissant au paragraphe 92 :

[92]     Les moyens de parvenir à l’objet du brevet 777 faisaient partie des connaissances générales courantes.  On peut supposer qu’il existait un motif de chercher un produit efficace et non toxique inhibant l’agrégation des plaquettes dans le sang.  Cependant, ni le brevet 875 ni les connaissances générales courantes ne rendaient évidents les propriétés de l’isomère dextrogyre du racémate ou les avantages du bisulfate, de sorte qu’il n’était pas évident que l’essai serait fructueux.  Les efforts et le temps consacrés démontrent qu’il n’était pas possible de prédire rapidement ou aisément l’avantage que présentait l’isomère dextrogyre.  S’il était allé de soi d’isoler l’isomère dextrogyre, il est difficile de croire que Sanofi ne l’aurait pas fait au lieu de consacrer en vain temps et argent au racémate.  Je conclus que l’antériorité et les connaissances générales courantes des personnes versées dans l’art à l’époque considérée n’étaient pas suffisantes pour qu’il aille plus ou moins de soi de tenter d’isoler l’isomère dextrogyre.

 

[162]       Cette conclusion confirme celle du juge de première instance Shore à l’égard des faits propres à la présente affaire. Aux paragraphes 80 à 83 de sa décision (2005 CF 390), il a écrit ce qui suit : 

[80]            Il y a lieu de souligner que les revendications relatives au procédé (revendications 6 à 9) dans le brevet ’777, qui décrivent une méthode permettant de séparer les isomères constituant le racémate, ne sont pas contestées en l’espèce. Cependant, même si ces revendications ne sont pas en cause, la séparation des isomères constituant le racémate (à l’aide d’une méthode efficace, même s’il ne s’agit pas de la méthode divulguée dans le brevet ‘777) afin d’obtenir l’isomère dextrogyre du racémate constitue une étape additionnelle nécessaire qu’il faut mettre en oeuvre après s’être conformé aux instructions contenues dans les antériorités (par exemple, le brevet ‘875) en vue d’obtenir les composés divulgués dans la revendication 1 (isomère dextrogyre du racémate) et dans la revendication 3 (bisulfate de l’isomère dextrogyre du racémate). Les experts des deux parties ont signalé cinq techniques de séparation bien connues à l’époque où le brevet ‘777 a été déposé :    formation de sels diastéréisomériques du racémate puis purification par cristallisation fractionnée; résolution directe des énantiomères par chromatographie chirale; synthèse à partir des réactifs optiquement actifs; dosages immunologiques; et résolution directe par chromatographie. Rien dans la preuve présentée devant la Cour n’indique que les connaissances à l’époque en cause permettaient à une personne versée dans l’art de savoir au préalable laquelle des différentes techniques de séparation permettrait de séparer les isomères du racémate dont il est question ici. La seule preuve déposée devant la Cour indique qu’une personne versée dans l’art finirait par trouver la technique qui convient parmi les techniques de séparation bien connues. Ce que les experts disent, en fait, du point de vue juridique, c’est qu’il vaut la peine de tenter de séparer les isomères constituant le racémate : voilà ce qui ressort de cette preuve. Le fait de devoir essayer différentes méthodes, bien qu’il s’agisse de méthodes bien connues, pour découvrir laquelle donnera le résultat souhaité, ne peut signifier que le résultat souhaité, dans ce cas l’obtention des composés décrits aux revendications 1 et 3 et leurs compositions pharmaceutiques, était évident.

 

[81]            Deuxièmement, non seulement a-t-il d’abord fallu séparer les composés décrits aux revendications 1 et 3 du brevet ‘777, ce qui n’est pas un procédé évident, mais les composés ainsi séparés ont dû être soumis à des essais afin de déterminer leurs propriétés avantageuses respectives. La Cour se penche d’abord sur l’isomère dextrogyre du racémate (revendication 1). Même si les méthodes permettant de déterminer les propriétés des isomères séparés sont bien connues, rien n’indique que les connaissances à l’époque en cause permettaient à une personne versée dans l’art de savoir quelles seraient les propriétés de l’isomère dextrogyre avant de séparer les isomères du racémate et de soumettre à des essais l’isomère dextrogyre ainsi séparé. La seule preuve déposée devant la Cour indique qu’une personne versée dans l’art pourrait, à l’aide de techniques courantes, découvrir les propriétés de chaque isomère séparé. Ici encore, le fait de devoir utiliser différentes techniques de séparation sans savoir avec certitude si chaque technique ou certaines techniques bien précises permettraient en fait de séparer efficacement les isomères, puis le fait de devoir procéder à des essais pour déterminer les propriétés de l’isomère dextrogyre du racémate, ne peuvent signifier que ce composé et ses propriétés avantageuses étaient évidents. Dans le cas de l’isomère dextrogyre, les propriétés découvertes sont, par rapport à celles de l’isomère lévogyre, son importante activité et sa faible toxicité.

 

[82]            La Cour a ensuite examiné le bisulfate de l’isomère dextrogyre du racémate (revendication 3). Même si différents sels acceptables du point de vue pharmaceutique auraient pu être évalués en combinaison avec l’isomère dextrogyre du racémate (en effet, certains de ces sels étaient mentionnés dans les exemples présentés dans le brevet ‘875), rien n’indique qu’une personne versée dans l’art pourrait savoir quelles sont les propriétés avantageuses du bisulfate avant d’évaluer les différents sels en combinaison avec l’isomère dextrogyre. La seule preuve déposée devant la Cour indique qu’une personne versée dans l’art pourrait, à l’aide de techniques connues, découvrir les propriétés d’un sel utilisé en combinaison avec un isomère. Ici encore, le fait de devoir utiliser différentes techniques de séparation sans savoir avec certitude si chaque technique ou certaines techniques bien précises permettraient en fait de séparer efficacement les composés, puis le fait de devoir procéder à des essais pour déterminer les propriétés du bisulfate utilisé en combinaison avec l’isomère dextrogyre du racémate, ne peuvent signifier que ce composé et ses propriétés avantageuses étaient évidents. Dans le cas du bisulfate de l’isomère dextrogyre, les propriétés découvertes sont, par rapport à celles des autres sels, son caractère non hygroscopique et son hydrosolubilité élevée.

 

[83]            Il découle de la conclusion que les revendications 1 et 3 n’étaient pas évidentes, pas plus que les revendications 10 et 11, lesquelles portaient sur des compositions.

 

 

[163]       La Cour d’appel fédérale, après la publication de l’arrêt Sanofi de la Cour suprême, a examiné la possibilité d’appliquer les critères dans Apotex Inc. c. Pfizer Canada Inc., 2009 CAF 8. Après avoir examiné les motifs de l’arrêt Sanofi, le juge Noël, pour la Cour d’appel, a écrit au paragraphe 28 :

[28]                J’en déduis que le critère qu’adopte la Cour suprême n’est pas celui qu’on exprime par la formule approximative « quelque chose valant d’être tenté ». Après avoir noté l’argumentation d’Apotex faisant valoir que le critère de quelque chose « valant d’être tenté » devrait être accepté (paragraphe 55), le juge Rothstein n’utilise plus jamais par la suite l’expression « valant d’être tenté » et l’erreur qu’il identifie dans la question dont il est saisi est le défaut d’appliquer le critère de l’« essai allant de soi » (paragraphe 82).

 

 

[164]       Curieusement, le texte anglais de ce paragraphe n’est pas tout à fait celui que l’on retrouve dans les Canadian Patent Reports, 72 C.P.R. (4th) 141. Voici la version C.P.R. :

[28]                 I take it from this that the test adopted by the Supreme Court is a precise application of the test loosely referred to as “worth a try”. After having noted Apotex’ argument that the “worth a try” test should be accepted (para. 55), Rothstein J. never again uses the expression “worth a try” and the error which he identifies in the matter before him is the failure to apply the “obvious to try” test (para. 82).

 

[165]       On m’informe que la version anglaise de la décision 2009 CAF 8 se trouvant sur le site de la Cour est la version exacte qui représente correctement le point de vue de notre Cour sur l’arrêt Sanofi.

 

[166]       Par conséquent, dans mon examen de l’évidence je ne tenterai pas de déterminer si quelque chose « vaut d’être tenté », mais je me contenterai plutôt de citer à nouveau le paragraphe 69 de Sanofi :

Lorsque l’application du critère de l’« essai allant de soi » est justifiée, les éléments énumérés ci‑après doivent être pris en compte à la quatrième étape de l’examen de l’évidence.  Tout comme ceux pertinents pour l’antériorité, ils ne sont pas exhaustifs et s’appliquent selon la preuve offerte dans le cas considéré.

1.                  Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux?  Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

2.                  Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l’invention?  Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est‑elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

3.                  L’antériorité fournit‑elle un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

 

[167]       Dans le cas qui nous occupe, contrairement à Sanofi, nous faisons face à une situation où les inventeurs se sont vu attribuer une tâche, celle d’étudier le maléate d’amlodipine et de voir si, en poursuivant les travaux, ils pouvaient le faire passer à l’étape finale de la formulation aux fins d’approbation réglementaire. Ils ont rapidement déterminé qu’il y avait deux problèmes : l’instabilité et l’adhérence, et seul le premier est mentionné dans le brevet. Ils ont tenté d’ajuster les formulations, une tâche courante. En fait, on a fini par découvrir une formulation adéquate pour le maléate, mais elle n’a pas été mentionnée dans le brevet, sauf en tant que formulation de bésylate. Ils ont également fait des essais sur d’autres sels au moyen d’un processus bien connu, la sélection des sels. Ils ont soumis un certain nombre de sels à des essais, y compris des sulfonates, dont le bésylate fait partie. Même si le bésylate n’était vraisemblablement pas le premier choix de tout le monde, il ne s’agissait pas d’un choix déraisonnable.  

 

[168]       Tout au long de la sélection des sels, il semble que le bésylate, ainsi que d’autres sulfonates, fonctionnait suffisamment bien pour qu’ils soient attribués à d’autres personnes s’occupant de la formulation finale et pour que l’on cherche à obtenir une approbation réglementaire.

 

[169]       Tout cela était pratique courante pour une personne versée dans l’art, à l’époque. Dans le premier ensemble de sels évalués, les inventeurs ont découvert quelques sels, particulièrement les sels de l’acide sulfonique, y compris le bésylate, qui étaient satisfaisants. Ils ne sont donc pas allés plus loin; pourquoi se donner la peine d’en évaluer davantage? 

 

[170]       Je suis d’accord en particulier avec les conclusions de M. Cunningham présentées au paragraphe 179 de son rapport (pièce 17) selon lesquelles une personne versée dans l’art aurait été motivée à faire des essais sur des sels de l’acide sulfonique en général et aurait toutes les raisons de soumettre le bésylate à des essais, car il avait déjà été prouvé qu’il offrait des avantages par rapport à d’autres sels sur le plan de la stabilité.  

 

[171]       J’arrive aux mêmes conclusions factuelles que la United States Court of Appeals for the Federal Circuit dans Pfizer Inc. c. Apotex Inc. (2006) 480 F.3d 1348, dont voici un extrait tiré de la page 10 :

[traduction] Toutefois, en ce qui concerne les faits précis de l’affaire qui nous occupe, il convient de tenir compte des « essais courants » effectués par Pfizer parce que l’état antérieur de la technique fournissait non seulement les moyens permettant la création de sels d’addition acide, mais elle permettait également de prévoir les résultats, que Pfizer n’avait qu’à vérifier au moyen d’essais courants. […] Les éléments de preuve montrent que, au moment de la fabrication d’un nouveau sel d’addition acide, il était courant dans le métier de vérifier les caractéristiques physicochimiques prévues de chaque sel, dont la solubilité, le pH, la stabilité, l’hygroscopicité et l’adhérence, et les scientifiques de Pfizer ont utilisé des techniques standard pour le faire. Les types d’expériences auxquelles les scientifiques de Pfizer ont eu recours pour vérifier les caractéristiques physicochimiques de chaque sel ne correspondent pas au mode de recherche par tâtonnement souvent employé pour découvrir un nouveau composé, si l’état antérieur de la technique n’incite aucunement à fabriquer le nouveau composé ou n’offre aucune attente raisonnable de réussite.  

 

[172]       Après avoir appliqué le critère de Sanofi, je conclus que l’invention pour laquelle la protection a été demandée, soit un bésylate de l’amlodipine, était évidente; par conséquent, le brevet 393 est invalide.

 

[173]       Indépendamment de cette conclusion, j’examinerai tout de même les autres questions soulevées dans l’éventualité où un appel serait interjeté, ce qui est pratiquement inévitable dans des actions comme celle-ci.

 

C.        Brevet de sélection

 

[174]       Cette question peut être énoncée simplement : étant donné qu’une personne versée dans l’art connaît déjà l’existence de l’amlodipine et sait déjà qu’il existe plusieurs sels de l’amlodipine qui sont pharmaceutiquement acceptables, peut‑on obtenir un brevet valide pour le bésylate, particulièrement si ce sel précis n’a pas déjà été mis au point?

 

[175]       Dans d’autres affaires, j’ai déjà exprimé l’opinion que la tentative de créer une catégorie spéciale pour les brevets de « sélection » n’est en réalité rien de plus qu’une autre façon d’aborder la question de l’évidence. En termes généraux, la question est la suivante : si une classe de composés a été découverte, est-il évident qu’un composé ou un groupe de composés particulier faisant partie de cette classe aura les mêmes propriétés ou des propriétés différentes? Et si elles sont différentes, à quel point le seront‑elles?

[176]       La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sanofi, précité, a abordé la question des brevets de sélection aux paragraphes 9 à 11 de ses motifs :

9     La description classique du brevet de sélection figure dans l’arrêt In re I. G. Farbenindustrie A. G.’s Patents (1930), 47 R.P.C. 289 (Ch. D.), où le juge Maugham explique à la p. 321 que les brevets portant sur des produits chimiques (dont bien sûr les composés pharmaceutiques) se divisent souvent en deux [traduction] « catégories nettement distinctes ».  La première, celle des brevets d’origine, formée des brevets protégeant une invention source, à savoir la découverte d’une nouvelle réaction ou d’un nouveau composé.  La seconde catégorie, celle des brevets visant une sélection des composés décrits en termes généraux et revendiqués dans le brevet d’origine.  Le juge Maugham précise que les composés sélectionnés ne doivent pas avoir été réalisés auparavant, sinon le brevet de sélection [traduction] « ne satisfait pas à l’exigence de nouveauté ».  Cependant, le composé sélectionné qui est « nouveau » et qui « possède une propriété particulière imprévue » remplit l’exigence de l’étape inventive.  Le juge Maugham ajoute à la p. 322 que le brevet de sélection [traduction] « ne diffère pas en soi de tout autre brevet ».

 

10     Le juge Maugham ne définit pas le brevet de sélection de manière exhaustive, mais il énonce trois conditions essentielles à sa validité (p. 322‑323).

 

1.                  L’utilisation des éléments sélectionnés permet d’obtenir un avantage important ou d’éviter un inconvénient important.

 

2.                  Tous les éléments sélectionnés (« à quelques exceptions près ») présentent cet avantage.

 

3.                  La sélection vise une qualité particulière propre aux composés en cause.  Une recherche plus poussée révélant qu’un petit nombre de composés non sélectionnés présentent le même avantage ne permettrait pas d’invalider le brevet de sélection.  Toutefois, si la recherche démontrait qu’un grand nombre de composés non sélectionnés présentent le même avantage, la qualité du composé revendiqué dans le brevet de sélection ne serait pas particulière.

 


11     Même si les brevets de sélection ont fait couler beaucoup d’encre depuis la décision I. G. Farbenindustrie, les principes dégagés par le juge Maugham sont régulièrement cités et reconnus.  J’estime qu’ils offrent un bon point de départ pour l’analyse que requiert le présent pourvoi.

 

[177]       En l’espèce, l’examen de ces critères a pour but de déterminer si le sel de bésylate d’amlodipine a un « avantage spécial » à l’égard d’une « qualité spéciale » propre au bésylate.

 

[178]       L’utilisation d’expressions telles que « de manière inattendue », « unique » et « exceptionnellement convenable » par la ou les personnes qui ont rédigé la demande ayant mené au brevet 393 est manifeste.

 

[179]       Cependant, sans fondement solide, des adjectifs et des adverbes ne sont pas suffisants pour réussir à créer un « brevet de sélection » là où en fait il n’en existe pas. Comme on l’a vu dans les témoignages, il est difficile à partir de la seule description du brevet et pratiquement impossible, d’après les éléments de preuve, d’affirmer que le bésylate est suffisamment supérieur aux autres sels, par exemple au tosylate et au mésylate, pour qu’on puisse considérer qu’il est « unique », « exceptionnel » ou « particulièrement adapté ».

 

[180]       Si la catégorie du brevet de « sélection » existe, le sel de bésylate de l’amlodipine ne mérite pas de faire partie de cette catégorie. Le brevet 393 est invalide pour cette raison également.

 


D.        Utilité

 

[181]       L’article 2 de la Loi sur les brevets, précitée, prévoit qu’une invention doit présenter « le caractère de la nouveauté et de l’utilité ».

 

[182]       J’ai déjà examiné le brevet 393 du point de vue de l’utilité en me fondant sur le brevet seulement dans Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 500, aux paragraphes 90 à 116. J’ai conclu ce qui suit au paragraphe 116 :

[116]      Je conclus que, selon la prépondérance de la preuve, Pharmascience n’a pas établi, en s’appuyant sur les données présentées dans le brevet, voire les données étrangères au brevet, que l’invention révélée dans ce dernier est dénuée d’utilité. En d’autres termes, la preuve ne me convaInc.pas qu’une personne versée dans l’art aurait été embrouillée par les données présentées dans le brevet ou n’aurait pas été capable de tirer des conclusions raisonnables quant à l’utilité du bésylate. La preuve étrangère au brevet n’est d’aucune utilité additionnelle en ce qui concerne cette thèse.

 

[183]       En l’espèce, grâce aux témoignages que j’ai entendus, je dispose d’éléments de preuve qui vont au-delà du brevet. Selon l’invention exposée dans le brevet, le bésylate de l’amlodipine présente une combinaison « unique » de caractéristiques qui le rendent « exceptionnellement adapté » à la mise au point de formulations pharmaceutiques de ce médicament. Or d’après les témoignages, ce n’est pas le cas. Selon les formulations et les circonstances, le tosylate, et même le mésylate, étaient équivalents ou mieux. Le maléate est vendu en tant que produit commercial, tout comme le bésylate.

 

[184]       Je répète ce que j’ai dit dans Pfizer Canada Inc., précité, en citant le juge Strayer, qui citait quant à lui le président Thorson, aux paragraphes 93 et 94 :

[93]           En définissant le mot « invention » à l’article 2, la Loi sur les brevets, précitée, exige que l’invention présente « le caractère de la nouveauté et de l’utilité ». Au Canada, les tribunaux d’instance supérieure n’ont pas analysé en détail le concept de l’« utilité ». Ce dernier semble parfois confondu avec celui du « caractère suffisant », c’est-à-dire : le brevet comporte-t-il une description suffisante qui permette à une personne versée dans l’art de réaliser une chose qui puisse fonctionner. L’utilité semble parfois aussi confondue avec le concept des « revendications de portée plus large que l’invention », c’est-à-dire que, même si le brevet décrit quelque chose d’utile, il revendique quelque chose de plus que cela et ce « quelque chose de plus » n’est pas utile.

 

[94]           Un bon résumé du droit canadien relatif à l’utilité, et qui reflète l’état du droit même aujourd’hui, a été fait par le juge Strayer dans ses motifs de la décision Corning Glass Works c. Canada Wire & Cable Ltd. (1984), 81 C.P.R. (2d) 39 (C.F. 1re inst.), à la page 71:

 

La position juridique adoptée par la défenderesse est peut-être représentée le mieux par un passage cité par l’avocat et tiré de Minerals Separation North American Corp. c. Noranda Mines Ltd. (1950), 12 C.P.R. 99, aux pages 111-112, [1947] R.C.E. 306, à la page 317, 6 Fox Pat. C. 130, où, en parlant de la description de l’invention qui doit être exposée dans les divulgations, le président Thorson a déclaré ce qui suit :

 

La description doit aussi fournir tous les renseignements nécessaires pour le bon fonctionnement ou la bonne utilisation de l’invention, sans que ce résultat soit laissé au hasard d’une expérience réussie, et si des avertissements sont nécessaires pour éviter l’échec, ces avertissements doivent être présents. De plus, l’inventeur doit agir en toute bonne foi et donner tous les renseignements qu’il connaît pour mettre en oeuvre l’invention de façon à obtenir le mieux possible le résultat qu’il a conçu.

 

Dans la même veine, voir aussi Hatmaker c. Joseph Nathan & Co. Ltd. (1919), 36 R.P.C. 231, à la page 237 (H.L.). L’avocat a également cité Hoechst Pharmaceuticals of Canada Ltd. et al. c. Gilbert & Co. et al. (1965), 50 C.P.R. 26, à la page 58 1965 CanLII 52 (S.C.C.), [1966] R.C.S. 189, à la page 194, 32 Fox Pat. C. 56. Dans cet arrêt, le juge Hall, s’exprimant au nom de la Cour suprême, a invalidé certaines revendications parce que celles-ci visaient tous les membres possibles d’une catégorie de composés, et ce, qu’un membre donné puisse être réalisé ou non. Il a été conclu que le breveté avait fait des revendications de portée trop large.

 

[185]       En l’espèce, la preuve étrangère au brevet montre que la promesse voulant que l’invention soit unique et exceptionnelle n’a pas été remplie.

 

[186]        Le brevet 393 est invalide pour défaut d’utilité.

 

E.         Le caractère suffisant

 

[187]       Les alinéas 34(1)a) et b) (maintenant le paragraphe 27(3)) de « l’ancienne » Loi sur les brevets disposent :

34. (1) Dans le mémoire descriptif, le demandeur :

 

 

a)         décrit d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur

 

b)         expose clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’objet de l’invention;

34. (1) An applicant shall in the specification of his invention

 

(a)        correctly and fully describe the invention and its operation or use as contemplated by the inventor;

 

 

(b)        set out clearly the various steps in a process, or the method of constructing, making, compounding or using a machine, manufacture or composition of matter, in such full, clear, concise and exact terms as to enable any person skilled in the art or science to which it appertains, or with which it is most closely connected, to make, construct, compound or use it;

 

 

[188]       Appelés à vérifier le respect de ces exigences, dont on dit souvent qu’elles ont trait au « caractère suffisant », les tribunaux ont cherché à déterminer si le brevet lui-même comporte assez d’information pour permettre à une personne versée dans l’art de le mettre en pratique. La Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CAF 108, a examiné la question du caractère suffisant et a indiqué que la question n’est pas de savoir si le brevet comporte suffisamment de données pour étayer la promesse du brevet, mais plutôt de savoir s’il divulgue suffisamment d’informations pour permettre à une personne versée dans l’art d’utiliser l’invention. Je reproduis ci-dessous le paragraphe 63 de cette décision :

[63]           Le juge des demandes s’est trompé en interprétant la promesse du brevet et en déterminant mal la portée de l’exigence de divulgation suivant le paragraphe 27(3) de la Loi lorsqu’il s’est demandé s’il y avait suffisamment de données pour étayer la promesse du brevet. Un tel examen excède la portée de la disposition. Attaquer un brevet de sélection au motif qu’il n’existe pas de données pour étayer l’avantage revendiqué est certainement pertinent aux fins de la validité (très probablement en ce qui regarde la question de l’utilité), mais ne l’est pas aux fins de la divulgation suivant le paragraphe 27(3) de la Loi.

 

[64]           Le brevet doit divulguer l’invention et comment elle est fabriquée. Le brevet ‘546 fait cela. Il divulgue également les avantages sous-tendant la sélection. C’est là, à mon avis, la portée de l’exigence énoncée au paragraphe 27(3) de la Loi, dont l’objet est de permettre à une personne versée dans l’art d’utiliser pleinement l’invention sans avoir à faire montre d’un esprit inventif.

 

[189]       Dans Pfizer Canada Inc. c. Canada (ministre de la Santé), précité, j’ai appliqué ces critères au brevet 393, aux paragraphes 64 à 83 de ladite décision, et j’ai conclu que le brevet satisfaisait aux critères, au paragraphe 83 :

[83]           Si l’on prend en considération la preuve dans son ensemble, et si l’on ne s’occupe que de ce qui est énoncé à la face même du brevet, je ne conclus pas que ce qui est exposé dans le brevet est insuffisant. Je suis persuadé que, en considérant à première vue le brevet, une personne versée dans l’art obtiendrait suffisamment de renseignements sur ce qu’était l’invention et sur la façon de la mettre en pratique. Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., 1981 CanLII 15 (C.S.C.), [1981] 1 R.C.S. 504, à la page 525:

 

« On n’a pas prétendu que l’invention ne produirait pas les résultats promis. »

 

et, à la page 526, au sujet du paragraphe 36(1) (aujourd’hui le paragraphe 27(3)) de la Loi sur les brevets :

 

Même si (i) le par. 36(1) exige que l’inventeur indique et revendique distinctement la partie, le perfectionnement ou la combinaison qu’il réclame comme son invention et si (ii) pour être brevetable une invention doit consister en quelque chose de nouveau et d’utile (art. 2) qui n’était pas connue ou utilisée par une autre personne avant que l’inventeur l’ait faite (al. 28(1)a)), je ne donne pas aux derniers mots du par. 36(1) une interprétation qui oblige l’inventeur à décrire, dans sa divulgation ou ses revendications, en quoi l’invention est nouvelle et de quelle manière elle est utile. Il doit dire ce qu’il revendique avoir inventé. Il n’est pas obligé de vanter l’effet ou l’avantage de sa découverte s’il décrit son invention de manière à le produire.

 

Comme le dit le président Thorson dans R. v. American Optical Company et al. [(1950), 11 Fox Pat. C. 62], à la p. 85 :

 

On ne peut pas opposer non plus au caractère suffisant de la divulgation que les avantages de l’invention énoncés par le professeur Price n’ont pas été mentionnés dans le mémoire descriptif [...]. Si un inventeur a adéquatement décrit son invention, il a droit d’en jouir même s’il n’apprécie ni ne réalise pleinement les avantages qui en découlent ou s’il ne peut fournir l’explication scientifique de ces derniers. Il suffit que le mémoire descriptif décrive de façon complète et correcte l’invention et son emploi ou fonctionnement prévu par l’inventeur de telle sorte que le public, c.-à-d. les personnes versées dans l’art, puisse, en n’ayant que le mémoire descriptif, utiliser l’invention avec le même succès que l’inventeur.

 

[190]       Ce faisant, je cherchais ce qui était présenté dans le brevet lui-même et non dans les données sous-jacentes. J’ai affirmé au paragraphe 68 :

[68]           Par conséquent, pour ce qui est du caractère suffisant, un tribunal doit examiner ce qui est présenté dans le brevet lui-même. Une preuve concernant les données sous-jacentes ne doit pas être prise en considération à cette fin. En examinant le brevet lui-même, le tribunal doit examiner si l’on a fourni suffisamment de renseignements pour pouvoir conclure que l’invention et son utilisation sont indiquées et si une personne versée dans l’art pourrait la mettre en pratique.

 

[191]       En l’espèce, nous sommes en présence d’une situation différente; non seulement nous disposons des données sous-jacentes présentées de façon beaucoup plus complète, mais nous disposons également du témoignage de M. Wells, l’inventeur principal, en direct à la barre en plus de celui du deuxième inventeur désigné, M. Davison, également en direct à la barre. Auparavant, seul M. Davison avait présenté une preuve par affidavit et une transcription du contre‑interrogatoire dans une instance antérieure (2008 CF 500).

 

[192]       Il faut porter attention, ce que la Cour n’a pas fait vraiment jusqu’ici, aux mots « telles que les a conçues son inventeur » à fin de l’alinéa 34(1)a) de la Loi sur les brevets.

 

[193]       Nous connaissons désormais l’intention des inventeurs et nous pouvons la comparer avec ce que dit le brevet 393. Comme nous l’avons dit auparavant dans les présents motifs, il y a beaucoup d’erreurs, d’omissions, d’insertions provenant d’ailleurs et de divergences importantes dans le brevet 393 par rapport à ce que les inventeurs avaient en tête. La Cour a rarement eu la possibilité d’examiner ces questions. Ne disposant pas des preuves nécessaires, les tribunaux ont dû dans le passé présumer que le libellé du mémoire descriptif dans un brevet en litige reflétait l’intention des inventeurs et, sur cette base, ils se sont attachés uniquement à ce qu’une personne versée dans l’art pouvait comprendre au vu de ce libellé.

 

[194]       En l’espèce, la preuve démontre que le mémoire descriptif du brevet 393 ne divulgue pas l’invention telle que l’ont conçue les inventeurs. Le brevet est donc invalide aussi pour cette raison.

 

F.         L’article 53

 

[195]       L’article 53 de la Loi sur les brevets (identique dans la « nouvelle » et l’« ancienne ») dispose :

53. (1) Le brevet est nul si la pétition du demandeur, relative à ce brevet, contient quelque allégation importante qui n’est pas conforme à la vérité, ou si le mémoire descriptif et les dessins contiennent plus ou moins qu’il n’est nécessaire pour démontrer ce qu’ils sont censés démontrer, et si l’omission ou l’addition est volontairement faite pour induire en erreur.

 

(2) S’il apparaît au tribunal que pareille omission ou addition est le résultat d’une erreur involontaire, et s’il est prouvé que le breveté a droit au reste de son brevet, le tribunal rend jugement selon les faits et statue sur les frais. Le brevet est réputé valide quant à la partie de l’invention décrite à laquelle le breveté est reconnu avoir droit.

 

 

 

(3) Le breveté transmet au Bureau des brevets deux copies authentiques de ce jugement. Une copie en est enregistrée et conservée dans les archives du Bureau, et l’autre est jointe au brevet et y est incorporée au moyen d’un renvoi.

53. (1) A patent is void if any material allegation in the petition of the applicant in respect of the patent is untrue, or if the specification and drawings contain more or less than is necessary for obtaining the end for which they purport to be made, and the omission or addition is wilfully made for the purpose of misleading.

 

 

 

 

(2) Where it appears to a court that the omission or addition referred to in subsection (1) was an involuntary error and it is proved that the patentee is entitled to the remainder of his patent, the court shall render a judgment in accordance with the facts, and shall determine the costs, and the patent shall be held valid for that part of the invention described to which the patentee is so found to be entitled.

 

(3) Two office copies of the judgment rendered under subsection (1) shall be furnished to the Patent Office by the patentee, one of which shall be registered and remain of record in the Office and the other attached to the patent and made a part of it by a reference thereto.

 

[196]       Le Canada, contrairement à d’autres pays comme les États-Unis, ne possède pas de disposition législative portant expressément sur les questions de fraude. Cependant, l’article 53 s’en approche. De ce fait, je suis d’accord avec les observations de l’avocat de Pfizer voulant que les allégations s’appuyant sur cet article doivent être plaidées d’une façon précise et que la partie à qui on reproche d’avoir contrevenu à ses dispositions doit avoir amplement la possibilité de connaître le contenu des allégations afin de pouvoir préparer sa défense.

 

[197]       Ratiopharm a allégué que Pfizer avait contrevenu à l’article 53 sous trois aspects, eu égard à la déclaration modifiée, 20 octobre 2008, paragraphes 63 à 78 :

[traduction]

i)          en omettant de mentionner la stabilité du monohydrate de mésylate et en ajoutant qu’il n’était pas adapté à la préparation des comprimés;

 

ii)         en omettant les données concernant les essais sur l’acide sulfonique, qui montrent que le mésylate, le napsylate et le tosylate sont des hydrates stables et non hygroscopiques;

 

iii)         en ajoutant une déclaration selon laquelle il avait été établi qu’aucun des sels décrits dans le BE167 ne répondait aux quatre critères relatifs à des sels pharmaceutiquement acceptables.

 

 

[198]       À l’audience, l’avocat de Ratiopharm a fait valoir, au moment de terminer sa réplique, qu’une autre déclaration inexacte pouvait, implicitement, être décelée dans les plaidoyers. Un raisonnement implicite ne suffit pas. En outre, l’avocat a présenté oralement une requête basée sur des faits dont il a pris connaissance la veille, mais qu’il avait en sa possession depuis au moins deux mois environ, dans le but d’obtenir l’autorisation de faire une autre allégation. J’ai rejeté la requête, car elle était tardive.

 

[199]       La preuve établit que les déclarations inexactes qui ont été dûment plaidées ont été faites, qu’elles étaient effectivement inexactes et qu’elles ont servi à renforcer le caractère unique et exceptionnel présumé du sel de bésylate, lesquelles caractéristiques étaient fausses. Ces inexactitudes et le choix de mots tels qu’unique, exceptionnel et particulièrement adapté sont l’œuvre des rédacteurs du brevet et non des inventeurs.

 

[200]       Dans leur témoignage, M. Wells et M. Davison ont pris leurs distances à l’égard de la rédaction du brevet, même au risque d’admettre ainsi leur défaillance ou leur négligence à cet égard. M. Moore, la seule personne à témoigner sur ce qui s’est passé au cours de la rédaction du brevet, a imputé la faute à Jenny Bowery, une stagiaire à propos de laquelle il a dit qu’elle avait quitté son emploi parce qu’elle trouvait difficile de travailler dans le domaine de la chimie organique complexe (tome 12, page 24). M. Moore a dit qu’il avait probablement revu son travail, mais il ne se rappelle pas de détails particuliers.

 

[201]       Cet effort de se distancier de la rédaction du brevet pour faire porter le blâme sur une stagiaire peu compétente en chimie et aujourd’hui introuvable donne l’impression à la Cour que Pfizer savait que le brevet tel que rédigé posait problème. Cela étant, Pfizer n’a entrepris aucune démarche dans le but de corriger la situation, à part opposer une défense vigoureuse à la présente action.

 

[202]       Il arrive rarement, sinon jamais, que quelqu’un admette avoir fait quelque chose de mal, tel qu’avoir intentionnellement inclus des déclarations inexactes dans un brevet. En interrogatoire principal, l’avocat de Pfizer a posé à M. Moore une question suggestive à cet égard, que j’ai refusée. Je n’accorde aucun poids à la réponse donnée à la question complémentaire parce que la graine avait déjà été plantée dans l’esprit de M. Moore. (volume 12, pages 107 et 108).

 

[203]       Comme je l’ai indiqué dans G.D. Searle & Co. c. Novopharm Ltd., 2007 CF 81,  [2008] 1 R.C.F. 477 (infirmé pour d’autres motifs dans 2007 CAF 173, [2008] 1 R.C.F. 529 (CA), sans examen de cette question) aux paragraphes 70 à 77, la divulgation appropriée est essentielle et l’intention d’induire en erreur peut être inférée. Je reproduis ci‑dessous les paragraphes 70 à 74.

[70]           Dans l’arrêt FBI (cité aux paragraphes 30 et 31 de Flexi-Coil, précité), ainsi qu’au paragraphe 37 de Whirlpool Inc. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, et au paragraphe 12 d’AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2006 C.S.C. 49, la Cour suprême du Canada rappelle que la divulgation de l’invention par le breveté constitue une contrepartie essentielle de l’octroi par le Canada du monopole de ladite invention.

[71] Il existe une doctrine de la bonne foi en matière de brevets depuis au moins 60 ans. Par exemple, le président Thorson de
la Cour de l’Échiquier faisait observer, à la page 317 de Noranda Mines Ltd. c. Minerals Separation North American Corp., [1947] R.C.E. 306, que l’inventeur doit agir avec la plus entière bonne foi et communiquer tous les renseignements dont il dispose permettant la réalisation optimale, telle qu’il la conçoit, de son invention.

[72] Le brevet est un monopole que le demandeur recherche volontairement : il n’y est pas obligé. La demande de brevet est dans les faits une procédure ex parte, c’est-à-dire un dialogue engageant seulement le demandeur et l’examinateur du Bureau des brevets. Par ailleurs, la Loi sur les brevets établit une présomption de validité du brevet lorsqu’il est délivré.

[73] Le brevet n’est pas délivré à seule fin d’offrir à un membre du public la possibilité d’en contester la validité; voir le paragraphe 54 de Kingstreet Investments Ltd. c. Nouveau-Brunswick (Finances),
2007 C.S.C. 1, où la Cour suprême formule un principe analogue dans le contexte de la législation fiscale. Le demandeur de brevet est tenu d’agir de bonne foi dans ses rapports avec le Bureau des brevets. La demande de brevet comprend un mémoire descriptif et des projets de revendications. Le mémoire descriptif constitue la divulgation en contrepartie de quoi est octroyé le monopole défini par les revendications. Cette divulgation, pour reprendre les termes de la Cour suprême, doit être complète, franche et impartiale. Des renseignements complémentaires peuvent être communiqués au cours du dialogue avec l’examinateur du Bureau des brevets. Depuis au moins le 1er octobre 1996, l’obligation de bonne foi est applicable aux rapports avec l’examinateur. On attend du demandeur une divulgation complète, franche et impartiale. Ce dernier a toute possibilité, au cours de la poursuite de sa demande, de communiquer des renseignements complémentaires, ainsi que de corriger les inexactitudes ou de combler les lacunes de ses déclarations antérieures. Il n’est ni déraisonnable ni excessivement sévère de la part de la Cour de considérer la demande, et par suite le brevet, comme ayant été abandonnés si, après la délivrance de celui-ci, elle déclare la divulgation entachée de mauvaise foi.

[74] Je conclus que l’affirmation selon laquelle les revendications 1 à 16 des demandes européennes avaient été acceptées (la vérité étant que seules les revendications 1 à 8 l’avaient été et que les autres avaient été transférées à une demande complémentaire) ne suffit pas à justifier que
la Cour juge la demande de brevet abandonnée au motif de la mauvaise foi. Les revendications 1 à 8 incluent l’objet des revendications 4 et 8 ici en litige. Quant aux revendications 9 à 16, elles ne se rapportent à aucune desdites revendications 4 et 8. Au surplus, la demanderesse a déclaré dans une réponse ultérieure que seules les revendications 1 à 8 avaient été acceptées, encore qu’elle n’ait pas souligné ce fait ni ne l’ait rappelé expressément. Aucun élément du dossier n’indique que la déclaration en question ait influencé l’examinateur dans une mesure importante, et l’on n’y trouve non plus aucun renseignement sur l’intention de la demanderesse ou de son agent de brevets. L’importance du fait est donc faible, et la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve tendant à établir le propos délibéré.

 

[204]       En l’espèce, je conclus que les trois questions plaidées étaient des déclarations inexactes, qu’elles induisaient en erreur et que la preuve établit qu’elles ont été faites de manière intentionnelle. Le brevet 393 est invalide pour cette raison également et il ne peut pas être sauvegardé par le paragraphe 53(2) de la Loi sur les brevets.

 


CONCLUSION

 

[205]       J’ai conclu que le brevet 393, tel que représenté par la revendication 11, est invalide pour tous les motifs invoqués à l’audience :

 

·                    Évidence;

·                    Brevet de sélection;

·                    Utilité;

·                    Caractère suffisant;

·                    Article 53

 

[206]       Une déclaration portant que le brevet 393 est invalide sera prononcée et des instructions seront données au commissaire aux brevets afin qu’une inscription soit faite à cet effet dans les registres du Bureau des brevets.

 

[207]       Les dépens sont adjugés à la partie ayant gain de cause, c’est-à-dire Ratiopharm Inc.

 

LES DÉPENS

 

[208]       Ratiopharm Inc. a droit aux dépens payables suivant le milieu de la colonne IV. Elle a également droit au remboursement des honoraires pour un avocat principal et un avocat adjoint à l’audience. De plus, elle a droit au remboursement des frais et débours pour les témoins experts et pour tous les témoins, à l’exception de M. Cappucino pour lequel aucun remboursement des frais ou des débours n’est adjugé. Aucun remboursement des frais ou des débours pour les témoins experts ne doit être disproportionné en comparaison de ceux des autres témoins experts de n’importe quelle partie.

 

[209]       J’ai établi dans d’autres affaires de quelle façon j’estime que les dépens et débours doivent être adjugés et je dirai simplement qu’il devrait en être de même en l’espèce. Les parties peuvent s’adresser à moi au besoin pour toute information concernant les dépens.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Vincent


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :

T-1712-07

 

 

 

 

INTITULÉ :

RATIOPHARM INC.

 

 

 

DEMANDERESSE

 

- et -

 

 

 

 

 

PFIZER  LIMITED

 

 

 

DÉFENDERESSE

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

 

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

1, 2, 3, 4, 8, 9, 10, 12 juin

 

 

15, 16, 17, 18, 23, 25 et 26 juin 2009

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE HUGHES

 

 

 

 

FAIT LE :

8 JUILLET 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. David W. Aitken

M. Marcus Klee

                                                                                                DEMANDERESSE

M.  John B. Laskin

Mme Kamleh J. Nicola

M. W. Grant Worden

Mme Asma Faizi                                                                        DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Osler Hoskin et Harcourt LLP

Ottawa (Ontario)                                                                      DEMANDERESSE

 

Torys LLP

Toronto (Ontario)                                                                     DÉFENDERESSE

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