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Cour fédérale

 

 

 

Federal Court

 


Date : 20090805

Dossier : T-1848-07

Référence : 2009 CF 799

Ottawa (Ontario), le 5 août 2009

En présence de monsieur le juge Martineau 

 

ENTRE :

JACYNTHE DESCHÊNES

demanderesse

et

 

BANQUE CANADIENNE

IMPÉRIALE DE COMMERCE

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Madame Jacynthe Deschênes (la demanderesse) conteste la légalité d’une décision rendue le 28 juin 2007 par un arbitre désigné en vertu des dispositions de la Partie III du Code canadien du travail, L.R., 1985, ch. L-2 (le Code) et rejetant sa plainte de congédiement injuste ainsi que sa réclamation monétaire en commissions et autres bénéfices, toutes deux portées contre la Banque Canadienne Impériale de Commerce (la Banque ou CIBC).

 

I.          CONTEXTE GÉNÉRAL

[2]               La demanderesse a été à l’emploi de la CIBC de septembre 1989 au 26 janvier 1998. À partir de 1995, elle occupe divers postes, dont celui de spécialiste en placements (le spécialiste). Sa rémunération repose alors sur un nouveau système incitatif selon lequel le montant des commissions versées au spécialiste est en fonction du volume total de ventes qui lui sont attribuables. Nous ne détaillerons ici que les aspects nécessaires à l’analyse des motifs de révision soumis par la demanderesse qui se représente aujourd’hui par elle-même.

 

[3]               En 1997, afin de pouvoir bénéficier de commissions, le spécialiste devait entre autres :

-         Préparer et transmettre des rapports de ventes conformes aux directives prévues aux Sales Reporting &  Measurement;

-         Atteindre 17,5 millions de ventes brutes consistant en de « l'argent neuf  » provenant d'autres institutions financières, dont 11 millions suite à des ventes de produits de la CIBC « non‑marché monétaire » et 6.5 millions suite à des « ventes produites CIBC spécifiques », le tout tel que décrit au Régime de rémunération liée aux résultats; et,

-         Se conformer aux règles de déontologie énoncées au sein des Politiques et procédures de déontologie à l'intention des spécialistes en placements.

 

[4]               Les circonstances ayant formalisé le congédiement de la demanderesse ne sont pas contestées.

 

[5]               Il suffit de préciser qu’en novembre 1997, le rapport de ventes de la demanderesse du mois d’octobre 1997 fait état d’une vente de 1,2 million de dollars (client Samuel W.). Un montant aussi élevé attire immédiatement l’attention de la direction à Toronto qui décide alors de procéder à une révision approfondie des rapports de la demanderesse pour l’année fiscale 1997. D’autres erreurs en faveur de la demanderesse sont découvertes. Plus de 80 transactions sont remises en question.

 

[6]               Soupçonnant que la demanderesse gonfle le montant des ventes rapportées, en novembre et décembre 1997, on prie instamment la demanderesse de fournir des éclaircissements, car son emploi est en danger. Le 26 janvier 1998, insatisfaite des réponses fournies et du comportement de la demanderesse, on décide de congédier la demanderesse et de lui réclamer du même coup le remboursement d’une somme de 24 000 $ brut ou 10 000 $ net qui avait été payée en trop en commission à la demanderesse. Trois jours plus tard, elle fait émettre une traite bancaire de 10 000 $.

 

[7]               Le 20 mars 1998, le service de développement des Ressources Humaines Canada reçoit une plainte de congédiement injuste formulée par la demanderesse contre la Banque en vertu de l'article 240 du Code. Le 3 juillet 1998, la demanderesse dépose une deuxième plainte devant un inspecteur, dans laquelle elle réclame cette fois contre la Banque des commissions impayées, des heures supplémentaires ainsi que la prime de rendement et les certificats d'option d'achat d'actions de la CIBC, auxquelles elle estime avoir droit (la réclamation monétaire de la demanderesse).

 

[8]               Le 17 mars 1999, l’inspecteur émet une ordonnance de paiement à l’encontre de la Banque, laquelle fait appel de cette décision. La plainte de congédiement injuste de la demanderesse ainsi que l’appel de la Banque relativement à la réclamation monétaire sont donc déférées par le Ministre du Travail à l’arbitrage. Leur audition a lieu simultanément devant Me Jacques Bélanger, arbitre.

 

[9]               Le 28 juin 2007, après avoir entendu 30 témoins, dont 26 appelés par la demanderesse, pris connaissance de plus de 350 documents déposés au cours de quelque 90 jours d’audition, ainsi que les plaidoiries écrites des deux parties, l’arbitre rend une décision étoffée de 1673 paragraphes, confirmant la validité du congédiement de la demanderesse et rejetant sa réclamation monétaire (voir Deschênes c. Banque Canadienne Impériale de Commerce, [2007] D.A.T.C. No. 215 (la sentence contestée).

 

II.        QUESTIONS EN LITIGE

[10]           Quant au rejet par l’arbitre de sa plainte de congédiement injuste, la demanderesse soumet deux motifs principaux d’annulation que je formulerais ainsi :

1.                  L’arbitre a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée et abusive en confirmant son congédiement pour cause de rupture du lien de confiance, malgré la preuve au dossier selon laquelle il y avait absence de fraude, et

2.                  L’arbitre a autrement rendu une décision entachée d’une erreur de droit ou déraisonnable en n’appliquant pas le principe de la gradation des sanctions et en ne substituant pas une sanction moindre au congédiement vu que la demanderesse n’avait aucun dossier disciplinaire et qu’elle n’avait fait l’objet d’aucun avertissement avant son congédiement.

 

[11]           Quant à sa réclamation monétaire, les trois motifs suivants de révision sont soulevés par la demanderesse :

1.                  L’arbitre a omis de statuer sur tous les aspects de sa réclamation monétaire;

2.                  L’arbitre a commis une erreur de droit révisable, enfreint un principe d’équité procédurale ou agi de façon déraisonnable en déterminant que la preuve testimoniale n’était pas suffisante et qu’il incombait à la demanderesse de prouver par commencement de preuve par écrit, avec des documents provenant de la Banque, les commissions réclamées; et

(c)        L’arbitre a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée et abusive en rejetant la réclamation pécuniaire de la demanderesse quant aux dossiers où la preuve révèle qu’il y avait eu placement de l’investissement dans un compte temporaire, interprétant ainsi erronément les règles liées à la rétention d’argent et à l’argent neuf.

 

III.       NORME DE CONTRÔLE

[12]           En pratique, l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para.49; [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir) n’a sensiblement pas modifié la norme de contrôle applicable aux décisions rendues par un arbitre nommé en vertu du Code. En effet, les clauses privatives aux articles 243(2) et 251.12(7) du Code en matière de congédiement injustifié et de réclamation monétaire, ainsi que la raison d’être et l’expertise de l’arbitre commandent toujours un degré de déférence très élevé (Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, [2004] 1 R.S.C. 727 au para.48; Bitton c. Banque HSBC Canada, [2006] A.C.F. no 1690 au para. 29). 

 

 

[13]           Somme toute, en ce qui concerne les questions de fait, cette Cour n’interviendra que si la décision de l’arbitre s’avère être basée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire, ou a été rendue sans que l’arbitre tienne compte des éléments de preuve dont il disposait : (alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 (Khosa) au para.46. Rappelons également que selon l’arrêt Dunsmuir, le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à  l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir au para. 47; Khosa au para. 59).

 

IV.       LA PLAINTE DE CONGÉDIEMENT INJUSTE

[14]           Les motifs de révision soumis par la demanderesse reprennent pour l’essentiel son argumentation devant l’arbitre.

 

[15]           Tout en admettant qu’elle ait pu commettre certaines erreurs dans ses rapports de ventes pour l’année 1997, la demanderesse soumet qu’elle n’a pas commis de faute grave, ni fraudé la Banque, qu’aucun client de la Banque n’a été lésé, et qu’elle n’a jamais reçu d’avertissement écrit ou verbal avant son congédiement. La demanderesse fait valoir que ses évaluations antérieures démontrent au contraire son excellent rendement et sa compétence dans le domaine des investissements. Rien n’indique non plus qu’elle se soit placée en situation de conflit d’intérêts. Bref, ni sa probité ni son honnêteté ne sont en cause dans la présente affaire de sorte qu’il s’agit en l’espèce d’un congédiement déguisé.

 

[16]           La demanderesse soutient que la conclusion de l’arbitre selon laquelle la rupture du lien de confiance a justifié en l’espèce le congédiement de la demanderesse est fondée sur une conclusion de fait qui ne tient pas compte de l’ensemble de la preuve ni du motif pour lequel elle a été congédiée le 23 janvier 1998, soit la fraude, ce qui rend la décision contestée déraisonnable. La demanderesse soumet que 50% des erreurs reprochées par la Banque sont non fondées et que les autres erreurs ne sont que des « erreurs administratives ». Celles-ci s’expliquent par où une organisation déficiente du travail et dans un contexte où les directives et systèmes de la Banque n’étaient pas clairs (notamment quant à la question de l’argent neuf versus la rétention d’argent). Ces erreurs sont survenues dans un contexte de nouveauté, d’achalandage intense et de désorganisation des procédures de travail établies par l’employeur.

 

[17]           Subsidiairement, la demanderesse soumet que si une faute a été commise, ce qui est nié par la demanderesse, la sanction applicable doit être une mesure disciplinaire qui soit proportionnelle à la faute ayant pu être prouvée par l’employeur. À ce titre, la demanderesse soutient que la Banque avait des pratiques peu documentées (par exemple, quant au transfert d’argent neuf dans le parking) ou contraires à son contrat de rémunération, l’arbitre ayant lui-même constaté certaines inconsistances à ce chapitre. Il incombait donc la Banque de mettre en place un système de contrôle adéquat permettant d’évaluer les besoins de ses spécialistes et de procéder avec diligence à la vérification des transactions permettant ainsi d’identifier rapidement les problèmes de reporting de ses spécialistes. Ces facteurs militaient en faveur d’un avertissement préalable plutôt qu’un congédiement.

 

[18]           Les moyens de révision soulevés par la demanderesse sont non fondés. À tous égards, la décision contestée m’apparaît raisonnable. Celle-ci s’appuie tout autant sur la preuve que sur le droit applicable.

 

[19]           Il est clair que la découverte d’une fraude par l’employeur affecte le lien de confiance qu’il peut avoir envers son employé et justifie le congédiement immédiat de ce dernier. Toutefois, hormis la fraude, il existe d’autres circonstances, comme la négligence grave, où le lien de confiance peut être irrémédiablement brisé. Chaque cas est un cas d’espèce et il incombe à l’arbitre d’examiner l’ensemble de la situation avant de parvenir à une conclusion. Voir Durand v. Quaker Oats Co. Of Canada (B.C.C.A.), [1990] B.C.J. No. 725; Wilson v. Cornwall Publishing Co., [1997] B.C.J. No. 2189 aux paras. 22-26; Denhamer v. RBC Dominion Securities Inc., [2000] A.J. No. 1116 aux paras 41-44; McKinley c. BC  Tel, [2001] 2 R.C.S. 161 aux paras. 51-57 (McKinley); Christensen v. McDougall, [2001] O.T.C. 697 au para.71; Bracken c. Banque Royale du Canada, [2002] D.A.T.C. no 465  aux paras. 76, 77 et 81; Yeung v. HSBC Bank Canada, [2006] C.L.A.D. No. 175 au para. 147; Plotogea v. Heartland Appliances Inc., [2007] O.J. No. 2717; Groulx c. Centre de Sport Alary inc., [2008] D.C.R.T.Q. no 537 aux paras. 87, 89 et 92.

 

[20]           Il ne faut pas non plus confondre la rupture du lien de confiance avec l’incompétence alléguée d’un employé. Dans le cas d’incompétence, la justification du congédiement d’un employé dont le rendement est jugé insatisfaisant par l’employeur répondra à des critères objectifs n’ayant aucun rapport avec le lien de confiance puisque celui-ci est présumé (voir Re Edith Cavell Private Hospital and Hospital Employees’ Union, Local 180, [1982] B.C.C.A.A.A. No. 495 (Re Edith Cavell Private Hospital; Alberta Union of Provincial Employees v. Lethbridge Community College, [2004] 1 R.S.C. 727 aux paras. 42-45).

 

 

[21]           En ce qui concerne la question de la considération des principes de discipline progressive pour substituer au congédiement une mesure moindre ou pour annuler le congédiement et ne pas ordonner la réintégration, mais seulement le paiement d’une indemnité compensatoire, celle-ci s’impose du fait que l’arbitre qui entend une plainte de congédiement injuste en vertu de la partie III a de vastes pouvoirs de réparateurs en vertu du paragraphe 242(4) du Code. C’est une disposition similaire à d’autres dispositions fédérales ou provinciales en matière d’arbitrage de griefs.

 

[22]           En l’espèce, l’arbitre devait se demander si la demanderesse était effectivement responsable des fautes que lui reproche l’employeur. Ensuite, afin de décider si le congédiement de la demanderesse était justifié, l’arbitre devait se demander si la preuve au dossier permettait de conclure à une rupture définitive du lien de confiance suivant les principes jurisprudentiels applicables en la matière, et si en l’espèce un tel bris de confiance justifiait l’imposition de la sanction ultime soit le congédiement ou si d’autres mesures disciplinaires étaient appropriées dans les circonstances (Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 487; Heustis c. New Brunswick (Electric Power Commission), [1979] 2 R.C.S. 768).

 

[23]           Dans le cas sous étude, l’arbitre s’est déclaré satisfait à la lumière de l’ensemble la preuve au dossier qu’il y a eu une rupture irrémédiable du lien de confiance justifiant le congédiement (sentence contestée, para. 1357), et de ce fait, a rejeté les prétentions de la demanderesse voulant qu’il s’agisse d’un congédiement déguisé et qu’en l’absence de fraude, les erreurs trouvées dans les rapports de ventes n’étaient pas de nature à entraîner la perte du lien de confiance. Il y a bel et bien eu selon la preuve au dossier faute grave de la part de la demanderesse et rupture irrémédiable du lien de confiance.

 

[24]           La conclusion de l’arbitre à l’effet qu’on a mis fin à l’emploi de la demanderesse lorsqu’on a découvert de nombreuses erreurs dans les rapports de vente de la demanderesse pour l’année 1997 s’appuie sur la preuve circonstancielle des événements ayant mené au congédiement. Or, l’arbitre reconnaît qu’il n’y avait en l’espèce aucune intention malhonnête ou preuve de fraude quant au comportement de la demanderesse. Ainsi, « la preuve ne soutient pas le fait que la plaignante ait intentionnellement produit de faux rapports de ventes dans le but de gagner des commissions indues ». N’empêche, l’arbitre conclut que la demanderesse a fait preuve « d’insouciance, d’évitement et de déresponsabilisation », de sorte que la Banque a estimé avec justesse que le lien de confiance avec la demanderesse était irrémédiablement brisé (sentence contestée, paras 1426, 1436 à 1438).

 

[25]           L’arbitre s’appuie à cet égard sur le témoignage de Madame Marshall qui résume bien la position adoptée à cette époque par la Banque, lorsqu’elle indique :

Ou on a affaire à quelqu’un qui intentionnellement produit de faux rapports de ventes dans le but d’avoir des commissions ou on a affaire à une personne très désorganisée et qu’on ne mettrait pas en face de nos meilleurs clients » (sentence contestée, para. 1436).

 

 

[26]           Je n’au aucun doute en l’espèce que l’arbitre a considéré l’ensemble des témoignages des deux parties relativement aux circonstances particulières et aux motifs réels du congédiement. À ce chapitre, la conclusion de l’arbitre à l’effet que le congédiement était justifié dans les circonstances s’appuie sur une analyse approfondie de la preuve soumise de part et d’autre. L’arbitre conclut, qu’effectivement, le lien de confiance envers la demanderesse a été irrémédiablement brisé parce que celle-ci a soumis sur une période d’un an plusieurs rapports de ventes qu’elle n’était pas en mesure de justifier et qui, pour la plupart se sont révélés, erronés, non fondés et exagérés ou soumis en dehors des délais prévus aux règles régissant les spécialistes en placements. Force est de constater que l’étendue de l’analyse de l’arbitre ne révèle sur ce point crucial aucune conclusion déraisonnable. La démarche de l’arbitre est minutieuse et exhaustive et s’articule selon une méthodologie en trois temps (sentence contestée, au para. 1393).

 

[27]           Dans un premier temps, l’arbitre identifie le corps réglementaire et déontologique auquel était soumis la demanderesse à titre de spécialiste en placements, plus particulièrement les règles applicables au titre de la Politique et procédures de déontologie, du Régime de rémunération liée aux résultats et du Sales Reporting & Management établissant les règles à suivre au niveau des rapports de ventes (sentence contestée, aux paras 1393-1403). 

 

[28]           Dans un deuxième temps, l’arbitre répertorie les rapports de ventes de l’année fiscale 1997 selon les erreurs reprochées à la demanderesse, soit : le rapport de vente a été fait avant l’investissement;  ventes rapportées « new money » alors qu'il ne s'agit pas d'argents nouveaux mais de rétention; vente rapportée inexistante ou non retrouvée; le montant sur le rapport de vente dépasse celui de la vente retrouvée; a vendu un produit non admissible pour les spécialistes en placements; a vendu un produit différent de celui qui est rapporté; a produit deux rapports de ventes pour une même vente; a fait une erreur de numéro de compte, une erreur de classe ou de code; Gilbert Aura n'a pas été avisé d'une vente au-dessus de 500 000 $; utilisation d'une méthode de rebalancement qui va à l'encontre des règles puisqu'on ne peut réclamer comme vente le solde d'un état de compte moins les ventes déjà rapportées (sentence contestée, au para. 1406).

 

[29]           Enfin, l’arbitre tient compte des motifs invoqués par la demanderesse lorsqu’elle a été initialement questionnée sur ses erreurs. Il révise les tâches et responsabilités imposées à la demanderesse et sa façon d’y faire face en 1997 en comparaison avec la pratique d’un autre spécialiste en placements, M. Di Nardo, dont le travail était hautement estimé tant par la demanderesse que par la défenderesse. Il note sur ce point que le travail de spécialiste en placements impliquait une pression hors du commun (sentence contestée, au para. 1413). Ce qui ne lui apparaît pas comme une justification suffisante quant au désir de la demanderesse de maximiser le nombre de ses ventes, parfois au détriment de la rédaction de ses rapports de ventes : « Il en a résulté non seulement le fait que cette partie du travail de la plaignante était bâclée mais certaines méthodes que la plaignante a développées pour faire face à son manque de temps restent questionnables » (sentence contestée, au para. 1417). À ce titre il fait aussi état qu’à l'encontre des règles établies, la demanderesse produisait parfois un second rapport de ventes pour une même vente : « Cette façon de faire lui garantissait sûrement d'être payée une fois sinon deux, ce qui dénote d'une insouciance certaine par rapport au fait qu'elle pouvait mêler les réviseurs de Toronto ou les induire en erreur » (sentence contestée, au para. 1418).

 

[30]           À tout ceci, s’ajoute la révision annuelle que la demanderesse faisait de ses ventes en fin d'année fiscale :

[1419] […] Ce seul geste n'est certainement pas reprochable en soi. Par contre, le fait de réclamer une vente sur le solde des états de comptes en soustrayant du total des états de comptes d'un client concerné toutes les ventes déjà rapportées, démontre la grande désorganisation que la plaignante a pu avoir tout au cours de l'année. L'ensemble de la preuve nous démontre dans une grande probabilité, que la cause des agissements de la plaignante n'est pas le fait que les réviseurs de Toronto oubliaient d'enregistrer des ventes rapportées. C'est plutôt la plaignante qui oubliait de rapporter certaines ventes ou qui faisait de nombreuses erreurs dans ses rapports de ventes. Nous constatons qu'elle croyait pouvoir se reprendre en fin d'année sans même en demander la permission à son directeur.

 

[1420] En fin d'année 1997, ce n'est pas le simple fait de corriger les erreurs et les oublis de l'année qui la motive à faire cette révision annuelle mais l'ambition et la certitude qu'elle démontre à vouloir profiter de la prime et du prix d'excellence. Ses chiffres de ventes sont très près des objectifs à atteindre, elle doit par contre rapporter ses ventes possiblement oubliées durant l'année pour y arriver.

 

 

 

[31]           À ces failles, s’ajoute celles quant à la vente d'obligations du Canada pour 1,2 millions concernant le client Samuel W. indiqué au rapport de ventes de la demanderesse d’octobre 1997, laquelle a éveillé les soupçons des réviseurs en novembre 1997 et donné lieu à la révision de l’ensemble des rapports de vente de la demanderesse pour l’année 1997. L’arbitre a lui-même reconnu que la demanderesse avait à ce titre été induite en erreur par un document provenant d’une filiale de la défenderesse, Pro-Investisseurs, qui ne rapportait pas les bons chiffres et que l'ensemble de la preuve ne suggère pas que la demanderesse ait eu une intention malhonnête lorsqu'elle a fait ce rapport de ventes (sentence contestée, au para. 1423).

 

[32]           Nonobstant l’explication fournie à cet égard, l’arbitre souligne qu’une erreur de cette ampleur, bien qu’appuyée sur des données erronées, aurait dû être notée par la demanderesse:

[1421]  […] Il ressort de la preuve aussi le fait qu'il n'y a eu aucune vente pour ce client en 1997, ses argents ayant été transférés chez Wood Gundy durant l'été 1997. Il ressort aussi de la preuve le fait que la plaignante connaissait très bien ce client, qu'elle l'avait elle-même amené à transférer ses argents à la CIBC en 1996. Elle l'a rencontré plusieurs fois, souvent chez lui avec GRACE LUTFY, agente chez Wood Gundy. Comment la plaignante a-t-elle pu faire une erreur semblable pour un montant substantiel concernant un client qu'elle connaissait si bien?

 

[1422] Tous les témoins se sont entendus sur le fait que lorsqu'un spécialiste en placements fait une pareille vente de 1 million, il s'agit d'un événement extraordinaire qui ne passe pas inaperçu. Les règles mises en place exigent d'ailleurs que le directeur soit mis au courant d'une telle vente lorsqu'elle a cours. La plaignante n'a pas avisé GILBERT AURA de cette prétendue vente de 1,2 millions qu'elle a classé code 50. Ce rapport d'une vente qui n'a jamais eu lieu venant d'une employée qui a été évaluée parmi les meilleurs spécialistes en placements de la CIBC est inquiétant pour l'employeur lorsqu'il se rend compte de la situation en novembre 1997.

 

[1423] […]Elle savait que ces rapports étaient révisés à Toronto et elle croyait que le pire qu'il puisse arriver est qu'on lui refuserait cette vente. Mais cela démontre encore la grande insouciance que la plaignante illustrait par rapport à ses rapports de ventes et le peu d'application qu'elle démontrait concernant cette partie importante de son travail.

 

[1424] Cela illustre aussi l'attitude constante que la plaignante démontre à l'effet de se déresponsabiliser devant les faits accomplis. Malgré son erreur constatée d'une fausse vente dans un mauvais produit, cela demeure pour elle la faute de Pro-Investisseur, qui lui a fourni un rapport avec de faux chiffres. Elle va jusqu'à prétendre à un complot contre elle dans le but de la congédier à cause de son hypothèque impayée, thèse qui n'est pas appuyée par la preuve. C'est aussi la faute ultime des réviseurs de Toronto qui sont mal organisés et qui oublient d'enregistrer certaines ventes. On fait trop de pression sur elle, son adjointe est mal formée à cause de son manque de temps, les directeurs de comptes l'informent mal, etc.

 

[33]           Enfin, l’arbitre note « l’attitude d’évitement et de déresponsabilisation » que la demanderesse a démontré avant d’être congédiée le 26 janvier 1988, et l’arbitre de poser ainsi la question : « Mais cela justifiait-il une décision aussi grave de la CIBC à l’égard d’une de ses meilleures vendeuses? ».

 

[34]           À la lumière de la jurisprudence l’arbitre confirme le congédiement pour cause de rupture irrémédiable du lien de confiance, même en l’absence d’une progression des sanctions (sentence contestée, aux paras 1427-1438).

 

[35]           Ce résumé sommaire de la démarche entreprise par l’arbitre nous révèle l’envergure de son analyse et la considération attentive qu’il porte à la preuve soumise de part et d’autre. Par conséquent, la conclusion de l’arbitre selon laquelle il y a eu, avec justesse, rupture du lien de confiance est amplement motivée et ne peut en aucun cas être jugée déraisonnable et ce, même si cette Cour pourrait parvenir à une conclusion différente selon la preuve rapportée par l’arbitre. Bref, il suffit que l’appréciation des faits par l’arbitre s’appuie rationnellement sur la preuve soumise. En l’espèce et l’examen complet et motivé qu’il en fait dans la sentence contestée ne convainc que l’arbitre n’a commis aucune erreur révisable.

 

[36]           Ce qui nous amène au deuxième motif de révision soumis par la demanderesse, soit l’interprétation erronée par l’arbitre des principes jurisprudentiels applicables dans le domaine bancaire permettant de confirmer un congédiement pour cause de rupture du lien de confiance en l’absence d’une progression des sanctions. Sur ce point, l’arbitre cite avec justesse les décisions Banque de Montréal (Saint-Hubert) c. Saint-Michel, 1999 D.A.T.C. no 480;  Forget c. Banque Laurentienne du Canada, [2001] D.A.T.C. no 39 et Banque Nationale du Canada c. Diane Lepire, 2004 CF 1555 (BNC c. Lepire), citée dans la sentence contestée soulignant toutes l’importance du lien de confiance et la gravité d’un manquement aux règles de conduite concernant une personne œuvrant dans une institution financière.

 

[37]           Il n’y a pas lieu d’intervenir sur ce point, la conclusion de l’arbitre me semble encore une fois raisonnable compte tenu de l’état du droit sur cette question. Il importe de souligner les paragraphes 1126 et 1127 de la décision contestée où l’arbitre reprend la preuve quant à « l’existence d’un système d’honneur où l’on exigeait un grand lien de confiance entre le spécialiste en placements, les directeurs de comptes et l’équipe de Toronto », et donc « la nécessité pour le spécialiste en placements de démontrer une grande intégrité ».

 

 

[38]           Au passage, je note que dans la décision BNC c. Lepire, à laquelle l’arbitre se réfère, le juge Blais indique, au paragraphe 26 de la décision que la rupture du lien de confiance résulte, dans la plupart des cas, de l'attitude, des faits et gestes, des réticences, du manque de franchise et du comportement de l'employé (sentence contestée, au para. 1432). Comme on peut le constater, cette jurisprudence appuie la conclusion de l’arbitre selon laquelle en l’espèce l’attitude d'insouciance, de négligence et de déni de responsabilité de la demanderesse a justifié le manque de confiance en la demanderesse, qui a résulté de cette enquête menée en décembre 1997 et janvier 1998.

 

[39]           Les faits en l’espèce peuvent également être distingués de ceux étudiés dans la décision Sauvé c. Banque Laurentienne du Canada, J.E. 99-256 (Sauvé) citée par la demanderesse, où la preuve avait démontré que la Banque avait antérieurement toléré une pratique dérogatoire, contraire au Code de déontologie de la Banque, soit le fait pour un directeur de succursale de s’être avancé à même un compte administratif. Le congédiement a été jugé abusif, la preuve non contredite ayant établie que cette pratique de l’appelant avait antérieurement été tolérée par la Banque (Sauvé au para. 17), ce qui n’est pas le cas en l’espèce, selon la preuve dont fait état l’arbitre dans la sentence contestée. Rappelons simplement que l’arbitre a conclu ici que la technique de « rebalancement »  n’était pas reconnue ni acceptée par la Banque. En l’espèce, on parle d’une période de  5 mois durant lesquels les rapports de vente n’avaient pas fait encore            l’objet d’une vérification. Or, tel que le rappelle l’arbitre dans la sentence contestée, au paragraphe 1126 : « Ainsi au niveau de la rémunération, on payait d’abord les spécialistes et ensuite on vérifiait sporadiquement les rapports de ventes.

 

[40]           Il ne s’agit pas non plus de reprendre l’analyse de toutes et chacune des erreurs reprochées à la demanderesse, et d’évaluer à nouveau si une sanction proportionnelle à la gravité de l’acte reproché aurait dû être imposée. En somme, bien plus que la quantité d’erreurs, c’est leur gravité, répétée sur une longue période de temps et sans justification possible, qui a mené la défenderesse à conclure à la rupture du lien de confiance, malgré tout le succès dont jouissait la demanderesse. Par conséquent, il n’y a pas lieu pour cette Cour d’intervenir.

 

V.        LA RÉCLAMATION MONÉTAIRE DE LA DEMANDERESSE

[41]           En ce qui a trait à la réclamation monétaire de la demanderesse, l’arbitre devait se demander si la preuve au dossier permettrait de conclure que la demanderesse avait droit aux commissions et aux autres bénéfices réclamés suivant les règles administratives de la Banque applicables à l’époque.

 

[42]           L’arbitre a statué sur l’appel par la défenderesse, en vertu de l’article 251.11 du Code, de l’ordonnance de paiement émise à l’encontre de celle-ci suite à la réclamation de la demanderesse pour  commissions impayées, heures supplémentaires, prime de rendement et  certificats d'option d'achat d'actions de la défenderesse.

 

[43]           Au para. 1156 de la sentence contestée l’arbitre indique :

Malgré une absence de preuve provenant de la plaignante au dossier, l'inspecteur rendait un jugement non fondé en faits et en droit accordant sans discernement le plein montant de 46,617,37$ soit un boni de 14,000.00$, des commissions majorées à 25,230.19$, les commissions pour les cas de Dat H. et Lo. et cie de 3,198.00$ et des commissions pour novembre, décembre et janvier pour 4,189,19$. Selon l'employeur, cette décision représente un cadeau gratuit pour la plaignante, qui se disait non satisfaite des détails fournis par l'employeur. L'employeur a écrit à l'honorable CLAUDETTE BRADSHAW le 22 mars 1999, soulignant ce qu'il considère être un excès de juridiction de l'inspecteur. L'employeur en a appelé de cette décision en date du 1er avril 1999.

 

[44]           La demanderesse soutient que l’arbitre a omis de statuer sur 16 dossiers. À ce titre, la demanderesse nous réfère au relevé CORE Products Audit Fiscal 1997, produit devant l’arbitre sous la cote E-39, lequel concerne les placements éligibles à l'obtention par le spécialiste en placements des bonis et d'une prime sur les commissions, s'il atteint une somme de 6,5 millions de ces placements. Cette pièce a été spécifiquement préparée pour l’audience devant l’arbitre par le témoin Élizabeth Marshall. L’arbitre en a tenu compte et y a référé abondamment selon les représentations des parties mais a procédé à sa propre analyse de chacun des dossiers qu’il a revu un à un (sentence contestée, au para. 1495). La sentence contestée fait état de l’ensemble des dossiers prétendument omis et il n’y a donc pas lieu d’intervenir sur ce point. En effet, l’arbitre a sans contesté tenu compte de l’ensemble de la preuve documentaire soumise.

 

[45]           Quant à la liste des ventes de produits CORE admissibles en 1997, soit les produits dont le total de vente de 6,5 millions donne ouverture à la prime, la demanderesse soutient que l’arbitre a erré en utilisant le montant de 4 410 514 $ au titre de la somme totale de ventes concernant les produits CORE rapportée par la demanderesse et acceptée par la défenderesse pour l’année fiscale 1997 plutôt que le montant de 4 302 594,29 $ indiqué à la pièce E-39 :

[1666] La pièce P-13 nous rapporte un total de produits "CORE" de 4,410,514.00$ pour octobre 1997 auquel nous ajoutons 1,194,570.00$ pour un total de produits "CORE" pour l'année 1997 de 5,605,084.00$ (ce total ne rapporte pas les ajustements subséquents). La plaignante n'ayant pas atteint le 6.5 millions de ventes exigé, elle n'a pas droit à la prime et à la majoration du taux pour les commissions touchées pour ses ventes au-dessus de 11 millions.

[NTD : L’arbitre réfère ici à la pièce P-13, il s’agit d’une erreur il faisait plutôt référence à la pièce E-13 « Earning Statement – October 1997]

 

 

[46]           De même, la pièce E-39 ayant été préparée pour l’audience devant l’arbitre, il n’était pas lié par les chiffres indiqués à ce document. L’arbitre a tenu compte de cette pièce tout comme il a révisé l’ensemble de la preuve documentaire soumise et procédé à sa propre analyse des transactions à réviser.

 

[47]           Bref, après avoir évalué chacun des dossiers sur la base desquels la réclamation monétaire de la demanderesse était fondée, l’arbitre a conclu au rejet de la réclamation, soit en raison du manque de preuve pour supporter la réclamation ou parce que la transaction ne constituait pas une vente éligible à la commission ou encore parce qu’il fut indiqué que la demanderesse avait déjà bénéficié de la commission réclamée. 

 

[48]           L’arbitre a rejeté les réclamations pour lesquelles la demanderesse ne pouvait fournir une preuve documentaire confirmant que la vente pour laquelle une commission était réclamée avait été effectuée et donnait droit à cette commission. Ces pré-requis sont ceux établis par les termes même du Régime de rémunération liée aux résultats et du Sales Reporting & Measurement, selon lesquels le spécialiste en placements doit produire un rapport de vente afin de bénéficier de la commission associée à la vente effectuée (sentence contestée, aux paras 1401-1402, 1460, 1462). La demanderesse soutient aujourd’hui que l’arbitre aurait enfreint une règle d’équité procédurale en exigeant de sa part une preuve documentaire de ces réclamations qu’elle n’était pas en mesure de fournir, les documents étant en possession de la défenderesse.

 

[49]           Un arbitre nommé en vertu du Code est maître de sa preuve et de sa procédure, il peut s’inspirer des règles de droit civil mais il n’est pas tenu au même formalisme qu’un juge d’un tribunal judiciaire (Cogeco Radio-Télévision inc. c. Croteau, [2000] D.A.T.C. no 366). À cet égard, l’alinéa 242 (2) b) du Code du travail prévoit :

(2) Pour l’examen du cas dont il est saisi, l’arbitre :

 

[…]

 

b) fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d’une part, et de tenir compte de l’information contenue dans le dossier, d’autre part;

 

 

[50]           En l’espèce l’arbitre a exigé de la demanderesse un commencement de preuve par écrit afin d’admettre la preuve testimoniale visant à prouver la justesse des réclamations :

[1488] Je dois préciser au départ que concernant cette plainte monétaire, la plaignante a fardeau de prouver que des commissions lui sont dues. La preuve testimoniale n'est pas suffisante pour prouver ses ventes, elle doit déposer des documents provenant de la CIBC qui pourraient constituer un commencement de preuve par écrit.

 

 

[51]           Ce faisant, l’arbitre s’est inspiré des règles de preuve en matière civile relatives à la preuve d’un acte juridique (article 2862 du Code civil du Québec, L.Q., 1991, c. 64). Faute de preuve suffisante, l’arbitre a par conséquent rejeté les réclamations de la demanderesse. L’arbitre a également refusé de donner suite aux accusations selon lesquelles la défenderesse refusait sciemment de donner à la demanderesse accès aux documents pertinents et l’empêchait ainsi de constituer sa preuve.

 

[52]           Nul besoin pour nous de réviser aujourd’hui les conclusions de l’arbitre à ce titre et tirées de la preuve soumise. Je suis d’avis que l’arbitre pouvait raisonnablement exiger un commencement de preuve par écrit prouvant les réclamations faites, particulièrement dans les circonstances où la justesse de ces réclamations devaient être révisées à la lumière des nombreuses erreurs attribuées à la demanderesse au sein de ses rapports de vente. De plus, l’arbitre n’a enfreint aucune règle d’équité procédurale. Étant maître de la procédure et de la preuve soumise, il lui était loisible d’exiger un certain formalisme et de tirer les conclusions résultant de l’absence de preuve.

 

[53]           La demanderesse soutient également que l’arbitre a erronément interprété les règles et délais relatifs à l’argent neuf et à l’argent provenant de rétention, la directive quant à l’argent placé dans un parking place (i.e. la pratique selon laquelle le spécialiste utilise un compte temporaire communément appelé « parking place » où il dépose l’argent en attendant de l’investir à long terme), ainsi que les règles à suivre au niveau des rapports de ventes pour déterminer s’il s’agit d’argent neuf ou de rétention d’argent. Ce faisant, l’arbitre accorderait à la défenderesse le droit de modifier unilatéralement, par le biais d’une directive, le contrat de rémunération liant les parties. La demanderesse soumet que l’arbitre, au surplus, a reconnu que les directives et systèmes n’étaient pas clairs quant à cette question. Ainsi, selon l’interprétation que suggère la demanderesse, il n’y a aucune limite de temps imposée au spécialiste quant aux sommes déposées dans un  compte temporaire dit parking place.  La seule contrainte de temps à ce titre est celle imposée pour rapporter la vente. Ainsi, le spécialiste disposait de deux mois pour rapporter le placement final mais il n’y aurait pas de délai imposé pour l’argent placé dans le compte temporaire.

 

[54]           Encore une fois, l’analyse de l’arbitre à ce titre m’apparaît raisonnable. Quant à la  distinction entre la source des fonds vendus, soit la rétention versus l’argent neuf, l’arbitre reprend précisément les termes du Régime de rémunération liée aux résultats (pièce E-2A p. 3) (sentence contestée, au para.1463). Quant à la distinction entre les situations de rétention et de « parking place », soit la règle non écrite selon laquelle l’argent placé plus de deux ou trois mois dans un compte temporaire devient un placement permanent, le transfert subséquent étant qualifié de rétention et ne donnant donc plus droit à la commission, l’arbitre réfère à la preuve testimoniale laquelle confirme les paramètres de cette règle, malgré les prétentions de la demanderesse (sentence contestée, aux paras 1466-1473). Enfin l’arbitre fait état également état de la mise au point du 7 juillet 1997, selon laquelle le rapport de vente ne doit être fait que subséquemment à l’investissement final, visant à clarifier la situation des placements temporaires éligibles à conversion. L’arbitre constate les difficultés liées à la mise en pratique de ces règles et note « l’attitude ouverte » de la défenderesse quant aux délais imposés aux spécialistes, il conclut :

 

[1485] Ainsi, je ne vois pas pourquoi on refuserait une demande raisonnable d'extension des délais faite par la plaignante concernant certaines ventes lorsque la preuve démontre que son retard n'est pas dû à sa négligence. C'est avec ce même esprit d'ouverture dont elle a bénéficié lorsqu'elle était à l'emploi de la CIBC que je vais considérer sa réclamation. 

 

 

[55]           Au même titre, la demanderesse soumet que l’analyse de l’arbitre visant à déterminer les ventes de la demanderesse considérées comme de l’argent neuf et donc éligibles à la commission a été faussée par le manque de preuve permettant d’établir la provenance de l’argent.  Dès lors, l’arbitre aurait erronément qualifié de rétention certaines ventes pour lesquelles l’argent a été placé pendant plusieurs mois mais pour lesquelles un investissement final a par la suite eu lieu sans pouvoir justifier la durée du placement temporaire. À ce titre, il n’incombait pas  à l’arbitre d’établir la justesse de la méthodologie imposée par la défenderesse selon laquelle seul l’investissement final devait faire l’objet d’un rapport de vente. En raison de la nécessité du spécialiste d’obtenir l’autorisation ou de justifier la durée d’un placement temporaire, il était raisonnable pour l’arbitre d’exiger une preuve de ces actes afin d’analyser les ventes en question. Au surplus, la directive de juillet 1997 n’est pas contradictoire à la méthodologie prévue au Sales Reporting and Measurement  lequel précise : the monthly sales reporting process […] begins with the completion of the sales. […] A sales transaction is considered to be complete when the new or converted funds are invested in the instrument that is going to be claimed as the sale.

 

[56]           Pour l’ensemble des motifs exposés plus haut, il n’y pas lieu pour cette Cour d’intervenir, la sentence contestée étant à tous égards raisonnable dans les circonstances. 

 

[57]           À l’audience, la demanderesse a également mis en doute la neutralité de l’arbitre. Cette accusation très grave n’est pas alléguée ni développée dans les procédures antérieures. Essentiellement, la demanderesse reproche les commentaires désobligeants formulés à son endroit par l’arbitre dans la décision contestée, comme le fait qu’elle était dans "la chaleur de son foyer", la "demanderesse et ses excuses" et son "attitude rocambolesque" autour de son congédiement. Ceci étant dit, une allégation de partialité est très sérieuse d’un côté comme de l’autre et on ne doit pas la traiter à la légère. La question est de savoir si cela crée objectivement chez une personne bien informée une apparence raisonnable de partialité. Ici je ne crois pas que ce soit le cas si l’on considère l’ensemble de la décision qui fait quelque 500 pages. Peut-être y a-t-il eu certains commentaires malheureux mais ceci est non suffisant en l’espèce pour susciter une crainte raisonnable de partialité.

 

[58]           La demande de révision judiciaire doit donc être rejetée avec dépens.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens.

 

 

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                          T-1848-07

 

INTITULÉ :                                         JACYNTHE DESCHÊNES

c.

BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE

DE COMMERCE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                  MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 LE 8 JUIN 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                               LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                        LE 5 AOÛT 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jacynthe Deschênes

(pour son propre compte)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Jacques Rousse

(514) 397-4445

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sans objet

POUR LE DEMANDEUR

 

McCarthy Tétrault

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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