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Cour fédérale

Federal Court

Date :  20090813

Dossier :  IMM-3914-08

Référence :  2009 CF 828

Ottawa (Ontario), le 13 août 2009

En présence de L'honorable Max M. Teitelbaum

 

ENTRE :

Hector Mauricio RAMIREZ RUEDA

Claudia Agenlica ROSALES MAR

Partie demanderesse

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

Partie défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, visée par le paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (ci-après la «LIPR»), et à l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (ci-après le « tribunal »). Le tribunal a conclu que les demandeurs, citoyens du Mexique, n’avaient pas la qualité de « réfugiés » au sens de l’article 96 de la LIPR ni celle de « personnes à protéger » au sens de l’article 97 de la LIPR, car il y avait la possibilité d’un refuge interne (ci-après la «PRI») au Mexique.

 

[2]               Le demandeur principal Hector Mauricio Ramirez Rueda, âgé de 33 ans, et sa conjointe Claudia Angelica Rosales Mar, âgée de 30 ans, résidaient à Veracruz, au Mexique. Ils sont arrivés au Canada le 3 février 2007 et ont fait leur demande d’asile au Canada le jour même, aux termes des articles 96 et 97 (1) (b) de la LIPR. La demanderesse base son histoire sur celle de son conjoint.

 

[3]               Le 21 novembre 2006, alors qu’il était au volant de son taxi, le demandeur principal a été témoin de l’assassinat d’un motocycliste. Lorsque le demandeur est arrivé proche de la scène du crime, les assassins l’ont aperçu dans son taxi qui portait le numéro 0326. Le demandeur a donc accéléré pour quitter les lieux.

 

[4]               Ensuite, il a appelé les secours sur son téléphone cellulaire. L’opératrice lui a conseillé de se rendre à la police de Boca del Rio où une patrouille s’y trouvait habituellement, mais aucune patrouille n’était sur les lieux. L’opératrice lui a alors conseillé de rester caché et le demandeur a trouvé refuge dans une ruelle.

 

[5]               Le demandeur a appelé son père pour qu’il vienne le retrouver, car il était trop nerveux pour conduire. Lorsque son père est arrivé, le demandeur a appelé la police. Celle-ci l’a informé qu’ils étaient à la recherche des assassins. Le lendemain, le 22 novembre, le demandeur apprend que les assassins ont échappé à la police.

 

[6]               Le demandeur s’est terré chez lui pendant plusieurs jours après l’incident et n’a repris le travail que le 27 novembre 2006. Ce jour là, un client lui a fait signe d’arrêter et lui a mentionné qu’il désirait aller à l’adresse suivante : Tecoltutla 20 Geovillas del Puerto. Cette adresse était en fait, sa propre adresse.

 

[7]               Le client a ensuite menacé le demandeur, en appuyant un couteau sur ses côtes, qu’il violerait sa mère, sa conjointe et qu’il tuerait toute sa famille, s’il ne se taisait pas. Le demandeur a allégué que suite à cette menace, il a aperçu cet homme et ses complices à quatre reprises dans divers endroits y compris devant son domicile.

 

[8]               Le lendemain, soit le 28 novembre, le demandeur a porté plainte au Ministère Public où on lui a dit qu’une protection serait possible moyennant le paiement de 30.000 pesos par membre de sa famille visé par les menaces. Le même jour, le demandeur a reçu un appel sur son cellulaire d’un individu prétendant être au courant de sa dénonciation.

 

[9]               Le 30 novembre 2006, deux policiers sont venus interroger le demandeur chez lui au sujet de sa plainte. Le voyant dans un état de choc, les policiers l’ont référé à une psychologue.

 

[10]           Le 5 décembre 2006, des policiers ont informé le demandeur qu’ils avaient fouillé la maison d’un suspect surnommé Dracula, mais n’avaient trouvé aucune preuve relativement à l’assassinat du motocycliste.

 

[11]           Le demandeur allègue que son père et sa conjointe recevaient également des menaces.

 

[12]           Finalement le demandeur allègue que depuis son arrivée au Canada, son père lui a appris que les groupes « Zetas » et « Gente Nueva » seraient responsables des évènements liés à ces problèmes.

 

[13]           Le tribunal a conclu que l’histoire des demandeurs est plausible, toutefois cette admission ne conduit pas automatiquement à l’attribution du statut de réfugié parce que le tribunal considère que, dans ce cas-ci, il existe une possibilité de refuge interne.

 

[14]           Le tribunal souligne que selon la preuve documentaire, le Mexique est un pays de plus de 100 millions d’habitants vivants dans 31 états, en plus du district fédéral qui compte à lui seul plus de 8 millions d’habitants. Plusieurs autres grandes villes ont une population de plus d’un million d’habitants où le demandeur et sa conjointe pourraient s’établir.

 

[15]           Interrogé sur la possibilité de s’installer ailleurs, à Mexico D.F., par exemple, le demandeur principal a répondu qu’il pourrait travailler n’importe où au Mexique, mais qu’il n’y serait pas en sécurité parce qu’on pourrait le retrouver facilement grâce à sa carte d’électeur. Lorsque le tribunal lui a demandé quelle serait, selon lui, la raison pour laquelle ces gens investiraient temps et argent pour le retrouver partout, il a répondu que ces groupes opèrent aussi à Mexico D.F.

 

[16]           Le tribunal n’est pas de cet avis et considère que les demandeurs ne se sont pas déchargés du fardeau de démontrer que ceux qui les menaces les chercheraient partout au Mexique afin d’empêcher le demandeur principal de témoigner dans cette affaire de l’assassinat du motocycliste.

 

[17]           Le tribunal souligne que la preuve du demandeur est à l’effet que la police mexicaine avait pris l’affaire de l’assassinat en main, dès le début. Il est possible que les responsables de l’assassinat du motocycliste aient tenté, par des menaces, d’empêcher le demandeur principal de les dénoncer.

 

[18]           Le tribunal trouve étrange que le demandeur principal n’ait pas tenté appeler la police pour tenter de les faire arrêter sur place la personne qui l’a menacé avec un couteau le 27 novembre 2007, lorsqu’elle était devant chez lui. De plus, le demandeur principal a allégué qu’il s’est terré chez lui, même si les bandits savaient où il demeurait.

 

[19]           Dans ces conditions, et compte tenu du fait que pendant les deux mois qu’il a passé au Mexique après l’assassinat du motocycliste, le demandeur n’a pu transmettre aucune preuve à la police concernant l’identité des assassins, le tribunal ne voit pas pourquoi ces derniers poursuivraient le demandeur principal et sa conjointe partout au Mexique.

 

[20]           En conséquence, le tribunal est d’avis que les demandeurs n’ont pas démontré la possibilité sérieuse d’être retrouvés et soumis à des traitements cruels et inusités.

 

[21]           Il convient de noter que l’application de l’article 97(1) de la LIPR à cette cause n’a pas permis au tribunal d’invalider l’existence de la PRI.

 

[22]           Les demandeurs prétendent que le tribunal a commis une erreur en concluant que les demandeurs n’ont pas déchargé leur fardeau de démontrer que ceux qui menacent les demandeurs sont capables de les retrouver n’importe où au Mexique.

 

La transcription du journal télévisé

[23]           Les demandeurs soumettent qu’ils ont déposé assez de preuves à l’effet que le groupe «Zetas» est un groupe très puissant qui est présent partout sur le territoire mexicain. Les demandeurs soumettent la transcription d’un extrait de la bande de son d’un journal télévisé mexicain. Les demandeurs soumettent que l’on peut apprécier dans cette transcription la puissance de l’organisation dont les demandeurs sont victimes.  Il s’agit d’une transcription d’un interrogatoire entre « interrogateur », Jesus Arano Servin et Victor Manuel Perez Rocha. Il ressort de cet interrogatoire que le Cartel du Golfe élimine les membres qui ne conviennent plus aux intérêts de l’entreprise, ou qui ne remplissent pas leurs promesses.

 

[24]           Les demandeurs soumettent que le tribunal n’a pas analysé cette transcription. Les demandeurs prétendent que cette preuve démontre l’ampleur des persécuteurs. Les demandeurs décrivent les «Zetas» comme un organisation criminelle bien établie dans tout le pays n’arrêtant pas de faire valoir leurs intérêts. Les demandeurs soumettent que ces bandits n’ont pas besoin de mettre des ressources en place pour trouver et tuer quelqu’un de la ville de Mexico ou d’une autre ville.

Les critères pour la détermination de la possibilité de refuge interne

[25]           Les demandeurs précisent que le critère à appliquer pour déterminer s’il existe une PRI comporte deux volets établis par Rasaratnam v. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1992] 1 F.C. 706 (C.A.):

i)          « la Commission doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où, selon elle, il existe une possibilité de refuge.»

 

ii)         «les conditions dans la partie du pays que l’on estime constituer une PRI doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’asile d’y chercher refuge, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui sont particulièrement au demandeur.»

 

[26]           Les demandeurs prétendent que le tribunal n’a pas écouté la preuve qui démontre que les demandeurs seraient persécutés ailleurs au Mexique.

 

La carte d’électeur

[27]           Les demandeurs soumettent un document intitulé « Questions choisies sur la possibilité de refuge intérieur » datant de juillet 2003 à juillet 2005, du cartable national du Mexique au point 4.2 Traceability of people in Mexico. Dans ce document, Jim Hodgson prétend que l’utilisation répandue de la banque de données de l’IFE (division du registre fédéral des électeurs) contenant des informations relatives à la carte d’électeur est un moyen efficace utilisé par la police pour retrouver la trace d’une personne. De plus, un article de Latin America Press, du 18 juin 2003, fait état que quatre mille fonctionnaires sous-payés de l’IFE ont accès aux listes électorales dans 32 états. Ces listes sont contenues dans une série de disques compacts faciles à copier. Il paraîtrait que les parties politiques, dont la corruption est légendaire, ont tous accès à ces disques.

 

[28]           Les demandeurs font remarquer que la preuve présentée au tribunal démontre qu’il est possible pour quelqu’un d’obtenir des informations sur des personnes par l’entremise de la carte d’électeur.

 

Possibilité sérieuse d’être persécuté

[29]           Finalement, les demandeurs soumettent qu’il y a une possibilité sérieuse que les demandeurs soient persécutés ailleurs au Mexique, ou plus spécifiquement dans la ville de Mexico suggérée par le tribunal lors de l’audience. Il n’est pas raisonnable de demander aux demandeurs de se réfugier à Mexico, étant donné l’agressivité de son persécuteur ainsi que les moyens disponibles pour les retrouver.

 

[30]           Les demandeurs soumettent que le tribunal n’a pas expliqué pourquoi il a écarté la preuve produite dans le dossier qui contredit l’existence de la PRI, et que cette erreur justifient l’intervention de cette honorable Cour.

 

[31]           Les demandeurs demandent respectueusement à cette honorable Cour d’accorder la demande de contrôle judiciaire, de renvoyer la cause devant un panel différemment constitué pour une audition de novo de cette cause, ou de rendre toute autre ordonnance que la Cour jugera appropriée.

 

[32]           Le défendeur soumet que la conclusion du tribunal est raisonnable et parfaitement conforme aux enseignements de cette Cour.

 

[33]           Le défendeur soumet qu’en matière de possibilité de refuge intérieur, il y a un test bien établi. Ce test est mentionné par les demandeurs.

 

Le fardeau

[34]           Le défendeur soumet que fardeau de preuve appartient aux demandeurs d’asile et cite le juge Shore, au paragraphe 18 de la décision Valenzuela Del Real c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 140 :

«18     Madame Del Real ne s'est pas acquittée du fardeau de démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, il existait une possibilité sérieuse de persécution partout au Mexique et qu'il serait déraisonnable pour elle de chercher le refuge dans une autre partie de son pays. (Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.); [1993] A.C.F. no 1172 (QL).)»

 

[35]           Le défendeur soumet que le revendicateur doit démontrer qu’il serait déraisonnable pour lui de chercher refuge dans une autre partie du pays, et faire la preuve réelle et concrète de l’existence de conditions l’empêchant de se relocaliser ailleurs dans son pays, Valenzuela Del Real, au paragraphe 30 :

«30     La barre doit être placée très haute lorsqu'il s'agit de déterminer ce qui serait déraisonnable : "[i]l ne faut rien de moins que l'existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d'un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l'existence de telles conditions." (Ranganathan, ci-dessus, par. 15.)»

 

 

[36]           Le défendeur prétend que les demandeurs n’ont pas fait la preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions les empêchant de se relocaliser ailleurs au Mexique. En effet, le défendeur soumet que lors de l’audition le tribunal a suggéré différents lieux où les demandeurs pourraient se relocaliser, notamment le District Fédéral, mais les demandeurs n’ont pas fourni de preuve satisfaisante démontrant qu’il était impossible de se relocaliser à cet endroit.

 

La possibilité de refuge interne

[37]           Le défendeur note que les demandeurs, à part indiquer qu’ils sont déçus de l’analyse du tribunal, ne précisent pas quel élément aurait été omis par le tribunal, ni en quoi la décision aurait pu être différente. Pourtant, le simple désaccord des demandeurs avec la décision ne justifie certainement pas l’intervention de cette Cour. Le défendeur cite le juge Shore au paragraphe 28 de la décision Nijjar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 829 :

 

«28     La Cour ne peut intervenir dans la décision de la Commission que si M. Nijjar démontre que la Commission a commis une erreur de droit ou de fait. La Cour ne peut intervenir simplement parce qu'elle (ou le demandeur) est en désaccord avec la décision de la Commission. Dans Nxumalo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 413, [2003] A.C.F. no 573 (QL), au paragraphe 7, M. le juge Simon Noël a dit :

Au sujet de la crédibilité du demandeur, je suis d'avis que ce dernier cherche à obtenir de la Cour qu'elle substitue son opinion à celle de la Commission. Comme le déclare le juge Blanchard dans Hosseini c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. no 509 (C.F. 1re inst.):

 

L'appréciation de la valeur des explications du demandeur, tout comme celle des autres faits, est entièrement du ressort de la Section du statut qui, en outre, a une expertise reconnue pour apprécier la valeur des témoignages sur la situation dans les différents pays. Dans ce contexte, je suis en accord avec les prétentions du défendeur, à savoir que le demandeur ne peut se contenter de réitérer en contrôle judiciaire une explication qui a déjà été présentée au tribunal spécialisé et que celui-ci a rejetée. Dans l'arrêt Muthuthevar c. MCI, [1996] A.C.F. No. 207, en ligne : QL, le juge Cullen au paragraphe 7 de ses motifs a abondé dans le même sens...

Bien que le requérant cherche à clarifier cette partie du témoignage que la Commission a jugé invraisemblable, il ne faut pas oublier que les mêmes explications ont été fournies à la Commission et que celle-ci ne les a pas jugées crédibles. Le requérant n'a pas soumis à la présente Cour des éléments de preuve qui ont été ignorés ou mal interprétés et, pour cette raison, les conclusions de la Commission concernant la crédibilité doivent être confirmées.»

 

[38]           Le défendeur souligne que la déception des demandeurs et leur désaccord avec la décision ne justifie certainement pas l’intervention de cette Cour.

 

Agents persécuteurs désintéressés

[39]           Le défendeur souligne que les demandeurs auraient été menacés par les agents persécuteurs à cause de la plainte que le demandeur principal a déposée. Cependant, le demandeur principal n’a pas pu identifier de suspect lors des sessions d’identification par photographies, et il n’a pas ratifié sa plainte. Les suspects qui avaient été arrêtés ont été relâchés.

 

[40]           Le défendeur souligne que les autorités mexicaines ont pris l’affaire en main dès le début, tel qu’il appert des documents déposés en preuve par le demandeur. Le défendeur souligne aussi que les demandeurs sont restés deux mois au Mexique après l’assassinat et ils n’ont pu transmettre aucune preuve à la police pour faire avancer l’enquête.

 

[41]           Il était donc raisonnable pour le tribunal de conclure que les agents persécuteurs n’avaient plus de raison de poursuivre le demandeur partout au Mexique, puisque les individus ont été relâchés.

 

Les articles de journaux

[42]           Le défendeur soumet que les articles de journaux déposés en preuve par les demandeurs ne démontrent pas en quoi ils seraient personnellement à risque. La situation globale des narcotrafiquants au Mexique qui est invoquée par les demandeurs n’est pas en lien avec la situation personnelle des demandeurs et ne peut constituer la preuve réelle et concrète de conditions les empêchant de se relocaliser.

 

[43]           Il est bien établi que la preuve générale ne pouvant pas servir en elle-même à établir le bien-fondé d’une revendication. Le défendeur cite Morales Alba c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1116 aux paragraphes 3 et 4 :

 

«3     Il ne suffit pas pour les demandeurs de déposer de la preuve documentaire faisant état de situations problématiques dans leur pays pour se voir reconnaître le statut de "réfugiée", au sens de la Convention, ou "personne à protéger". Encore faut-il que les demandeurs démontrent un lien entre cette preuve et leur situation personnelle, ce qu'ils n'ont pas réussi à faire. (Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 89, [2002] A.C.F. no 302 (C.A.F.) (QL).) [Soulignés de la décision]

 

4     La preuve documentaire portant sur la situation générale existant dans le pays d'un demandeur d'asile ne permet pas, à elle seule, d'établir le bien-fondé de sa demande d'asile. (Alexibich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 53, [2002] A.C.F. no 57 (QL); Ithibu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 288, [2001] A.C.F. no 499 (QL).)»

 

La transcription du journal télévisé

[44]           Quant à l’argument des demandeurs à l’effet que le tribunal n’a pas analysé la preuve présentée, en référant à la transcription d’un extrait vidéo tiré de Youtube, le défendeur soumet que cet argument n’est pas fondé et doit être écarté.

 

[45]           En effet, le défendeur souligne d’une part que tel qu’indiqué par le tribunal, la seule information à retenir de cet extrait vidéo est qu’un motocycliste a été tué et qu’un groupe «Zetas» existe. Ainsi, il est clair que la preuve a été considérée et évaluée par le tribunal. Il est donc erroné de prétendre que le tribunal a ignoré la preuve.

 

[46]           Le défendeur souligne d’une part qu’il est bien établi que le tribunal est présumé avoir considéré toute la preuve présentée et qu’il n’a absolument aucune obligation de référer à tous les documents soumis. Le défendeur cite Xocopa Martell c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1029 para. 22 :

«[22]           Les demandeurs ont également prétendu que le tribunal avait ignoré des documents déposés en preuve.  Il convient de rappeler qu’il existe une présomption à l’effet que le tribunal est présumé avoir considéré toute la preuve avant de rendre sa décision et ce, malgré le fait que les différents éléments de preuve ne soient pas tous cités dans les motifs du tribunal.  Il incombe au tribunal d’apprécier la preuve soumise et d’en tirer les conclusions qui s’imposent.  Pour ce faire, le tribunal peut choisir parmi la preuve celle qu’il préfère et ce choix fait partie intégrante de son rôle et de son expertise : Mahendran c. Canada (MCI), (1991) 134 N.R. 316, 14 Imm. L.R. (2d) 30 (C.A.F.); Tawfik c. Canada (MCI) reflex, (1993), 137 F.T.R. 43, 26 Imm. L.R. (2d) 148; Akinlolu c. Canada (MCI) (1997), 70 A.C.W.S. (3d) 136, [1997] A.C.F. no. 296 (QL); Florea c. Canada (MEI), [1993] F.C.J. No. 598 (C.A.) (QL)»

 

[47]           De toute façon, il importe de souligner qu’en l’espèce, le tribunal réfère expressément dans sa décision à certains des éléments déposés par les demandeurs.

 

La carte d’électeur

[48]           Concernant l’argument des demandeurs que les agents persécuteurs pourraient les retrouver à l’aide de leur carte d’électeur, le défendeur soumet que dans un article de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada intitulé Réponses aux demandes d’information (RDI), daté du 2 juin 2006, il est mentionné le contraire :

 

«Quant à savoir si la police, les autorités gouvernementales ou toute autre personne peuvent utiliser la carte d'électeur pour accéder à des renseignements dans le système informatique officiel afin de retracer une personne au Mexique, le représentant de l'IEEM a indiqué que, selon l'article 135 du code fédéral des procédures institutionnelles et électorales, les documents, données et renseignements fournis par les citoyens mexicains au Registre fédéral des électeurs sont strictement confidentiels et ne peuvent être divulgués à quiconque, sauf aux utilisateurs autorisés au sein de l'organisation (Mexique 12 mai 2006). Aucune mention de policiers, de représentants du gouvernement ou de personnes qui auraient utilisé la carte d'électeur afin d'accéder aux renseignements se trouvant dans le système informatique officiel dans le but de localiser une personne au Mexique n'a pu être trouvée parmi les sources consultées par la Direction des recherches.»

 

 

[49]           D’autre part, le défendeur souligne que ce document est plus récent que celui qui est mentionné dans le mémoire supplémentaire des demandeurs.

 

[50]           De plus, le document déposé par les demandeurs mentionne lui aussi que personne n’aurait été retracée grâce à ces registres:

 

« Selon Magali Amieva de la division des affaires internationales de l’IFE, l’information recueillie sert uniquement à établir les listes d’électeurs pour les élections fédérales; elle est strictement confidentielle, est protégée par la loi et ne peut être partagée avec aucune autre administration, qu’elle soit publique, privée ou étrangère. »

 

 

[51]           Par conséquent, le défendeur soumet qu’il était raisonnable pour le tribunal de conclure que les demandeurs n’avaient pas démontré qu’ils seraient retracés partout au Mexique. Les demandeurs n’ont pas rempli leur fardeau.

 

[52]           D’autre part, le défendeur soumet que lors de son témoignage le demandeur principal a indiqué que la seule raison invoquée par le demandeur qui l’empêcherait de travailler ailleurs est sa crainte d’être retrouvé. Voici ce que l’on retrouve dans la transcription :

 

«Q. Monsieur, est-ce que, est-ce qu’il y a, est-ce que vous pourrez trouver du travail ailleurs qu’à Veracruz, comme par exemple, pouvez-vous être chauffeur de taxi ailleurs?

R. Je connais pas la ville, c’est comme si je cherchais du travail ici à Montréal.

Q. Pouvez-vous trouver d’autre travail ailleurs au Mexique qu’à Veracruz?

R. Je ne crois pas et à cause, c’est à cause du numéro d’assurance sociale.»

 

 

[53]           La preuve documentaire démontre cependant le contraire, selon le défendeur. Ainsi, il était raisonnable pour le tribunal de conclure que les demandeurs pourraient clairement se trouver du travail ailleurs au Mexique et se relocaliser. Les demandeurs n’ont pas présenté de preuve réelle et concrète pour démontrer le contraire.

 

L’absence de parenté ailleurs au Mexique

[54]           Le défendeur soumet qu’il appert de leur formulaire de renseignements personnels (ci-après « FRP ») qu’ils ne souhaitaient pas se déplacer ailleurs au Mexique parce qu’ils ne connaissaient personne. Le défendeur souligne qu’il est clairement établi par la jurisprudence de cette Cour que l’absence de parents n’affecte en rien la possibilité d’un refuge intérieur. Le défendeur cite le juge Kelen au paragraphe 8 de la décision Camargo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 472 :

 

«8     Le critère juridique applicable à la PRI comporte deux volets : premièrement, le demandeur doit démontrer qu'il risque sérieusement d'être persécuté dans la PRI en question. Deuxièmement, il doit prouver que les conditions dans la PRI sont telles qu'il serait déraisonnable pour lui d'y chercher refuge (Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.F.)). Pour que la PRI soit déraisonnable, il doit y exister des conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité du demandeur qui se rendrait ou se réinstallerait temporairement dans ce lieu. L'absence de parents dans la PRI n'est pas pertinente à moins qu'elle ne mette en danger la sécurité du demandeur (Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 164 (C.A.F.)).»

 

 

[55]           Le défendeur soumet que suivant tous ces éléments, le tribunal conclut que les demandeurs n’avaient pas démontré qu’ils seraient retracés partout au Mexique. En l’absence de preuve établissant que les demandeurs ne pouvaient se relocaliser, il était raisonnable pour le tribunal de conclure à l’existence d’un refuge intérieur. Le défendeur cite le juge Tannenbaum aux paragraphes 34 et 35 de la décision Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1126 :

«34     Pour contrer ces observations, la demanderesse n'a pu faire mieux que d'alléguer vaguement les risques d'être repérée découlant de l'incapacité de son État de la protéger, toutefois elle ne s'est pas prévalue de cette protection avant de quitter son pays et de demander refuge du Canada. Elle n'a d'autre part présenté aucune preuve réelle et concrète de l'existence de conditions l'empêchant de se relocaliser dans son pays. Dans ces circonstances, la Commission pouvait raisonnablement conclure à la possibilité d'un refuge interne au Mexique.

 

35     De plus, le fait de s'attendre à ce que la demanderesse déménage dans une autre région du pays et qu'elle réside ailleurs que chez un membre de sa famille ne peut pas être considéré comme une contrainte excessive ou même être qualifié de déraisonnable.»

 

 

[56]           Compte tenu de ce qui précède, le défendeur soumet que la preuve déposée par les demandeurs ne contient aucun élément qui pourrait permettre à cette honorable Cour d’intervenir relativement à la décision rendue par le tribunal et demande respectueusement à cette Cour de rejeter la demande de contrôle judiciaire déposée par les demandeurs.

 

[57]           La question en litige est à savoir si la conclusion du tribunal concernant la possibilité d’un refuge intérieur pour le demandeur au Mexique est déraisonnable compte tenu de la preuve.

 

[58]           Comme mentionné par l’Honorable juge Pinard au paragraphe 3 de la décision Varela Soto c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 92, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable :

 

«La norme de contrôle judiciaire qui s’applique à une décision de la SPR concernant l’existence d’une PRI est celle de la décision raisonnable (Franklyn c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 1249, 2005 CF 1249, au paragraphe 18). Ainsi, le rôle de cette Cour en l’espèce est de déterminer « si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).»

 

 

[59]           Le motif déterminant de la décision du tribunal était la possibilité de refuge interne pour les demandeurs dans une autre ville au Mexique.

 

[60]           Tel que mentionné par les demandeurs, lorsque la PRI est soulevée par le tribunal, ceux-ci doivent prouver selon la prépondérance des probabilités qu’ils risquent sérieusement d’être persécutés dans la partie du pays où, selon le tribunal, il existe une possibilité de refuge et que les conditions dans la partie du pays où se trouve la PRI sont telles qu’il serait déraisonnable pour les demandeurs d’asile d’y chercher refuge, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui sont particulièrement aux demandeurs (Rasaratnam v. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1992] 1 F.C. 706 (C.A.).

 

[61]           Or, les demandeurs s’attaquent à l’appréciation que le tribunal a faite de la preuve concernant la carte d’électeur et la transcription du journal télévisé prétendant que les agents persécuteurs peuvent les retrouver n’importe où au Mexique.

 

[62]           Quant à l’argument des demandeurs à l’effet que le tribunal n’a pas analysé la preuve présentée, en référant à la transcription d’un extrait vidéo tiré de Youtube, le paragraphe 22 de la décision Xocopa Martell c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1029 établit que le tribunal est présumé avoir considéré toute la preuve présentée et qu’il n’a absolument aucune obligation de référer à tous les documents soumis. De plus, la source est douteuse, ce qui affecte le poids accordé à cet élément de preuve.

 

[63]           En ce qui concerne l’argument des demandeurs que les agents persécuteurs pourraient les retrouver à l’aide de leur carte d’électeur, il y a un article, plus récent que celui des demandeurs, qui mentionne le contraire. Cet article provient de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Il est intitulé Réponses aux demandes d’information (RDI) et date du 2 juin 2006 :

 

« Quant à savoir si la police, les autorités gouvernementales ou toute autre personne peuvent utiliser la carte d'électeur pour accéder à des renseignements dans le système informatique officiel afin de retracer une personne au Mexique, le représentant de l'IEEM a indiqué que, selon l'article 135 du code fédéral des procédures institutionnelles et électorales, les documents, données et renseignements fournis par les citoyens mexicains au Registre fédéral des électeurs sont strictement confidentiels et ne peuvent être divulgués à quiconque, sauf aux utilisateurs autorisés au sein de l'organisation (Mexique 12 mai 2006). Aucune mention de policiers, de représentants du gouvernement ou de personnes qui auraient utilisé la carte d'électeur afin d'accéder aux renseignements se trouvant dans le système informatique officiel dans le but de localiser une personne au Mexique n'a pu être trouvée parmi les sources consultées par la Direction des recherches. »

 

 

[64]           Il est donc raisonnable pour le tribunal de conclure qu’il ne s’agissait pas d’un élément pouvant affecter le premier volet de la détermination de la PRI.

 

[65]           Finalement, même si les demandeurs sont déçus de l’analyse du tribunal, cela ne justifie pas l’intervention de cette Cour, comme mentionné par le juge Shore au paragraphe 28 de la décision Nijjar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 829 :

 

«28     La Cour ne peut intervenir dans la décision de la Commission que si M. Nijjar démontre que la Commission a commis une erreur de droit ou de fait. La Cour ne peut intervenir simplement parce qu'elle (ou le demandeur) est en désaccord avec la décision de la Commission. Dans Nxumalo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 413, [2003] A.C.F. no 573 (QL), au paragraphe 7, M. le juge Simon Noël a dit :

 

Au sujet de la crédibilité du demandeur, je suis d'avis que ce dernier cherche à obtenir de la Cour qu'elle substitue son opinion à celle de la Commission. Comme le déclare le juge Blanchard dans Hosseini c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. no 509 (C.F. 1re inst.):

 

L'appréciation de la valeur des explications du demandeur, tout comme celle des autres faits, est entièrement du ressort de la Section du statut qui, en outre, a une expertise reconnue pour apprécier la valeur des témoignages sur la situation dans les différents pays. Dans ce contexte, je suis en accord avec les prétentions du défendeur, à savoir que le demandeur ne peut se contenter de réitérer en contrôle judiciaire une explication qui a déjà été présentée au tribunal spécialisé et que celui-ci a rejetée. Dans l'arrêt Muthuthevar c. MCI, [1996] A.C.F. No. 207, en ligne : QL, le juge Cullen au paragraphe 7 de ses motifs a abondé dans le même sens...

 

Bien que le requérant cherche à clarifier cette partie du témoignage que la Commission a jugé invraisemblable, il ne faut pas oublier que les mêmes explications ont été fournies à la Commission et que celle-ci ne les a pas jugées crédibles. Le requérant n'a pas soumis à la présente Cour des éléments de preuve qui ont été ignorés ou mal interprétés et, pour cette raison, les conclusions de la Commission concernant la crédibilité doivent être confirmées.»

 

 

[66]           En effet, la déception des demandeurs et leur désaccord avec la décision ne justifie pas l’intervention de cette Cour.

 

[67]           Pour les motifs qui précèdent, je suis satisfait que la décision du tribunal est raisonnable.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question d’importance générale n’a été soumise par les parties pour certification.

 

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge suppléant

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3914-08

 

INTITULÉ :                                       Hector Mauricio Ramerez Rueda et al c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 juillet 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            TEITELBAUM J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 13 août 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Cristina Marinelli

 

POUR LES DEMANDEURS

Me Mireille Anne Rainville

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cristina Marinelli, avocate

Montréal, (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.,

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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