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Date : 20090727

Dossier : IMM-4901-08

Référence : 2009 CF 767

Ottawa (Ontario), le 27 juillet 2009

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

FABIO SOLIS BETANCOUR

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision rendue le 15 octobre 2008 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle la Commission a refusé de reconnaître au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est citoyen de la Colombie. Il est marié et a deux enfants.

 

[3]               Le demandeur soutient que, en 1996, des guérilléros membres des Forces armées révolutionnaires de la Colombie (les FARC) ont commencé à téléphoner à son atelier afin de réclamer 100 $US par mois. Le demandeur n’a fait aucun paiement lors des trois premiers mois de l’année 1998, et trois hommes de race blanche sont venus à son atelier et lui ont dit qu’ils avaient besoin de lui pour un travail de soudure au port. Ils ont dit au demandeur que le travail serait très facile : le demandeur devait réparer une grande porte dans un entrepôt après le quart de travail des hommes. Les trois hommes lui ont dit qu’il recevrait 250 000 pesos et qu’ils lui feraient faire la navette entre l’entrepôt et sa résidence dans leur automobile.

 

[4]               Le demandeur a été informé qu’il devait aller rejoindre les trois Blancs à une salle de billard se trouvant près de sa maison. Lorsque le demandeur s’y est rendu, les hommes l’ont invité à prendre une bière et lui ont dit qu’ils étaient des guérilléros et qu’il leur devait trois mois de paiement, mais que s’il faisait le travail de soudure ils seraient quittes. En outre, le demandeur allait recevoir 250 000 pesos pour le travail.

 

[5]               Le demandeur et l’un de ses employés sont allés faire le travail de soudure, qui a pris 30 minutes à faire, puis le demandeur a attendu son paiement et l’automobile qui allait le ramener chez lui.

 

[6]               Alors qu’il attendait, une voiture de police s’est approchée du demandeur, et le gendarme lui a demandé ce qu’il faisait là. Le demandeur a expliqué le travail qu’il avait fait et que l’automobile qui devait le ramener à la maison n’était pas encore arrivée. Il a dit qu’il allait devoir laisser son équipement ici et revenir le chercher le lendemain matin. Le gendarme a interrogé les gardiens de sécurité de l’entrepôt, lesquels lui ont dit que le demandeur et son partenaire avaient fait du travail de soudure sur la porte de l’entrepôt. Le demandeur, son partenaire et cinq autres hommes ont été arrêtés.

 

[7]               Avant que le demandeur ne fasse une déclaration, un des trois Blancs qui avaient communiqué avec lui initialement, lui a mentionné qu’il ne pouvait rien dire au sujet des FARC et que les FARC allaient payer un avocat pour qu’il le représente. L’homme lui a dit que s’il parlait, il savait [traduction] « ce qui allait se passer ». Le demandeur a estimé que cela voulait dire que sa famille allait être tuée.

 

[8]               Après 15 jours, on a dit au demandeur qu’il allait devoir plaider coupable afin de pouvoir quitter la prison rapidement. Lorsqu’il a reçu sa sentence, le juge lui a dit que tout allait être correct et qu’il allait être condamné à la détention à domicile; les Blancs lui ont donné 100 pesos et lui ont dit d’avoir [traduction] « un beau week­end » avec sa famille. Le demandeur a été condamné à deux ans de détention à domicile et à 36 mois de probation. Une amende de 250 000 pesos a été payée par les Blancs.

 

[9]               Le demandeur allègue qu’il a été obligé de continuer de travailler pour les FARC en tant que soudeur : il devait fabriquer des automobiles à l’épreuve des balles. Le demandeur était parfois payé, mais il savait qu’il devait faire ce qui lui était demandé sinon sa famille et lui seraient tués.

 

[10]           En 1998, les FARC ont demandé au demandeur de se rendre, accompagné d’une autre personne, dans une prison afin que le demandeur puisse placer de la dynamite, qu’il transporterait avec son équipement, à un endroit convenu. Le demandeur connaissait certains des prisonniers de cette prison. Il croyait que quelqu’un à l’intérieur de la prison l’appellerait afin qu’il aille faire des travaux à l’intérieur de la prison, ce qui allait lui permettre d’entrer et d’installer la dynamite. Il affirme qu’il savait que, soit il serait tué, soit il pourrait blesser une autre personne; il a donc refusé de faire les travaux. Le demandeur a appris aux nouvelles que des explosifs avaient été trouvés dans la prison.

 

[11]           Vers la fin de l’année 1998, le demandeur a trouvé les lettres « A.U.C. » peintes sur les portes de son atelier. Il savait que ces lettres voulaient dire Autodéfense unie de Colombie (AUC); il s’agit d’un groupe paramilitaire qui a été créé par des membres de l’armée, des politiciens, des civils, des entrepreneurs et des gardiens de troupeau afin d’éliminer les guérilléros et quiconque a des liens avec eux.

 

[12]           Le demandeur a immédiatement peinturé par-dessus les lettres qui se trouvaient sur ses portes. Le demandeur a dit qu’il savait que l’AUC essayait de lui faire comprendre qu’il était soupçonné d’être lié aux FARC. Il pensait que l’AUC allait le tuer, mais il sentait qu’il n’avait pas le choix de continuer de travailler avec les FARC. Après que les lettres avaient été peintes sur les portes de l’atelier du demandeur, les FARC ont cessé de venir à son atelier. Les FARC lui ont dit qu’ils allaient le protéger si quelqu’un essayait de le harceler.

 

[13]           Le demandeur a décidé d’aller au Venezuela et il a inventé une histoire selon laquelle son père était au Venezuela, qu’il était très malade, et qu’il avait besoin de lui à ses côtés. Le demandeur est arrivé au Venezuela le 8 décembre 2000. En 2001, alors qu’il était au Venezuela, le benjamin du demandeur, alors âgé de 12 ans, est disparu. L’épouse du demandeur lui a téléphoné et lui a dit que son fils avait disparu. Les guérilléros ont téléphoné à la femme du demandeur et lui ont demandé pourquoi le demandeur n’était pas à la recherche de son fils. Ils ont demandé d’obtenir 2 000 $US pour que le benjamin soit relâché et la femme du demandeur leur a dit qu’elle n’avait pas l’argent pour les payer. Ils ont demandé à l’épouse où se trouvait le demandeur et elle leur a dit qu’il était au Venezuela.

 

[14]           Le fils du demandeur a été introuvable pendant un mois, mais il est revenu [traduction] « en piteux état ». Le demandeur est demeuré au Venezuela jusqu’au 5 décembre 2004, parce qu’il savait qu’il ne pourrait pas retourner à la maison. Il s’est dirigé vers les États­Unis et y est arrivé le 3 janvier 2005. Il est entré au Canada à pied à White Rock, en Colombie­Britannique, le 8 juin 2006 et il a présenté une demande d’asile le 28 juin 2006 à Vancouver, en Colombie­Britannique.

 

[15]           Le demandeur soutient que plusieurs de ses employés ont fui la Colombie et que d’autres ont été tués par les paramilitaires parce qu’ils étaient soupçonnés d’aider les FARC.

 

LA DÉCISION SOUMISE AU CONTRÔLE

 

[16]           La Commission a conclu que le demandeur était exclu en vertu de la section Fb) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés et de l’article 98 de la Loi.

 

[17]           Les empreintes digitales du demandeur ont été envoyées aux autorités des États-Unis pour vérifier s’il avait un casier judiciaire. On a constaté que le demandeur était visé par un mandat d’arrestation lié à une enquête à son sujet pour possession de cocaïne avec l’intention d’en faire le commerce. Des questions ont été posées au demandeur quant à sa participation dans une affaire liée à la cocaïne et, dans son témoignage de vive voix, le demandeur a déclaré qu’il ne savait pas qu’il y avait eu un mandat d’arrestation délivré contre lui aux États-Unis.

 

[18]           Le demandeur n’a pas nié ses liens avec des personnes ayant eu affaire à de la cocaïne et il a témoigné que, lorsqu’il vivait à Tampa, en Floride, il avait travaillé comme peintre pour un cocaïnomane. Le demandeur a déclaré dans son témoignage que, lorsque cette personne s’absentait, il cachait sa cocaïne et la lui gardait afin que son épouse n’en consomme pas. Le demandeur a soutenu avec insistance qu’il n’avait jamais vendu de cocaïne et qu’il ne faisait que la garder pour son employeur.

 

[19]           Le demandeur n’a jamais fait l’objet d’une condamnation, mais il avait des antécédents d’arrestations en Colombie et aux États-Unis. Il a été arrêté en Colombie pour vol et pour conduite sans permis. Les deux premières infractions aux États‑Unis ont été retirées, mais le demandeur était encore sous le coup d’un mandat d’arrestation délivré aux États‑Unis concernant la vente de cocaïne. Le demandeur a communiqué tous les renseignements sur les arrestations et l’emprisonnement en Colombie lors de l’entrevue avec CIC et dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP). Le demandeur a admis de vive voix les deux premières arrestations aux États-Unis et il a expliqué comment ces arrestations s’étaient produites et pourquoi les accusations ont ensuite été retirées, et il a réitéré son allégation qu’il n’avait aucune connaissance d’accusations alléguées de trafic de drogues ni du mandat d’arrestation avant d’entrer au Canada.

 

[20]           La Commission a fait remarquer que, pour conclure qu’un demandeur d’asile est exclu en vertu de la section Fb) de l’article premier de la Convention, il faut qu’il y ait plus qu’un simple soupçon que le demandeur d’asile a commis un crime grave de droit commun, mais la norme de preuve est moins rigoureuse que la prépondérance de la preuve.

 

[21]           La Commission a conclu que, même en l’absence de toute preuve concrète et de renseignements particuliers concernant le mandat d’arrestation en vigueur aux États‑Unis lancé contre le demandeur pour vente de cocaïne, le demandeur avait affirmé dans son témoignage avoir eu accès à de la cocaïne et en avoir manipulé. Selon la Commission, le mandat d’arrestation et le compte rendu d’incident, de concert avec le témoignage du demandeur, établissaient « une raison sérieuse de croire que le demandeur d’asile principal a bel et bien vendu de la cocaïne ».

 

LA QUESTION EN LITIGE

 

[22]           Le demandeur soulève la question en litige suivante en l’espèce :

1)         La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans sa conclusion selon laquelle il y avait des « raisons sérieuses de penser » que, avant son arrivée au Canada, le demandeur avait commis un crime grave de droit commun, à savoir fait du trafic de stupéfiants?

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES

 

[23]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

 98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

 

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

[24]           La disposition suivante de la Convention s’applique en l’espèce :

1F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :
  [...]

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;  

 

 1 F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that.

...

 (b) He has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

 

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

 

[25]           Le défendeur et le demandeur conviennent que la conclusion de la Commission sur les « raisons sérieuses de penser » constitue une question mixte de fait et de droit et que la norme applicable est la raisonnabilité : Jayasekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404.

 

[26]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (l’arrêt Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a reconnu que, bien que la décision raisonnable simpliciter et la décision manifestement déraisonnable constituent des normes de contrôle différentes en théorie, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » : Dunsmuir, paragraphe 44. La Cour suprême a donc conclu que les deux normes de contrôle relatives au caractère raisonnable de la décision devaient être fondues pour n’en former qu’une seule : « la raisonnabilité ».

 

[27]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a également décidé qu’il n’était pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. Plutôt, lorsque la norme de contrôle applicable à la question particulière dont la cour est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que si cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent de déterminer la norme de contrôle applicable.

 

[28]           Par conséquent, vu l’arrêt Dunsmuir rendu par la Cour suprême du Canada et la jurisprudence de la Cour, je conclus que la norme de contrôle applicable à la question en litige en l’espèce est la raisonnabilité. Lorsque la Cour contrôle une décision selon la raisonnabilité, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, paragraphe 47. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

LES OBSERVATIONS

            Le demandeur

 

[29]           Le demandeur ne conteste pas le fait que le crime allégué dont il est question constitue un crime de droit commun et que, s’il est établi que ce crime remplit la condition [traduction] « des raisons sérieuses de penser », cela justifierait son exclusion en vertu de la section Fb) de l’article premier de la Convention. Le demandeur, cependant, allègue que la preuve ne remplit pas la condition des « raisons sérieuses de penser » et que, pour cette raison, la décision de la Commission n’était pas raisonnable.

 

[30]           Le demandeur soutient qu’il incombe au ministre d’établir que l’exclusion demandée est fondée, et que la norme de preuve applicable au présent critère minimal va au‑delà du simple soupçon, mais sans aller jusqu’à la norme de droit civil de la prépondérance de la preuve : Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 584 (C.A.F.), paragraphe 34, et Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 3 C.F. 761 (C.A.F.), paragraphe 174.

 

[31]           Le demandeur a souligné dans le dossier des passages pertinents de son témoignage :

[traduction]

Q. Pouvez­vous résumer votre dossier d’arrestations aux États­Unis?

 

R. Oui. Bien, tout d’abord, je ne me souviens pas précisément des dates exactes à cause de l’état émotionnel dans lequel je me trouvais, mais la première fois que j’ai été détenu aux États­Unis c’était pour avoir conduit sans permis de conduire. Trois mois plus tard, une personne a dit que j’avais été dans sa maison pour l’attaquer et la voler, parce que, selon cette personne, je ne lui aurais pas remboursé l’argent du cautionnement.

 

J’ai été emprisonné pendant 20 jours parce que lorsque j’ai comparu devant le juge, la mise en accusation a été lue et le juge a dit que, selon ces accusations, je pourrais être emprisonné ou déclaré coupable d’une peine de 20 ans d’emprisonnement. Vingt jours plus tard, avant que je comparaisse de nouveau devant le juge, on m’a dit – ils m’ont téléphoné et ils m’ont dit que je pouvais quitter la prison, que je n’avais rien à faire là – que je n’avais rien à faire là, et que je pouvais partir.

 

[...]

 

R. Lorsque je suis venu ici et que j’ai demandé l’asile, parce que j’avais appris qu’il y avait eu un mandat d’arrestation délivré contre moi pour possession de drogue aux États­Unis. C’était trois ou quatre grammes de cocaïne. Lorsque je suis allé remplir les papiers, les formulaires, c’est à ce moment­là que j’ai su qu’ils me cherchaient, c’est ici que je l’ai appris – j’ai appris ça ici. Donc ce que je sais c’est qu’ils me cherchent. Je ne peux pas dire non, mais je ne peux pas dire que j’ai été arrêté parce que je n’ai jamais été arrêté pour possession de drogue.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Ok. Tout s’explique. Comment avez­vous découvert qu’il y avait un mandat?

 

R. Je l’ai appris à ce moment­là parce que les agents d’immigration m’ont détenu et m’ont dit – et je leur ai demandé pourquoi j’étais détenu et ils m’ont dit que j’étais détenu à cause du mandat et qu’on me cherchait pour cette infraction. À ce moment­là, ils ne m’ont pas demandé d’être plus précis, ou de donner plus de détails. Ils m’ont seulement posé des questions au sujet du mandat. Et, pendant que j’étais à Tampa, je faisais des activités avec une personne avec qui je restais.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Ok.

 

R. Et c’est lui qui avait une dépendance, il aimait consommer de la cocaïne. J’ai donc admis – j’ai peut­être admis que j’avais manipulé de la cocaïne et que c’est pour cette raison qu’ils me cherchaient, à cause de ce que mon patron faisait, il achetait sa – ce dont il avait besoin de consommer pendant trois jours et, quand nous quittions le travail, il me demandait de cacher sa drogue parce que sa femme était également – elle consommait aussi. Par conséquent, lorsque l’agent a lu ces accusations, j’ai alors admis que j’avais touché la drogue, parce qu’il se pouvait que ce soit mon propre patron qui m’ait dénoncé, mais je n’ai aucun autre détail plus précis.

 

[...]

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Ok. Vous devez être un petit peu plus clair, parce qu’on passe beaucoup plus de temps que nécessaire sur ce sujet. Ok. Commençons par ceci. Répondez seulement à la question suivante. Vous souvenez­vous d’un moment où, avant d’avoir quitté les États­Unis, la police vous a demandé si vous étiez en possession de cocaïne ou bien qu’elle vous a accusé d’avoir été en possession de cocaïne?

 

R. Non.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Ok. D’accord. Et vous avez donc appris l’existence du mandat d’arrestation lorsque vous avez été arrêté au Canada.

 

R. Oui.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Mais vous avez – mais vous avez dit que vous aviez travaillé avec une personne ayant une dépendance, que votre patron était un toxicomane.

 

R. Oui.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Ok. Et de temps en temps vous deviez cacher sa cocaïne parce que sa femme était également dépendante. Oui?

 

R. Oui.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Ok. Arrêtons­nous. Ok. Continuez à partir de là.

 

PAR M. LALJI :

 

Q. Donc avez­vous déjà été en possession de cocaïne?

 

R. Oui, en petites quantités.

 

Q. Et que faisiez-vous de cette cocaïne?

 

R. Je la rendais à mon patron lorsqu’il arrivait à la maison. C’est ce qui arrivait habituellement. C’était environ un gramme ou deux. Et cela n’arrivait pas à tous les huit jours ou à tous les 30 jours parce que je lui disais : « Regarde, s’ils m’arrêtent et me posent des questions et qu’ils trouvent la cocaïne, je vais être arrêté. »

 

Q. Vous a­t­il déjà demandé d’acheter de la cocaïne pour lui?

 

R. Non. Il avait ses propres fournisseurs qui venaient lui porter la drogue au travail.

 

Q. Il ne vous a donc jamais demandé d’aller chercher de la cocaïne et de la lui apporter?

 

R. Non. Il m’a demandé à quelques reprises si je pouvais lui trouver de la marijuana.

 

Q. Et êtes­vous allé lui en chercher?

 

R. Non, parce qu’à l’endroit où il voulait que j’aille – je lui ai toujours dit que je ne voulais pas y aller parce que c’était dangereux. Je lui disais toujours que c’était un endroit dangereux.

 

Q. Avez­vous déjà été en possession d’une plus grande quantité de cocaïne, par exemple, d’environ 15 grammes de cocaïne?

 

R. Non. La plus grande quantité de cocaïne que j’ai gardée pour lui et dont je peux me souvenir était d’environ deux grammes.

 

Q. Ok. Les pages 9 et 10 du rapport de police que nous avons déposé en tant que pièce no 9 révèlent, avec un certain degré de précision, que vous avez vendu de la cocaïne à un informateur de police en septembre 2005. L’informateur a fourni votre nom à la police et a affirmé que vous pouviez vendre de la cocaïne. Dans son rapport, la police allègue que vous avez bien vendu de la cocaïne et qu’ils vous ont vu faire.

 

[...]

 

INTERROGATOIRE PAR M. HOBSON :

 

Q. Ok, monsieur, j’aimerais préciser ce que vous savez au sujet des faits s’étant produits le 20 septembre 2005, c’est­à­dire le jour où vous auriez vendu 15 grammes de cocaïne. Quand avez­vous été pour la première fois mis au courant de cette allégation?

 

R. Lorsque je me suis présenté au bureau de l’immigration ici.

 

Q. Ok. Avez­vous déjà, à quelque moment que ce soit, vendu 15 grammes de cocaïne à quelqu’un?

 

R. Non.

 

Q. Vous croyez donc que les renseignements qui se trouvent dans ce rapport sont faux.

 

R. Je crois qu’ils sont faux.

 

M. HOBSON : Ok. Je n’ai pas d’autres questions au sujet de l’exclusion.

 

 

[32]           Le demandeur allègue que la Commission a tiré une conclusion non raisonnable lorsqu’elle a conclu qu’il y avait des raisons sérieuses de croire qu’il avait vendu de la cocaïne. Le demandeur allègue que la simple lecture du rapport de police portant sur les allégations de vente de cocaïne révèle que ce rapport n’est que [traduction] « pure conjecture », parce qu’il fait mention d’un individu à la peau foncée [traduction] « plus tard identifié comme étant Fabio Solis Betancour ». Le demandeur souligne également que le rapport ne fournit aucune preuve concrète montrant comment il a été identifié. Il conteste que c’est de lui dont il est question dans le rapport. Le demandeur affirme que, sans preuve à l’appui de l’allégation selon laquelle il est question de lui dans le rapport, et étant donné qu’il conteste cette allégation, la Commission aurait dû conclure qu’il n’y avait pas de motifs sérieux permettant de conclure qu’il avait bien vendu de la cocaïne.

 

[33]           Le demandeur soutient que, dans le cadre de son examen de la preuve déposée par le ministre à l’appui de son allégation présentée en vertu de la section Fb) de l’article premier de la Convention, la Commission n’a pas imposé au ministre la même norme de preuve qui incombait au demandeur. Dans ces motifs, la Commission a reconnu l’absence de « preuves concrètes et de renseignements précis ». Pour que la Commission puisse exclure le demandeur en vertu de la section Fb) de l’article premier de la Convention, le ministre aurait dû déposer davantage d’éléments de preuve, si une telle preuve existait. Le fardeau de la preuve incombait au ministre, qui n’a fourni aucune preuve concrète ni aucun renseignement précis montrant que la personne identifiée comme étant le demandeur dans le rapport de police était bien le demandeur.

 

[34]           Le demandeur soutient qu’il est également important de souligner qu’aucune accusation n’a été déposée; qu’il n’a pas été arrêté; qu’aucune preuve corroborante (telle qu’un enregistrement de surveillance) n’a été produite; qu’aucune cocaïne n’a été trouvée sur lui; qu’il n’y avait aucune photo de lui; qu’il n’y a eu aucun suivi de la part de la police; que le mandat d’arrestation a été délivré sous serment cinq mois après les faits et qu’il était resté sur le territoire pendant plusieurs mois après que le mandat a été délivré sous serment et que la police ne l’a pas cherché. Le demandeur soutient que l’allégation d’incident était fondée sur ce qu’un informateur avait dit à un policier infiltré. Le manque d’éléments de preuve aurait dû réfuter l’allégation d’exclusion du ministre. En excluant le demandeur, la Commission a tiré une conclusion [traduction] « de façon abusive, sans tenir compte de la preuve ».

 

[35]           Le demandeur soutient également que si la Cour estime que les circonstances qui ont mené à la délivrance du mandat d’arrestation visant le demandeur aux États­Unis relèvent trop de l’hypothétique et n’étayent donc pas la conclusion d’exclusion tirée par la Commission en vertu de la section Fb) de l’article premier de la Convention, la Cour devrait tenir compte de l’arrêt Jayasekara (C.A.F.), paragraphes 37 à 46 :

Normes régissant la détermination de la gravité d’un crime

 

37     Suivant les Principes directeurs sur la protection internationale publiés par l’UNHCR (le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés), au paragraphe 38, la gravité du crime « doit être mesurée à l’aune des normes internationales et pas simplement suivant l’interprétation qui en est faite dans le pays d’accueil ou le pays d’origine ». Cette façon de voir vise évidemment à éviter les profondes disparités qui peuvent exister entre les États relativement aux mêmes agissements. Ainsi que le juge Branson l’écrit dans la décision Igor Ovcharuk c. Minister for Immigration and Multicultural Affairs, précitée, à la page 15, [traduction] « il suffit d’évoquer les régimes dans lesquels des comportements tels que la dissidence politique pacifique, la possession d’alcool et les tenues féminines jugées indécentes sont considérés comme étant des actes criminels graves ».

 

38     Les Principes directeurs de l’UNHCR proposent, au paragraphe 39, de tenir compte des facteurs suivants pour déterminer la gravité d’un crime pour l’application de l’alinéa 1Fb) de la Convention :

 

-         la nature de l’acte;

-         le dommage réellement causé;

-         la forme de la procédure employée pour engager des poursuites;

-         la nature de la peine encourue pour un tel crime;

-         si la plupart des juridictions considéreraient l’acte en question comme un crime grave.

 

Les Principes directeurs poursuivent en donnant comme exemples de crimes graves le meurtre, le viol, l’incendie criminel et le vol à main armée. Ils citent également d’autres infractions qui pourraient être considérés comme graves « si elles associent l’usage d’armes mortelles, si elles impliquent des blessures graves sur des personnes ou s’il est prouvé que la conduite criminelle grave est habituelle ou d’autres facteurs similaires » (idem, au paragraphe 40). On renvoie ici clairement aux circonstances entourant la perpétration d’un crime dont, suivant les Principes directeurs, l’on devrait tenir compte pour évaluer la gravité du crime.

 

39     Les Principes directeurs de l’UNHCR ne sont pas impératifs, pas plus que le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié (au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés), Genève, janvier 1988, bien que les tribunaux puissent consulter le Guide pour y trouver des lignes directrices (voir Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, aux pages 713 et 714, Tenzin Dhayakpa, précité, au paragraphe 27, Igor Ovcharuk, précité, à la page 8, INS c. Aguirre-Aguirre, U.S. 1999, 1, aux pages 10 et 11 (Cour suprême des États-Unis)). Je suis également d’accord pour dire que le Guide ne saurait avoir préséance sur la mission de la Cour de statuer sur les termes de la Convention (voir les motifs du jugement du juge Henry dans S. c. Refugee Appeals Authority, [1998] 2 NZLR 291, au paragraphe 20 (C.A. N.-Z.).

 

40     Pour déterminer si une demande d’asile est irrecevable devant la Section de la protection des réfugiés pour cause de « grande criminalité », l’alinéa 101(2)b) de la LIPR exige que l’intéressé ait fait l’objet d’une déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada, pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans. Il faut y voir une forte indication de la part du législateur que le Canada, en tant que pays d’accueil, considère les crimes entraînant ce type de sanction comme des crimes graves. Dans le cas d’un crime commis à l’extérieur du Canada, l’alinéa 101(2)b) ne tient pas compte de la durée de la peine effectivement infligée. Il convient de mettre cette disposition en contraste avec l’alinéa 101(2)a), qui porte sur l’interdiction de territoire en raison d’une déclaration de culpabilité au Canada. Dans ce dernier cas, le législateur fédéral a jugé à propos d’exiger que l’infraction soit punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans et qu’un emprisonnement d’au moins deux ans ait été infligé (non souligné dans l’original).

 

41     Je suis d’accord avec l’avocate de l’intimé pour dire que, si aux termes de l’alinéa 1Fb) de la Convention, il faut tenir compte de la durée de la peine infligée ou du fait qu’elle a été purgée, il ne faut pas considérer ces facteurs isolément. Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles une peine clémente peut effectivement être prononcée même pour un crime grave, ce qui ne diminue en rien la gravité du crime commis. En revanche, une personne peut encourir dans certains pays des peines d’emprisonnement prolongées pour des actes qui ne sont pas considérés criminels au Canada.

 

42     De plus, dans de nombreux pays, pour déterminer la peine à infliger pour une infraction criminelle, on ne tient pas uniquement compte de la gravité du crime. Ainsi, une personne impliquée dans un réseau de prostitution peut, par intérêt personnel, aider les autorités chargées des poursuites à démanteler le réseau en question en échange d’une peine légère. Ou encore un contrevenant peut obtenir une peine plus clémente en échange d’un plaidoyer de culpabilité qui épargne à la victime l’épreuve de devoir témoigner au sujet d’une agression sexuelle traumatisante. On peut éviter la tenue de mégas procès longs et coûteux impliquant de nombreux accusés en négociant des plaidoyers de culpabilité et des peines moins lourdes. Les négociations relatives aux peines à infliger peuvent être liées à des engagements de confidentialité, à la protection de personnes et au secret professionnel de l’avocat. Il se peut que l’accès à certains renseignements confidentiels, protégés et privilégiés soit interdit, de sorte qu’un examen isolé d’une peine clémente par une autorité chargée de la révision donnerait une image déformée de la gravité du crime dont le contrevenant a été reconnu coupable.

 

43     Bien qu’il faille tenir compte des normes internationales, on ne doit pas ignorer le point de vue de l’État ou du pays d’accueil lorsqu’il s’agit de déterminer la gravité du crime. Après tout, comme nous l’avons déjà évoqué, c’est à l’État ou au pays d’accueil qu’est conférée la protection prévue à l’alinéa 1Fb) de la Convention. C’est d’ailleurs ce que reconnaissent les Principes directeurs de l’UNHCR (voir le paragraphe 36).

 

44     Je crois que les tribunaux s’entendent pour dire que l’interprétation de la clause d’exclusion de l’alinéa 1Fb) de la Convention exige, en ce qui concerne la gravité du crime, que l’on évalue les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous-jacentes à la déclaration de culpabilité (voir S c. Refugee Status Appeals Authority, (C.A. N.-Z.), précité; S and Others c. Secretary of State for the Home Department, [2006] EWCA Civ 1157 (Cours royales de Justice, Angleterre); Miguel-Miguel c. Gonzales, no 05‑15900, (Cour d’appel ÉTATS-UNIS, 9e circuit), 29 août 2007, aux pages 10856 et 10858). En d’autres termes, peu importe la présomption de gravité qui peut s’appliquer à un crime en droit international ou selon la loi de l’État d’accueil, cette présomption peut être réfutée par le jeu des facteurs précités. On ne met toutefois pas en balance des facteurs étrangers aux faits et aux circonstances sous-jacents à la déclaration de culpabilité comme, par exemple, le risque de persécution dans le pays d’origine (voir Xie c. Canada, précité, au paragraphe 38, INS c. Aguirre-Aguirre, précité, à la page 11; T c. Home Secretary (1995), 1 WLR 545, aux pages 554‑555 (C.A. Angleterre), Dhayakpa c. The Minister of Immigration and Ethnic Affairs, précité, au paragraphe 24).

 

45     Ainsi, une coercition qui ne permet pas d’invoquer le moyen de défense de droit criminel de la contrainte peut constituer une circonstance atténuante pertinente pour évaluer la gravité du crime commis. Le préjudice causé à la victime ou à la société, l’utilisation d’une arme, le fait que le crime a été commis par un groupe criminel organisé, etc., seraient également des facteurs pertinents à considérer.

 

46     Je tiens par ailleurs à ajouter, par souci de clarté, qu’à l’instar de la Grande-Bretagne et des États-Unis, le Canada dispose d’un nombre assez élevé d’infractions hybrides, c’est-à-dire d’infractions qui, selon les circonstances aggravantes ou atténuantes entourant leur perpétration, peuvent être punissables par procédure sommaire ou, plus sévèrement, sur acte d’accusation. Dans des pays où cette option existe, le choix du mode de poursuite est utile pour évaluer la gravité du crime s’il existe une différence marquée entre la peine prévue pour une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité et celle prévue pour un geste punissable sur acte d’accusation.

 

[36]           Le demandeur allègue que le paragraphe 100(4) de la Loi dispose entre autres que le demandeur doit fournir des renseignements et des documents comme le prévoient les règles de la Commission. L’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés est ainsi rédigé :

7. Le demandeur d’asile transmet à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour s’en procurer.

 

7. The claimant must provide acceptable documents establishing identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they were not provided and what steps were taken to obtain them.

 

[37]           Le demandeur note que l’absence de « documents acceptables » sans explication raisonnable pour leur absence, ou l’omission de prendre des mesures raisonnables pour les obtenir, constitue un facteur important dans l’évaluation de la crédibilité de tout demandeur. Le demandeur pose la question suivante : cette norme de preuve ne devrait­elle pas être également appliquée à un ministre lors de l’évaluation de la véracité de sa preuve présentée dans une affaire relative à l’exclusion? Le demandeur soutient qu’en l’espèce le ministre avait d’autres éléments de preuve accessibles, mais qu’aucun élément de preuve n’a été produit, qu’il n’a aucunement essayé de les obtenir et qu’aucune explication n’a été donnée pour leur absence. Le demandeur cite la partie de la transcription qui révèle que le manque d’éléments de preuve constituait un problème grave pour la Commission :

 

[traduction]

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Il n’y a donc aucune façon de déterminer s’il s’agissait bien de Fabio ou bien d’une autre personne de race noire qui a utilisé le nom Fabio.

 

M. LALJI : Bien, ce n’est pas – ce rapport ne révèle pas s’il y a effectivement eu arrestation, la seule chose qu’il révèle c’est que l’informateur avait mentionné – avait fourni le nom et la date de – ou le nom du demandeur.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Bien. L’homme n’a donc pas été arrêté ni mis en détention. Nous ne savons pas si en fait, il s’agissait bien du demandeur.

 

[...]

 

M. LALJI : Le rapport n’est peut‑être pas d’une aussi bonne qualité que nous l’aurions souhaité afin d’établir la présente allégation d’une façon peut­être plus convaincante, mais les faits sont clairs : le mandat est lié aux antécédents criminels du demandeur aux États­Unis. Il est lié à ses empreintes digitales, en ce sens qu’il figure dans les accusations – ou, non, pas dans les accusations – il figure dans le dossier obtenu lorsque l’on utilise le numéro d’empreintes digitales du demandeur dans le National Crime Information Centre et, si l’on surprenait le demandeur sur un territoire où ce mandat est valide, à ce moment­ci, il serait vraisemblablement arrêté parce qu’il fait l’objet de ce mandat. Cela fournit donc de très sérieuses raisons de penser qu’il s’agit de la personne nommée dans ce rapport.

 

Le rapport n’est pas très précis en ce qui concerne les détails sur lesquels nous aurions souhaité nous fonder dans le cadre d’une audience telle que celle­ci, mais il mentionne bien que l’enquêteur et l’informateur ont identifié l’individu impliqué dans cet incident comme étant Fabio Solis Betancour et qu’ils l’ont apparemment identifié en regardant dans les dossiers du Département de la sécurité routière et des véhicules. Nous ne savons pas ce que c’est, mais cela leur a suffi pour rédiger ce rapport et pour identifier le demandeur comme faisant l’objet du mandat.

 

C’est tout ce qu’ils nous ont fourni. Ils nous ont fourni un mandat et un rapport d’incident dans lequel se trouvent le nom et la date d’anniversaire du demandeur. Je suppose que mon collègue aurait préféré que nous déposions la cocaïne saisie comme preuve lors de l’audience. Nous ne pouvons pas faire ça. Ils ne nous ont pas fourni l’ensemble des éléments de preuve en l’espèce.

 

M. HOBSON : Avez­vous le disque?

 

M. LALJI : Bien, nous l’avons, nous l’avons bien. Je n’ai aucune mention au dossier selon laquelle le disque a été réclamé par le Département.

 

 

[38]           Le demandeur allègue également que, lorsque le ministre comparaît dans une audience relative à une demande d’asile, il s’agit d’une audience contradictoire où la même norme de preuve, établie à l’article 7 des Règles, devrait s’appliquer tant au demandeur qu’au ministre. La présente allégation a été présentée directement à la Commission lors de l’audience, et la Commission a mentionné cette allégation dans ses motifs. La Commission, cependant, a refusé d’appliquer la même norme à la preuve déposée par le ministre, et elle aurait donc commis une erreur de droit.

 

Le défendeur

 

[39]           Le défendeur soutient que la Commission n’a pas commis d’erreur dans l’analyse de la preuve qui établit que la condition des « raisons sérieuses de penser » était remplie. La question dont était saisie la Commission était de savoir si les renseignements dont elle disposait justifiaient d’exclure le demandeur sur le fondement de la section Fb) de l’article premier de la Convention.

 

[40]           Le défendeur se fonde sur l’arrêt Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 250, qui portait sur un mandat dans lequel on alléguait que l’appelante avait détourné une somme d’argent considérable et qu’elle était en possession d’une somme d’argent comparable pour laquelle elle n’avait aucune explication satisfaisante à fournir, ce qui avait suffi à la Commission pour conclure qu’il existait des « raisons sérieuses de penser ». La Cour dans l’arrêt Xie a conclu que le fait que cet élément de preuve ne satisfaisait pas à la norme de preuve appliquée dans les affaires criminelles était sans importance, étant donné que la question qui se posait n’était pas de savoir si l’appelante avait effectivement commis le crime dont elle était accusée, mais plutôt de savoir s’il existait des raisons sérieuses de penser qu’elle avait commis un tel crime.

 

[41]           Le défendeur se fonde également sur la décision Qazi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1204, dans laquelle la Cour a conclu que, sauf en cas d’allégations de « fausses accusations », l’existence d’un mandat valide délivré par un pays étranger remplit la condition des « raisons sérieuses de penser ».

 

[42]           Le défendeur soutient que le mandat en l’espèce est appuyé par le fait qu’il a été obtenu à l’aide d’une recherche effectuée par empreintes digitales et non simplement par une recherche effectuée par nom. Le demandeur a admis qu’il avait eu accès à de la cocaïne et qu’il en avait manipulée. La Commission, qui disposait de ces renseignements, pouvait raisonnablement conclure que le demandeur respectait la condition des « raisons sérieuses de penser ».

 

[43]           Le défendeur cite aussi les paragraphes 24 à 26 de la décision Murillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 966 :

 

24        Il est bien établi en droit que le ministre a la charge de prouver qu’un demandeur d’asile est exclu de la protection, en application de la section Fb) de l’article premier de la Convention sur les réfugiés. Une audience visant à déterminer si un demandeur d’asile est ou non exclu aux termes de cette disposition ne constitue pas un procès criminel au cours duquel la culpabilité ou l’innocence doit être établie hors de tout doute raisonnable. Il suffit au ministre de montrer qu’il a « des raisons sérieuses de penser » qu’un demandeur d’asile a commis un crime grave de droit commun en dehors du Canada, avant son arrivée au Canada. Il n’appartient pas à la SPR d’établir la culpabilité ou l’innocence du demandeur d’asile. (Vlad, précitée, aux paragraphes 17 et 20; Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298, 107 D.L.R. (4th) 424 (C.A.), au paragraphe 21.)

 

25        Le demandeur fait valoir que la SPR a commis une erreur pour ne pas avoir pondéré les facteurs aggravants et les facteurs atténuants avant de conclure à la gravité du crime commis par lui. Plus précisément, il dit que la SPR n’a pas tenu compte de son empressement à reconnaître son rôle dans la perpétration de l’infraction, laissant de côté le fait qu’il n’était qu’un complice dans le trafic de drogue et qu’il n’avait jamais reçu la somme de 50 000 $ pour son rôle dans l’affaire. Le ministre dit que l’argument du demandeur n’a aucun fondement. (Exposé des arguments du demandeur, aux paragraphes 6 à 10, DD, aux pages 372 et 373.)

 

26        La SPR n’est nullement tenue de se livrer à un exercice de « pondération » pour savoir si un demandeur d’asile est exclu aux termes de la section Fb) de l’article premier de la Convention sur les réfugiés. Il est raisonnable pour la SPR de recourir, comme critère de ce qui constitue un crime « grave », à l’idée que se fait le droit canadien de cette infraction. Toute infraction punissable en droit canadien d’une peine d’emprisonnement de dix ans constitue un crime « grave ». Il faut se demander si les actes du demandeur d’asile pourraient être considérés comme des crimes en droit canadien. Les tribunaux canadiens ont toujours jugé que le trafic de drogue est un crime grave de droit commun. (Jayasekara, précitée; Farkas, précitée; Chan, précité; Vlad, précitée; Medina, précitée.)

 

 

[44]           Le défendeur allègue qu’il est important de prendre en compte que les faits relatifs au crime grave ne concernaient pas la manipulation occasionnelle par le demandeur de la cocaïne de son employeur. Les allégations de crime grave découlaient plutôt du fait que l’ASFC avait établi que les empreintes digitales du demandeur étaient identiques à des empreintes digitales trouvées sur un sac de 15 grammes de cocaïne qu’un informateur avait acheté d’une personne qui a été identifiée comme étant M. Betancour. Le mandat non exécuté visant l’arrestation de M. Betancour délivré dans le comté de Hillsborough, en Floride, a été décerné par suite d’une comparaison d’empreintes digitales.

 

[45]           Le défendeur met l’accent sur le fait que la condition en question ne doit pas être examinée selon la prépondérance de la preuve. Lorsque le crime grave a entraîné la délivrance d’un mandat d’arrestation, la question qu’il faut trancher est de savoir s’il s’agit de fausses accusations et, dans la négative, si les accusations remplissent la condition des raisons sérieuses de penser établie dans la décision Qazi.

 

ANALYSE

 

[46]           Les deux parties conviennent que la norme applicable dans le cadre du contrôle des questions soulevées en l’espèce est la raisonnabilité, norme énoncée dans l’arrêt Dunsmuir. Je suis d’accord. Ce qui ne veut pas dire, bien entendu, que je dois souscrire à la décision contestée. Je dois me demander si la décision est justifiée, si le processus décisionnel est transparent et intelligible et « [si] la décision [appartient] aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[47]           Comme l’a souligné le demandeur, le cœur de la décision se trouve au paragraphe 19, où la Commission a conclu qu’il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun à l’étranger avant son admission au Canada.

 

[48]           Le litige entre les parties porte sur la question de savoir si la preuve dont disposait la Commission pouvait raisonnablement, au sens de l’arrêt Dunsmuir, équivaloir à des raisons sérieuses.

 

[49]           La preuve sur laquelle la Commission s’était fondée pour conclure qu’il y avait des raisons sérieuses était l’existence du mandat même, lequel avait été obtenu par suite d’une recherche effectuée à l’aide d’empreintes digitales, et le témoignage du demandeur, qui avait déclaré avoir manipulé de la cocaïne, même s’il nie en avoir vendu.

 

[50]           Le demandeur, comme le révèlent ses observations écrites, a donné de nombreuses raisons afin d’expliquer pourquoi le mandat ne devrait pas être estimé fiable et pourquoi il ne peut pas étayer une conclusion fondée sur des « raisons sérieuses de penser ».

 

[51]           Cependant, comme le défendeur l’a souligné, la Cour a, par le passé, conclu que les mandats pouvaient constituer le fondement d’une telle conclusion; voir Xie et Qazi.

 

[52]           Tout dépend, bien sûr, des faits de chaque affaire, et je ne dis pas qu’un mandat doit, à tout coup, être considéré comme des « raisons sérieuses de penser ». En l’espèce, le mandat a été trouvé par suite d’une recherche par empreintes digitales. Je reconnais également que, dans la décision Qazi, le mandat faisait état d’accusation de meurtre à l’encontre du demandeur, ce qui avait été confirmé par divers autres moyens, de telle façon que le juge von Finckenstein, au paragraphe 18, a pu affirmer que « [s]auf en cas d’allégations de fausses accusations, l’existence d’un mandat en cours de validité délivré par un pays étranger remplit la condition des “raisons sérieuses de penser” ». En outre, dans l’arrêt Xie, la Cour d’appel fédérale a examiné le mandat même, ainsi que d’autres éléments de preuve, et a conclu que « la preuve soumise à la Commission permettait à cette dernière de tirer » une conclusion selon laquelle il y avait des raisons sérieuses de penser.

 

[53]           Je reconnais que, vu les faits de l’espèce, il y a davantage de doutes au sujet du mandat et de son lien avec le demandeur qu’il n’y en avait dans les affaires Xie ou Qazi. Ces doutes ont été mentionnés et analysés dans leur ensemble par la commissaire. Cependant, la commissaire a tout de même estimé que l’existence du mandat sur lequel figurait en l’espèce le nom du demandeur, lorsque analysé de concert avec l’admission du demandeur selon laquelle il avait participé à une affaire liée à la cocaïne, justifiait la conclusion que le fardeau de la preuve était respecté. La commissaire, bien entendu, a également eu l’occasion de voir et d’entendre le demandeur témoigner.

 

[54]           Même si je peux voir qu’il est possible de remettre en question la preuve dont disposait la commissaire – et je peux même dire qu’une décision contraire n’aurait pas été déraisonnable –, je ne peux pas affirmer que cette décision n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[55]           Le demandeur a proposé la question suivante aux fins de certification :

[traduction]

Le ministre, lorsqu’il plaide une exclusion dans le cadre d’une demande d’asile, est­il tenu à la même norme de preuve que le demandeur? Dans l’affirmative, l’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés s’applique­t­il au ministre?

 

 

[56]           Je suis sensible à la position du demandeur, selon laquelle il y a plusieurs endroits dans la transcription où tant l’avocat du demandeur que la Commission ont soulevé des réserves quant à la preuve que le ministre n’avait pas déposée; il aurait été raisonnable de s’attendre à ce qu’il produise cette preuve ou, à tout le moins, tente de l’obtenir. Le disque en est un exemple.

 

[57]           Cependant, en définitive, la Commission a conclu que, malgré que des éléments de preuve plus probants auraient pu être fournis, la preuve présentée par le ministre justifiait une conclusion selon laquelle il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun à l’étranger.

 

[58]           J’estime que cette conclusion, même si elle peut être remise en question, n’est pas déraisonnable au sens de l’arrêt Dunsmuir.

 

[59]           La crédibilité du ministre ne constituait pas un point en litige, et je ne crois pas que le fardeau incombant au ministre équivaut au fardeau de la preuve qui incombe à un demandeur d’asile. La question en l’espèce était simplement de savoir si la preuve présentée par le ministre et celle obtenue dans le témoignage du demandeur pouvaient raisonnablement étayer les conclusions de la Commission. Le fardeau de la preuve qui incombe au ministre dans une affaire telle que l’espèce est bien établi par la jurisprudence. Voir, par exemple, les décisions citées ci­dessus et l’analyse du juge Shore dans la décision Murillo, aux paragraphes 24 à 26. En outre, la question proposée aux fins de certification ne trancherait pas l’appel parce que la Commission a conclu que, même si le ministre aurait pu déposer des éléments de preuve plus probants, la preuve justifiait une conclusion selon laquelle il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun à l’étranger.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.      la demande est rejetée;

2.      il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4901-08

 

INTITULÉ :                                                   FABIO SOLIS BETANCOUR

                                               

c.

           

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 10 JUIN 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET

JUGEMENT :                                                LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 27 JUILLET 2009

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

D. Blake Hobson                                              POUR LE DEMANDEUR

 

Edward Burnet                                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

D. Blake Hobson                                              POUR LE DEMANDEUR

Hobson and Company

Avocat

Surrey (C.-B.)

                       

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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