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Federal Court

 

 

 

 

Cour fédérale


Date : 20090727

Dossier : T-457-08

Référence : 2009 CF 758

Ottawa (Ontario), le 27 juillet 2009

En présence de madame la juge Heneghan

 

ENTRE :

THOMAS BROWN, GLORIA FRY,

 TOBY LYNNE MEADE ET JOY HUBLEY

demandeurs

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

ET LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

Introduction

[1]               M. Thomas Brown ainsi que Mmes Gloria Fry, Toby Lynne Meade et Joy Hubley (les demandeurs) sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 26 février 2008 par Mme Sonia Gaal, vice-présidente du Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal). Dans cette décision, le Tribunal a rejeté les plaintes d’abus de pouvoir qui avaient été déposées par les demandeurs en vertu de l’article 77 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (la Loi), qui constitue la partie 3 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, dans lesquelles les demandeurs alléguaient entre autres que le sous­ministre de la Défense nationale avait abusé de son pouvoir en choisissant d’utiliser un processus non annoncé au lieu d’un processus annoncé lorsqu’il a prolongé la nomination intérimaire de Mme Anne McGuiness.

 

Le contexte

[2]               Les demandeurs travaillent au Service de la logistique (formation) du ministère de la Défense nationale (le MDN) à Halifax. Au moment de l’audience devant le Tribunal, les demandeurs occupaient tous un poste de niveau PG­02.

 

[3]               En juin 2005, le MDN a tenu un concours public visant à doter un poste d’agent supérieur des contrats de niveau PG­04. Mmes McGuiness, Meade et Fry ont toutes postulé pour le poste. Mme McGuiness et Mme Fry n’ont pas réussi l’examen des connaissances, et Mme Meade s’est retirée du concours pour des raisons personnelles. Le poste n’a jamais été doté.

 

[4]               Des concours ont également été tenus pour doter un poste de niveau PG­03. Mme Meade et Mme Fry ont postulé en août 2004 et en juin 2005, mais elles ont échoué.

 

[5]               Étant donné que le poste PG­04 n’avait pas encore été doté et en raison d’exigences opérationnelles, Mme Lila Zwicker, gestionnaire de la coordination des contrats dans le service, a annoncé lors d’une réunion tenue le 26 janvier 2006 que Mme McGuiness occuperait ce poste à titre de personne nommée par intérim. À ce moment‑là, Mme McGuiness occupait un poste de niveau AS­04 dans le Service de la vérification interne au sein du MDN. Mme Zwicker a affirmé dans son témoignage devant le tribunal qu’elle avait choisi Mme McGuiness parce que cette dernière avait reçu la plus haute note à l’examen des connaissances, malgré que cette note n’ait pas été suffisante pour qu’elle réussisse l’examen.

 

[6]               La personne qui supervisait Mme Zwicker et Mme McGuiness à ce moment‑là n’a pas été en mesure de déterminer quand Mme McGuiness pourrait commencer à occuper le nouveau poste. Par conséquent, Mme Zwicker a annoncé lors de la réunion de janvier que Mme McGuiness serait plutôt mutée au poste d’agent supérieur des contrats au niveau PG­03 le 13 février 2006 et que, le même jour, elle commencerait à occuper le poste d’agent supérieur des contrats à titre intérimaire au niveau PG­04. C’est ce qui s’est passé, et Mme McGuiness n’a jamais réellement occupé le poste de PG­03.

 

[7]               La nomination par intérim de Mme McGuiness devait durer moins de quatre mois et prendre fin le 31 mai 2006. Pendant cette période, des arrangements ont été pris pour terminer le processus de nomination afin de doter ce poste. Le nouveau processus de dotation a commencé le 31 mars 2006.

 

[8]               La superviseure de Mme Fry, Mme Christine Lynds, était une agente supérieure des contrats de niveau PG­03. Elle avait également postulé pour le poste PG­04 en juin 2005, mais elle avait retiré sa demande trois mois plus tard. Lorsqu’elle a appris que Mme McGuiness allait obtenir la nomination par intérim initiale, Mme Lynds a de nouveau demandé d’obtenir ce poste, mais cela lui a été refusé. En avril 2006, on a offert à Mme Lynds une nomination par intérim au niveau PG­04. On lui a dit qu’elle devrait tout d’abord suivre un cours d’introduction aux contrats et suivre une formation en cours d’emploi pendant un certain temps. Cependant, à la fin de mai 2006, Mme Lynds a informé Mme Zwicker qu’elle n’était plus intéressée par le poste.

 

[9]               Par la suite, Mme Zwicker a prolongé de quatre autres mois la nomination intérimaire de Mme McGuiness au moyen d’un processus de nomination non annoncé.

 

[10]           En juillet 2006, Mme Zwicker a rencontré Mme Fry, qui s’était montrée intéressée par le poste intérimaire de niveau PG­04. Mme Zwicker a informé Mme Fry que seuls les postulants de niveau PG­03 seraient considérés pour le poste intérimaire.

 

[11]           Le 16 août 2006, les demandeurs ont déposé leurs plaintes, dans laquelle ils allèguent que Mme Zwicker a commis un abus de pouvoir. Ils ont soutenu que Mme Zwicker n’avait pas examiné de façon raisonnable la nomination intérimaire de postulants qualifiés de niveau PG­02 pendant la période où il y avait eu une nomination intérimaire avant la fin du second processus de dotation qui avait commencé en mars 2006.

 

[12]           Dans sa décision, le Tribunal a formulé les trois questions en litige comme suit :

[traduction]

a.       Le défendeur a­t­il abusé de son pouvoir lorsqu’il a muté Mme McGuiness au poste PG­03 pour ensuite la nommer à un poste intérimaire d’une durée de moins de quatre mois en tant que PG­04?

b.      Le défendeur a­t­il abusé de son pouvoir en choisissant Mme McGuiness pour la nomination par intérim en tant que PG­04 lorsqu’il a prolongé sa nomination pour une durée de plus de quatre mois?

c.       Le défendeur a­t­il abusé de son pouvoir lorsqu’il a choisi un processus de nomination non annoncé pour la nomination par intérim du 1er juin 2006?

 

[13]           En ce qui concerne la première question en litige, le Tribunal a estimé qu’il n’avait pas compétence pour examiner la mutation ou la nomination par intérim initiale. En ce qui concerne la question de la mutation, le Tribunal a noté que dans la décision Czarnecki c. Administrateur général de Service Canada et al., 2007 TDFP 001, il avait précédemment conclu que, pour avoir gain de cause dans le cadre d’une demande présentée en vertu de l’article 77 de la Loi, il doit y avoir eu une nomination ou une proposition de nomination. Cependant, suivant le paragraphe 53(1), une mutation n’est pas la même chose qu’une nomination, et le Tribunal a donc conclu qu’il n’avait pas compétence pour entendre une plainte, présentée en vertu de l’article 77, portant sur une mutation.

 

[14]           Le Tribunal a, de façon semblable, estimé qu’il n’avait pas la compétence nécessaire pour examiner la nomination par intérim initiale étant donné que, en vertu du paragraphe 14(1) du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique, DORS/2005­334 (le Règlement), une nomination par intérim de moins de quatre mois ne peut pas être contestée par voie de plainte d’abus de pouvoir présentée en vertu de l’article 77.

 

[15]           En ce qui concerne la deuxième question en litige, le Tribunal a conclu qu’il n’avait pas été établi qu’il y avait eu abus de pouvoir lors de la nomination de Mme McGuiness au poste intérimaire lorsque la nomination avait dépassé quatre mois.

 

[16]           Enfin, en ce qui concerne la troisième question en litige, le Tribunal a conclu que, malgré le fait que Mme McGuiness n’avait pas réussi le concours, Mme Zwicker avait agi de façon appropriée en la choisissant en raison de la pratique du service d’offrir des affectations intérimaires aux personnes ayant un poste un niveau en dessous du poste où ils seront assignés, de l’expérience de Mme McGuiness et du fait que Mme McGuiness était arrivée première parmi les candidats en compétition pour le poste.

 

Les questions en litige

[17]           La présente demande soulève les questions en litige suivantes :

a.       Quelle est la norme de contrôle applicable?

b.      Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur en écartant des éléments de preuve pertinents et en examinant la question de l’abus de pouvoir en se fondant sur des faits isolés plutôt que sur l’ensemble de la situation?

c.       Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur en rejetant des éléments de preuve portant sur le traitement qu’a reçu Mme Lynds en comparaison à celui qu’a reçu Mme McGuiness?

 

Analyse et conclusion

[18]           Tant les demandeurs que les défendeurs soutiennent que la norme de contrôle doit être déterminée selon une analyse pragmatique et fonctionnelle tenant compte de quatre facteurs : la présence d’une clause privative, l’expertise du décideur, l’objet de la loi et la nature de la question.

 

[19]           L’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, doit guider l’analyse pragmatique et fonctionnelle.

 

[20]           La Loi renferme une clause privative à l’article 102, qui se lit comme suit :

Caractère définitif de la décision

 

102. (1) La décision du Tribunal est définitive et n’est pas susceptible d’examen ou de révision devant un autre tribunal.

 

Interdiction de recours extraordinaires

 

(2) Il n’est admis aucun recours ni aucune décision judiciaire – notamment par voie d’injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto – visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action du Tribunal en ce qui touche une plainte.

 

Decisions final

 

 

102. (1) Every decision de la Tribunal is final and may not be questioned or reviewed in any court.

 

 

No review by certiorari, etc.

 

 

(2) No order may be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain the Tribunal in relation to a complaint.

 

 

[21]           Le Tribunal est un organisme spécialisé qui a été créé afin de trancher les plaintes présentées en vertu de l’article 77 suivant la mission que lui confère le paragraphe 88(2) de la Loi.

 

[22]           La Loi a pour objectif général de régir l’emploi dans la fonction publique fédérale. L’objet de l’article 77 est de permettre à des personnes de présenter des plaintes, pour des motifs particuliers, au sujet de processus de nomination interne visant l’embauche dans la fonction publique.

 

[23]           La nature de la question, qui est de savoir s’il y a eu abus de pouvoir, est essentiellement une question de fait qui nécessite l’appréciation des éléments de preuve qui ont été présentés.

 

[24]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a affirmé que la norme de contrôle applicable aux décisions des décideurs administratifs était soit la décision correcte, soit la raisonnabilité. La norme de contrôle applicable aux questions de fait est habituellement la raisonnabilité; autrement dit, la Cour doit faire preuve de déférence.

 

[25]           À la suite de l’examen des quatre éléments de l’analyse pragmatique et fonctionnelle en l’espèce, je suis convaincue que la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité.

 

[26]           Les demandeurs soutiennent que le Tribunal, dans le cadre du traitement de leurs arguments portant sur la mutation de Mme McGuiness au poste PG‑03, a mal posé le problème. Les demandeurs affirment qu’ils n’alléguaient pas que la mutation en soi constituait un abus de pouvoir en vertu de l’article 77, et ils reconnaissent que ni la mutation ni la nomination par intérim de moins de quatre mois ne peuvent faire l’objet d’une plainte d’abus de pouvoir au regard de la Loi ou du Règlement.

 

[27]           Les demandeurs soutiennent plutôt que la conduite du MDN quant à la mutation et à la nomination par intérim initiale de Mme McGuiness forme le contexte au regard duquel il faut examiner si la prolongation de la nomination par intérim de Mme McGuiness constituait un abus de pouvoir. À ce sujet, les demandeurs se fondent sur la Politique sur les mutations du Conseil du Trésor afin d’établir que, même avant la prolongation de la nomination par intérim de Mme McGuiness, les défendeurs étaient prêts à ne pas respecter cette politique afin de s’assurer que Mme McGuiness occuperait le poste PG‑04. Une copie de la politique est jointe en tant que pièce à l’affidavit de M. Alan Phillips, lequel affidavit fait partie du dossier de demande des demandeurs.

 

[28]           Les défendeurs soutiennent que le fardeau d’établir qu’il y a eu abus de pouvoir lors du choix du processus d’embauche ainsi que lors de l’établissement et de l’évaluation des qualifications essentielles, est lourd. Les processus d’embauche ne devraient pas faire l’objet de plaintes d’abus de pouvoir en l’absence d’une preuve selon laquelle les décisions en question avaient été prises de mauvaise foi, sur le fondement de favoritisme personnel ou étaient entachées d’éléments semblables. Les défendeurs soutiennent que la décision de la vice‑présidente n’est pas entachée d’une telle façon et que le Tribunal n’a pas commis une erreur susceptible de contrôle dans sa décision.

 

[29]           Les défendeurs soutiennent que le Tribunal n’a pas écarté d’éléments de preuve pertinents et n’a pas négligé l’ensemble de la preuve dans son analyse portant sur la mutation de Mme McGuiness au poste PG­03. Les défendeurs ont noté que le Tribunal avait précisé les faits en commençant par la mutation de Mme McGuiness au poste PG­03 et par sa nomination par intérim au poste PG‑04 ayant eu lieu le même jour. Ils ont souligné que le Tribunal avait conclu que le MDN avait été franc au sujet de ses motifs relatifs à la mutation de Mme McGuiness et que Mme Zwicker avait des raisons valides et légitimes d’offrir la nomination par intérim seulement aux postulants de niveau PG­03, c’est­à­dire à Mme McGuiness et à Mme Lynds. 

                                                       

[30]           Sur le fondement de la décision Laidlaw et al. c. Canada (Procureur général et al.) (1999), 166 F.T.R. 217, les demandeurs allèguent que la mutation d’un employé ayant pour unique objectif l’affectation de cette personne à un poste différent que celui où elle a été mutée constitue un abus de pouvoir. En l’espèce, les demandeurs soutiennent que la mutation de Mme McGuiness au poste PG­03, suivie immédiatement après par sa nomination par intérim au poste PG­04, constituait un abus de pouvoir parce que Mme McGuiness n’a jamais occupé le poste PG­03, et qu’on peut soutenir que la mutation de Mme McGuiness au poste PG­03 était simplement un moyen pour faciliter sa nomination par intérim au poste PG­04.

 

[31]           Les défendeurs soutiennent que la décision Laidlaw peut être distinguée de l’espèce parce qu’elle a été rendue sur le fondement de l’ancienne Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P­33 et de l’ancien Règlement sur l’emploi dans la fonction publique, DORS/2000‑80, lesquels ont été abrogés. Étant donné que la Loi actuelle s’éloigne de l’ancien régime législatif et qu’elle a établi une approche différente quant au principe du mérite, les défendeurs soutiennent que la décision Laidlaw est peu pertinente.

 

[32]           Les demandeurs ont présenté leurs plaintes en vertu de l’alinéa 77(1)b) de la Loi, lequel se lit comme suit :

Motifs des plaintes

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

 

[…]

 

b) abus de pouvoir de la partie de la Commission du fait qu’elle a choisi un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé, selon le cas;

[…]

Grounds of complaint

77. (1) When the Commission has made or proposed an appointment in an internal appointment process, a person in the area of recourse referred to in subsection (2) may — in the manner and within the period provided by the Tribunal’s regulations — make a complaint to the Tribunal that he or she was not appointed or proposed for appointment by reason of

 

 

 

 

 

b) an abuse of authority by the Commission in choosing between an advertised and a non-advertised internal appointment process; or

 

[33]            L’alinéa 77(1)b) ne renvoie à aucune autre disposition de la Loi et l’« abus de pouvoir » n’est pas défini dans la Loi. Cependant, le paragraphe 2(4) mentionne l’abus de pouvoir :

Abus de pouvoir

 

(4) Il est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par « abus de pouvoir » la mauvaise foi et le favoritisme personnel.

 

 

References to abuse of authority

 

(4) For greater certainty, a reference in this Act to abuse of authority shall be construed as including bad faith and personal favouritism.

 

 

 

[34]           M. David Phillip Jones et Mme Ann S. de Villars traitent de l’abus de pouvoir dans leur livre intitulé Principles of Administrative Law, 4e éd. (Scarborough, Thomson Carswell, 2004). Les éminents auteurs traitent de l’abus de pouvoir de la façon suivante à la page 154 :

[traduction]

Il ne peut toutefois y avoir de pouvoir discrétionnaire illimité. Les tribunaux ont constamment affirmé leur droit de contrôler l’exercice qu’un délégué fait de son pouvoir discrétionnaire pour une grande quantité d’abus. On peut énumérer au moins cinq catégories générales d’abus, qu’on peut décrire comme suit. Dans la première catégorie, on trouve les cas où un délégué exerce son pouvoir discrétionnaire dans une intention illégitime, c’est-à-dire dans un but non autorisé, de mauvaise foi ou en tenant compte de considérations non pertinentes. La deuxième catégorie comprend les situations dans lesquelles le délégué se fonde sur des éléments insuffisants, notamment lorsqu’il ne dispose d’aucun élément de preuve ou qu’il ne tient pas compte d’éléments pertinents. Troisièmement, les tribunaux jugent parfois qu’il y a eu abus de pouvoir discrétionnaire lorsque le résultat est inéquitable, notamment lorsque des mesures administratives déraisonnables, discriminatoires ou rétroactives ont été prises. Quatrièmement, il y a abus de pouvoir lorsque le délégué commet une erreur de droit dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Finalement, commet un abus de pouvoir le délégué qui refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire en adoptant une politique qui entrave sa capacité d’examiner des cas individuels avec un esprit ouvert.

 

[35]           Je souscris aux allégations des demandeurs selon lesquelles le Tribunal a commis une erreur en omettant d’examiner l’ensemble de la preuve sur la nomination de Mme McGuiness, même à titre intérimaire, au poste PG­04.

 

[36]           Le recueil de documents qui avait été préparé au nom des demandeurs à l’appui de leurs plaintes renferme des documents sur les faits concernant le poste PG­04, c’est­à­dire le poste d’agent supérieur des contrats, classifié en tant que PG­04. Le numéro du processus de sélection pour ce poste était le 05-CC-DND-HALFX-033098. Selon l’avis de concours public, la date d’échéance pour ce concours était le 30 juin 2004.

 

[37]           Les notes liées au processus, datées du 21 octobre 2005 et rédigées par M. Anton Topilnyckyj, agent des ressources humaines, révèlent que le processus avait été considéré comme non réussi parce qu’il n’y avait eu aucun candidat retenu.

 

[38]           Les notes prises le 2 novembre 2005 dans le cadre d’une réunion des chefs de section de la Division de commandement et de contrôle (les chefs de la DCC) révèlent que des questions générales en matière de ressources humaines avaient été traitées et que, sous le sous­titre [traduction] « Questions générales en matière de RH », on pouvait y lire ce qui suit :

[traduction]

PG 2, 3, 4        - Aucun candidat retenu dans les concours pour doter les postes PG.

- Le programme de développement pour les postes PG sera utilisé afin de doter les postes PG­02 vacants.

Des postulants seront embauchés au niveau PG­01 et suivront un programme de formation d’une durée de 12 à 14 mois.

- D’autres mesures de dotation seront examinées pour les postes PG­03 et PG­04.

 

 

[39]           Il est curieux de constater qu’il y a deux versions des notes prises lors de la réunion des chefs de section de la DCC qui a eu lieu le 2 novembre 2005. Ce deuxième ensemble de notes renfermait l’extrait suivant :

[traduction]

PG 2, 3, 4        - Plus de concours pour le poste PG­02.

- Le programme de formation PG sera plutôt utilisé (les employés en formation seront au niveau PG­01 pendant leur formation).

- D’autres examens seront effectués pour les postes PG­03 et PG­04.

 

[40]           Il existe des notes datées du 25 janvier 2006 portant sur une autre réunion des chefs de section de la DCC. Sous le sous­titre [traduction] « Questions générales en matière de RH », il est mentionné que Mme McGuiness arriverait le 13 février.

 

[41]           Dans des notes qui datent du 8 février 2006 portant sur une réunion des chefs de section de la DCC, on trouve la mention suivante sous le sous­titre [traduction]  « Questions générales en matière de RH » :

[traduction]

Questions générales en matière de RH :

 

[]

Anne McGuiness          - Anne sera ici le 13 février et occupera le poste de PG­03.

                                    - Elle sera affectée au poste PG­04.

 

[42]           En outre, il y a des pages de notes manuscrites qui datent également du 8 février 2006, lesquelles mentionnent une autre réunion des chefs de section. On trouve l’extrait suivant sous le sous­titre [traduction] « Questions en matière de RH » :

 

[traduction]

Mutation de Anne acceptée vers le poste PG­03 vacant – transfert dans le poste PG­04 – (?)

Après trois ans de recherche intensive.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Cette déclaration est attribuée à Mme Lila Zwicker.

 

 

[43]           Le recueil de documents des demandeurs renferme également un document intitulé [traduction] « LOGF Mesure de dotation et demande de paie pour employé occasionnel », daté du 30 janvier 2006. Ce document fait état de la mutation de Mme Anne McGuiness en tant que PG­03, poste no 144139, c’est­à­dire en tant qu’agent supérieur des contrats.

 

[44]           Le verso de ce document, sur lequel on retrouve le même titre, fait état de la nomination de Mme Anne McGuiness au poste intérimaire no 144134 de niveau PG­04. Le document fournit le raisonnement suivant en ce qui concerne sa nomination au poste intérimaire :

[traduction]

Bien qu’il n’y ait eu aucun candidat retenu, cette employée a obtenu la première place lors du concours PG­04, qui a été effectué afin de doter ce poste de façon permanente.

 

[45]           Le document mentionne que le mandat à titre intérimaire se termine le 26 juin 2006.

 

[46]           Le recueil de documents renferme également un formulaire intitulé « Situation intérimaire – Recommandation et approbation », lequel formulaire approuve la nomination de Mme McGuiness, qui occupait le poste 144139 de niveau PG­03, au poste 144134 de groupe et de niveau PG­04; cette nomination était en vigueur pendant la période commençant le 13 février 2006 et se terminant le 31 mai 2006. Ce document est daté du 29 février 2006.

 

[47]           Dans une lettre du 29 mars 2006, on a formellement offert à Mme McGuiness une mutation au poste no 144139 de niveau PG­03; elle devait commencer à occuper le poste le 13 février 2006. Elle a accepté l’offre en signant la lettre le 13 avril 2006.

 

[48]           Il y a un autre formulaire intitulé « Situation intérimaire – Recommandation et Approbation », daté du 23 juin 2006. Il s’agit de la prolongation de la nomination par intérim de Mme McGuines, mais dans ce document le renvoi est fait au poste no 304047 de groupe et de niveau PG­04. La période d’intérim commençait le 1er juin 2006 et se terminait le 30 septembre 2006. Le document est signé par Mme Zwicker et daté du 23 juin 2006. Le 28 juin 2006, Mme McGuiness a confirmé par sa signature qu’elle acceptait le poste à titre intérimaire.

 

[49]           Les documents renferment également un autre formulaire intitulé [traduction] « LOGF Mesure de dotation et demande de paie pour employé occasionnel », lequel mentionnait la prolongation de la nomination à titre intérimaire de Mme McGuines quant au poste no 304047, dont la nomination commençait le 13 février 2006 et se terminait le 30 septembre. Il y est mentionné qu’il s’agissait d’un poste PG­04.

 

[50]           Il y a un autre document qui explique pourquoi il y a dû avoir une prolongation de la nomination au poste par intérim au­delà de quatre mois. Selon ce document, la prolongation était nécessaire entre le 1er juin et le 30 septembre 2006 [traduction] « étant donné que la mesure de dotation avait été retardée au­delà des quatre mois initiaux que devait durer la nomination par intérim ». En outre, ce document révèle que l’on menait alors un concours et qu’il serait terminé en septembre 2006, mais, qu’entre‑temps, le poste devait être pourvu.

 

[51]           Les documents renferment également un formulaire intitulé [traduction] « Avis de nomination intérimaire » qui mentionne la nomination de Mme Anne McGuiness à titre d’agent supérieur des contrats, poste classifié PG­04. La date de l’avis était le 15 août 2006 et l’échéance pour déposer une plainte y était fixée au 20 août 2006. Devant le Tribunal, Mme Zwicker a expliqué qu’il y avait eu une version précédente de ce document, mais que cette version avait été perdue. Par conséquent, la seconde version qui se trouve dans le dossier a été rédigée le 23 juin et signée par M. Topilnyckyj le 15 août.

 

[52]           L’affichage de la version originale de cet avis de nomination intérimaire a mené des demandeurs à déposer leurs plaintes. Dans un courriel du 26 juillet 2006, Mme Gloria Fry, l’une des demandeurs, a mentionné que le [traduction] « poste par intérim initial et les prolongations ultérieures avaient été pourvus au moyen d’un processus de nomination non annoncé sans qu’il y ait eu d’affichage sur le site des Annonces et notifications de dotation de la fonction publique [] ».

 

[53]           Il n’est ni nécessaire ni approprié pour moi de tirer une conclusion quant à savoir s’il y a eu quelque abus de pouvoir que ce soit dans la façon dont le Tribunal a traité les plaintes des demandeurs. Cependant, il convient de noter que l’omission de ne pas tenir compte de l’ensemble de la preuve pertinente peut constituer un abus de pouvoir selon les facteurs susmentionnés traités par M. Jones et de Mme Villars. La question dont je suis saisie est de savoir si la décision du Tribunal respecte la norme applicable, à savoir la raisonnabilité, ce qui, à mon avis, n’est pas le cas.

 

[54]           À mon avis, le Tribunal n’a pas examiné la preuve dont il disposait au regard de l’ensemble de la situation. Le Tribunal a, de façon inappropriée, mis l’accent sur des faits isolés plutôt que de tenir compte de ce qui ressort de la situation globale au moment où Mme McGuiness a obtenu le poste par intérim PG­04, immédiatement après sa mutation au poste PG­03. Il semble que si Mme McGuiness n’avait pas été mutée au poste PG­03, elle n’aurait pas été admissible au poste PG­04. L’élément central de la plainte des demandeurs ne porte pas sur la mutation de Mme McGuiness, mais plutôt sur ce qui s’est passé après.

 

[55]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision du Tribunal sera infirmée et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui­ci procède à une nouvelle audition en tenant compte des présents motifs. Les dépens des demandeurs seront taxés.

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du Tribunal est infirmée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il procède à une nouvelle audition. Les dépens des demandeurs seront taxés.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-457-08

 

INTITULÉ :                                                   THOMAS BROWN, GLORIA FRY, TOBY LYNNE MEADE ET JOY HUBLEY c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 22 JANVIER 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 27 JUILLET 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Steven Welchner

 

 

POUR LES DEMANDEURS

Lesa Brown

 

POUR LES DÉFENDEURS,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Welchner Law Office Professional Corporation

POUR LES DEMANDEURS

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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