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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court

 


Date : 20090731

Dossier : T-460-09

Référence : 2009 CF 791

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 juillet 2009

En présence de madame la juge Snider

 

ENTRE :

WESTERN STEEL AND TUBE LTD.

demanderesse

et

 

ERICKSON MANUFACTURING LTD. et

B. ERICKSON MANUFACTURING LTD.

défenderesse

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.  Résumé des faits

 

  • [1] Western Steel and Tube Ltd. (appelée WST ou la demanderesse) fabrique et vend une variété de rampes utilitaires et de chargement, de barres de sécurité, d’étagères de rangement et d’ossatures de bâtiments multi-usage. Plus précisément, l’entreprise fabrique des rampes de chargement qui, de son avis, se distinguent par leur apparence, par la manière dont elles sont emballées pour la vente et par l’apparence du produit emballé. Le livret d’instructions de ces rampes a été enregistré comme œuvre littéraire en vertu de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42 (Loi sur le droit d’auteur).

  • [2] Deux entreprises connexes, Erickson Manufacturing Ltd. et B. Erickson Manufacturing Ltd. (collectivement appelées la défenderesse ou Erickson), vendent également des rampes utilitaires au Canada. Le 26 mars 2009, WST a intenté une action contre Erickson, soutenant que deux de ces rampes, soit le modèle de 6 pieds en une seule partie et le modèle de 7 pieds en deux parties, sont des imitations des rampes de WST. WST affirme que les produits d’Erickson copient [traduction] « les produits de la demanderesse en produisant des imitations de piètre qualité et qu’il existe de nombreux points de similitude entre les présentations des produits, ce qui a pour effet cumulatif de tromper les acheteurs en créant une confusion quant à la source du produit ». Dans sa déclaration, WST sollicite (en plus d’autres redressements, y compris des dommages-intérêts) une injonction permanente pour empêcher Erickson :

 

  • de faire passer ses rampes pour celles de WST;

 

  • de copier les caractéristiques conceptuelles, les présentations, les marques, les emballages, les instructions et les droits d’auteur;

 

  • de diminuer la valeur de l’achalandage attaché aux activités de WST;

 

  • d’attirer l’attention du public sur les activités commerciales d’Erikson, de manière à causer ou à être susceptible de causer de la confusion entre les rampes fabriquées par Erikson et celles de WST;

 

  • de pratiquer une concurrence déloyale.

 

  • [3] Dans la présente requête, WST sollicite une injonction interlocutoire et d’autres redressements connexes qui, dans les faits, empêchent Erickson de commercialiser les deux prétendues « imitations » de rampes jusqu’à ce que les questions soulevées par l’action soient finalement tranchées par la Cour.

 

II.  Questions en litige

 

  • [4] La question primordiale qui m’est présentée dans cette requête consiste à déterminer si la demanderesse a droit au recours équitable d’une injonction interlocutoire. Il est bien établi dans la jurisprudence pertinente (l’arrêt RJR --MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311; la décision American Cyanamid v. Ethicon Ltd., [1975] 2 W.L.R. 316) que le droit à une injonction est fondé sur l’établissement des éléments d’un critère en trois volets.

 

  • [5] Ainsi, les questions dont je suis saisie sont les suivantes :

 

  1. Existe-t-il une question sérieuse à trancher?

 

  1. La demanderesse subirait-elle un préjudice irréparable si l’injonction n’était pas accordée?

 

  1. La prépondérance des inconvénients milite-t-elle en faveur de la défenderesse?

 

III.  Analyse

 

A.  Y a-t-il une question sérieuse?

 

  • [6] La première question de ce critère en trois volets consiste à déterminer si les actes de procédure de la demanderesse soulèvent une question sérieuse à trancher. Le critère qu’il faut satisfaire pour établir l’existence d’une question sérieuse est peu strict. En ce qui concerne la gravité de la question à trancher, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt RJR -- MacDonald, précité, aux paragraphes 337 et 338, a tiré la conclusion suivante :

Il n’existe pas d’exigences particulières à remplir pour satisfaire à ce critère. [...] Une fois convaincu qu’une réclamation n’est ni futile ni vexatoire, le juge de la requête devrait examiner les deuxième et troisième critères, même s’il est d’avis que le demandeur sera probablement débouté au procès. Il n’est en général ni nécessaire ni souhaitable de faire un examen prolongé du fond de l’affaire.

 

  • [7] Je conclus, à la lumière de ce critère peu strict, qu’il y a une question sérieuse à juger.

 

B.  La demanderesse subira-t-elle un préjudice irréparable?

 

  • [8] Dans le deuxième volet du critère tripartite, la demanderesse doit convaincre la Cour qu’elle subira un préjudice irréparable en cas de refus d’une injonction. Il est également bien entendu que le terme « irréparable » a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu’à son étendue. Comme la Cour suprême l’a fait observer, dans l’arrêt RJR --MacDonald, c’est un « préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié, en général parce qu’une partie ne peut être dédommagée par l’autre. » (p. 341) La demanderesse doit présenter une preuve claire et non spéculative démontrant qu’elle subira un préjudice irréparable si l’injonction n’est pas accordée. Après avoir examiné les éléments de preuve qui m’ont été présentés dans le contexte de cette requête et après avoir entendu les plaidoiries, je ne peux conclure que le préjudice futur envers WST satisfait au critère de préjudice irréparable.

 

  • [9] Je souligne d’abord que toute perte financière qui peut être démontrée par WST en cas de succès de l’action peut être indemnisée par des dommages-intérêts.

 

  • [10] WST se fonde sur un courant jurisprudentiel qui, à son avis, démontre qu’il n’est pas nécessaire de prouver un préjudice irréparable en cas de violation évidente d’un droit d’auteur enregistré en vertu de la Loi sur le droit d’auteur (les décisions Jeffrey Rogers Knitwear Productions Ltd. v. R.D. International Style Collections Ltd., [1985] 2 FC 220, 6 C.P.R. (3d) 409; 75490 Manitoba v. Meditables (1989), 31 F.T.R. 134, 29 C.P.R. (3d) 89; Diamant toys Ltd. v. Jouets bo-jeux toys Inc, 2002 CF 1re inst. 384, 218 F.T.R. 245 et Gianni Versace S.p.A. c. 1154979 Ontario Ltd, 2003 CF 1015, 238 F.T.R. 298). À mon avis, la jurisprudence citée n’aide pas WST dans cette requête.

 

  • [11] Deux des décisions invoquées par WST (Diamant et Versace) portaient sur une ordonnance de préservation en vertu de l’article 377 des Règles de Cours fédérales (1998). Dans chacune des décisions, le juge (Diamant) ou le protonotaire (Versace) ont tiré une conclusion précise selon laquelle il y avait contrefaçon du droit d’auteur de la demanderesse. Les deux autres décisions citées (Jeffrey Rogers et 75490 Manitoba) sont antérieures aux jugements dans lesquels la Cour fédérale et la Cour d’appel ont toujours insisté sur l’importance du préjudice irréparable dans le contexte d’affaires portant sur les droits d’auteurs ou les marques de commerce (voir, par exemple, la décision ITV Technologies Inc. c. WIC Television Ltd., (1997), 140 F.T.R. 302, 77 C.P.R. (3d) 495 (C.F. 1re inst.); l’arrêt Nintendo of America Inc. v. Camerica Corp. (1991), 127 N.R. 232, 36 C.P.R. (3d) 352 (FCA), confirmé dans 42 F.T.R. 12, 34 C.P.R. (3d) 193; l’arrêt Nature Co. v. Sci-Tech Educational (1992), 141 N.R. 363, 41 C.P.R. (3d) 359 (FCA.), inf. 51 F.T.R. 70, 40 C.P.R. (3d) 184). En bref, on ne peut conclure automatiquement qu’il y a un préjudice irréparable pour le simple motif qu’une action porte fondamentalement sur une contrefaçon d’un droit d’auteur ou d’une marque de commerce ou le prétendu délit de faire passer des produits pour d’autres.

 

  • [12] Dans la requête qui m’a été présentée, je suis prête à reconnaître qu’il existe des similitudes claires entre les produits de WST et ceux d’Erickson, notamment sur le plan de l’emballage et des instructions protégées par droit d’auteur. Toutefois, il existe également des différences importantes. Par exemple, les couleurs sur les boîtes des deux produits ne sont pas les mêmes, et le nom « Erickson » figure bien en vue sur les emballages. Je ne peux conclure, comme WST m’encourage à le faire, que le produit Erickson est une copie flagrante du produit de WST. La mesure dans laquelle les rampes d’Erickson copient celles de WST et leurs caractéristiques conceptuelles est une question qui sera tranchée par le juge de première instance. Ainsi, même si la jurisprudence soutient la proposition que le critère de préjudice irréparable est satisfait en démontrant que le produit de la défenderesse est essentiellement identique à celui de la demanderesse, les éléments de preuve dont je dispose ne sont pas suffisants pour rendre cette décision.

 

  • [13] WST allègue également qu’il perdra l’achalandage qu’il a développé au fil du temps comme conséquence du maintien sur le marché du produit « inférieur » d’Erickson, qui risque d’échouer lorsqu’il sera utilisé comme prévu. À son avis, puisque les acheteurs confondront le produit d’Erickson avec celui de WST, la perte d’achalandage sera plus importante pour WST. Je souligne d’abord qu’une confusion n’entraînera pas nécessairement une perte d’achalandage (Centre Ice Ltd. v. National Hockey League (1994), 166 N.R. 44, 53 C.P.R. (3d) 34 à 53). Comme l’a souligné le juge Heald dans la décision Centre Ice, au paragraphe 54, [traduction] « on ne peut inférer ou présumer qu’un préjudice irréparable surviendra chaque fois qu’une confusion est démontrée ». Le principal problème de la revendication de perte d’achalandage de WST est qu’elle n’est pas étayée par des éléments de preuve autres que les affirmations du directeur de WST, M. Duane Lucht. WST n’a pas fourni à la Cour des éléments de preuve indépendants d’un expert technique relativement à la résistance de la rampe fabriquée par Erickson. Je ne dispose pas non plus de preuve de confusion ou de preuve démontrant que la réputation de WST en souffrira d’ici à ce que la cause soit entendue.

 

  • [14] En bref, WST n’a pas réussi à établir un préjudice irréparable, réel et immédiat ne pouvant être compensé par des dommages-intérêts.

 

  • [15] Étant donné cette conclusion, il n’est pas nécessaire que je traite la question de la prépondérance des inconvénients.

 

IV.  Conclusion

 

[16]  Pour ces motifs, la requête est rejetée et les dépens sont adjugés à Erikson, quelle que soit l’issue de la cause.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la requête soit rejetée et que les dépens soient adjugés à la défenderesse, quelle que soit l’issue de la cause.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  T-460-09

 

INTITULÉ :  WESTERN STEEL AND TUBE LTD. c. ERICKSON MANUFACTURING LTD. et B. ERICKSON MANUFACTURING LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  LE 27 JUILLET 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :  LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :  LE 31 JUILLET 2009 

 

COMPARUTIONS :

 

David Seed

 

POUR LA DEMANDERESSE

Michael Adams

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David A. Seed

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Riches, McKenzie & Herbert LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

 

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