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Date : 20090805

 

Dossier : T-1655-04

 

Référence : 2009 CF 800

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 août 2009

En présence de monsieur le juge Martineau

 

ENTRE :

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DE PERCEPTION

DE LA COPIE PRIVÉE

demanderesse

 

et

 

FUZION TECHNOLOGY CORP.
et 1565385 ONTARIO INC.
et MICKEY YEUNG

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Le 4 novembre 2008, dans le cadre d’une ordonnance rendue en vertu de l’article 467 des Règles des Cours fédérales, DORS /98-706 (les Règles), le protonotaire Roger Lafrenière a ordonné au défendeur, M. Mickey Yeung (M. Yeung), de comparaître devant un juge de la Cour en vue d’entendre la preuve de l’acte qui lui était reproché et d’être prêt à présenter une défense, relativement à une accusation d’outrage au tribunal déposée par la demanderesse, la Société canadienne de perception de la copie privée (la SCPCP).

 

I.                   LE CONTEXTE

[2]               La SCPCP est l’organisme de perception désigné au titre de l’alinéa 83(8)d) de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C‑42 (la Loi), pour percevoir les redevances de copie privée que doivent payer les fabricants et les importateurs de supports audio vierges (disques vierges) et les distribuer aux auteurs, aux artistes‑interprètes et aux producteurs admissibles d’enregistrements sonores. Les fabricants et les importateurs de disques vierges sont tenus par la loi de faire le suivi des activités de vente et d’en faire rapport à la SCPCP. Ils doivent aussi tenir des registres au moyen desquels la SCPCP peut rapidement établir, dans le cadre d’une vérification, les sommes qui sont à payer aux termes des tarifs pour la copie privée (les tarifs).

 

[3]               Fuzion Technology Corp. (Fuzion) était une société ontarienne qui avait été constituée en société en août 1997 et qui avait son siège social à l’adresse suivante : 250, chemin Steelcase Est, à Markham, en Ontario. Elle avait pour entreprise de distribuer du matériel informatique ainsi que de faire le commerce de disques vierges à titre de service à sa clientèle. La société a été dissoute en date du 17 février 2005. Fuzion comptait trois actionnaires. Albert Shum (M. Shum) agissait comme président et était l’actionnaire contrôlant et majoritaire de la société; il détenait 65 % des actions de cette dernière. Il y avait un deuxième actionnaire, du nom d’Alex Lau (M. Lau), qui détenait 20 % des actions. Ce dernier a plus tard vendu sa part des actions à M. Shum. Le troisième actionnaire était M. Yeung, qui détenait une participation minoritaire de 15 % dans la société. M. Yeung exerçait les fonctions de vice‑président des opérations.

 

[4]               En octobre 2002, Fuzion a commencé à déclarer des importations et des ventes de disques vierges à la SCPCP. Les rapports de la société portent sur la période de juillet – août 2002 jusqu’à celle de novembre – décembre 2003. Ils portent la signature de M. Yeung lui‑même ou d’un autre employé de Fuzion. En janvier et en février 2003, d’anciens vérificateurs de la SCPCP se sont présentés aux locaux de Fuzion, mais ils n’ont pas pu mener à bien leur vérification. Dans l’intervalle, vers le mois de décembre 2002 ou de janvier 2003, M. Shum a fait savoir à M. Yeung qu’il avait l’intention de quitter le Canada pour de bon et qu’il prévoyait fermer les portes de Fuzion. Il avait d’autres intérêts commerciaux en Chine et préférait les poursuivre là‑bas.

 

[5]               Le 13 mars 2003, M. Yeung a constitué en société 1565385 Ontario Inc. (FTC) et a enregistré le nom d’entreprise de « FTC Computers ». Le 1er avril 2003, FTC a acheté la totalité du stock de matériel informatique (y compris des disques vierges) de Fuzion, au prix de 597 120,84 $ plus la TPS, et ce, par voie de vente en consignation, car FTC n’avait pas assez de fonds pour payer immédiatement le stock (la vente en consignation). M. Yeung était l’unique actionnaire et administrateur de FTC au moment de la vente en consignation.

 

[6]               Au début, FTC a exploité ses activités à partir des locaux situés au 250, chemin Steelcase Est, à Markham, en Ontario. Le souhait de M. Yeung était que, le jour où Fuzion mettrait fin à ses activités et que FTC exploiterait entièrement les siennes, les fournisseurs et les clients de Fuzion ne se rendraient même pas compte de la transition. Au cours des mois qui ont suivi, les factures ont parfois porté le nom hybride de « FTC Fuzion Technology ». Cependant, elles portaient toutes le numéro de TPS de FTC, et non celui que Fuzion utilisait. Le 14 mai 2003, FTC a signé un bail pour ses propres locaux, situés au 81, rue McPherson, à Markham, en Ontario, pour occupation le 15 juillet 2003. Le 31 mai 2003, M. Yeung a démissionné à titre d’administrateur de Fuzion. FTC a emménagé dans ses nouveaux locaux au cours du mois de juillet 2003. À ce moment‑là, FTC a acheté de Fuzion du mobilier, du matériel et un système téléphonique d’occasion, de même qu’un véhicule Dodge Caravan 2002, au prix de 20 424,16 $. À l’automne de 2003, FTC était pleinement opérationnelle. Elle n’a produit aucun rapport à la SCPCP.

 

[7]               Le 10 septembre 2004, la SCPCP a déposé une demande en vertu de la partie VIII de la Loi, exigeant notamment que les trois défendeurs – Fuzion, FCT et M. Yeung – mettent à la disposition de ses vérificateurs la totalité des registres commerciaux, comptables et financiers de Fuzion et de FTC (la demande de la SCPCP). FTC et M. Yeung ont contesté cette demande, exprimant l’avis que FTC était une entité entièrement distincte de Fuzion. Comme FTC n’avait jamais importé ou fabriqué d’articles visés par les tarifs, elle n’était pas tenue de rendre compte des ventes de disques vierges à la SCPCP. Fuzion n’a jamais comparu et ne s’est pas défendue dans le cadre de l’instance engagée par la SCPCP. M. Shum, paraît-il, poursuit actuellement ses activités commerciales en Chine. Cela dit, comme il a été mentionné plus tôt, Fuzion a été dissoute en date du 17 février 2005.

 

[8]                Le 25 octobre 2006, la Cour a fait droit à la demande de la SCPCP : Société canadienne de perception de la copie privée c Fuzion Technology Corp, 2006 CF 1284. Le juge von Finckenstein, qui a entendu l’affaire, a considéré à l’époque qu’étant donné que FTC avait pris le contrôle physique du matériel informatique de Fuzion à la suite de la conclusion de la vente en consignation, la SCPCP avait le droit de « vérifier les registres d’un vendeur de disques vierges pouvant être assujettis à des redevances » et que « [FTC] doit aujourd’hui assumer la responsabilité du stock de matériel informatique qui a été vendu en consignation et en rendre compte ». Cela dit, le juge von Finckenstein a précisé qu’« [i]l y avait peut-être des raisons commerciales tout à fait licites » pour que FTC, dirigée par M. Yeung, conclue la vente en consignation, et a-t-il ajouté, « [r]ien ne prouve par ailleurs que cette manière de procéder visait à frauder les créanciers ». Le juge von Finckenstein a donc indiqué dans ses motifs qu’il était « disposé à soulever le voile de la personnalité juridique afin de permettre à la SCPCP de procéder à un contrôle des registres de FTC pour vérifier si les disques vendus par FTC [étaient] assujettis à la redevance prévue à la partie VIII de la [Loi] » [non souligné dans l’original]. Il a de plus considéré que pour qu’une ordonnance prescrivant à Fuzion et à FTC de se soumettre à une vérification « puisse être efficace », il faudrait aussi en prononcer une contre M. Yeung à titre personnel. Il a signalé à cet égard que ce dernier était « le mieux placé pour savoir comment les registres de Fuzion et de FTC étaient manipulés et conservés ». De plus, au vu de la preuve par affidavit particulière qu’il avait en main, il a estimé à l’époque que M. Yeung avait participé activement au « flou délibéré entre Fuzion et FTC ». Il fallait donc que l’ordonnance englobe M. Yeung en vue d’« assurer son entière coopération ».

 

[9]               Le premier paragraphe de l’ordonnance du 25 octobre 2006 que le juge von Finckenstein a rendue (l’ordonnance) prescrit :

Dans les trente (30) jours de l’ordonnance, les défendeurs, Fuzion Technology Corp., 1565385 Ontario Inc. et Micky Yeung, doivent mettre à la disposition des vérificateurs de la demanderesse, pour les fins de la vérification, l’ensemble des registres commerciaux, comptables et financiers de Fuzion Technology Corp. et de 1565385 Ontario Inc. à partir desquels les vérificateurs de la SCPCP pourront facilement vérifier :

 

                                                              i.      les montants exigibles;

                                                            ii.      les renseignements exigés;

en vertu des tarifs pour la copie privée homologués par la Commission du droit d’auteur.

 

[10]           Le 29 novembre 2006, la Cour a rejeté la requête en réexamen de l’ordonnance de FTC et de M. Yeung, par laquelle ces derniers demandaient à la Cour de modifier l’ordonnance et de limiter cette dernière aux registres portant sur les disques vierges qui avaient fait l’objet de la vente en consignation : Société canadienne de perception de la copie privée (SCPCP) c Fuzion Technology Corp, 2006 CF 1448. À ce moment‑là, le juge von Finckenstein a exprimé l’avis que la requête en réexamen de M. Yeung allait au‑delà de la simple correction d’erreurs d’écriture, car il n’était pas disposé à examiner de nouveaux éléments de preuve à ce stade‑là.

 

[11]            Le 25 octobre 2007, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel de FTC et de M. Yeung à l’égard de l’ordonnance : 1565385 Ontario Inc c Canadian Private Copying Collective, 2007 CAF 335.

 

[12]            Le 4 novembre 2008, le protonotaire Lafrenière a rendu une ordonnance ex parte exigeant que M. Yeung comparaisse devant la Cour le 19 janvier 2009 et qu’il soit prêt à répondre à l’accusation d’outrage au tribunal que la SCPCP avait déposée contre lui. L’acte dont M. Yeung est précisément accusé aux termes de cette ordonnance est le suivant :

[traduction]

 

De par sa conduite, il a contrevenu à l’ordonnance du juge von Finckenstein, datée du 25 octobre 2006, en ne mettant pas à la disposition des vérificateurs de la demanderesse, pour les besoins d’une vérification, la totalité des registres commerciaux, comptables et financiers de Fuzion Technology Corp. et de 1565385 Ontario Inc. dans les 30 jours suivant l’ordonnance du juge von Finckenstein datée du 25 octobre 2006, ou dans les 30 jours suivant le jugement de la Cour d’appel fédérale daté du 25 octobre 2007 [non souligné dans l’original] (l’accusation).

 

 

[13]            Le 13 novembre 2008, M. Yeung s’est vu signifier l’ordonnance de comparution.

 

[14]           Une audience a été tenue devant moi le 19 janvier et le 16 juin 2009, à Montréal et à Toronto, respectivement, et à ces deux occasions la SCPCP et M. Yeung ont présenté leur témoignage de vive voix.

 

II.                LA PREUVE PRODUITE À L’AUDIENCE

[15]           Tous les éléments de preuve pertinents pour la présente instance en outrage au tribunal ont été produits le 19 janvier 2009.

 

La partie poursuivante

[16]           Bien que l’accusation fasse explicitement référence à un manquement allégué à l’égard des registres de FTC, l’avocate de la SCPCP a clairement indiqué dans sa déclaration préliminaire que l’outrage allégué concernait en réalité le fait que M. Yeung n’avait pas mis les registres de Fuzion à la disposition des vérificateurs de la SCPCP. Il a été admis que FTC ne devait aucune redevance à la SCPCP.

 

[17]           Mme Alison Thomas (Mme Thomas), juricomptable et évaluatrice d’entreprise au service de Cole & Partners, le cabinet qui agit actuellement comme vérificateur de la SCPCP, a été le seul témoin entendu pour le compte de la demanderesse. Son rapport, daté du 24 juin 2008, a été déposé à l’audience (pièces P-1 et D-2). Outre le témoignage et le rapport de Mme Thomas, un certain nombre de documents que Mme Monique Perron, qui est au service du cabinet Ogilvy Renault, aurait déposés à l’audience si cette dernière avait été entendue de vive voix, ont été produits avec le consentement des avocats (pièce P-2). La demanderesse a également produit en preuve l’affidavit sous serment de M. Yeung, daté du 12 novembre 2004, que FTC et M. Yeung avaient déposé en rapport avec la demande de la SCPCP, avant que l’ordonnance soit rendue (pièce P-3).

 

[18]           La demanderesse a établi les faits qui suivent.

 

[19]           En novembre 2007, le cabinet Cole & Partners, de Toronto (les vérificateurs actuels de la SCPCP) a été mandaté par la SCPCP pour poursuive la vérification qui avait été entreprise en 2003 et pour évaluer si FTC et Fuzion avaient déclaré avec exactitude à la SCPCP les ventes de disques vierges importés, conformément aux tarifs applicables. Les documents pertinents qui étaient nécessaires à cette vérification comprenaient les documents d’achat (y compris les documents d’importation), les documents de vente et les documents relatifs aux stocks. Avec tous ces documents (y compris les registres comptables et les pièces justificatives, telles que les factures des fournisseurs et celles des clients), il aurait été possible d’exécuter la vérification d’une manière satisfaisante.

 

[20]           Le 26 novembre 2007, Mme Thomas a rencontré M. Yeung et son avocat actuel, Me Igor Ellyn (Me Ellyn), dans les locaux de FTC. Elle a demandé à cette occasion qu’on lui fournisse des renseignements ou des documents pertinents, de manière à pouvoir effectuer la vérification, tant pour FTC que pour Fuzion, pour la période du 18 décembre 1999 au mois d’août 2007 (la période visée par la vérification).

 

[21]           Lors de la vérification, FTC et M. Yeung ont fourni à Mme Thomas tous les renseignements et documents pertinents qui se rapportaient à FTC. Soit dit en passant, Mme Thomas a mentionné qu’au cours de sa présence dans les locaux de FTC, pour des questions de droit à la protection de la vie privée, on ne l’a pas autorisée à consigner les noms des clients et des fournisseurs, ni à faire une copie de documents susceptibles de contenir de telles informations. Mais cela n’a pas semblé être un problème pour procéder à sa vérification et établir un rapport. La SCPCP ne conteste pas aujourd’hui que M. Yeung a collaboré pleinement lors de la vérification. En fait, M. Yeung et la comptable de FTC, Mme Alice Ma (Mme Ma), ont guidé Mme Thomas pendant qu’elle vérifiait de façon générale l’entrepôt de FTC.

 

[22]           Selon les propres documents de la SCPCP, Fuzion avait payé des redevances à la SCPCP en rapport avec les importations de disques vierges pour les périodes de déclaration de juillet à août 2002, ainsi que de septembre et octobre 2002. Mme Thomas voulait avoir un accès complet aux documents d’achat, aux documents de vente et aux documents relatifs aux stocks de Fuzion pour la période visée par la vérification. Cependant, aucun document autre que ceux que Me Ellyn avait déjà produits lors du litige pour le compte de M. Yeung et de FTC n’a été fourni à Mme Thomas lors de sa vérification. M. Yeung et Me Ellyn ont informé Mme Thomas que M. Shum était la seule personne qui avait accès aux documents de Fuzion et que les tentatives faites pour entrer en contact avec ce dernier avaient été infructueuses. Au début de décembre 2007, Mme Thomas s’est présentée une fois de plus aux locaux de FTC en vue de faire un suivi, et on lui a dit qu’il n’y avait pas eu d’autres progrès et que toutes les tentatives faites pour communiquer avec M. Shum avaient été vaines.

 

[23]           À la suite de cette vérification, Mme Thomas a produit son rapport de vérification le 24 juin 2008 (pièces P-1 et D-2) (le rapport de Mme Thomas).

 

L’auteur prétendu de l’outrage

[24]           M. Yeung nie être coupable d’outrage et avoir eu volontairement l’intention de manquer à l’ordonnance ou d’avoir agi délibérément au mépris de l’autorité de la Cour. L’auteur prétendu de l’outrage a établi les faits qui suivent.

 

[25]           M. Yeung a obtenu son baccalauréat en sciences en 1983 à Toronto et il a ensuite travaillé comme représentant des ventes dans le secteur de l’informatique. Après ses études, il est retourné à Hong Kong, où il a vécu de 1983 à 1990. À la suite de son retour au Canada, il est tout d’abord entré au service d’une société de Toronto appelée Sun Moon Star, dont le siège se trouvait à Taïwan. M. Shum faisait affaire avec Sun Moon Star, et il travaillait à l’époque pour une société appelée E‑Prom. À une date indéterminée en 1997, M. Shum a demandé à M. Yeung de travailler pour lui et de prendre une participation dans sa nouvelle société. M. Shum venait tout juste de constituer Fuzion en société. M. Yeung a acquis 15 % des actions de Fuzion. M. Lau en détenait 20 %, et M. Shum 65 %. Plus tard en 2001, M. Shum a racheté les actions de Fuzion que M. Lau détenait, et il a ainsi détenu 85 % des actions de Fuzion.

 

[26]           M. Shum était le président de Fuzion et le supérieur immédiat de M. Yeung. Ce dernier rendait compte à M. Shum. M. Yeung s’est vu donner le titre de vice‑président des opérations parce que cela impressionnerait davantage la clientèle de Fuzion. Il était essentiellement chargé de l’administration de l’entrepôt. Il n’avait aucun rapport direct avec l’achat de disques vierges. Il s’agissait là d’une responsabilité directe de M. Shum. En 2003, Fuzion employait environ 15 personnes. Le seul dirigeant qui avait le pouvoir de signer les chèques, sans une seconde signature, était M. Shum lui‑même. Sinon, il en fallait deux, celle de M. Yeung et celle d’un autre employé de Fuzion. M. Shum était le [traduction] « responsable des achats », tandis que M. Yeung était celui qui [traduction] « s’occupait de l’administration ». M. Yeung signait des rapports basés sur les factures et les bons d’achat, vérifiait si les comptes étaient payés, etc. Cela voulait dire aussi produire des rapports auprès de la SCPCP.

 

[27]           M. Yeung se souvient d’avoir été présent quand les anciens vérificateurs de la SCPCP se sont présentés aux locaux de Fuzion en janvier et en février 2003. Ils y sont venus à trois reprises. Les locaux de Fuzion se situaient à ce moment-là au 250, chemin Steelcase Est, à Markham, en Ontario. M. Yeung a demandé à M. Shum de s’occuper de la vérification, mais celui‑ci était trop occupé pour venir au Canada. Lors des deux premières visites, M. Yeung a collaboré entièrement, mais les vérificateurs voulaient aussi avoir une copie des registres. À cette époque, M. Yeung a reçu de M. Shum l’instruction de ne pas remettre aux vérificateurs une copie des documents demandés avant que Fuzion ait obtenu un avis juridique.

 

[28]           J’ouvre ici une parenthèse pour mentionner que M. Yeung a expliqué lors de son témoignage qu’en décembre 2002 ou en janvier 2003, M. Shum était en voie d’établir une nouvelle entreprise en Chine. Il ne souhaitait plus travailler au Canada et songeait à fermer Fuzion. M. Yeung souhaitait‑il acheter la société? M. Shum et M. Yeung ont continué d’avoir des discussions après la dernière visite des vérificateurs de la SCPCP en février 2003. Ils ont fini par conclure une entente verbale. Le stock de Fuzion a été transféré par voie de consignation à FTC le 1er avril 2003, en échange d’une somme de près de 600 000 $, que M. Yeung n’était pas en mesure de payer immédiatement. Il rembourserait M. Shum au fur et à mesure des ventes de FTC, que M. Yeung avait constituée en société en mars 2003. Les deux sociétés avaient des numéros de TPS distincts. La vente par consignation comprenait aussi des disques vierges. Ces derniers ne représentaient que 4 % ou 5 % environ des éléments de stock acquis, et M. Yeung s’est souvenu que ces disques avaient été achetés au Canada. Dans le cadre de la transaction, M. Shum avait aussi demandé que l’on offre un emploi aux employés de Fuzion.

 

[29]           En mai 2003, M. Yeung a démissionné à titre d’administrateur de Fuzion. FTC a embauché un grand nombre des anciens employés de Fuzion, mais il y en a quand même quelques‑uns qui ont continué de travailler directement pour M. Shum ou pour Fuzion, à Toronto. Pendant trois mois environ, Fuzion et FTC ont partagé les mêmes locaux. Cependant, les deux tenaient des registres comptables et financiers distincts. En juillet 2003, FTC a emménagé dans ses nouveaux locaux, situés sur la rue McPherson, à Markham, en Ontario. À cette occasion, FTC n’a pas pris de documents autres que la base de clientèle, les comptes débiteurs et les comptes à payer qui se rapportaient à FTC. Aucun document relatif aux activités de Fuzion n’est sorti des locaux de cette dernière. Nous verrons plus loin qu’en 2004 et en 2005, du moins, les documents de Fuzion ont été situés physiquement au domicile des parents de M. Shum et qu’ils sont restés sous le contrôle de ce dernier.

 

[30]           En 2004 ou en 2005, à la suite de la demande de la SPCP, M. Yeung a pris de nombreuses mesures pour obtenir de Fuzion des documents pertinents sur les disques vierges qui avaient été l’objet de la vente par consignation. M. Yeung a communiqué directement avec M. Shum en Chine. Celui-ci lui a dit de vérifier les documents qui se trouvaient dans des boîtes au domicile de ses parents, situé au no 8, chemin Sapphire, à Richmond Hill, en Ontario. Le même jour, M. Yeung s’est présenté chez les parents de M. Shum et est reparti avec 11 boîtes de documents (les boîtes prêtées). J’ouvre ici une autre parenthèse pour mentionner que la preuve documentaire que M. Yeung a produite à l’audience atteste que Fuzion est restée active pendant un certain temps après la vente par consignation et qu’elle a commencé à utiliser, en août 2003, une nouvelle adresse commerciale, soit le no 8, chemin Sapphire, à Richmond Hill, en Ontario, c’est-à-dire celle du domicile des parents de M. Shum (voir 13 factures de Fuzion adressées à FTC et datées du 1er avril 2003 au 31 mars 2004, onglets 13 à 25 de la pièce D-1).

 

[31]           En fouillant dans les boîtes prêtées, M. Yeung ne s’est intéressé qu’aux documents relatifs aux disques vierges qui avaient été vendus à FTC en avril 2003. Il n’a pas cherché - ou ne s’est pas senti obligé à l’époque d’examiner - les documents relatifs aux ventes ou aux importations de disques vierges que Fuzion avait effectuées avant la vente par consignation. Cela dit, M. Yeung a pu trouver dans les boîtes d’anciennes factures de fournisseurs concernant les disques vierges visés par la vente par consignation (voir les factures de 2003 adressées par FXPRO et Mars Computer Canada Inc. à Fuzion, onglets 8 à 12 de la pièce D-1). Avec l’aide de Mme Ma, M. Yeung a vérifié cette information par rapport au stock de FTC. À une date indéterminée en 2005, M. Shum a pris des dispositions pour que l’on vienne chercher les boîtes prêtées qui se trouvaient dans les locaux de FTC et qu’on les lui renvoie. Fuzion a été dissoute en date du 17 février 2005, c’est-à-dire 20 mois environ avant que le juge von Finckenstein rende son ordonnance le 25 octobre 2006.

 

[32]           Après la délivrance de l’ordonnance, M. Yeung ou son avocat ont tenté à plusieurs reprises d’entrer en contact avec M. Shum par téléphone, par courriel et par messagerie. Le témoignage de M. Yeung à cet égard est corroboré par les documents déposés à l’audience (pièces D-1 et D-3).

 

[33]           À cette époque, M. Yeung a tenté de communiquer avec M. Shum au seul numéro de téléphone en Chine qu’il avait pour lui, et ce, à plus d’une trentaine de reprises, et il n’est pas parvenu à le joindre, car la ligne semblait avoir été débranchée.

 

[34]           Le 23 novembre 2006, un mémoire de documents pertinents que M. Yeung et FTC avaient en leur possession a été établi et envoyé à l’avocate de la SCPCP. M. Yeung a confirmé que ce mémoire comprenait les documents trouvés dans les boîtes prêtées (pièce D-1).

 

[35]           Le 26 novembre 2007, à la suite du jugement de la Cour d’appel fédérale, l’avocat de FTC et de M. Yeung a envoyé une lettre recommandée à l’adresse de M. Shum en Chine, mais cette lettre est restée sans réponse. La lettre se lit ainsi :

[traduction]

 

Nous sommes les avocats représentant FTC Computers et Micky Yeung. D’après nos informations, vous êtes l’actionnaire majoritaire de Fuzion Technology Inc.

 

1.      Nous sollicitons votre collaboration rapide afin que FTC Computers et M. Yeung puissent se conformer à une ordonnance de la Cour fédérale du Canada datée du 25 octobre 2006, qui exige que FTC Computers et M. Yeung mettent à la disposition des vérificateurs de la Société canadienne de perception de la copie privée (la SCPCP), en vue d’une vérification, la totalité des registres commerciaux, comptables et financiers de Fuzion Fuzion Technology Corp. et de 1565385 Ontario Inc.; ces registres permettront aux vérificateurs de la demanderesse de vérifier rapidement : i. les montants à payer; ii. les informations requises, aux termes des tarifs pour la copie privée homologués par la Commission du droit d’auteur.

 

2.      M. Yeung et FTC Computers ont porté en appel cette décision devant la Cour d’appel fédérale. Par une ordonnance rendue le 25 octobre 2007, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel. De ce fait, M. Yeung et FTC Computers sont tenus de se conformer à l’ordonnance de la Cour fédérale datée du 25 octobre 2006.

 

3.      FTC Computers et M. Yeung ont déjà transmis à la SCPCP la totalité des documents que vous avez mis jusqu’ici à leur disposition.

 

4.      Cependant, la SCPCP souhaite examiner d’autres documents et registres informatiques et entend se présenter à cette fin aux locaux de FTC Computers le 26 novembre 2007.

 

5.      Veuillez indiquer sans délai où sont situés les documents de Fuzion Technology Corp. qui se rapportent à l’achat de supports audio vierges et à quel moment ils pourraient être mis à la disposition des vérificateurs de la SCPCP pour examen.

 

Vous trouverez ci-joint une copie de l’ordonnance de la Cour fédérale ainsi qu’une copie de l’ordonnance de la Cour d’appel fédérale. Dans les deux cas, l’ordonnance proprement dite se trouve à la fin de la décision du juge.

 

[36]           Le 26 novembre 2007, une demande semblable a aussi été transmise par courriel à M. Shum, par Me Ellyn, en vue de l’informer qu’il était l’avocat qui représentait FTC et M. Yeung et que, conformément à l’ordonnance, il était urgent de fournir d’autres documents et registres concernant Fuzion (pièce D-3).

 

[37]           M. Yeung a également tenté d’entrer en contact avec M. Shum au moyen de nombreux courriels, qui sont tous restés sans réponse. Le dernier, envoyé le 17 janvier 2008, a été automatiquement retourné à M. Yeung.

 

[38]           Là encore, le témoignage de M. Shum sur ces diverses tentatives est corroboré par les nombreux documents qui ont été produits à l’audience (pièce D-3).

 

[39]           Enfin, au cours de la fin de semaine du 17 janvier 2009, M. Yeung s’est présenté une fois de plus au domicile des parents de M. Shum. Ceux-ci ne se sont pas montrés disposés à lui faire part des coordonnées personnelles de leur fils. Ils ont également dit qu’ils n’étaient au courant de l’existence d’aucun document de Fuzion.

 

[40]           Il convient de signaler que les coordonnées de M. Yeung n’ont pas changé depuis les 10 dernières années.

 

III.             LES OBSERVATIONS DES PARTIES

[41]           Le 16 juin 2009, les avocats ont présenté leurs observations orales concernant la présente instance en outrage au tribunal et ils ont renvoyé la Cour à un certain nombre de textes faisant autorité. Ils ont également présenté une jurisprudence additionnelle ainsi que des arguments écrits après que l’affaire a été prise en délibéré.

 

La partie poursuivante

[42]             La SCPCP soutient que l’outrage au tribunal a été prouvé hors de tout doute raisonnable.

 

[43]             La demanderesse soutient que l’ordonnance est claire et que la Cour d’appel fédérale en a confirmé la validité. Les vérificateurs de la SCPCP avaient besoin des documents demandés pour procéder à la vérification de Fuzion. M. Yeung a sciemment violé l’ordonnance en omettant de fournir tous les documents de Fuzion. Cela dit, bien que la SCPCP soit consciente que Fuzion a poursuivi ses activités pendant quelques mois après la vente en consignation, elle ne cherche pas à obtenir que M. Yeung soit déclaré coupable d’outrage pour ne pas avoir fourni les documents de Fuzion qui se rapportent à la période postérieure à la vente en consignation (c’est‑à‑dire, d’avril à décembre 2003).

 

[44]             La SCPCP soutient que, malgré les efforts que M. Yeung a faits pour obtenir les documents de Fuzion auprès de M. Shum après l’ordonnance et jusqu’à la date de l’audition, il ne s’agit là d’un facteur qui n’est pertinent que pour la détermination de la peine à imposer. Selon l’ordonnance, M. Yeung, FTC et Fuzion étaient conjointement et solidairement tenus de fournir tous les documents de FTC et de Fuzion. Le fait que M. Yeung ne l’ait pas fait constitue une violation de l’ordonnance, et cela équivaut donc à un outrage au tribunal. La SCPCP soutient que, si M. Yeung ne pouvait pas obtenir les documents de Fuzion auprès de M. Shum, il aurait fallu qu’il communique plutôt avec les anciens fournisseurs de Fuzion et qu’il obtienne de ces derniers une copie des factures de disques vierges pour toutes les années visées par la vérification. De plus, M. Yeung a fait preuve d’imprudence et de négligence en ne vérifiant pas par lui‑même, par l’entremise d’anciens employés de Fuzion, et avant que l’ordonnance soit rendue, s’il pouvait avoir accès aux documents de Fuzion, ou les obtenir, pour la période précédant la vente en consignation. M. Yeung n’aurait donc pas agi avec diligence dans la présente affaire.

 

[45]             La SCPCP ne cherche pas à faire imposer une peine d’emprisonnement à M. Yeung. Une amende de 5 000 $ serait suffisante comme mesure dissuasive. Il faudrait également adjuger à la SCPCP des débours et des dépens raisonnables, sur une base procureur‑client, d’un montant total de 33 806,73 $.

 

L’auteur prétendu de l’outrage

[46]             M. Yeung est d’avis que les éléments requis de l’outrage au tribunal n’ont pas été prouvés hors de tout doute raisonnable.

 

[47]             M. Yeung prétend qu’il n’avait pas l’intention de violer l’ordonnance ou de braver un moyen de contrainte de la Cour (une infraction pour laquelle, soit dit en passant, il n’est pas accusé en vertu d’une ordonnance de comparution devant un juge). Toute violation de l’ordonnance est purement technique, et non délibérée de sa part. M. Yeung soutient qu’il n’a pas d’intérêt éloigné à ne pas produire les documents de Fuzion qui ont été demandés et que, s’il les avait, il les remettrait aujourd’hui à la SCPCP. Il n’est pas personnellement responsable d’une dette antérieure de Fuzion et FTC ne doit aucune somme d’argent en rapport avec les disques vierges qui ont été l’objet de la vente en consignation. Il ajoute qu’en tout état de cause, il n’a pas à répondre de gestes qui ont été posés avant que l’on rende l’ordonnance; s’il est nécessaire d’apprécier la conduite des parties avant la délivrance de l’ordonnance, c’est la SCPCP qui a fait preuve de négligence. Il s’est écoulé deux ans entre le moment où la demande a été présentée et celui où la Cour a rendu son ordonnance. La SCPCP savait dès le premier jour où elle a présenté sa demande que Fuzion n’était plus active. Elle aurait pu déposer une demande d’injonction du type mareva, une ordonnance interlocutoire ou une ordonnance impérative exigeant que les livres et les registres de Fuzion soient remis sans délai en attendant l’instruction de leur demande.

 

[48]             M. Yeung soutient qu’après que l’ordonnance a été rendue ou que le jugement de la Cour d’appel fédérale a été prononcé, il a agi de manière diligente et a fait tout ce qui était raisonnablement en son pouvoir pour se conformer à l’ordonnance. Une fois que l’ordonnance de la Cour a été rendue, pour ce qui est de FTC, M. Yeung s’y est conformé, sans renoncer à son droit d’interjeter appel de l’ordonnance. Il ajoute qu’il ne s’agit pas ici d’une affaire d’aveuglement volontaire. Il n’avait aucune obligation personnelle, aux termes de la loi, de tenir ou de conserver des documents. Il ne pouvait pas savoir à l’avance quelle serait l’ordonnance de la Cour. Il n’y a aucune faute personnelle de sa part. M. Shum est le seul qu’il faut totalement blâmer. M. Yeung déclare que M. Shum a été, pendant toute la période en cause, le principal actionnaire et l’âme dirigeante de Fuzion. Il ressort clairement de la preuve qu’à l’exception de la courte période pendant laquelle M. Yeung a eu en sa possession environ 11 boîtes de documents appartenant à Fuzion, c’est M. Shum qui a eu la possession et le contrôle des documents demandés. M. Shum a disparu et M. Yeung ignore où ce dernier peut aujourd’hui se trouver. Il est devenu impossible - et ce l’est encore aujourd’hui - pour M. Yeung de se conformer personnellement à l’ordonnance.

 

[49]             M. Yeung fait donc valoir qu’il ne faudrait pas le déclarer coupable d’outrage au tribunal et, subsidiairement, s’il est déclaré coupable d’outrage au tribunal, il faudrait imposer une amende symbolique de 1 $. Il faudrait également lui adjuger des débours et des dépens raisonnables, sur une base procureur-client, d’un montant total de 25 681,41 $.

 

IV.             LES PRINCIPES JURIDIQUES APPLICABLES

[50]           L’outrage au tribunal peut être de nature soit civile, soit criminelle (Poje c British Columbia (Attorney General), [1953] 1 RCS 516). Dans le cas présent, le défendeur, M. Yeung, est accusé d’outrage civil.

 

[51]            Les articles 466 à 472 des Règles établissent un code qui régit les cas d’outrage civil.

 

[52]           Aux termes de l’article 466 des Règles, et sous réserve de l’article 467, est coupable d’outrage au tribunal quiconque :

 

a) étant présent à une audience de la Cour, ne se comporte pas avec respect, ne garde pas le silence ou manifeste son approbation ou sa désapprobation du déroulement de l’instance;

bdésobéit à un moyen de contrainte ou à une ordonnance de la Cour;

c) agit de façon à entraver la bonne administration de la justice ou à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité de la Cour;

d) étant un fonctionnaire de la Cour, n’accomplit pas ses fonctions;

e) étant un shérif ou un huissier, n’exécute pas immédiatement un bref ou ne dresse pas le procès-verbal d’exécution, ou enfreint une règle dont la violation le rend passible d’une peine.

[Non souligné dans l’original.]

 

[53]           L’accusation déposée contre le défendeur, M. Yeung, est celle d’avoir violé le premier paragraphe de l’ordonnance du juge von Finckenstein. Cette infraction tombe expressément sous le coup de l’alinéa 466b) des Règles et a trait en particulier au fait d’avoir désobéi à une ordonnance de la Cour.

 

[54]           Une conclusion d’outrage au tribunal est toujours une affaire très sérieuse. L’outrage civil est de nature criminelle ou quasi criminelle, car « [l]a sanction de l’outrage au tribunal, même lorsqu’elle sert à assurer l’exécution d’une ordonnance purement privée, comporte toujours un élément de “droit public”, en quelque sorte, car elle met toujours en jeu le respect du rôle et de l’autorité des tribunaux, un des fondements de l’État de droit, et la bonne marche de l’administration de la justice » : Vidéotron Ltée c Industries Microlec Produits Électroniques Inc, [1992] 2 RCS 1065, à la page 1075.

 

[55]            Ce formalisme juridique n’est pas surprenant, car, dans le présent ressort par exemple, l’alinéa 472a) des Règles dispose que, lorsqu’une personne est coupable d’outrage au tribunal, le juge peut ordonner qu’elle soit incarcérée pendant une période de moins de cinq ans ou jusqu’à ce qu’elle se soit conformée à l’ordonnance. Étant donné qu’il y a un risque de privation de la liberté de la personne accusée d’outrage au tribunal, les exigences de la justice fondamentale que prescrit l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, c 11 (la Charte) s’appliquent dans le cas d’une instance en outrage visée par les Règles (Frank c Bottle (1994), 74 FTR 251). Pour ce qui est du droit que garantit l’alinéa 11c) de la Charte, à savoir qu’un accusé a le droit de ne pas être contraint à témoigner, il est déjà codifié par le paragraphe 470(2) des Règles. Cependant, comme l’a conclu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vidéotron Ltée, ce droit existe même si, dans certains ressorts provinciaux, les règles de procédure relatives à l’outrage civil sont muettes.

 

[56]           Il y a eu, au cours de l’audience, une certaine controverse entre les avocats à propos de la nature de l’infraction que crée l’alinéa 466b) des Règles, soit le fait de désobéir à un moyen de contrainte ou à une ordonnance de la Cour, une infraction qui, d’après l’avocate de la demanderesse, est un certain type d’infraction de responsabilité absolue (ou infraction de responsabilité stricte) dans laquelle la mens rea n’est pas un élément requis. C’est là une thèse à laquelle je ne puis souscrire.

 

[57]           L’article 466 des Règles doit être lu de pair avec l’article 472. Le fait est qu’une peine d’emprisonnement est toujours l’issue possible d’une conclusion d’outrage au tribunal, mais nous savons qu’on ne peut imposer une telle peine pour une infraction de responsabilité absolue depuis le jugement qu’a rendu la Cour suprême du Canada dans l’affaire Renvoi : Motor Vehicle Act (Colombie-Britannique), paragraphe 94(2), [1985] 2 RCS 486. C’est donc dire que l’alinéa 466b) des Règles ne peut pas créer une infraction de responsabilité absolue. Sinon, l’alinéa 466 b) et l’article 472 des Règles pourraient faire l’objet d’une contestation fondée sur la Charte.

 

[58]           Cela dit, une personne peut certainement être punie pour la désobéissance volontaire à une ordonnance de la Cour si cette personne était en mesure de s’y conformer. Si l’on ne donne aucune raison satisfaisante pour justifier le non-respect de l’ordonnance, cette personne peut être déclarée coupable d’outrage au tribunal en vertu de l’alinéa 466b) et de l’article 472 des Règles, et, dans au moins une affaire d’outrage civil que la Cour a entendue, il a été décrété que l’élément essentiel de la mens rea était une condition nécessaire de l’infraction : Lyons Partnership, LP c MacGregor (2000), 5 CPR (4th) 157, au paragraphe 5. (Dans Lyons, le juge Lemieux a conclu que le défendeur avait violé une injonction interlocutoire lui interdisant d’utiliser le personnage de Barney en attendant la tenue du procès).

 

[59]           Par ailleurs, les tribunaux de la province de Québec exigent actuellement la mens rea dans les instances pour outrage civil : Syndicat des travailleurs d’Olympia (CSN) c Olymel, sec, [2009] JQ no 1142, aux paragraphes 32 à 34 (CSQ); Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c Montréal (Ville), [1997] 1 RCS 793, aux paragraphes 66 et 67; Daigle c St-Gabriel-de-Brandon (Corp municipale de la paroisse), [1991] RDJ 249 (CAQ); Rocques c Sans, JE 2004-790 (CAQ). En Ontario, la Cour d’appel de l’Ontario a récemment réitéré : [traduction] « Une instance en outrage – même une instance en outrage civil – est de nature criminelle et requiert une preuve hors de tout doute raisonnable de la conduite constituant cet outrage. Cette conduite doit être volontaire, délibérée et de nature obstinée et flagrante » (Anthes c Wilson Estate, [2005] OJ no 1780, 197 OAC 110, au paragraphe 4).

 

[60]           Je suis également convaincu que l’intention, qui correspond à l’« élément moral » dans une accusation d’outrage au tribunal civil, est un élément nécessaire de n’importe quelle conclusion de culpabilité tirée aux termes des Règles. Cela inclut l’infraction consistant à désobéir à un moyen de contrainte ou à une ordonnance de la Cour, ce qui est prévu à l’alinéa 466b) des Règles. Cela dit, le paragraphe 467(3) de ces dernières prescrit que la Cour doit être convaincue de l’existence d’une preuve prima facie qu’il y a eu outrage. Comme l’a récemment déclaré la Cour d’appel fédérale : « Pour convaincre la Cour, la partie qui allègue qu’un outrage au tribunal a été commis doit justifier d’une apparence de droit suffisante en démontrant que la personne qu’elle accuse d’outrage au tribunal s’est rendue coupable d’une désobéissance délibérée et obstinée » (Chaudhry c Canada, 2008 CAF 173, au paragraphe 6, faisant référence à Imperial Chemical Industries PLC c Apotex, [1989] ACF no 130; 24 CPR (3d) 176 (CF 1re inst)).

 

[61]           Dans le Canadian Oxford Dictionary, révisé par Katherine Barber (Oxford University Press (2001)), les mots « contumacious » (« obstiné ») et « wilful » (« délibéré ») sont ainsi définis :

contumacy / n. [traduction] refus obstiné d’obéir ou de se conformer ? contumacious / adj. [traduction] [latin contumacia de contumax, peut‑être connexe à tumre gonfler]

 

wilful / adj. [traduction] (aussi wilful) 1 (dans le cas d’un geste ou d’un état) volontaire, délibéré (meurtre volontaire; négligence volontaire; désobéissance volontaire). (dans le cas d’une personne) obstiné, têtu. ? wilfully adv. Wilfulness n. [traduction] [moyen anglais de WILL2 + -FUL].

 

[Renvoi omis.]

 

 

[62]           Le juge Pelletier (tel était alors son titre) a indiqué en des termes semblables, dans la décision Mennes c Établissement de Warkworth, 2001 CFPI 571, au paragraphe 5, qu’une ordonnance de justification « requiert la preuve de l’existence d’une ordonnance ou autre acte judiciaire, la preuve de la connaissance par le défendeur de cette ordonnance ou autre acte judiciaire et la preuve d’une violation délibérée de cette ordonnance ou autre acte judiciaire » [non souligné dans l’original].

 

[63]           Nous en sommes maintenant à la seconde étape de l’instance pour outrage au tribunal. Le critère que la Cour d’appel fédérale a mentionné dans l’arrêt Chaudhry, précité, s’applique de la même façon, sauf que tous les éléments requis pour déclarer coupable l’auteur prétendu de l’outrage doivent maintenant être prouvés par la demanderesse « hors de tout doute raisonnable ». En conséquence, les actes constituant les manquements allégués doivent être volontaires ou délibérés, ou doivent découler d’une indifférence sérieuse ou obstinée à l’égard de la Cour. En ce sens, le mot « délibéré » englobe assurément toute conduite qui est mûrement réfléchie, et non impulsive ou accidentelle. À cet égard, on peut aussi prendre en considération l’« aveuglement volontaire » de l’auteur prétendu de l’outrage : Church of Scientology of Toronto c Cooper), [1984] OJ no 1400; Canada (Ministre du Revenu national – MRN) c Iwaschuk, 2004 CF 1602; Brilliant Trading Inc c Wong, 2005 CF 1214. Cette approche concorde avec la jurisprudence sur l’outrage au tribunal civil qui existe dans diverses provinces à laquelle les parties ont fait référence ou que la Cour a consultée.

 

[64]           En fait, le fait de recourir à un critère à « trois volets » pour tirer une conclusion d’outrage au tribunal civil dans le cas d’un moyen de contrainte ou d’une ordonnance de la Cour est solidement établi en Ontario : Bell Express Vu Limited Partnership c Torroni, 2009 ONCA 85, et Hobbs c Hobbs (2008), 240 OAC 202, 54 RFL (6th) 1 (CA). Le critère a été résumé ainsi par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Prescott-Russell Services for Children and Adults c G(N) (2006), 82 OR (3d) 686, au paragraphe 27 :

[traduction]

 

Les critères applicables à une conclusion d’outrage au tribunal sont bien établis en droit. Il s’agit, en fait, d’un critère à trois volets. Premièrement, l’ordonnance qui a été violée doit énoncer clairement et sans équivoque ce qui doit être fait et ne doit pas être fait. Deuxièmement, la partie qui désobéit à l’ordonnance doit le faire délibérément et volontairement. Troisièmement, les éléments de preuve doivent démontrer hors de tout doute raisonnable que l’outrage a été commis. Tout doute doit clairement être tranché en faveur de la personne ou de l’entité qui aurait violé l’ordonnance.

 

[65]           Bien que le critère relatif à l’outrage au tribunal civil comporte une « désobéissance délibérée et obstinée » de la part de l’auteur prétendu de l’outrage (arrêt Chaudhry, précité, au paragraphe 6), la Cour a parfois dit que l’élément « délibéré » n’est pas automatiquement assimilable à un besoin d’établir la mens rea, au sens que peut avoir ce concept dans le cas d’un outrage au tribunal criminel : LifeGear, Inc c Urus Industrial Corp, 2004 CF 21; Merck & Co c Apotex Inc, 2003 CAF 234, au paragraphe 60; Telus Mobilité c Syndicat des travailleurs des télécommunications, 2002 CFPI 656.

 

[66]           Ainsi que l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt United Nurses of Alberta c Alberta (Procureur général), [1992] 1 RCS 901, [1992] ACS no 37, au paragraphe 55, pour démontrer l’outrage criminel, il est nécessaire de prouver, hors de tout doute raisonnable, que l’accusé a transgressé une ordonnance d’un tribunal ou y a désobéi publiquement (l’actus reus), tout en voulant que cette désobéissance publique continue à miner l’autorité de la Cour, en le sachant ou sans s’en soucier (la mens rea). À cet égard, lorsqu’il est évident que l’accusé devait savoir que son acte de transgression serait public, il est possible d’inférer qu’il ne se souciait au moins pas de la question de savoir si son comportement porterait outrage à l’autorité du tribunal. Cependant, si les circonstances laissent subsister un doute raisonnable quant à la question de savoir si le manquement avait ou était censé avoir cette qualité publique, il s’ensuit que la mens rea nécessaire serait absente et que l’accusé serait acquitté, même si, en fait, la question devenait publique.

 

[67]           Cela dit, il n’y a aucun doute dans mon esprit que l’intention de faire ou de refuser de faire ce qu’ordonne un tribunal dans le cadre d’une instance civile est nécessaire pour démontrer l’existence d’un outrage au tribunal de nature civile dans le présent ressort ou ailleurs au Canada. L’infraction particulière que crée l’alinéa 466b) des Règles est la mesure délibérée qui consiste à poser ou à refuser de poser un geste qui est en fait interdit ou prescrit par l’ordonnance. L’« élément de faute » (LifeGear, Inc, précitée, aux paragraphes 22 et 23) ou l’« élément moral » correspond donc à la preuve hors de tout doute raisonnable de la « désobéissance volontaire » à l’ordonnance du tribunal par l’auteur prétendu de l’outrage, conjuguée à la « violation délibérée » de cette ordonnance ((Mennes, au paragraphe 5). Il faut donc que la partie demanderesse prouve hors de tout doute raisonnable que l’auteur prétendu de l’outrage avait connaissance de l’ordonnance, de même que la désobéissance délibérée de cette dernière. : Sherman c Agence des douanes et du revenu du Canada, 2006 CF 1121, au paragraphe 11.

 

[68]           En conclusion sur ce point, comme il a été décidé dans d’autres ressorts, l’intention de l’auteur prétendu de l’outrage, telle que manifestée par son action ou son inaction, est clairement pertinente non seulement pour déterminer la peine qu’il y a lieu d’imposer, mais aussi s’il y a eu outrage au tribunal ou non (en plus des décisions déjà citées : Morrow, Power c Newfoundland Telephone Co, 121 Nfld & PEIR 334, [1994] NJ no 197, aux paragraphes 18 et 19).

 

La preuve hors de tout doute raisonnable

[69]           À l’audience tenue devant le juge, la partie poursuivante est la première à présenter sa preuve d’outrage au tribunal. L’auteur prétendu de cet outrage peut produire des éléments de preuve ou non. Cela est dû au fait que la partie poursuivante a le fardeau ultime de prouver hors de tout doute raisonnable qu’il y a eu outrage. Selon le cas, l’auteur prétendu de l’outrage peut souhaiter témoigner à l’audience en vue d’expliquer pourquoi il ne s’est pas conformé à l’ordonnance du tribunal. Cela concorde aussi avec l’objet de l’audience, qui vise à permettre à la personne « d’être prête à présenter une défense » : alinéa 467(1)c) des Règles. Il va sans dire que la partie poursuivante peut toujours contester les explications de l’auteur prétendu de l’outrage à la Cour, en disant qu’elles ne sont pas vraies ou qu’elles ne constituent pas une défense valable ou une excuse légitime pour ne pas s’être conformé à l’ordonnance du tribunal.

 

[70]           La signification personnelle de l’ordonnance du tribunal à l’auteur prétendu de l’outrage, ce qui prouve ainsi qu’il était bel et bien au fait de l’ordonnance, peut permettre au tribunal d’inférer que la violation était volontaire et délibérée. Il peut s’agir là d’une preuve suffisante à la première étape. Cependant, au stade de l’audience proprement dite, cette preuve doit être mesurée et soupesée au moyen de n’importe quelle explication que donne de vive voix l’auteur prétendu de l’outrage, dont il faut bien sûr apprécier la crédibilité.

 

[71]           Il n’y a pas lieu de combiner ou d’associer la « bonne foi » de l’auteur de l’outrage à l’absence de mens rea ou d’intention délibérée, ce qui est une condition essentielle d’un outrage au tribunal de nature criminelle ou civile. Par exemple, le fait que l’auteur de l’outrage croyait, sur l’avis d’un avocat, que la vente d’un produit qu’il projetait d’effectuer n’était pas une infraction, sur la foi de l’interprétation qu’avait faite cet avocat des motifs du jugement, n’est pas une défense valable à une instance en outrage à la suite de la délivrance d’une injonction. C’est donc dire que l’auteur de l’outrage aurait dû obtenir une directive de la Cour avant de poursuivre les activités de vente jusqu’à ce que les conditions du jugement aient été réglées. Cependant, dans un tel cas, il est possible de prendre en considération la bonne foi de l’auteur de l’outrage pour ce qui est de l’imposition d’une peine appropriée : Merck & Co c Apotex Inc, 2003 CAF 234.

 

[72]           Par ailleurs, le fait que l’auteur prétendu de l’outrage considère l’ordonnance du tribunal injuste ou non valide n’est pas une excuse légitime pour ne pas s’y conformer. À moins d’obtenir un sursis, la personne qui est liée par une ordonnance d’un tribunal est tenue de s’y soumettre pendant qu’elle demeure en vigueur, aussi imparfaite qu’elle puisse la considérer ou aussi imparfaite qu’elle puisse réellement être. L’ordre public exige que ce soit l’application régulière de la loi qui fasse échec à une ordonnance, et non pas son inobservation : Canada (Commission des droits de la personne) c Taylor [1990] 3 RCS 892, [1990] ACS no 129, au paragraphe 90, où la Cour suprême du Canada a fait sienne le raisonnement du juge O’Leary dans la décision Canada Metal Co c Canada Broadcasting Corp (no 2) (1974), 4 OR (2d) 585.

 

[73]           Le droit qui s’applique au fait de déclarer coupable d’outrage les dirigeants et les administrateurs d’une société qui est sous le coup d’une injonction est résumé par le juge O’Leary dans la décision Canada Metal Co, précitée, aux pages 604 et 605 :

[traduction]

 

Les demandeurs ont fait valoir que lorsqu’une société viole une injonction, ses dirigeants et ses administrateurs peuvent être reconnus coupables d’outrage au tribunal et peuvent être rattachés à l’outrage ou par ailleurs punis pour ce dernier, sans aucune preuve qu’ils ont fait ou omis de faire une chose qui était responsable de cette violation. C’est là un argument auquel il m’est impossible de souscrire. Je ne dis pas qu’avant qu’un dirigeant ou un administrateur puisse être reconnu coupable d’un outrage commis par la société, il faut faire la preuve que ce dirigeant ou cet administrateur a aidé ou a encouragé à commettre l’outrage. Il se peut fort bien que le dirigeant ou l’administrateur puisse être reconnu coupable d’outrage, même si, dans l’affaire, il n’a joué qu’un rôle purement passif : voir Biba Ltd c Stratford Investments Ltd, [1972] 3 All ER 1041, et Glazer c Union Contractors Ltd and Thornton (1961), 129 CCC 150, 26 DLR (2d) 349. De plus, la violation de l’injonction peut amener dans certains cas à présumer que le dirigeant ou l’administrateur a fait ou omis de faire une chose qui a causé la violation, et peut obliger ce dirigeant ou cet administrateur à se défendre. Cependant, lorsqu’il ressort clairement de la preuve que le dirigeant ou l’administrateur a fait tout ce qu’il pouvait pour s’assurer que l’on respecte l’injonction et que la violation a eu lieu sans faute aucune de sa part, il m’est alors impossible de voir pourquoi ce dirigeant ou cet administrateur peut être puni pour outrage au tribunal.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[74]            Une preuve d’impossibilité de se conformer ou de diligence raisonnable peut constituer une excuse légitime pour ne pas se conformer aux modalités d’une ordonnance ou d’une injonction : Nemo Foods Ltd c Remi Rivet Fast Foods Ltd et al (1982), 64 CPR (2d) 125; Regina c Roussel et al (1989), 54 CCC (3d) 203, aux pages 213 et 214 (CSQ); Morrow, Power, précitée, au paragraphe 20; Kun Shoulder Rest Inc c Joseph Kun Violin and Bow Maker Inc (1997), 74 CPR (3d) 487, au paragraphe 77 (CF 1re inst); Capital Regional District c Sooke River Hotel Ltd, 2001 BCSC 1373, au paragraphe 21; TG Industries Ltd c Williams, 2001 NSCA 105, au paragraphe 31; Silver Rill Corn Ltd c Island View Golf Centre Ltd, 2007 BCSC 865, aux paragraphes 17 à 33. C’est donc dire que, si une personne désignée dans une injonction, et cela inclut un administrateur ou un dirigeant d’une société, est en mesure de prouver qu’elle a fait tout ce qui pouvait être raisonnablement fait ou requis dans les circonstances pour s’y conformer, un juge n’a pas à reconnaître cette personne coupable d’outrage au tribunal.

 

V.                IL N’Y A PAS D’OUTRAGE AU TRIBUNAL EN L’ESPÈCE

[75]           Dans la présente affaire, le protonotaire a rendu l’ordonnance de comparution devant un juge, parce qu’il était convaincu que M. Yeung était au courant de l’ordonnance et que la demanderesse avait établi une preuve prima facie qu’il en avait violé le premier paragraphe. L’ordonnance de comparution devait être signifiée personnellement à Yeung. Cette condition a été remplie.

 

[76]           Nous nous situons à la seconde étape, soit celle de l’audience même pour outrage, qui, comme il a été dit plus tôt, est analogue à l’instruction d’une infraction de nature criminelle. Là encore, je réitère que l’acte reproché à M. Yeung est que ce dernier, de par sa conduite, a violé le premier paragraphe de l’ordonnance en ne mettant pas à la disposition des vérificateurs de la SCPCP, pour les besoins d’une vérification, la totalité des registres commerciaux, comptables et financiers de Fuzion et de FTC dans les 30 jours suivant la date de l’ordonnance ou dans les 30 jours suivant la date du jugement de la Cour d’appel fédérale, soit le 25 octobre 2007.

 

[77]           Par ailleurs, on n’accuse pas M. Yeung d’avoir agi de façon à entraver la bonne administration de la justice ou à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité de la Cour – l’alinéa 466c) des Règles – mais d’avoir désobéi à une ordonnance de la Cour – l’alinéa 466b) des Règles. La question dont la Cour est aujourd’hui saisie ne consiste pas à savoir si les trois défendeurs – Fuzion, FTC et M. Yeung – pouvaient refuser pour un motif valable en février 2003 de remettre les documents de Fuzion aux vérificateurs de la SCPCP, mais s’il y a lieu de reconnaître M. Yeung coupable d’outrage au tribunal du fait qu’il a violé volontairement et délibérément le premier paragraphe de l’ordonnance d’octobre 2006, qui enjoignait à Fuzion, à FTC et à M. Yeung de remettre aux vérificateurs de la SCPCP tous les documents pertinents de Fuzion et de FTC.

 

[78]           Pour les motifs exposés ci-après, je conclus que M. Yeung n’est ni coupable d’outrage au tribunal ni coupable de l’infraction particulière dont il a été expressément accusé aux termes de l’ordonnance de comparution devant un juge.

 

[79]           Au vu des faits établis à l’audience du 19 janvier 2009, la demanderesse n’est tout simplement pas parvenue à établir hors de tout doute raisonnable que tous les éléments requis du critère relatif à l’outrage au tribunal de nature civile étaient remplis dans le cas présent, et, en particulier, qu’il y avait eu désobéissance délibérée et obstinée de la part de l’auteur prétendu de l’outrage, M. Mickey Yeung.

 

[80]           Après avoir examiné la totalité des éléments de preuve que les parties ont produits, j’ai conclu que le témoignage de M. Yeung était tout à fait crédible. Je conclus également que ce dernier n’a pas violé volontairement ou délibérément le premier paragraphe de l’ordonnance que le juge von Finckenstein a rendue et qu’il n’existe aucune preuve, hors de tout doute raisonnable, d’une conduite obstinée de la part de Yeung. À cet égard, la preuve de connaissance de l’ordonnance que la demanderesse a produite ne suffit pas en l’espèce pour établir, hors de tout doute raisonnable, que M. Yeung a désobéi volontairement à l’ordonnance en ne remettant pas aux vérificateurs actuels de la SCPCP tous les documents de Fuzion. Toute preuve de non‑conformité que présente la demanderesse doit être appréciée au regard des explications raisonnables que M. Yeung a données à l’audience pour ne pas s’être conformé à l’ordonnance. Les éléments de preuve crédibles que M. Yeung a produits à l’audience suffisent en l’espèce pour susciter dans mon esprit un doute raisonnable quant au caractère volontaire ou délibéré de la violation et quant au caractère obstiné allégué de la violation en question.

 

[81]           Compte tenu de la totalité de la preuve, je conclus que l’omission de M. Yeung de se conformer à l’ordonnance n’est pas délibérée ou volontaire. Je crois M. Yeung, quand il affirme sous serment qu’il n’avait pas réellement le contrôle ou la possession des documents de Fuzion. Son témoignage à l’audience concorde tout à fait avec la position que FTC et lui-même avaient adoptée en rapport avec la demande de la SCPCP, de même qu’avec les faits contenus dans l’affidavit sous serment de M. Yeung, daté du 12 novembre 2004, que la demanderesse a produit à l’audience tenue devant moi (pièce P‑3). Il faut donc souscrire dans les circonstances actuelles à la défense de diligence raisonnable de M. Yeung ainsi qu’à son impossibilité de se conformer à l’ordonnance.

 

[82]           M. Yeung m’a prouvé que le fait de ne pas fournir la totalité des documents de Fuzion, ce qui constitue la désobéissance obstinée alléguée, n’était pas un geste délibéré de sa part. L’intention qu’il avait de se conformer à l’ordonnance allait bien au‑delà du fait de faire état à l’audience d’une croyance subjective qu’il voulait se conformer à l’ordonnance ou qu’il n’avait aucune intention obstinée. Son témoignage, corroboré par les documents produits à l’audience en tant que pièces D-1, D-2 et D-3, montre clairement et objectivement qu’il a pris dans le passé des mesures positives pour se conformer à l’ordonnance. Cela n’est pas le cas lorsqu’une personne ne fait tout simplement rien ou n’agit que faiblement pour obtempérer à une ordonnance impérative. De plus, il n’y a pas eu d’aveuglement volontaire de la part de M. Yeung. J’accepte, en me fondant sur le témoignage de ce dernier, que le fait de ne pas avoir personnellement fourni les documents de Fuzion n’était pas le fruit d’une indifférence sérieuse ou éhontée à l’égard de l’ordonnance.

 

[83]           En résumé, la Cour a eu l’avantage d’entendre des preuves de vive voix pertinentes, qui contribuent à clarifier la position personnelle de M. Yeung. Cette preuve éclaire les difficultés pratiques que posait l’ordonnance. Il est devenu évident qu’il était impossible – et qu’il est toujours physiquement impossible aujourd’hui – pour M. Yeung de se conformer pleinement à l’ordonnance. Même s’il fallait que la Cour ordonne aujourd’hui à M. Yeung de se conformer à l’ordonnance, il n’en reste pas moins que celui-ci ne serait toujours pas en mesure de remettre la totalité des dossiers de Fuzion aux vérificateurs de la SCPCP.

 

[84]           L’avocate de la demanderesse a fait valoir avec vigueur à l’audience que l’ordonnance créait en quelque sorte une [traduction] « obligation de résultat » dans le cadre de laquelle les trois défendeurs mentionnés dans l’ordonnance, Fuzion, FTC et M. Yeung, étaient conjointement et solidairement tenus de mettre à la disposition des vérificateurs de la SCPCP, pour les besoins spécifiés dans l’ordonnance, la totalité des registres commerciaux, comptables et financiers de Fuzion et de FTC, et ce, de telle sorte que chacun d’eux pouvait être contraint séparément de s’acquitter de l’obligation tout entière décrite dans l’ordonnance, faute de quoi il pouvait être reconnu coupable d’outrage au tribunal. À mon humble avis, le raisonnement de la demanderesse est indéfendable en droit, puisque dans un contexte quasi criminel, comme l’est la présente instance en outrage au tribunal, l’auteur prétendu d’un outrage ne peut pas être tenu responsable de la faute d’une autre personne, à moins de prouver sa complicité hors de tout doute raisonnable. Il faut que la faute ait été personnellement commise par l’auteur prétendu de l’outrage. En me fondant sur les témoignages que j’ai entendus et sur les documents qui ont été produits à l’audience, il n’y a pas eu de faute personnelle de la part de M. Yeung. La SCPCP n’a pas allégué ou prouvé qu’il y avait eu collusion entre MM. Yeung et Shum afin de permettre à Fuzion de se soustraire à l’ordonnance.

 

[85]           Enfin, je suis persuadé que M. Yeung a accordé un degré de priorité suffisant à l’ordonnance dans les circonstances particulières de l’espèce. Là encore, je souhaite clairement indiquer qu’au vu des explications crédibles et raisonnables que M. Yeung a données à l’audience, je suis tout à fait convaincu que l’impossibilité physique de M. Yeung de se conformer à l’ordonnance n’a pas été le fruit d’une conduite insouciante ou négligente de sa part. Selon la preuve objective figurant dans le dossier, M. Yeung et FTC n’avaient aucun droit de propriété sur les documents de Fuzion. Ceux-ci appartenaient à Fuzion et se trouvaient sous le contrôle de M. Shum à l’époque où l’ordonnance a été rendue et aussi, après sa délivrance, jusqu’au moment présent. De plus, sauf dans la mesure indiquée plus tôt, ni FTC ni M. Yeung ne peuvent être tenus responsables de l’obligation de payer des redevances sur des supports vierges qui appartenaient à Fuzion et qui ne faisaient pas réellement l’objet de la vente en consignation.

 

[86]           En conséquence, il y a lieu de rejeter la requête en outrage au tribunal.

 

VI.             LES DÉPENS

[87]           Vu l’issue de la présente instance en outrage au tribunal, les dépens doivent être adjugés en faveur de M.Yeung. L’avocat de ce dernier a fait valoir à l’audience que la présente affaire se prêtait bien à l’adjudication à son client d’une somme globale au lieu de dépens taxés, en prenant pour base le mémoire de frais qu’il a présenté et dans lequel les dépens et les débours totalisent la somme de 25 685,41 $ (inclusion faite de toutes les taxes).

 

[88]           Pour adjuger une somme globale au lieu de dépens taxés, la Cour devrait se fonder dans toute la mesure du possible sur les normes qu’établit le tarif B. Ce n’est que dans les cas où cette mesure mènerait à un résultat déraisonnable ou insatisfaisant que la Cour doit envisager d’adjuger un montant supérieur à ceux que prévoit le tarif (Dimplex North American Ltd. c CFM Corp (2006), 55 CPR (4th) 202, 307 FTR 153). En fait, la pratique établie consiste à adjuger les dépens sur une base procureur-client à la partie poursuivant l’outrage au tribunal afin de s’assurer que l’on se conforme à une ordonnance judiciaire (Merck & Co c Apotex Inc, 2003 CAF 234, 25 CPR (4th) 289 (CAF), aux paragraphes 93 et 94). La règle qui sous-tend la jurisprudence est claire : une partie qui aide la Cour à appliquer les ordonnances qu’elle rend et en assurer le respect ne devrait pas être tenue de payer de sa poche les frais qu’elle engage à cette fin.

 

[89]           À l’inverse, lorsque l’auteur prétendu de l’outrage au tribunal est reconnu non coupable, devrait-il avoir le droit d’obtenir des dépens sur une base procureur-client?

 

[90]           À mon avis, la simplicité de l’affaire, la conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante d’une partie ou des raisons d’intérêt public peuvent justifier l’adjudication de dépens sur une base procureur-client. Les raisons de principe pour adjuger des dépens sur cette base à l’auteur prétendu d’un outrage au tribunal qui est acquitté de cette accusation devraient concorder avec cette règle. C’est donc dire que, dans le cas du rejet d’une requête en outrage, il ne devrait pas y avoir de droit automatique à des dépens sur une base procureur-client. L’auteur prétendu de l’outrage devrait convaincre le juge qui instruit l’affaire que la partie poursuivante a elle‑même agi d’une manière fautive, et ce serait le cas si la preuve circonstancielle faisait état d’une mauvaise foi de la part de la partie poursuivante ou d’un comportement abusif lors du dépôt de la requête en outrage.

 

[91]           Lors des plaidoiries présentées à l’audience pour outrage du 16 juin 2009, l’avocat de M. Yeung a demandé à la Cour de conclure que la SCPCP avait outrepassé la raison pour laquelle l’ordonnance avait été rendue. Il a donc fait valoir qu’il n’était pas loisible à la SCPCP de demander que M. Yeung soit déclaré coupable d’outrage sans montrer tout d’abord qu’elle‑même avait fait tout ce qu’elle pouvait pour mettre la main sur les documents demandés. Le défaut de la SCPCP d’informer ou d’aviser Mme Thomas de l’étendue de la première partie de la vérification de Fuzion qui a eu lieu en janvier et en février 2003 devrait donc être pris en compte au moment d’apprécier la bonne foi de la SCPCP. Il faudrait à tout le moins que la Cour tire une inférence défavorable du fait que la SCPCP n’a pas fourni la preuve nécessaire des efforts qu’elle avait faits pour obtenir les documents demandés. De plus, les frais de déplacement et d’hébergement que M. Yeung a engagés en vue de comparaître à l’audience pour outrage à Montréal le 19 janvier 2009, après que la SCPCP a refusé d’en autoriser l’ajournement, alors que tous les faits de l’affaire étaient survenus en Ontario, devraient être pris eux aussi en compte pour évaluer les dépens à adjuger.

 

[92]           En réponse, l’avocate de la SCPCP a invoqué, dans sa plaidoirie, qu’il n’est pas pertinent que le rapport de vérification de février 2003 n’ait pas été mis à la disposition de la Cour, car l’ordonnance est fondée sur la prémisse selon laquelle ce rapport était incomplet et qu’il avait été impossible de mener à bien la vérification. Il n’entrait pas dans le mandat de Mme Thomas de revérifier si les documents fournis à la SCPCP au cours de la vérification de février 2003 étaient insuffisants. L’avocate de la SCPCP a donc fait valoir qu’il n’y avait aucune preuve de mauvaise foi de la part de sa cliente. Si la SCPCP avait été en mesure d’apprécier la responsabilité de Fuzion, le protonotaire Lafrenière n’aurait pas rendu une ordonnance de comparution. Il existait maintenant une ordonnance, et le juge von Finckenstein avait souscrit à la position de la SCPCP selon laquelle celle‑ci n’avait pas été en mesure, au moment de la demande, d’évaluer l’obligation qu’avait Fuzion de verser des redevances. L’avocate de la SCPCP a plutôt demandé à la Cour de conclure que M. Yeung n’avait pas fait preuve de diligence, en ce sens qu’il n’avait pas essayé de communiquer avec M. Shum ou de fournir des documents autres que ceux qu’il avait déjà produits et que, après l’ordonnance de la Cour d’appel, il avait attendu au moins 30 jours avant de commencer à essayer de se conformer à la décision.

 

[93]           Selon moi, les arguments de la SCPCP ne sont pas convaincants, et je les rejette.

 

[94]           L’ordonnance de comparution du protonotaire Lafrenière a été rendue ex parte et elle ne liait pas le juge qui allait entendre la preuve de vive voix des parties présentes à l’audience pour outrage. Au vu des éléments de preuve du dossier, depuis le mois de mai 2003, M. Yeung n’était plus dirigeant et administrateur de Fuzion. Son nom a été ajouté à l’ordonnance essentiellement parce que M. Shum, l’actionnaire majoritaire et président de Fuzion, vivait en Chine à l’époque où la SCPCP a déposé sa demande. À la date à laquelle l’ordonnance a été rendue, M. Yeung était à la tête de sa propre société, FTC, qui avait toujours été une entité distincte. Cependant, la Cour a voulu s’assurer que le fait de conclure la vente en consignation n’empêchait pas de payer à la SCPCP les redevances prévues par les tarifs au sujet des supports vierges que Fuzion avait vendus à FTC. Sans cette mesure, elle n’aurait pas « levé » le voile de la personnalité juridique.

 

[95]           Il est évident qu’on n’aurait pas poursuivi M. Yeung pour outrage au tribunal si Fuzion, qui, soit dit en passant, a été dissoute en 2005, s’était conformée plus tôt à la demande des anciens vérificateurs de la SCPCP concernant la remise de tous les documents relatifs à Fuzion. La demanderesse reconnaît volontiers qu’à la suite de la délivrance de l’ordonnance en octobre 2006, M. Yeung avait mis à la disposition de ses vérificateurs la totalité des registres commerciaux, comptables et financiers de FTC. Pour ce qui est de cette dernière, les vérificateurs actuels de la SCPCP se sont dits entièrement convaincus que les disques vierges que FTC avait achetés au cours de la période visée par la vérification, y compris ceux qui avaient été l’objet de la vente en consignation, émanaient tous de fournisseurs canadiens (locaux) (pièce D‑2).

 

[96]           En fait, la demanderesse s’est dite convaincue après la finalisation de la vérification concernant FTC que cette dernière ne devait aucun montant prévu par les tarifs pour la période visée par la vérification. Cette preuve, en soi, établissait objectivement que M. Yeung avait respecté le processus et l’ordonnance de la Cour et qu’il s’y était conformé. C’est donc dire que la présente instance en outrage ou la poursuite d’autres procédures contre M. Yeung à titre personnel se rapprochent très étroitement de la conduite outrageante qu’un tribunal ne devrait pas tolérer.

 

[97]           Aucun représentant de la SCPCP n’a témoigné à l’audience. La preuve ne dit rien des motifs ou des objectifs réels pour lesquels la SCPCP a déposé la présente requête en outrage. Le fait est que Fuzion a été dissoute, qu’elle n’est pas active et que FTC ne doit pas de redevances à la SCPCP. Pourquoi donc poursuivre cette vérification? La SCPCP a-t-elle encore l’intention de procéder à une évaluation ou de présenter ultérieurement une demande à l’encontre de Fuzion?

 

[98]           L’avocate de la demanderesse a fait valoir que les vérificateurs de la SCPCP n’ont pas pu tirer une conclusion satisfaisante à propos de la conformité de Fuzion à ses obligations redditionnelles, à cause de l’indisponibilité de certains documents lui appartenant, mais il convient de signaler que Mme Thomas, dans son rapport, ne fait pas expressément référence à ce que les anciens vérificateurs de la SCPCP avaient établi pour la poursuite de la vérification de Fuzion. Elle a déclaré dans son témoignage principal qu’elle aurait normalement passé en revue le rapport des anciens vérificateurs avant de continuer sa propre vérification, mais qu’elle ne pouvait pas se souvenir si elle l’avait effectivement fait. Cependant, en contre‑interrogatoire, Mme Thomas a admis ne pas avoir vérifié auprès des anciens vérificateurs de la SCPCP quels documents ou renseignements, s’il y en avait, avaient été fournis ou obtenus lors de la première partie de la vérification de Fuzion, qui avait eu lieu en janvier et en février 2003. Par ailleurs, la demanderesse n’a pas jugé nécessaire de faire témoigner les anciens vérificateurs de la SCPCP au cours de la présente instance en outrage.

 

[99]           Les divers éléments qui précèdent jettent de sérieux doutes sur le caractère authentique de la présente requête en outrage ainsi que sur les motifs réels pour lesquels la SCPCP a engagé la présente instance contre M. Yeung à titre personnel, et non pas contre Fuzion ou M. Shum. Pourquoi tenter aujourd’hui de faire condamner M. Yeung à titre personnel? Est-ce un geste de représailles ou de vengeance? Pourquoi M. Yeung devrait-il être tenu responsable pour outrage au tribunal parce que Fuzion ou M. Shum ont omis ou refusé de fournir les documents de Fuzion qui étaient demandés?

 

[100]       Au cours de la présente instance en outrage que la SCPCP a engagée plus de deux ans après la date de délivrance de l’ordonnance, la demanderesse n’a pas informé la Cour des mesures, s’il y en a eu, qu’elle avait prises pour obtenir les renseignements demandés de Fuzion ou de M. Shum, et je suis en droit de tirer une conclusion défavorable de son silence à cet égard. N’oublions pas qu’en droit canadien, une ordonnance pour outrage au tribunal est d’abord et avant tout une déclaration portant qu’une partie a contrevenu à une ordonnance judiciaire. La Cour suprême du Canada a précisé, dans l’arrêt Pro Swing Inc, au paragraphe 35 : « une requête pour outrage au tribunal ne peut être réduite à un moyen de faire pression sur un débiteur défaillant ou d’être indemnisé d’un préjudice ». C’est donc dire que la partie qui engage une instance pour outrage au tribunal est soumise à l’obligation de bonne foi la plus absolue qui soit.

 

[101]       Dans les circonstances particulières de l’espèce, s’il y a une partie qui devrait être reconnue coupable au tribunal, c’est clairement Fuzion ou son ancienne âme dirigeante, M. Shum. Il s’agit ici d’une affaire dans laquelle, à l’humble avis de la Cour, l’auteur prétendu de l’outrage au tribunal, une personne dont les ressources pécuniaires sont restreintes, ne devrait pas avoir à supporter toutes les conséquences découlant du fait de contester ce qui se révèle être une instance pour outrage non fondée et injustifiée, d’une durée de deux jours. Par ailleurs, une partie importante de l’audience a eu lieu à Montréal, alors que tous les faits de l’affaire se sont déroulés dans la région de Toronto, d’où venaient aussi la plupart des témoins importants, ce qui a tout simplement imposé un fardeau pécuniaire additionnel à M. Yeung et à son avocat.

 

[102]       En conclusion, la présente affaire se prête bien à l’adjudication au défendeur, M. Yeung, d’une somme globale qui inclurait tous les débours raisonnables ainsi qu’une juste part des frais juridiques que ce dernier a engagés pour se défendre dans l’instance pour outrage au tribunal, d’après le mémoire de frais que son avocat a présenté.

 

[103]       Compte tenu de la totalité des circonstances particulières de l’affaire, dont le degré de succès obtenu, la valeur et l’importance de l’affaire, la responsabilité que l’avocat de M. Yeung a assumée, la capacité de paiement de M. Yeung, la complexité de certaines questions de droit que les parties ont invoquées ainsi que la quantité de travail et de recherches qu’il a fallu mener, en l’espèce, dans la jurisprudence, je suis d’avis qu’il est juste et raisonnable d’adjuger à M. Yeung la somme totale de 15 000 $, inclusion faite de tous les débours et à la place d’une taxation de dépens, laquelle somme est à payer sans délai par la demanderesse.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.         le défendeur Mickey Yeung n’est pas coupable d’outrage au tribunal.

 

2.         la requête en outrage que la demanderesse a déposée est rejetée avec dépens.

 

3.         le défendeur Mickey Yeung a droit à des dépens d’une somme totale de 15 000 $, à la place d’une taxation de dépens et en incluant la totalité des débours, et la demanderesse est tenue de payer cette somme sans délai.

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

C. Laroche


 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1655-04

 

INTITULÉ :                                      LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DE PERCEPTION DE LA COPIE PRIVÉE c FUZION TECHNOLOGY CORP, 1565385 ONTARIO INC et MICKEY YEUNG

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 16 juin 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 5 août 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Madeleine Lamothe-Samson                                                  POUR LA DEMANDERESSE

514-847-4981

 

Igor Ellyn                                                                                POUR LES DÉFENDEURS

416-365-3700

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ogilvy Renault, s.r.l.                                                               POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

Ellyn Law, LLP                                                                      POUR LES DÉFENDEURS

Toronto (Ontario)

 

 

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