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Date : 20090731

Dossier : IMM-5507-08

Référence : 2009 CF 770

Montréal (Québec), le 31 juillet 2009

En présence de l'honorable Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

MURIELLE LOZANDIER

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               La demanderesse sollicite en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), le contrôle judiciaire de la décision rendue le 19 novembre 2008 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SPR) refusant de lui reconnaître la qualité de « réfugiée », ou celle de « personne à protéger »  au sens des articles 96 et 97 de la LIPR, et en conséquence rejetant sa demande d’asile, et ce, parce qu’elle n’était fondée sur aucun des motifs reconnus par la Convention et que la crainte de la demanderesse n’était pas fondée sur le sexe mais relevait d’un risque généralisé en Haïti.

 

II.        Faits

 

[2]               Citoyenne d’Haïti, la demanderesse aurait en juillet 2001, confectionné un vêtement pour  une cliente. Après avoir réclamé son dû plusieurs fois, la demanderesse se serait rendue au domicile de sa cliente, en septembre 2001, afin de renouveler sa réclamation, mais celle-ci l’aurait été menacée en lui disant : « Si c’est comme çà […], je vais t’envoyer quelqu’un pour te payer ».  Le soir même, la demanderesse était attaquée chez elle, par deux individus, dont l’un était le mari de sa cliente.

 

[3]               Suite à cette agression, craignant la situation d’insécurité générale en Haïti, et la criminalité qui y règne, la demanderesse quittait, en octobre 2001, pour les États-Unis, où elle déposait une demande d’asile finalement  rejetée en appel, en juin 2005.

 

[4]               La demanderesse est entrée au Canada le 9 août 2007, pour revendiquer le même jour le statut de réfugiée, en alléguant craindre ceux qui l’ont persécutée par le passé.

 

III.       Décision attaquée

 

[5]               La SPR rejette dans  sa décision les allégations de la demanderesse:

[8]    [s]elon lesquelles [elle] craint d’être persécutée, en vertu de l’article 96 de la LIPR, à cause de son appartenance au groupe social des femmes, la demande[resse] ayant été dans le passé « attaquée et violée ».

 

[6]               Et elle souligne que :

[9]    […] bien qu’à plusieurs reprises, le groupe social des femmes ait été reconnu par notre jurisprudence, le tribunal ne peut convenir qu’en l’espèce, la crainte de persécution de la demande[resse] est basée sur le sexe de cette dernière. L’origine première de la source de la crainte se trouve, non pas, dans le fait que la demande[resse] soit une femme mais bien plutôt dans la situation d’insécurité qui règne en Haïti et qui repose sur une criminalité endémique sur tout le territoire.

 

[10]    Cette conclusion du tribunal est basée sur toute la preuve documentaire au dossier qui démontre qu’en Haïti, faire l’objet de délits criminels n’est pas de l’apanage exclusif des femmes. En effet, ces dernières autant que les hommes et les enfants sont susceptibles d’être les victimes de gangs de criminels en Haïti. C’est dire que dans ce pays, où la criminalité prend plusieurs formes, tous les gens qui y vivent, les citoyens autant que les étrangers, sont susceptibles d’être des victimes potentielles. Indépendamment du sexe ou des origines de leurs victimes, les criminels volent, kidnappent, tuent, trafiquent tout ce qui pourrait leur permettre de s’enrichir. Le seul but recherché : faire de l’argent.

[Référence omise.]

 

[7]               La SPR conclut que « la source initiale de la crainte » de la demanderesse est la criminalité qui sévit en Haïti et le fait qu’elle ait été attaquée par des criminels par le passé et, par conséquent :

[27] … comme il n’existe pas, en l’espèce, de preuve au dossier démontrant que la demande[resse] pourrait faire face personnellement à un risque de menace à sa vie à cause de circonstances particulières autres que celle qu’elle pourrait être plus facilement identifiable comme membre de la diaspora, [la SPR] conclut que le risque allégué par la demande[resse] d’être victime de criminalité est un risque aléatoire auquel font face indistinctement toutes les personnes vivant au pays. Il ne vise pas la demande[resse] de façon particulière, de même qu’il ne se limite pas seulement aux gens qui, comme la demande[resse], retournent vivre en Haïti après un séjour à l’étranger. Il s’agit donc de l’exception prévue au sous-alinéa 97(1)(b)(ii) de la LIPR. La demande[resse] n’est pas une personne à protéger. »

 

IV.       Question en litige

 

[8]               En l’espèce, la Cour est appelée à répondre uniquement à la question suivante : 

 

La SPR a-t-elle commis une erreur déraisonnable en concluant que la demanderesse n’était pas une « personne à protéger » au sens de la LIPR?

 

V.        Analyse

 

A. Norme de contrôle judiciaire

 

[9]               La question en litige porte sur l’interprétation de la LIPR et son application aux faits. Il s’agit donc d’une question mixte de fait et de droit; la norme de contrôle applicable est donc celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9). La retenue judiciaire est de mise.

 

B. Groupe social au sens de la Convention

 

[10]           Dans son mémoire, la demanderesse soutient qu’en Haïti « la situation d’insécurité crimin[elle] qui est soi-disant à l’origine du viol [qu’elle a] subi […], n’anéantit […] pas le viol en lui-même comme crainte de persécution ». Et soutient « que cet élément de preuve non contredit a été mal évalué », puisque la SPR « aurait dû considérer [...] que la demanderesse faisait partie du groupe social des femmes haïtiennes […] violées ».

 

[11]            Selon elle, le fait pour la SPR de rattacher sa crainte à la situation de criminalité générale prévalant en Haïti constitue une erreur qui justifie l’intervention de cette Cour. Cependant, puisque la demanderesse a elle-même allégué, à l’appui de sa demande d’asile, craindre la criminalité et les personnes qui l’auraient attaquée pour qu’elle ne leur réclame pas ce qui lui était dû, c’est une  démarche que pouvait légitimement suivre la SPR, même si elle est défavorable à la demanderesse. C’est à la SPR qu’il revenait de rechercher si la demande de protection de la demanderesse pouvait être rattachée d’une manière ou d’une autre à la définition du réfugié consacrée par la Convention; ce n’est pas le rôle de la Cour de se livrer à cette recherche, comme l’invite à le faire la demanderesse.

 

[12]           La SPR a bien analysé et compris les allégations de la demanderesse sur cet aspect de sa demande même si, en l’espèce, elle n’a pas pu conclure que la crainte de persécution de la demanderesse résultait de son sexe. L’origine première de la crainte alléguée par la demanderesse se trouve non pas dans le fait qu’elle est une femme mais bien plutôt dans la situation d’insécurité qui règne en Haïti : la criminalité est endémique sur tout le territoire.

 

[13]           En Haïti, faire l’objet d’agissements criminels n’est pas l’apanage des femmes. Au contraire, dans ce pays où la criminalité est endémique, les femmes autant que les hommes sont susceptibles d’être victimes de la criminalité.

 

[14]           Les craintes de violence de la demanderesse résultent de l’activité criminelle généralisée ayant cours en Haïti : il n’y a pas de ciblage discriminatoire des femmes en particulier. Tout cela n’a aucun lien avec la définition du réfugié qui se trouve dans la Convention. Il faut distinguer le risque auquel est exposée la population d’un pays en général et le risque que court un particulier en raison d’une situation qui lui est propre.

[15]           La jurisprudence est bien fixée : les victimes de criminalité ne constituent pas un groupe social au sens de la Convention (voir l’arrêt Rizkallah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 156 N.R. 1 (C.A.F.)). 

 

[16]           La demanderesse allègue que la SPR a commis une erreur en concluant que sa crainte ne découlait pas de son statut de femme puisqu’elle avait été violée. La demanderesse toutefois a clairement dit craindre les individus qui l’ont attaquée, non pas parce qu’elle était une femme, mais bien en représailles parce qu’elle avait réclamé l’argent dû pour ses services de couturière.

 

[17]           La question de l’existence d’un lien entre la persécution alléguée et l’un des motifs de la Convention est principalement une question de fait qui relève donc de l’expertise de la SPR (Rizkallah, précité; Pour-Shariati c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1997), 215 N.R. 174 (C.A.F.)). La SPR pouvait en conséquence conclure que la crainte de la demanderesse ne découlait  pas de son sexe mais de ce qu’elle avait été victime de criminalité, et elle pouvait donc rejeter sa demande en vertu de l’article 96 de la LIPR.

 

C. Crainte selon l’article 97 de la LIPR

 

[18]           La SPR a conclu qu’il était improbable que les individus qui ont attaqué la demanderesse la menaceraient encore. La SPR pouvait raisonnablement tirer une telle conclusion puisque plus de 8 années s’étaient écoulées depuis les évènements rapportés, sans compter qu’aucun des proches de la demanderesse n’aurait été importuné depuis.

 

[19]           D’ailleurs, la demanderesse n’a pas contesté cette conclusion comme telle. Elle a même affirmé ne pas savoir où se trouvent ses assaillants, ni ce qui se passerait si elle les revoyait. La demanderesse devait démontrer une crainte personnelle, et non se contenter d’alléguer une crainte résultant de la situation générale en Haïti (Ahmad c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 995 (C.F.) (QL); Rahim c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 18).  

 

D. Situation générale en Haïti

 

[20]           La demanderesse a indiqué craindre la situation générale en Haïti, parce qu’elle prétend faire partie de la diaspora haïtienne et serait perçue comme plus fortunée que la majorité des Haïtiens. Or, la preuve documentaire indépendante consultée par la SPR indique bien que la diaspora ne constitue pas un groupe plus à risque que les autres. Non seulement la demanderesse ne conteste pas cette conclusion, mais la SPR pouvait se référer à cette preuve documentaire et donner à celle-ci plus de poids qu’aux allégations de la demanderesse à l’effet contraire (Zhou c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1087 (C.A.F.)(QL); Adu c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 114 (C.A.F.) (QL)).

 

[21]           En somme, le risque que la demanderesse allègue est un risque aléatoire auquel font face indistinctement de façon générale toutes les personnes vivant dans son pays; il ne vise pas la demanderesse de façon personnelle ou particulière. La situation à laquelle la demanderesse craint d’être exposée ne diffère pas de celle des autres personnes vivant dans son pays; elle n’est donc pas une personne à protéger, au sens du sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR.

[22]           Une telle situation ne donne pas lieu à un risque personnel justifiant la protection sollicitée par la demanderesse. La SPR a conclu que le préjudice appréhendé était de nature criminelle sans aucun lien avec la définition de réfugié de la Convention, et c’était une conclusion qu’elle pouvait légitimement tirer (Jeudy c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1124; Cius c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1).

 

[23]           La Cour, après analyse des faits invoqués et de la décision attaquée, conclut que la SPR a, à bon droit, décidé que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle était une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR, alors qu’elle avait la charge de la preuve. La Cour doit donc respecter la décision de la SPR.

 

VI.       Conclusion

 

[24]           En conséquence, la décision attaquée était justifiée, tant sur le plan des faits que du droit applicable; elle était donc raisonnable. La demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[25]           Aucune question importante de portée générale n’a été proposée ou n’a lieu de l’être; par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

 

 

 


 

JUGEMENT

 

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

 

REJETTE la demande de contrôle judiciaire.

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5507-08

 

INTITULÉ :                                       MURIELLE LOZANDIER c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 8 juillet 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 31 juillet 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Luc R. Desmarais

 

POUR LA DEMANDERESSE

Sherry Rafai Far

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Luc R. Desmarais

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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