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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court


 

Date : 20090729

Dossier : IMM-5606-08

Référence : 2009 CF 780

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 juillet 2009

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

SULEIMAN SHEKU WAI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET
DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU  JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), en vue de soumettre à un contrôle judiciaire une décision datée du 28 octobre 2008 (la décision) par laquelle une agente de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agente) en poste à Los Angeles (Californie) a rejeté la demande de résidence permanente au Canada que le demandeur avait présentée dans la catégorie des candidats des provinces.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur, qui est âgé de 28 ans et citoyen du Royaume-Uni, est arrivé au Canada en juin 2006 à titre de visiteur; il a présenté par la suite une demande de résidence permanente au Canada par l’entremise du Programme des candidats des provinces du Manitoba (le PCM).

 

[3]               Sa demande a d’abord été évaluée par l’agente le 25 septembre 2008, sur la foi des documents figurant dans le dossier. L’agente a ensuite demandé au demandeur de fournir des renseignements additionnels, dont les suivants : une preuve de son statut légal au Canada, une ou des lettres d’emploi et des talons de chèque de paye, une preuve des fonds détenus ainsi qu’une déclaration personnelle écrite expliquant comment il allait subvenir à ses besoins.

 

[4]               Le demandeur a répondu à l’agente qu’il vivait en compagnie de sa mère et de sa grand-mère depuis son arrivée et que, pendant tout le temps, c’était sa mère qui avait subvenu à ses besoins.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

 

[5]               L’agente fait remarquer que, aux termes du paragraphe 87(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), le fait qu’un étranger soit visé par le certificat de désignation mentionné à l’alinéa 2a) ne reflète pas en soi son aptitude à réussir son établissement économique au Canada. Après consultation auprès du gouvernement qui a délivré le certificat, un agent peut substituer son appréciation aux critères prévus au paragraphe 2. En l’espèce, l’agente s’est dite non convaincue que le demandeur avait de bonnes chances de réussir son établissement économique au Canada juste parce qu’il était visé par un certificat délivré par le Manitoba.

 

[6]               L’agente est arrivée à cette conclusion parce que le demandeur était présent au Canada depuis plus de deux ans à titre de visiteur et que, même s’il y avait travaillé comme bénévole, il n’avait pas été capable de subvenir à ses besoins financiers au cours des deux dernières années. L’agente a tenu compte du réseau familial du demandeur au Canada, mais n’a pas été convaincue que cela réglait le problème de l’aptitude personnelle du demandeur à réussir son établissement économique au Canada.

 

[7]               L’agente a consulté le Manitoba et a exposé dans sa lettre du 29 septembre 2008 les doutes qu’elle avait au sujet des chances du demandeur de réussir son établissement économique. La province du Manitoba a transmis la réponse du demandeur le 22 octobre 2008, mais les renseignements fournis n’ont pas convaincu l’agente. Un second agent a confirmé cette évaluation.

 

[8]               L’agente a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences de la Loi et du Règlement, et sa demande a été refusée.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[9]               Dans le cadre de la présente demande, le demandeur soulève les questions suivantes :

a)                  L’agente a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en rejetant la demande de résidence permanente du demandeur?

b)                  L’agent qui a confirmé l’évaluation a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle en rejetant la demande de résidence permanente du demandeur?

 

[10]           Dans son argumentation écrite, le demandeur met également en doute que les motifs exposés étaient adéquats ainsi que d’autres moyens de contrôle dont je traite dans mon analyse.

 

LES DISPOSITIONS APPLICABLES

 

[11]           Les dispositions suivantes du Règlement s’appliquent à la présente instance :

87. (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des candidats des provinces est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada.

 

Qualité

 

(2) Fait partie de la catégorie des candidats des provinces l’étranger qui satisfait aux critères suivants :

 

a) sous réserve du paragraphe (5), il est visé par un certificat de désignation délivré par le gouvernement provincial concerné conformément à l’accord concernant les candidats des provinces que la province en cause a conclu avec le ministre;

 

b) il cherche à s’établir dans la province qui a délivré le certificat de désignation.

 

Substitution d’appréciation

 

(3) Si le fait que l’étranger est visé par le certificat de désignation mentionné à l’alinéa (2)a) ne reflète pas son aptitude à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut, après consultation des autorités provinciales qui ont délivré le certificat, substituer son appréciation aux critères prévus au paragraphe (2).

 

 

87. (1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the provincial nominee class is hereby prescribed as a class of persons who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada.

 

 

Member of the class

 

(2) A foreign national is a member of the provincial nominee class if

 

 

(a) subject to subsection (5), they are named in a nomination certificate issued by the government of a province under a provincial nomination agreement between that province and the Minister; and

 

 

(b) they intend to reside in the province that has nominated them.

 

Substitution of evaluation

 

(3) If the fact that the foreign national is named in a certificate referred to in paragraph (2)(a) is not a sufficient indicator of whether they may become economically established in Canada and an officer has consulted the government that issued the certificate, the officer may substitute for the criteria set out in subsection (2) their evaluation of the likelihood of the ability of the foreign national to become economically established in Canada.

 

 

[12]           La disposition suivante de la Loi s’applique à la présente instance :

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

12(2) La sélection des étrangers de la catégorie « immigration économique » se fait en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada.

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

12(2) A foreign national may be selected as a member of the economic class on the basis of their ability to become economically established in Canada.

 

[13]           Les dispositions suivantes de l’annexe B de l’Accord Canada-Manitoba en matière d’immigration de juin 2003 s’appliquent à la présente instance :

1.3 Les deux parties reconnaissent que le Manitoba est le plus en mesure de définir les besoins économiques de la province qui peuvent être satisfaits au moyen de l’immigration.

 

5.1 Le Manitoba a la responsabilité exclusive et non transférable d’évaluer et de désigner des candidats dont il estime qu’ils :

 

a. contribueront à son développement économique

 

 

b. pourront très probablement réussir leur établissement économique au Manitoba

 

5.8 Sur réception du certificat de désignation du Manitoba, le Canada :

 

a. prend la décision définitive en matière de sélection;

 

b. détermine l’admissibilité du candidat et des personnes à sa charge en fonction des exigences législatives, notamment en ce qui concerne la santé, la criminalité et la sécurité;

 

c. délivre des visas d’immigrant au candidat de la province et aux personnes à charge qui l’accompagnent, sous réserve qu’ils répondent à toutes les conditions d’admission prévues dans la LIPR, le RIPR et la présente annexe.

 

5.9 Le Canada considère le certificat de désignation délivré par le Manitoba comme une indication que le candidat contribuera au développement économique de la province, et que celle-ci a fait preuve d’une diligence raisonnable pour s’assurer que le demandeur a la capacité de réussir son établissement économique au Manitoba et qu’il a de bonnes chances d’y parvenir.

1.3 Both parties recognize that Manitoba is best positioned to determine the specific economic needs of the Province vis-à-vis immigration.

 

 

5.1 Manitoba has the sole and non-transferable responsibility to assess and nominate candidates who, in Manitoba’s determination :

 

a. will be of benefit to the economic development of Manitoba; and

 

b. have a strong likelihood of becoming economically established in Manitoba.

 

5.8 Upon receipt of the Certificate of Nomination from Manitoba, Canada will :

 

a. exercise the final selection

 

 

b. determine the admissibility of the nominee and his or her dependants with respect to legislative requirements including health, criminality and security; and

 

 

c. issue immigrant visas to provincial nominees and accompanying dependants who meet all the admissibility requirements of the Immigration and Refugee Protection Act and Regulations and of this Annex.

 

 

5.9 Canada will consider a nomination certificate issued by Manitoba as a determination that admission is of benefit to the economic development of Manitoba and that Manitoba has conducted due diligence to ensure that the applicant has the ability and is likely to become economically established in Manitoba.

 

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

 

[14]           Le demandeur soutient que la norme de contrôle qui s’applique à un agent des visas qui se prononce sur une demande d’obtention d’un visa de résidence permanente dans le cadre du programme des travailleurs qualifiés est la raisonnabilité : Mbala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1057.

 

[15]           Le défendeur soutient que la question de savoir si le demandeur a des chances de réussir son établissement économique au Canada est une question de fait qui relève de l’expertise de l’agent et que ce dernier a droit à un degré élevé de déférence : Roohi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1408 (Roohi), aux paragraphes 11 à 13 et 33. La norme de contrôle applicable est la raisonnabilité : Roohi et Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), au paragraphe 51.

 

[16]           Dans Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a admis que même si la décision raisonnable simpliciter et la décision manifestement déraisonnable sont des normes théoriquement différentes, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » : Dunsmuir, au paragraphe 44. Par conséquent, la Cour suprême du Canada a décidé que les deux normes de contrôle relatives au caractère raisonnable de la décision devaient être fusionnées pour en former une seule : « la raisonnabilité ».

 

[17]           La Cour suprême du Canada dans Dunsmuir a aussi décidé que l’analyse de la norme de contrôle n’a pas besoin d’être menée dans chaque instance. Plutôt, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise présentée à la cour est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent de déterminer la bonne norme de contrôle.

 

[18]           Ainsi, vu l’arrêt Dunsmuir de la Cour suprême du Canada et la jurisprudence de la Cour, je conclus que la norme de contrôle applicable aux questions générales soulevées dans la demande est la raisonnabilité, à l'exception de la question liée à l'équité procédurale. Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon la raisonnabilité, son analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » Dunsmuir, au paragraphe 47. Autrement dit, la Cour devrait intervenir seulement si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[19]           Dans ses observations, le demandeur soulève également un argument au sujet de l’équité procédurale (le caractère adéquats des motifs), et la norme de contrôle qui s’applique à cette question est la décision correcte : Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2002 CSC 1.

 

LES ARGUMENTS INVOQUÉS

Le demandeur

                        L’agente a commis une erreur susceptible de contrôle

 

[20]           Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable que l’agente rejette sa demande de résidence permanente. Il allègue aussi qu’elle a omis de fournir des motifs adéquats.

 

[21]           Le demandeur soutient que l’agente devait un certain degré de retenue à l’égard du PCM pour ce qui était de juger s’il avait des chances de réussir son établissement économique au Canada. Le PCM bénéficie d’une expertise particulière pour ce qui est de déterminer qui réussira son établissement économique au Canada. Cette expertise est reconnue par Citoyenneté et Immigration Canada, par l’entremise de l’Accord Canada-Manitoba en matière d’immigration de juin 2003.

 

[22]           Le demandeur soutient que le PCM est mieux placé pour décider s’il a des chances de réussir son établissement économique au Canada. Ce programme, ajoute-t-il,  est spécialement conçu pour répondre aux besoins régionaux et il détient la totalité des éléments de preuve que le demandeur a soumis, alors que ce ne sont pas toutes les mêmes preuves qui sont transmises au bureau des visas compétent après que le PCM a délivré un certificat de désignation. Le demandeur signale qu’un élément essentiel du PCM est l'évaluation de la capacité de l’étranger à s’établir dans cette province. Il soutient que le PCM fournit un avis d’expert à cet égard et qu’on lui doit donc un certain degré de retenue.

 

[23]           Le demandeur signale que les doutes de l’agente ont été soumis au PCM. Ce dernier a expressément informé l’agente qu’il était au courant de tous les faits pertinents et qu’il était d’avis que le demandeur réussirait son établissement économique au Manitoba. Le demandeur déclare qu’il n’y a, pour l’agente, aucune raison valable d’infirmer la décision du PCM.

 

[24]           Le demandeur soutient qu’il faut retenir l’avis du PCM plutôt que celui de l’agente parce que le PCM est mieux placé qu'elle pour rendre la décision. En outre, l’agente n’a pas fait état de motifs logiques à l’appui de sa conclusion selon laquelle le demandeur ne réussirait pas son établissement économique.

 

[25]           De plus, le demandeur déclare que le raisonnement de l’agente est erroné. La conclusion selon laquelle il [traduction] « n’est pas parvenu à subvenir à ses besoins financiers au cours des deux dernières années » est sans fondement. Il signale qu’il n’a pas travaillé au cours des deux dernières années parce qu’il a été incapable de trouver un emploi, et donc de subvenir à ses besoins. Il n’a pas de permis de travail et ne peut pas obtenir un emploi au Canada sans l’accord de Citoyenneté et Immigration Canada. Il y a aussi le fait qu’il attend d’obtenir le statut de résident permanent avant de chercher du travail. Il n’est donc pas justifié de conclure qu’il est incapable de trouver du travail au Canada.

 

[26]           Le demandeur dit qu’il a reçu de membres de sa famille le soutien dont il avait besoin durant son séjour au Canada, mais que cela ne veut pas dire qu’il est incapable de réussir son établissement économique au Canada. Il affirme qu’il a de bonnes chances de s’établir au Canada, pour les raisons suivantes :

a)                   il s’exprime couramment en anglais;

b)                  il a terminé des études postsecondaires;

c)                   il est un jeune adulte physiquement et médicalement apte;

d)                  il a fait ses études et a passé la majeure partie de sa vie au Royaume-Uni, un pays semblable au Canada;

e)                   il travaillait avant d’arriver au Canada;

f)                    le fait qu’il ne travaille pas depuis les deux dernières années n’est pas dû à une incapacité à trouver en emploi;

g)                   le PCM lui a délivré un certificat de désignation et a expressément noté qu’il n’aura pas de difficulté à trouver du travail dans cette province;

h)                   il a de la famille au Manitoba qui y travaille et y réside depuis un temps assez long;

i)                     sa famille au Manitoba lui procure tout le soutien nécessaire, ce qui l’aidera à réussir son établissement au Canada.

 

[27]           Le demandeur soutient que l’agente a commis une erreur en concluant qu’il a peu de chances de réussir son établissement économique au Canada.

 

[28]           Pour ce qui est de la décision confirmative qu’exige le paragraphe 87(4) du Règlement, le demandeur soutient que le second agent s’est lui aussi trompé. Les motifs de ce dernier étaient les suivants : [traduction] « Le requérant n’a rien fait pour s'établir économiquement au Canada au cours des deux dernières années et il y a peu de chances qu'il le fasse dans l’avenir ». Le demandeur allègue que les faits n’étayent pas cette conclusion. Il ajoute également que le second agent a omis de prendre en considération la totalité des éléments de preuve qu’il avait en main et que ses motifs sont succincts et ne font pas référence aux éléments de preuve qui sont contraires à la conclusion qu’il a tirée.

 

[29]           Le demandeur dit que les deux agents ont omis de motiver adéquatement leurs décisions. On ignore quelles lignes directrices ou quels critères ces agents ont appliqués pour déterminer si le demandeur avait des chances de réussir son établissement économique au Canada. L’article 76 du Règlement comporte des lignes directrices à cette fin, mais on ignore si les agents ont appliqué ces lignes directrices ou critères.

 

[30]           Le demandeur soutient aussi qu’il faut accorder peu de poids aux affidavits qu’établissent les agents des visas qui tentent d’expliquer ou de préciser leurs motifs après coup. Il ajoute qu’il faudrait se fonder sur les motifs exposés dans les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI), plutôt que sur ce qui apparaît dans des affidavits produits un certain temps après que la décision initiale a été rendue, et après que les agents ont pris conscience que leurs décisions sont soumises à un contrôle : Fakharian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 440, aux paragraphes 4 à 7; Belkacem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 375, au paragraphe 25; Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 135, au paragraphe 18. Le demandeur soutient qu’il convient d’accorder peu de poids aux affidavits d’Annie Beaudoin et de John Rose et qu’il faut se fonder sur les notes du STIDI lors du contrôle des décisions contestées.

 

[31]           Le demandeur prétend aussi que l’agente s’est fondée sur des faits de peu d’importance et fort mal interprétés. Celle-ci a rejeté la demande, en partie parce que le demandeur était sans statut à l’époque où elle lui a parlé au téléphone. L’agente a également commis une erreur en prenant en considération un fait non important. Le statut d’immigrant (que le demandeur a perdu pendant une courte période lors de son séjour au Canada) n’a aucune incidence sur la question de savoir si le demandeur a des chances de réussir son établissement économique au Canada à titre de résident permanent.

 

Le défendeur

 

[32]           Le défendeur soutient qu’il est explicitement prévu au paragraphe 87(3) du Règlement que l’agente jouit du pouvoir décisionnel ultime. Il signale également qu’en l’espèce l’agente a exercé ce pouvoir d’une manière tout à fait conforme à la procédure exposée dans le Règlement.

 

[33]           Le défendeur soutient que l’argument du demandeur selon lequel les décisions de l’agente et du second agent sont déraisonnables n’est rien de plus qu’une demande pour que la Cour procède à une réévaluation de la preuve soumise à ces personnes. Ce rôle ne revient pas à la Cour.

 

[34]           Le défendeur ne souscrit pas non plus à l’argument du demandeur selon lequel les motifs de l’agente sont inadéquats, et il dit que ces derniers expliquent très bien pourquoi la demande a été rejetée.

 

[35]           En ce qui concerne les affidavits, le défendeur soutient que la totalité des éléments de preuve figurant dans l’affidavit d’ Annie Beaudoin se trouvaient dans les notes du STIDI concernant la demande de visa du demandeur. La seule preuve non contenue dans ces notes est le paragraphe 24 de son affidavit. Cette preuve a été fournie en réponse à une question que le demandeur a posée au sujet de la procédure normale dans les demandes de visa de candidats des provinces, plutôt qu’au sujet de l’évaluation de la demande du demandeur. Par conséquent, soutient le défendeur, l’affidavit d’Annie Beaudoin est approprié et il ne faut pas en faire abstraction.

 

[36]           Quant à l’affidavit de John Rose, le défendeur est d’avis que la seule preuve non contenue dans les notes du STIDI est le paragraphe 6, lequel explique de quelle façon cet agent a pris en considération  la totalité des documents figurant dans le dossier du demandeur. L’affidavit ne tente pas de compléter son évaluation et, dans ce contexte, il ne faut pas en faire abstraction. Le défendeur signale que le demandeur n’a pas contre-interrogé M. Rose et il n’y a donc pas lieu de croire que la déclaration selon laquelle il dit se souvenir d’avoir examiné la totalité des documents figurant dans le dossier du demandeur n’est d’aucune façon exacte.

 

[37]           Le défendeur ne souscrit pas à la prétention du demandeur selon laquelle la province du Manitoba est mieux placée pour évaluer l’aptitude d’une personne sur le plan de l’immigration, parce que ce ne sont pas tous les mêmes éléments de preuve qui sont envoyés au bureau des visas après qu’un certificat de désignation provincial a été délivré. Il est loisible à une personne de transmettre au bureau des visas tous les documents qui, croit-elle, étayeront sa demande d’immigration. Par conséquent, si tous les documents que le demandeur juge pertinents ou importants n’étaient pas entre les mains de l’agente, c’est parce qu’il n’a pas pris la peine de les lui envoyer.

 

[38]           Le défendeur souligne qu’il n’était pas nécessaire que le second agent donne des motifs distincts. Il note que ce n’est que si les motifs du premier agent (l’agente en l’occurrence) sont jugés injustifiés que l’on peut conclure que ceux du second agent le sont aussi. Rien ne justifie l’allégation du demandeur selon laquelle l’agent Rose a omis de prendre en considération la totalité des éléments de preuve; au contraire, cet agent affirme dans son affidavit avoir pris en considération la totalité des documents figurant dans le dossier du demandeur avant de rendre sa décision confirmative.

 

ANALYSE

            La retenue

 

[39]           Le demandeur convient que, en vertu de la législation applicable, c'est le Canada qui a le dernier mot (voir le paragraphe 87(3)), mais il dit que l’agente était tenue d’expliquer pourquoi le certificat de désignation « ne reflète pas » son aptitude à réussir son établissement.

 

[40]           Au vu des faits de l’espèce, il me semble que l’agente, dans ses motifs, explique pourquoi, et elle le fait en expliquant pourquoi elle a conclu qu’elle n’était pas convaincue que le demandeur avait des chances de réussir son établissement économique au Canada. L’agente n’aurait pas mis en doute le certificat si elle n’avait pas examiné la question de l’établissement économique. De ce fait, les raisons pour lesquelles le certificat « ne reflète pas » l'aptitude du demandeur doivent figurer dans les notes du STIDI et, en fin de compte, la question consiste à savoir si ces motifs sont adéquats ou raisonnables.

 

[41]           Selon la législation en vigueur, ainsi que l’accord conclu entre le Manitoba et le Canada, il est évident que l’on fait normalement preuve d’une certaine retenue envers la province une fois que celle-ci a délivré un certificat de désignation, et il est clair également, à l’alinéa 87(2)b), qu’un demandeur doit chercher à s’établir au Manitoba. Cependant, le paragraphe 87(3) établit clairement qu’un agent peut substituer sa propre appréciation au sujet des chances d’établissement économique. Comme c’est le Canada qui assume la responsabilité ultime en matière d’immigration, l’intention de cette disposition me semble évidente. Je ne puis trouver aucune erreur judiciaire en rapport avec cette question. La véritable question est de savoir si la décision était raisonnable.

 

La raisonnabilité de la décision

 

[42]           La principale doléance du demandeur est que la décision est déraisonnable parce que l’agente n’a pas expliqué ou motivé adéquatement ses conclusions relatives aux chances d’établissement économique. Il dit que les critères relatifs à cette notion ne sont pas énoncés et que les motifs de l’agente sont illogiques.

 

[43]           En ce qui concerne les critères, je crois que le défendeur a raison de faire état des parallèles que constituent Roohi, au paragraphe 33, et Hassani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1783, aux paragraphes 16 et 17. Ces deux affaires portent sur des types d’évaluation différents prévus par la Loi, mais elles établissent clairement qu’un agent qui dispose d’un pouvoir discrétionnaire est tenu de l’exercer d’une manière conforme aux justes critères qui se rapportent à l’aptitude à réussir un établissement. Ainsi, dans la décision Hassani, où la Cour contrôlait l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire en rapport avec une demande de résidence permanente présentée dans la catégorie des travailleurs qualifiés et avait à examiner le facteur de la « personnalité », l’agente concernée avait été tenue d’examiner la faculté d’adaptation, la motivation, l’esprit d’initiative, l’ingéniosité et d’autres qualités semblables.

 

[44]           Dans le présent contexte, où il est question des chances d’établissement économique, l’agente a à examiner et à prendre en considération des facteurs tels que l’âge, l’instruction, les qualités, l’expérience professionnelle antérieure, les avis de la province, ainsi que la motivation et l’esprit d’initiative révélés par ce que le demandeur a fait de son temps au Canada.

 

[45]           Selon mon interprétation des motifs figurant dans les notes du STIDI, c’est exactement ce que l’agente a fait. Au bout du compte, indépendamment des facteurs positifs et de l’accord de la province, l’agente n’a pas jugé que le demandeur avait fait preuve d’assez d’initiative ou de motivation, car il n’avait pas fourni de preuves montrant qu’il avait essayé de trouver un emploi rémunérateur ou de subvenir à ses besoins financiers et il s’était contenté de se fier aux membres de sa famille pour subvenir à ses besoins pendant toute la période de deux ans.

 

[46]           Je crois donc que les critères appliqués ressortent clairement des notes du STIDI et je suis également d’avis que l’agente dit clairement de quels éléments elle a tenu compte, et pourquoi, indépendamment de facteurs tels que l’instruction, l’expérience professionnelle antérieure et l’accord de la province, elle n’a pas été convaincue que le demandeur avait la volonté ou l’esprit d’initiative nécessaires pour réussir son établissement économique au Canada. Je considère qu'elle n’a pas négligé les facteurs pertinents mis de l’avant par le demandeur ou la province et je ne peux pas dire que les éléments qui ont amené l’agente à rendre une décision défavorable n’étaient pas pertinents. À mon avis, la seule question qui se pose est de savoir si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[47]           Le demandeur m’a convaincu qu’il aurait été raisonnable de rendre une décision favorable, et il existe amplement de preuves à l’appui d’une telle décision. Cependant, le simple fait qu’une décision favorable aurait été raisonnable ne veut pas dire que la décision défavorable de l’agente est déraisonnable.

 

[48]           Le demandeur soutient que l’agente a omis de tenir compte d’une série de facteurs expliquant pourquoi il n’a pas cherché du travail. Cependant, un grand nombre de ces facteurs n’ont pas été soumis à l’agente. Cette dernière a fait part au Manitoba et au demandeur de ses doutes et des raisons pour lesquelles elle n’était pas convaincue que le demandeur réussirait à s’établir économiquement. Tant le Manitoba que le demandeur ont eu l’occasion de présenter des éléments de preuve et des arguments pour dissiper les doutes de l’agente et essayer de la faire changer d’avis. Les éléments qu’ils ont effectivement présentés ne l’ont pas convaincue.

 

[49]           La question n’est pas de savoir si les faits peuvent étayer une décision favorable, mais plutôt si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant de justifier au regard des faits et du droit. Voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47.

 

[50]           En définitive, il m’est impossible de dire que la décision est déraisonnable en ce sens. Le processus décisionnel est marqué par la justification, la transparence et l’intelligibilité, et la décision appartient aux issues possibles requises. Il y a des faits et des motifs qui mènent à la conclusion ultime. Je puis comprendre pourquoi le demandeur ne souscrit pas à cette conclusion, mais je ne peux pas dire que celle-ci est déraisonnable.

 

La décision confirmative

 

[51]           Le paragraphe 87(4) de la Loi prescrit qu’une décision rendue au titre du paragraphe 87(3) « doit être confirmée par un autre agent ». Par conséquent, il doit y avoir accord entre deux agents.

 

[52]           Une confirmation exige donc que le second agent lise la décision et exprime son accord.

 

[53]           Le demandeur dit que, en l’espèce, une décision confirmative requiert en quelque sorte une analyse minimale assortie de motifs qui renvoient aux faits de l’affaire. Il ne cite aucune jurisprudence à l’appui de cette thèse.

 

[54]           La décision du second agent est la suivante :

[traduction] Je souscris à cette évaluation. Le requérant n’a rien fait pour s'établir économiquement au Canada au cours des deux dernières années et il y a peu de chances qu'il le fasse dans l’avenir.

 

 

[55]           Autrement dit, le second agent fait sienne la décision de l’agente et il adopte son raisonnement. Rien ne donne à penser que le second agent n’a pas lu toute la décision qu’il confirme. Sa décision est qu’il fait siens les motifs et les conclusions exprimés premièrement par l'agente. Dans ce contexte, je ne crois pas qu’il faille autre chose pour satisfaire aux exigences du paragraphe 87(4) de la Loi ou pour fournir des motifs suffisants. Il est clair que le second agent souscrit à l’ensemble de la décision ainsi qu’aux motifs qu’elle contient. Sa décision repose entièrement sur celle d'abord rendue par l'agente.

 

Les affidavits

 

[56]           Le demandeur s’oppose à l’inclusion des affidavits des deux agents concernés. Je n’ai pas pris en considération l’affidavit du second agent parce que, à mon avis, cela n’est pas nécessaire. Les notes du STIDI rendent convenablement compte de ce qui s’est passé.

 

[57]           J’ai pris en considération l’affidavit de l’agente et j’ai conclu que, à l’exception du paragraphe 24, il confirme simplement ce qui se trouve dans les notes du STIDI et n’ajoute rien aux motifs. Le paragraphe 24 est simplement une réponse à une allégation que le demandeur a faite, et il n’ajoute rien aux motifs. En outre, le demandeur n’a pas fait de contre-interrogatoire sur l’affidavit. Voir la décision Obeng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 754, aux paragraphes 27 à 30.

 

Conclusion

 

[58]           Pour les motifs exposés, il me faut conclure que, le demandeur n’ayant pas établi qu’une erreur susceptible de contrôle a été commise, il convient de rejeter la demande.

 

[59]           Je demande aux avocats de signifier et de déposer leurs observations, s’ils en ont, au sujet de la certification d’une question de portée générale dans les sept jours suivant la réception des présents motifs du jugement. Chaque partie bénéficiera d’un délai supplémentaire de trois jours pour signifier et déposer une réponse aux observations de la partie adverse. Après cela, jugement sera rendu.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-5606-08

 

INTITULÉ :                                                   SULEIMAN SHEKU WAI

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 15 juillet 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 29 juillet 2009

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Hafeez Khan                                                                                               POUR LE DEMANDEUR

 

Nalini Reddy                                                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hafeez Khan                                                                                               POUR LE DEMANDEUR

Winnipeg (Man.)

 

John H. Sims, c.r.                                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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